Un ex-séroprisonnier accuse Sarkozy et son gouvernement d’un nouveau scandale du sang contaminé

Voici un texte très intéressant, un texte d’accusation sur la situation dans les prisons, des lieux de souffrance où les drogues circulent librement. Pas officiellement du moins, puisque l’État nie qu’il y ait des drogues dans les prisons…

Ce qui amène une situation sanitaire catastrophique, qu’il est juste de dénoncer.

A LTD, nous sommes contre toutes les drogues, mais nous ne sommes pas pour stigmatiser les personnes qui prennent des drogues. Nous sommes pour un monde où l’impression qu’on a besoin de prendre des drogues n’existe plus.

Le texte vient du blog de Laurent Jacqua. Ce dernier, alors un punk de 17 ans, a été détenu de 1984 à décembre 2009, pour s’être défendu lui et une amie face à une attaque de néo-nazis; à cette occasion, il en tuera un et blessera grièvement le chanteur du groupe de musique « skinhead » néo-nazi « Evil Skins » (qui faisait l’apologie des chambres à gaz, etc.).

Anecdotes intéressantes: ce chanteur n’est plus raciste (mais toujours en chaise roulante depuis), et un autre membre du groupe a abandonné l’ultra-violence pour devenir un dévot de Krishna (et jouant dans un groupe de musique pour propager cette culture religieuse).

Un ex-séroprisonnier accuse Sarkozy et son gouvernement d’un nouveau scandale du sang contaminé

En France les taux de prévalence (nombre de personnes contaminées) et d’incidence (nombre de contaminations sur une période donnée) du VIH et du VHC (hépatite C) de la population carcérale sont effrayants : 4 à 5 fois supérieurs à la population générale pour le VIH, 5 à 8 fois pour le VHC. Je dénonce dans ce « j’accuse » la responsabilité du ministère de la Santé et de la justice dans ces contaminations en refusant de donner aux prisonniers toxicomanes l’accès à un matériel d’injection stérile.

Je sais ce que c’est d’être « séroprisonnier ». Durant mes 25 ans d’incarcération j’ai vu des détenus mourir du sida et j’ai vu aussi l’arriver les trithérapies et  antirétroviraux.

Mais en prison la drogue circule toujours autant. J’ai pu constater un retour en force de l’héroïne pendant mes dernières années de détention. Dans les années 90 et 2000 la guerre en Afghanistan avait tué le marché, mais depuis 5 ans il y a une recrudescence massive de l’héro en France.

Depuis 1987 on observe une baisse des contaminations au VIH et VHC grâce à l’application de la loi Barzach (qui autorise la mise en vente libre de seringues en pharmacie ndlr). Sauf en prison, où il n’y a aucune mesure de réduction des risques (RDR) : les détenus toxicos n’ont pas accès à un matériel stérile. Ils sont plusieurs sur une même seringue. C’est une véritable catastrophe sanitaire.

Le gouvernement a rejeté les PES (le plan d’échange de seringues en milieu carcéral). L’institution pénitentiaire refuse de reconnaître l’usage de la drogue en prison et refuse de protéger ceux qui sont à l’intérieur malgré des taux de contamination hors normes.

Il y a des salles de shoot improvisées en maison d’arrêt, sous le préau à 4 sur une seringue. Les chiffrent parlent d’eux-mêmes : 30% des détenus toxicomanes continuent à se shooter en prison (rapport Coquelicot 2006) et 18% des infirmeries des maisons d’arrêt importantes admettent avoir découvert des seringues usagées dans l’établissement, cellule, couloir ou parloir (rapport PREVACAR 2011).

J’ai été à plusieurs réunions au ministère de la Santé et venant du fond des promenades, la prison comme il  me la raconte n’existe pas. Les rapports officiels du ministère sur la contamination désignent les rapports sexuels, le coiffage, le tatouage et le piercing comme vecteurs de transmission. Pas un mot sur la plus importante cause de transmission  les injections, les shoots d’héro !?

La vision de la toxicomanie défendue par l’institution est répressive et stigmatisante au lieu d’être médicale. Oui, depuis 1994, la loi sur l’égalité des soins en prison et à l’extérieur autorise l’accès aux traitements de substitution à l’héroïne. Mais quand il y a une arrivée de came, et l’héro n’est pas une drogue chère, les toxicos s’accrochent rarement au Subutex.

Il y a du trafic de seringue : volées à l’infirmerie ou entrées par parloirs. Elles ne sont pas échangeables, c’est un outil rare : les usagers se la partagent. Fermer les yeux là-dessus est criminel et scandaleux. Depuis 1996, les pouvoirs publics assurent la distribution d’eau de Javel au sein des établissements pénitentiaires pour décontaminer les seringues.

Déjà, il ne s’agit d’eau de Javel qu’à 12% pour des raisons de sécurité, et l’efficacité d’un tel procédé n’est pas garantie. Ensuite, il faut laisser tremper longtemps les seringues, puis les faire sécher. Un groupe de camés ne va certainement pas prendre ce temps entre chaque injection, et l’urgence est renforcée par la peur de se faire prendre.

86% des 90 000 personnes entrant en détention chaque année effectuent une peine de moins d’un an. La promiscuité annule le secret médical, puisqu’on est deux par cellule au minimum. Les porteurs du VIH/VHC savent que s’ils se déclarent malades auprès des UCSA ou de l’administration pénitentiaire ils vont être dans une situation de soins et repérés par les autres détenus.

Le sida est extrêmement stigmatisant, et expose à la mise à l’écart et à l’isolement. Or on ne peut pas être faible en prison. Ils pensent, et encore plus sur des peines courtes “je me soignerai à la sortie”. S’ils ont une addiction à l’héroïne, un tour en promenade suffit pour comprendre qu’il est possible d’obtenir de la came et de partager une pompe.

En Espagne depuis 2010 le programme d’échange des seringues s’est généralisé dans toutes les prisons. Contrairement aux arguments avancés par le gouvernement français, de tels dispositifs ne concourent pas à l’augmentation de la consommation de drogues injectables ni à l’accroissement de l’insécurité au sein des lieux de détention. Personne n’a vu un détenu agresser un maton avec une seringue.

Dès 1991, l’OMS estimait que refuser la réduction des risques était une violation du droit. En 2007, elle recommandait l’introduction urgente de programmes d’échange de seringues en détention. Rien n’a changé. L’Etat français abandonne une catégorie entière d’individus, soumis à la possibilité de se contaminer, en faisant prevaloir le prétexte sécuritaire sur la donnée sanitaire. »

J’accuse donc Sarkozy et son gouvernement de laisser, volontairement et en toute connaissance de cause, les prisonniers se contaminer par le refus de la mise en place du  programme d’échange de seringue qui aura inévitablement pour conséquence  une catastrophe sanitaire et un nouveau scandale de contamination du sida dans les prisons françaises.

Source : 1) « Risque infectieux en prison : un réel enjeu de santé publique », chez VIH.org. 2) Etude Coquelicot, 2006.