Le Roman de la rose

Le « Roman de la rose » est le plus important ouvrage en langue française du Moyen-Âge ; son influence est énorme sur la culture française mais aussi en Europe, et notamment en Angleterre.

Ce pavé de 22 000 vers octosyllabiques, reproduit manuellement à des centaines d’exemplaires (il date du 13ème siècle), est une expression majeure de l’assimilation de la rose à la femme, avec en arrière-plan la figure du « jardin secret », que le héros tente d’atteindre et qui est symbole de l’érotisme, de la Vierge Marie, de la religion et du paradis.

L’ouvrage a été composé en deux parties, avec au départ un peu plus de 4000 vers écrit par Guillaume de Lorris en 1237 et expliquant ce principe de la Rose, de la quête de la femme, de l’esprit sentimental et au service de l’amour.

Le héros de l’histoire parvient en effet à un jardin secret où l’amour participe à une fête, il découvre la rose qui le fascine, et frappé par l’amour on lui enseigne les devoirs de l’amoureux. Il apprend qu’il est aidé de Bel-Accueil alors que Raison lui donne des conseils de prudence.

Mais il doit affronter Malebouche (mauvaise réputation), Peur, Honte et surtout Dangier, qui représente le pouvoir au sens du puissant qui menace les amoureux. A la fin de l’histoire, le héros parvient à embrasser la rose, mais Jalousie intervient et construit une forteresse autour de celle-ci, Bel-Accueil étant enfermé dans le donjon !

La seconde partie, bien plus longue (18000 vers), a été écrite par Jean de Meung une quarantaine d’années après la première partie, et est plus prétexte à des réflexions, des spéculations théologiques.

Il est intéressant de voir que le Roman de la rose soit à la fois si connu et si peu connu, alors que c’est l’oeuvre majeure du Moyen-Âge de ce qui deviendra la France. Il y a en effet beaucoup de réflexions à tirer de cette œuvre, qui pose le rapport à la nature, à l’amour sous sa forme « naturelle. » Avec le Roman de la rose, on est très loin de la démarche cartésienne, rationnelle, qui prédominera par la suite !

Voici un extrait.

XXIX

Comment Vénus l’ardente dame, 3605
Plus que nul aida de sa flamme
L’Amant, tant qu’il alla baiser
La Rose et ses maux apaiser.

Bel-Accueil, quand il sentit prendre
En lui le feu, sans plus attendre,
D’un baiser m’octroya le don.
Tant fit Vénus et son brandon
Qu’il n’osa faire résistance.
Lors vers la Rose je m’élance
Cueillir le savoureux baiser.
Quel bonheur, vous devez penser!
Soudain un doux parfum m’inonde
Dissipant ma douleur profonde,
Et adoucit le mal d’aimer
Qui tant me soulait être amer.
Onques tant ne me sentis d’aise,
Moult guérit qui telle fleur baise
Si suave et qui si bon sent.
Je ne serai plus si dolent,
Il suffira qu’il m’en souvienne
Et de joie aurai l’âme pleine!
Et pourtant j’ai bien des ennuis
Soufferts et de bien tristes nuits
Depuis que j’ai baisé la Rose!
Jamais tant la mer ne repose
Que ne la trouble un peu de vent.
Amour aussi change souvent;
Il blesse et guérit en une heure,
En un point guère ne demeure.

Voici le texte dans sa version originale.

XXIX

Comment l’ardent brandon Venus 3597
Aida à l’Amant plus que nus,
Tant que la Rose ala baiser,
Por mieulx son amours apaiser.

Bel-Acueil, qui sentit l’aïer
Du brandon, sans plus delaier
M’otroia ung baisier en dons,
Tant fist Venus et ses brandons:
Onques n’i ot plus demoré.
Ung baisier dous et savoré
Ai pris de la Rose erraument;
Se j’oi joie nus nel’ dement:
Car une odor m’entra où cors,
Qui en a trait la dolor fors,
Et adoucit les maus d’amer
Qui me soloient estre amer.
Onques mès ne fu si aése,
Moult est garis qui tel flor bese,
Qui est si sade et bien olent.
Ge ne serai jà si dolent,
S’il m’en sovient, que ge ne soie
Tous plains de solas et de joie;
Et neporquant j’ai mains anuis
Soffers et maintes males nuis,
Puis que j’oi la Rose baisie:
La mer n’iert jà si apaisie,
Qu’el ne soit troble à poi de vent;
Amors si se change sovent.
Il oint une hore, et autre point,
Amors n’est gaires en ung point.