Un écologiste sur une piste de l’aéroport Charles-de-Gaulle

Il y a quelques jours, un écologiste a pénétré sur une piste de l’aéroport Charles-de-Gaulle, afin de protester contre les avions, selon lui responsable dans une mesure importante du réchauffement climatique.

On peut largement être en désaccord tant avec la démarche qu’avec la conception, mais en tout cas cette initiative se fonde naturellement sur une exigence de dignité et d’affrontement avec le réchauffement climatique!

Voici tout d’abord le compte-rendu fait par la personne, puis un document explicatif de la même personne (qui avait justement annoncé son action à l’avance).

Tragi-comédie à l’aéroport Charles-de-Gaulle
Paris, le 7 juin 2012.

Bonjour,

Le 6 juin, vers 16 h, j’ai pénétré sur les pistes de l’aéroport Charles-de-Gaulle, et me suis placé physiquement devant un Airbus A320 d’Air France qui s’apprêtait à rouler vers la piste d’envol (1).

J’ai été arrêté par la gendarmerie, et ai passé la nuit en garde-à-vue. Les gendarmes furent professionnels et courtois, parfois même un brin empathiques. Je suis passé devant une juge tout-à-l’heure, en présence de mon avocat, Maître Faro. La juge, suite à une gaffe du procureur, était obligée de me libérer, ce qui fut fait ce soir vers 18 h. Mais j’ai clairement spécifié à cette dernière, ainsi qu’aux gendarmes qui m’ont arrêté, que je retournerai à l’aéroport demain, afin d’arrêter une autre machine génocidaire [action réalisée le 8 juin]. Je sais que cela me fait risquer la prison. L’avant-goût que j’en ai eu me donne du mal à trouver ici quelque chose de drôle à dire (2). C’est horrible.

Alors que je n’ai pas cherché à particulièrement médiatiser cet acte, il y a eu quelques brèves, dans le Figaro, le JDD et sur le site d’Europe 1, entre autres. Les réactions d’une bonne trentaine de lecteurs du Figaro m’ont fait très plaisir : quand des gens vous insultent en évitant soigneusement de répondre sur le fond, cela peut signifier qu’ils ne savent pas quoi répondre. La pauvreté intellectuelle et humaine de ces gens ne cessera jamais de m’étonner.

Nous sommes en plein tragi-comique. Je risque la prison parce que je tire les conséquences des faits suivants :
– les scientifiques nous alertent : “pas plus de 1,5 t de CO2 par personne et par an pour ne pas détruire le climat” ;
– un seul vol transatlantique pollue avec plus de 2,5 t… en quelques heures.

En d’autres termes, je risque la prison parce que je dis que 2 + 2 = 4. Les amateurs d’Orwell et de son chef-d’œuvre, 1984, apprécieront. La destruction du climat est un génocide. Si vous pensez qu’il est possible de détruire le climat de la planète sans détruire des millions d’êtres humains, vous êtes cinglé.

Mon procès est prévu pour le 2 juillet, au Tribunal de Bobigny.

Pierre-Emmanuel Neurohr

PS : merci de faire circuler ce mail à vos contacts, à des journalistes, etc.

(1) Les raisons scientifiques de mon acte se trouvent ici [voir plus bas]
(2) Il y a quand même des aspects marrants. Ainsi, j’ai appris par la suite qu’il s’agissait de gens qui s’apprêtaient à participer à la destruction du climat de la Terre en se rendant à Munich. Or, j’ai la faiblesse de penser qu’il faut tirer des enseignements de l’Histoire. Donc, tout en étant conscient du fait que les actes des gens durant la seconde guerre mondiale et aujourd’hui ne sont pas absolument identiques, le fait que cette machine

Voici le second document:

Lettre ouverte

Vous êtes des génocidaires. Et je vais me battre contre vous.

Dans quelques jours [action réalisée le 6 juin], je vais aller sur la piste de l’aéroport Charles-de-Gaulle afin d’arrêter une machine utilisée par des extrémistes s’apprêtant à détruire le climat de la planète et provoquer un génocide. Je risque la prison. Les raisons de mon acte, évidentes en 2012, sont les suivantes.

Les scientifiques sont arrivés à la conclusion que, pour ne pas détruire le climat de la terre, il faut que chaque être humain n’y déverse pas, grosso modo, plus de 1,5 t de CO2 par an (1).

Un seul voyage Paris-Montréal, pour ne prendre qu’un exemple, pollue l’atmosphère en y déversant plus de 2,5 t… en quelques heures (2). La machine appelée “avion” est la machine la plus efficace pour détruire le climat, et son utilisation est – stricto sensu – incompatible avec un climat permettant la vie. Il faut donc l’interdire (3).

Vous pouvez vous rouler par terre, geindre, pleurnicher comme un enfant gâté, ou insulter la personne qui vous fournit cette information. Quand vous aurez fini, ô surprise, 2,5 t en quelques heures seront toujours mathématiquement grossièrement incompatibles avec une limite de 1,5 t par an.

Or la destruction du climat de la terre aura une conséquence, et une seule, qui vaille la peine d’être évoquée, vu le temps qu’il nous reste pour réagir. Il ne s’agit pas de la disparition du papillon à antennes rétractables, ou de la grenouille mélomane, même si le fait de pousser à l’extinction des espèces vivantes n’est pas à proprement parler glorieux. En 2012, avec le luxe de détails dont nous disposons, il est évident que la conséquence directe de la destruction du climat est un génocide… d’êtres humains.

Les études scientifiques les plus récentes prévoient d’ici 2100 une augmentation du niveau des océans entre 80 cm et 2 m (4). Pour ne prendre qu’un exemple, à 60 cm d’élévation, 80 % de la riziculture du Vietnam sera détruite (5). Dans ces conditions, réussir à ne pas parler de génocide est clownesque et lâche (6).

Bien entendu, les problèmes ne commenceront pas en 2099. En fait, ils ont déjà commencé (7). Les sécheresses à venir, quant à elles, vont griller des parties entières du globe et rendre l’agriculture impossible ; des régions telles que le pourtour méditerranéen seront en situation de sécheresse quasi-permanente dans moins de 20 ans, selon l’ensemble des analyses scientifiques (8). Détruire le climat de la planète provoquera un génocide, principalement par famine.

Je n’ai pas l’intention de faire une seule égratignure à la machine génocidaire que je veux arrêter, et je serai non-violent. Toute personne qui aurait recours à la violence aujourd’hui serait stupide et abjecte. Je vais me battre, de manière non-violente, parce que ma morale la plus basique ne me laisse pas le choix. Et aussi parce que je ne veux pas qu’il puisse être dit que le pays qui a vu naître Jean Moulin et Lucie Aubrac, que dans ce pays, aucun citoyen ne s’est battu contre le génocide qui commence sous nos yeux (9). Je ne parle pas de la position de commentateur sportif qu’ont adoptée les écologistes, dont l’autre principale activité consiste à faire du théâtre pour les médias (10). Je dis : “se battre”. Et je ne dis pas “changement climatique”, “réchauffement climatique” et autres calembredaines. Je dis : “génocide”.

L’historien de référence sur l’Holocauste, Raul Hilberg, raconte dans ses mémoires que durant ses recherches sur les documents d’époque, il se rendit compte que « partout où [il] regardai[t] apparaissait comme un leitmotiv le besoin des choses connues, des habitudes, de ce qui est normal ». Alors que ces gens, qui se comportaient “normalement”, se trouvaient « au milieu d’une destruction sans équivalent » (11). La “normalité” de la société française de 2012 fonctionne sur un mode similaire. Remplacez simplement “Solution finale” par “Croissance économique”.

Dans quelques jours, je vais aller sur la piste de l’aéroport Charles-de-Gaulle pour bloquer la machine la plus destructrice qui soit en ce début de XXIe siècle. Vous êtes des génocidaires et serez dénoncés comme tels par l’Histoire et les générations futures. Et je vais me battre contre vous.

Pierre-Emmanuel Neurohr – Paris, le 1er juin 2012

PS : merci de faire connaître cette lettre ouverte à vos contacts, de l’envoyer à des journalistes, etc.

(1) « Comment apprécier l’ampleur de l’objectif qui nous est ainsi assigné ? Une première approche simple est de considérer ce qu’il représenterait si on le partageait de manière égale entre tous les habitants de la planète. Nous limiter à 3 ou 4 Gt [gigatonne, ou milliard de t] de carbone par an, alors que nous sommes 7 milliards d’individus, signifie que chacun a le droit d’émettre annuellement une demi-tonne de carbone. », Nouveau climat sur la terre, Hervé Le Treut (l’un des principaux climatologues français), 2009, p. 203, une demi-tonne de carbone correspondant, grosso modo, à 1,5 t de CO2 ; « Pour que les concentrations en gaz à effet de serre arrêtent d’augmenter dans l’atmosphère, une règle de 3 relativement grossière entre l’absorption de dioxyde de carbone par les océans et la végétation (environ 10 milliards de tonnes de CO2) et la population mondiale actuelle (6,8 milliards d’individus plus ou moins gourmands en énergie) suggère qu’il faudrait rejeter au plus 1,5 t de CO2 par personne et par an en moyenne. Malgré la relative modestie des rejets de gaz à effet de serre français par rapport à ceux d’autres pays industrialisés, nos rejets pour le seul CO2 devraient être divisés par 4 à 5 pour arrêter l’augmentation (…) », Climat : le vrai et le faux, Valérie Masson-Delmotte (l’une des principales climatologues françaises), 2011, p. 69.

(2) Un A/R 2e classe Paris-Montréal pollue notre fine couche d’atmosphère avec 2,5 t de CO2 par individu (tableur Ademe V6.1, septembre 2010 ; un aller-simple pollue avec 1248 kg).

(3) Oui, il existe d’autres sources de gaz à effet de serre. Mais la pollution de cette machine est la plus grossière qui soit. Même en le voulant très fort, un citoyen français, en 2012, ne peut rien faire de plus destructeur du climat que de l’utiliser. A moins de s’adonner à la pyromanie.
(4) Kinematic Constraints on Glacier Contributions to 21st-Century Sea-Level Rise (Contraintes cinétiques sur la contribution des glaciers à l’augmentation du niveau des mers au XXIe siècle), Pfeffer et al., Science, 5.9.2008.

(5) « [La riziculture du Vietnam] est extrêmement menacée, ce qui inquiète le gouvernement, évidemment, en particulier du fait du réchauffement climatique (…). Si le niveau de la mer (…) monte de plus de 60 cm, 80 % de ses surfaces seront sous l’eau de mer (…). » Jean-Charles Maillard, Directeur régional Asie du Sud-Est continentale du Centre international de recherche agronomique pour le développement (Cirad), dans l’émission Courir les champs du monde, Culturesmonde, France Culture, 21.02.11.
(6) Parfaitement, il s’agit d’un génocide : http://parti-de-la-resistance.fr/?p=414

(7) « (…) les anomalies extrêmes du climat en été au Texas en 2011, à Moscou en 2010, et en France en 2003 n’auraient presque certainement pas eu lieu en l’absence du réchauffement climatique, avec son déplacement de la distribution des anomalies. En d’autres termes, nous pouvons dire avec un degré de certitude élevé que ces anomalies extrêmes sont une conséquence du réchauffement climatique… », Climate Variability and Climate Change: The New Climate Dice (Variabilité du climat et changement climatique : les nouveaux dés du climat), J. Hansen, M. Sato, R. Ruedy, 10.11.11, p. 8.

(8) Drought under global warming: a review (Les sécheresses dans le cadre du réchauffement climatique : un état des connaissances), Aiguo Dai, WIREs Climate Change, 2010.
(9) Je ne prétends pas avoir le milliardième du courage de ces gens-là.

(10) Je crois avoir compris beaucoup de choses le jour où l’un des principaux organisateurs des manifestations contre la construction d’un nouvel aéroport près de Nantes m’a dit qu’il prenait l’avion quatre fois par an, et qu’il comptait bien continuer. Le côté hypocrite de la chose n’est pas ce qu’il y a de plus intéressant. Ce qui est pertinent, c’est de comprendre que ces “écologistes” n’ont aucun intérêt à ce que les choses changent. Ils ont le beurre et l’argent du beurre : ils utilisent les machines qui les placent – littéralement – parmi la jet-set, et ils ont bonne conscience. Peut-être que la raison pour laquelle la bataille environnementale a été perdue jusqu’à présent, c’est qu’il n’y a pas d’opposants, à proprement parler. Pas de femmes ni d’hommes qui se battent réellement, physiquement, frontalement contre le système idéologique qui détruit la planète et prépare un génocide. Il n’y a que des gens qui se livrent à une forme de théâtre, passent un peu dans les médias, disent que, vraiment, polluer, c’est pas bien, puis rentrent chez eux.
(11) Unerbetene Erinnerung (Des souvenirs que personne n’avait sollicités), Raul Hilberg, 1994, p. 165-166.