L’horrible vision qu’a Buffon des chats

Buffon est un naturaliste du 18ème siècle très connu en France, et il a très certainement contribué à la science. Il a cependant une vision très mécanique, comme en témoigne l’édifiant article sur le chat dans son « Histoire naturelle. »

Le chat est présenté comme un être pratiquement maléfique, pervers, retors, totalement égoïste et manipulateur. C’est une vision complètement unilatérale, d’un utilitarisme complet puisque Buffon ne prend en compte que l’utilité que pourrait avoir le chat, d’où d’ailleurs son apologie du chien, présenté comme un esclave servile.

C’est une vision très intéressante, à comparer avec les poèmes de Baudelaire sur les chats, qui mettent au contraire en avant le caractère « mystérieux » du chat et son immense sensibilité !

« Le Chat est un domestique infidèle, qu’on ne garde que par nécessité, pour l’opposer à un autre ennemi domestique encore plus incommode, et qu’on ne peut chasser : car nous ne comptons pas les gens qui, ayant du goût pour toutes les bêtes, n’élèvent des chats que pour s’en amuser ; l’un est l’usage, l’autre l’abus ; et quoique ces animaux, sur-tout quand ils sont jeunes, aient de la gentillesse, ils ont en même temps une malice innée, un caractère faux, un naturel pervers, que l’âge augmente encore, et que l’éducation ne fait que masquer.

De voleurs déterminés, ils deviennent seulement, lorsqu’ils sont bien élevés, souples et flatteurs comme les fripons ; ils ont la même adresse, la même subtilité, le même goût pour faire le mal, le même penchant à la petite rapine ; comme eux ils savent couvrir leur marche, dissimuler leur dessein, épier les occasions, attendre, choisir, saisir l’instant de faire leur coup, se dérober ensuite au châtiment, fuir et demeurer éloignés jusqu’à ce qu’on les rappelle.

Ils prennent aisément des habitudes de société, mais jamais des mœurs : ils n’ont que l’apparence de l’attachement ; on le voit à leurs mouvemens obliques, à leurs yeux équivoques ; ils ne regardent jamais en face la personne aimée ; soit défiance ou fausseté, ils prennent des détours pour en approcher, pour chercher des caresses auxquelles ils ne sont sensibles que pour le plaisir qu’elles leur font.

Bien différent de cet animal fidèle, dont tous les sentimens se rapportent à la personne de son maître, le chat paroît ne sentir que pour soi, n’aimer que sous condition, ne se prêter au commerce que pour en abuser ; et par cette convenance de naturel, il est moins incompatible avec l’homme, qu’avec le chien dans lequel tout est sincère.

La forme du corps et le tempérament sont d’accord avec le naturel, le chat est joli, léger, adroit, propre et voluptueux ; il aime ses aises, il cherche les meubles les plus mollets pour s’y reposer et s’ébattre (…).

Les jeunes chats sont gais, vifs, jolis, et seroient aussi très-propres à amuser les enfans si les coups de patte n’étoient pas à craindre ; mais leur badinage, quoique toujours agréable et léger, n’est jamais innocent, et bientôt il se tourne en malice habituelle ; et comme ils ne peuvent exercer ces talens avec quelque avantage que sur les plus petits animaux, ils se mettent à l’affût près d’une cage, ils épient les oiseaux, les souris, les rats, et deviennent d’eux-mêmes, et sans y être dressés, plus habiles à la chasse que les chiens les mieux instruits.

Leur naturel, ennemi de toute contrainte, les rend incapables d’une éducation suivie (…).

On ne peut pas dire que les chats, quoiqu’habitans de nos maisons, soient des animaux entièrement domestiques ; ceux qui sont le mieux apprivoisés n’en sont pas plus asservis : on peut même dire qu’ils sont entièrement libres, ils ne font que ce qu’ils veulent, et rien, au monde ne seroit capable de les retenir un instant de plus dans un lieu dont ils voudroient s’éloigner.

D’ailleurs la plupart sont à demi-sauvages, ne connoissent pas leurs maîtres, ne fréquentent que les greniers et les toits, et quelquefois la cuisine et l’office, lorsque la faim les presse.

Quoiqu’on en élève plus que de chiens, comme on les rencontre rarement, ils ne font pas sensation pour le nombre, aussi prennent ils moins d’attachement pour les personnes que pour les maisons : lorsqu’on les transporte à des distances assez considérables, comme à une lieue ou deux, ils reviennent d’eux-mêmes à leur grenier, et c’est apparemment parce qu’ils en connoissent toutes les retraites à souris, toutes les issues, tous les passages, et que la peine du voyage est moindre que celle qu’il faudroit prendre pour acquérir les mêmes facilités dans un nouveau pays.

Ils craignent l’eau, le froid, et les mauvaises odeurs ; ils aiment à se tenir au soleil, ils cherchent à se gîter dans les lieux les plus chauds, derrière les cheminées ou dans les fours ; ils aiment aussi les parfums, et se laissent volontiers prendre et caresser par les personnes qui en portent : l’odeur de cette plante que l’on appelle l’Herbe aux-chats, les remue si fortement et si délicieusement, qu’ils en paroissent transportés de plaisir.

On est obligé, pour conserver cette plante dans les jardins, de l’entourer d’un treillage fermé ; les chats la sentent de loin, accourent pour s’y frotter, passent et repassent si souvent par-dessus, qu’ils la détruisent en peu de temps. »