« La fermière qui défie les chasseurs à courre »

L’histoire ci-dessous, tirée du Parisien qui a le mérite de présenter l’affaire « en détail », passionnera forcément toute personne amie des animaux. Une éleveuse qui laisse finalement ses terrains en friche pour abriter des animaux sauvages fuyant les chasseurs, c’est quelque chose de très fort.

C’est une preuve que même si la crise économique pousse au pire individualisme et à la mesquinerie, la Nature reste quant à elle visible et pousse à la grandeur d’âme, c’est-à-dire à être soi-même, tout naturellement.

C’est on ne peut plus significatif de ce qu’est notre époque : une époque de transition, de changements… où le meilleur côtoie le pire, puisque comme on le voit ici, les chasseurs représentent vraiment l’idéologie de la mort, de la conquête par la force, de l’absence de respect…

La fermière qui défie les chasseurs à courre

Chantal Villain a transformé ses 30 ha de terre en refuge pour cerfs et biches traqués par les équipages de chasse à courre. Récit d’une guerre entre pro et anti-chasse.

Une vie en état de siège. Quand d’autres profitent de l’automne pour dénicher cèpes ou châtaignes, Chantal Villain ne quitte pas sa maison. Cette quinquagénaire vit seule, à 1,5 km de la plus proche habitation, au bout d’un chemin forestier qui se termine par une bâtisse au toit d’ardoise. L’endroit, noyé entre haies, marais et forêt, a tout du havre de paix.

Pourtant, Chantal Villain vit « un véritable enfer. » « Ça fait vingt ans que ça dure, mais ces derniers temps, le harcèlement a redoublé », soupire-t-elle, à bout.

D’abord, cette agricultrice exploitait 50 ha à Murlin. « Petite fille, les week-ends étaient immuables. Les chasseurs à courre arrachaient nos clôtures le samedi, et on les réparait le dimanche. »

Un jour de 2004, Chantal a rendu les armes et déménagé quelques kilomètres plus loin à Margis, lieu-dit de Beaumont-la-Ferrière, où elle avait hérité de 30 ha qu’elle consacra à élever des salers et des porcs gascons.

Las, cette installation à la lisière de la forêt des Bertranges, l’une des plus grandes de France, n’a pas été synonyme de sérénité retrouvée. Dès son arrivée, « ça a recommencé de plus belle, les clôtures étaient détruites et mes animaux se sauvaient. J’ai dû m’en séparer ».

Alors, l’agricultrice s’est lancée dans le combat de sa vie : empêcher les veneurs de pénétrer sur sa propriété pour y traquer le gibier, et surtout le cerf, animal mythique que seuls 37 équipages sur les 420 existants en France sont habilités à pister.

Fervente partisane d’une vie en symbiose avec la nature, cette écolo qui en a longtemps refusé l’étiquette laisse la nature prendre ses droits sur ses terrains. Résultat : les animaux ont fait du lieu une arche de Noé.

« C’est ce que les chasseurs à courre ne supportent pas, explique Chantal Villain. Que les animaux se réfugient chez moi. »

En atteste le troupeau de biches qui batifole en cette fin d’après-midi. « Du coup, ils viennent la nuit et tirent pour que le gibier quitte ma propriété. Ils sont là généralement le mardi ou le samedi, parfois presque toute la semaine en fin de saison, quand ils n’ont pas atteint leurs quotas. »

De larvé, le conflit a viré à la guerre ouverte. Pneus du tracteur crevé, rétroviseurs arrachés, jets de pierres et même tirs à la chevrotine sur son toit ou son chien : Chantal Villain assure être devenue la bête noire des quatre équipages qui officient régulièrement dans le secteur et prennent leurs aises dans cette propriété stratégique, truffée de rivières et de mares où les animaux viennent boire.

Sous un soleil d’automne, attablée dehors, Chantal décrypte les notes jaunies qui portent le récit de plusieurs années d’affrontements.

« En novembre 2011, ça a été terrible », raconte-t-elle d’une voix blanche. Photos en main, elle décrit ce cerf, venu se coller à l’entrée de sa grange. « Il y avait des dizaines de chasseurs qui m’insultaient. Je les ai tenus à distance pendant quatre heures avec une bombe lacrymogène. »

D’ordinaire, le maire se déplace, ce qui a pour effet de calmer les ardeurs de la meute. « Là, il était en vacances. Les chasseurs ont appelé les gendarmes, qui sont venus récupérer les chiens. Le cerf a pu s’enfuir. »

Une seule fois, Chantal a déposé plainte, en 1998. « Mais ils n’ont rien pu faire, faute de preuves », ont-ils dit. Depuis, l’ex-agricultrice a laissé tomber la voie judiciaire.

« Quand je vois un cerf poursuivi devant chez moi, je le laisse passer, et je jette du poivre ou des épices pour que les chiens perdent sa trace, décrit-elle. C’est déjà arrivé que deux cerfs se croisent, poursuivis par deux meutes différentes! Quand les chasseurs se rassemblent devant ma maison, je les prends en photo. »

Maigre défense qui ne l’a pas empêchée, assure-t-elle, d’être frappée à plusieurs reprises. « Ils ont déjà menacé de me tuer. L’un d’eux m’a dit que je finirai dans le trou bleu », une ancienne mine inondée, à dix kilomètres de là. « Elle est seule, isolée, j’ai peur pour sa vie », souffle son amie Christine.

De tous les équipages auxquels Chantal s’est confrontée, le Piqu’avant nivernais semble le plus virulent. « Les relations sont d’autant plus difficiles que leurs suiveurs sont des locaux », analyse Christine.

« C’est un des plus puissants de France. Au-delà de la chasse, ils veulent voler mes terres », accuse Chantal Villain. Dans un courrier, Philippe De Rouälle, maître d’équipage du Piqu’avant, lui proposait l’an dernier « une location de tout ou partie des prairies » qui pourrait « apporter paix et tranquillité ».

Contacté, il n’a pu être joint. De son côté, le maire s’est plaint sans succès auprès de l’ONF, qui botte en touche. Chantal, elle, n’en démordra pas. « Je ne supporterais pas de partir d’ici, même avec de l’argent. Ce serait me renier. »