« Fine food »: les enchères bobos de l’exploitation animale

«Voilà vous avez six ans de travail devant vous» a-t-elle indiqué en désignant son jambon qui nous aurait presque ému.

Voilà la teneur d’un article de Libération qui célèbre des riches qui ont la « bonté » d’acheter des produits du « terroir » aux enchères, faisant ainsi une aumône à la Croix Rouge qui recevra 90% des bénéfices… Avec un bourgeois bohème expliquant: «Oui, je suis un super militant en guerre contre l’industrie, les grands groupes alimentaires qui raisonnent en clône et en volume quand je pense respect de l’individu.»

Voici un extrait de cet article absolument édifiant.

«250 euros la côte de bœuf, une fois, deux fois… adjugé !»

Reportage Pour la deuxième année s’est tenue mardi la vente aux enchères gastronomiques Fine Food, dont les recettes sont destinées à la Croix-Rouge.

«La côte de vache Jersiaise à 200, personne à gauche, ni à droite, j’adjuge à 200.» Et le marteau de François Tajan, une des stars des commissaires-priseurs parisiens, de s’abattre. La scène s’est répétée 147 fois, mardi soir, lors de la deuxième édition des enchères gastronomiques Fine Food. Un concept inédit et presque subversif dans ce temple de l’argent et des belles «choses» qu’est l’hôtel Marcel-Dassault, en bas des Champs-Elysées, où Artcurial a abrité pendant quelques heures le travail de dizaines d’artisans de bouche.

Une longue salle blanche au premier étage, dominant l’avenue Montaigne, une des plus chères au monde. Au pied du perchoir de Tajan, dont la voix semble avoir été créée pour ce métier là et rien d’autre, deux énormes jambons et un magnum de cognac. Sur un écran défilent des photos des produits (ne manquent que les odeurs) et l’évolution des enchères libellées en euro, dollars américains, livres anglaises, francs suisses, yens japonais et yuans chinois. Dans la salle une population hétéroclite, pas ostensiblement riche mais discrètement chic, des hommes en veste et jeans pouvant s’offrir un demi-saumon sauvage de l’Adour pour 1200 euros. Et au téléphone, un mystérieux acheteur «1006» qui enquille les emplettes en cédant rarement aux renchérissements de la salle. Enfin, assis au pied du perchoir de Tajan, Bruno Verjus, tout de noir vêtu.

Verjus, c’est l’homme par lequel la gastronomie s’est glissée au milieu des tableaux, montres, bijoux ou automobiles, le lot commun d’une salle d’enchères. Même les vins et spiritueux y ont trouvé de longue date leur place. «Un soir en dînant avec Nicolas Orlowski j’ai lancé l’idée comme une blaque: et si on faisait des enchères gastronomiques?», se souvient avec gourmandise Bruno Verjus. Nicolas Orlowski, le patron d’Artcurial, donne son feu vert à Bruno Verjus. Une étape de plus dans la vie de ce bloggeur (Food intelligence, depuis 2005), auteur de livres sur la cuisine, chroniqueur gastronomique sur France Culture («On ne parle pas la bouche pleine» depuis 2011), et expert auprès d’Artcurial. Un homme qui, alors qu’on lui téléphone vers 16 heures, enfourne un lapin.

«Un super militant en guerre contre l’industrie»

Mais derrière une allure rabelaisienne se cache un militant politique, avec un grand P, tout heureux de jouer la carte de l’entrisme le temps d’une enchère. Car 90% (117 lots sur 147) des recettes recueillies mardi soir seront reversées à la Croix-Rouge française, qui s’en servira pour sa banque alimentaire dans les prochaines semaines. Quelques instant avant l’ouverture de la vente, Karine Thomas, représentant l’organisation caritative, est venue timidement exprimer sa satisfaction «dans cet univers un peu éloigné de nos réalités au quotidien» habitées «par ces nouveaux visages de la pauvreté, les jeunes et les travailleurs pauvres». La Croix-Rouge distribue chaque année 55 millions de repas.

«L’argent achète tout, ou presque, mais pas le goût.» C’est armé de ce genre de certitudes que Bruno Verjus a lancé les enchères Finefood.

«Oui, je suis un super militant en guerre contre l’industrie, les grands groupes alimentaires qui raisonnent en clône et en volume quand je pense respect de l’individu.»

Et de brandir en étendard un coq Barbezieux élevé spécialement pour la vente de mardi soir et pendant 300 jours, «quand les volailles vivent au maximum 28-30 jours». Verjus estime aussi «que nous avons encore le pouvoir de savoir auprès de qui nous dépensons notre argent». Dans son futur restaurant, «Table» qui ouvrira en mars à Paris, il travaillera avec deux cents petits artisans plutôt qu’avec hui gros fournisseurs. Il promet une carte jusqu’à 25 euros le midi, et environ 70 le soir.

Si c’était certes pour la bonne cause, il a quand même fallu mardi délier sa bourse pour s’offrir quelques produits d’exception, Bruno Verjus s’amusant de quelques symboles comme celui d’un Comté millésimé et d’un Gruyère suisse de Gstaad, «pour 280 euros, on a un café à Gstaad, non?». [Gstaad est une station de ski en Suisse, de type hyper chic.]

Les deux fromages sont partis pour 300 euros. Pendant deux bonnes heures, il n’y avait plus qu’à se laisser bercer par cette promenade gustative, culturelle, parfois tenté, dans un impulsion, de lever le bras quelques secondes avant que le marteau de Tajan ne s’abatte. Et de finalement se dire que 780 euros (tiens, environ 5000 francs) pour ces incroyables truffes blanches dont on avait pu humer le parfum puissant et fleuri, ce n’était malgré tout pas raisonnable.

Il y a aussi eu des lots de truffes noires (parties pour environ 400 euros les 250 grammes) dont Bruno Verjus a vanté la rareté car en raison d’un excès de pluie cet été et d’un froid insuffisant cet automne leur matûrité peine à venir. Les trois grammes de safran du Périgord ont été vendus 180 euros.

On a vu le demi saumon sauvage de l’Adour de Jacques Barthouil, qui n’en produit que dix par an, partir pour 1200 euros. La poularde à l’égyptienne de Yves-Marie Le Bourdonnec, enfermée dans un sarcophage en terre cuite, a été renchérie à 250 euros pour un kilo.

Ses côtes de boeuf «Wagyu» et «Longhorn» sont parties à 250 euroes chacune. Un acheteur aura le privilège, contre 1200 euros, de réserver une table pour deux au Noma de René Redzepi à Copenhague sans attendre environ un an. Les 10 centilitres de jus de bouleau, dénichés dans le grand nord suédois par Bruno Verjus, ont trouvé preneur pour 400 euros.

On a aussi appris qu’une côte de vache Blonde Aquitaine, mâturée 45 jours, pouvait se conserver «des dizaines d’années dans un congélo» grâce à la technique d’Alexandre Polmard (un procédé de surcongélation à -50 degrés qui fige la viande sans attenter à sa tendreté et son goût). Un jambon Pata negra de 2008 s’est envolé pour 1900 euros, sa propriétaire ayant raconté comment ses porcs s’ébattent chacun dans un espace de huit hectares au lieu d’un en général, avant d’être affinés pendant 58 mois.

«Voilà vous avez six ans de travail devant vous» a-t-elle indiqué en désignant son jambon qui nous aurait presque ému.

Libération est censé être un journal « de gauche », mais on voit bien que culturellement, c’est un journal conservateur, pour ne pas dire archaïque à la française! Malheureusement, on peut voir que ce discours bourgeois bohème est présent ailleurs qu’à Libération: depuis les associations welfaristes jusqu’à la ZAD, on fera l’éloge de la petite production fondée sur l’exploitation animale, comme un moindre mal, mais aussi et finalement surtout comme un gage de qualité!

Laisser « s’ébattre » un cochon avant de le charcuter relèverait de la morale, on pourrait manger l’animal assassiné en toute quiétude, avec bonne conscience… C’est là non seulement une formidable hypocrisie, mais en plus une forme d’exploitation animale alliée de la grande industrie, car cette consommation de bourgeois bohème se prétend « révolutionnaire » alors qu’elle n’est que le pendant de la grande industrie.

Au 19ème siècle, les ouvriers étaient maigres et le patron était gros, c’est désormais le contraire: aux gens qui travaillent une nourriture trop grasse trop salée etc., fondée sur l’exploitation animale la plus terrible, aux bourgeois « modernes » l’exploitation animale « morale » permettant de prétendre à un mode de vie plus sain et plus juste!