Le rat des baumettes (2)

Nous parlions il y a peu de l’intense propagande autour des rats lors du scandale des conditions de vie dans la prison marseillaise des Baumettes (Le rat des Baumettes). Cela n’a pas raté : en catastrophe, le Conseil d’État a annoncé des mesures devant être appliquées d’urgence.

Evidemment tous les médias ont résumé cela d’une seule manière : la « dératisation. » Ce qui s’est passé est un peu laborieux à comprendre, mais pour résumer : les journalistes ont manié le copié-collé et ont utilisé le terme de « dératisation » qui n’apparaît pas chez le Conseil d’Etat, mais que ce dernier a « gentiment » sous-entendu afin de masquer les questions d’ensemble.

Regardons de plus près comment cela est arrivé, afin de bien comprendre, non pas donc la méchanceté ou une volonté de « spécisme », mais bien un processus social-darwiniste où les rats sont pris en otage pour tenter de nier la réalité sociale des prisons.

Le Conseil d’Etat, pour prendre ses décisions, se fonde sur une demande de l’Observatoire International des prisons, concernant des choses vitales, tel que « garantir un accès régulier à l’eau potable à l’ensemble des personnes détenues. »

Voici l’extrait du document du Conseil d’État précisant les mesures demandées par l’Observatoire International des prisons :

d’enjoindre au centre pénitentiaire de Marseille de :- faire procéder à une inspection, par une entreprise spécialisée, ou à défaut parla sous-commission départementale pour la sécurité, des équipements électriques de l’ensemble des cellules en vue de faire sécuriser immédiatement les installations qui présenteraient undanger imminent au regard du risque de déclenchement des incendies ou de blessures par électrisation ;

– procéder à une inspection de l’ensemble des cellules en vue de retirer tout objet dangereux susceptible d’entraîner des blessures accidentelles ou volontaires ;

– procéder à la désaffectation des cellules au sein desquelles les deux types d’interventions précitées ne seraient pas réalisables ;

– faire procéder à une inspection, par une entreprise spécialisée, ou tout organisme administratif départemental compétent, de l’ensemble des locaux en vue de détermineret de mettre en oeuvre les mesures pouvant être prises en vue d’éradiquer les animaux nuisibles dont la présence et le développement dans ces locaux sont susceptibles d’exposer les détenus et le personnel pénitentiaire à des risques sanitaires ;

– garantir un accès régulier à l’eau potable à l’ensemble des personnes détenues ;

Comme on le voit, beaucoup de choses sont concernées. Le Conseil d’Etat n’y répond pas vraiment, se contentant de constater :

Considérant que les requérants demandent qu’il soit enjoint à l’administration pénitentiaire d’ordonner une inspection de l’ensemble des cellules individuelles du centre pénitentiaire des Baumettes, en vue, en premier lieu, d’assurer la sécurisation des équipements électriques, en deuxième lieu, d’y prélever tout objet dangereux pour les détenus ou le personnel pénitentiaire et, en troisième lieu, de garantir un accès effectif à l’eau courante

Considérant, d’autre part, qu’il résulte de l’instruction ainsi que des échanges à l’audience que, postérieurement aux recommandations du Contrôleur général du 12 novembre 2012, le chef d’établissement du centre pénitentiaire des Baumettes a fait procéder, par une équipe de surveillants, à l’inspection de l’ensemble des cellules individuelles que compte cet établissement ; que cette inspection, achevée le 20 décembre 2012, avait notamment pour objet de vérifier l’état des équipements électriques, de la plomberie ainsi que des huisseries de chacune de ces cellules ; qu’elle a en outre permis d’effectuer un prélèvement des bris de verres correspondant aux carreaux cassés de certaines cellules ; qu’à l’issue de ce contrôle systématique, il apparaît, au vu des éléments fournis par l’administration pénitentiaire, que 32 cellules présentent un problème lié à l’alimentation en eau courante, 131 comportent une chasse d’eau défectueuse et 121 présentent un problème au regard de l’équipement électrique, notamment en ce qui concerne l’éclairage intérieur

Par contre, voici alors ce qu’ordonne le Conseil d’Etat :

Article 3 : Conformément aux motifs de la présente ordonnance et dans un délai de dix jours à compter de sa notification, il est enjoint à l’administration pénitentiaire de procéder à la détermination des mesures nécessaires à l’éradication des animaux nuisibles présents dans les locaux du centre pénitentiaire des Baumettes.

Comme on le voit, le terme de « dératisation » n’est pas employé, mais les médias n’avaient pas besoin de plus. Les problèmes généraux de la prison des Baumettes sont gommés grâce à la « campagne », bien entendu urgente, salvatrice, censées résoudre les problèmes de fond, etc., contre les « animaux nuisibles » résumés aux rats pour les besoins du sensationnel.

Il n’en fallait pas plus pour que les principaux médias se précipitent.

Un seul média présente la chose différemment, le Courrier Picard. Mais cela ne va pas dans le bon sens, en fait ! Le Courrier Picard a le mérite de ne pas utiliser le terme de « dératisation », il se veut moins racoleur dans l’accroche.

Mais si on lit l’article, on retombe dans la dératisation, le terme étant employé dans ce qui serait une citation du Conseil d’Etat, mais qui n’apparaît pas dans l’ordonnance de celui-ci… Voilà ce que dit le Courrier Picard:

Face à l’insalubrité de la prison des Baumettes à Marseille, l’Etat a été contraint par la justice à prendre des mesures d’urgence, dont la dératisation et la désinsectisation de l’établissement pénitentiaire où le traitement réservé aux détenus est jugé illégal.

Saisi par l’Observatoire international des prisons (OIP) et d’autres organisations, le Conseil d’Etat a ordonné samedi une « opération d’envergure susceptible de permettre la dératisation et la désinsectisation de l’ensemble des locaux du centre pénitentiaire des Baumettes », et ce « dans les plus brefs délais ».

En fait, le Courrier Picard, comme la plupart des médias sans journalistes pour réécrire l’information, a simplement repris la dépêche de l’AFP, où on peut lire :

PARIS (AFP) – Face à l’insalubrité de la prison des Baumettes à Marseille, l’Etat a été contraint par la justice à prendre des mesures d’urgence, dont la dératisation et la désinsectisation de l’établissement pénitentiaire où le traitement réservé aux détenus est jugé illégal.

Saisi par l’Observatoire international des prisons (OIP) et d’autres organisations, le Conseil d’Etat a ordonné samedi une « opération d’envergure susceptible de permettre la dératisation et la désinsectisation de l’ensemble des locaux du centre pénitentiaire des Baumettes », et ce « dans les plus brefs délais ».

La plus haute juridiction administrative veut que soit réalisé d’ici à 10 jours « un diagnostic des prestations de lutte contre les animaux nuisibles » prévoyant « des interventions préventives et curatives ».

Mais où les médias ont-ils trouvé le terme de dératisation ? En fait, le document du Conseil d’Etat est un courrier administratif de dix pages, au jargon insoutenable.

C’est là que c’est vraiment intéressant. On est plus seulement dans le raccourci des médias, des journalistes qui manient le copié-collé. On est dans la construction d’une idéologie qui vise à résumer tous les problèmes de la prison – qui devrait être rasée, pour toute personne un tant soit peu logique – aux rats.

Voici l’impressionnante prose du Conseil d’Etat :

Sur les conclusions tendant à ce que soient ordonnées la détermination et la mise en œuvre des mesures permettant l’éradication des espèces nuisibles présentes dans les locaux de l’établissement :

10. Considérant qu’il résulte de l’instruction, et notamment des éléments rapportés à l’audience par la représentante du Contrôleur général des lieux de privation de liberté qui a été mis en cause pour observations dans les présentes instances, que les locaux du centre pénitentiaire des Baumettes sont infestés d’animaux nuisibles ; que les rats y prolifèrent et y circulent, en particulier la nuit ; que de nombreux insectes, tels des cafards, cloportes et moucherons, colonisent les espaces communs ainsi que certaines cellules, y compris les réfrigérateurs des détenus ; qu’en raison d’une carence du service d’entretien général, il apparaît que des cadavres de rats peuvent rester plusieurs jours consécutifs sur place avant d’être prélevés ; qu’une telle situation, que l’administration pénitentiaire ne conteste pas, affecte la dignité des détenus et est de nature à engendrer un risque sanitaire pour l’ensemble des personnes fréquentant l’établissement, constituant par là même une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ;

11. Considérant, il est vrai, que l’administration pénitentiaire, qui a pris la mesure de cette situation, a commencé d’y porter remède ; que, d’une part, 36 détenus ont été affectés à compter du mois de décembre 2012 au service général de l’établissement afin de renforcer les effectifs dévolus à l’entretien et à l’hygiène dans les locaux ; que, d’autre part, dans le cadre du contrat qui lie l’établissement à un prestataire de services chargé d’assurer la dératisation et la désinsectisation des locaux, l’administration pénitentiaire a augmenté la fréquence des interventions curatives, la dernière ayant eu lieu le 10 décembre 2012 et les prochaines devant normalement intervenir les 26 décembre 2012 et 11 janvier 2013 ; que, toutefois, il résulte de l’instruction que ces modalités d’action restent, en dépit des progrès qu’elles constituent, et ainsi que l’ont reconnu l’ensemble des parties à l’audience, insuffisantes pour remédier de manière efficace à cette situation d’atteinte caractérisée à une liberté fondamentale ; qu’il y a donc lieu, eu égard à l’urgence qui s’attache au prononcé de mesures de sauvegarde sur ce point, de prescrire à l’administration de prendre, dans un délai de dix jours à compter de la notification de la présente ordonnance, toutes les mesures utiles susceptibles de faire cesser au plus vite une telle situation, sans qu’il y ait lieu d’assortir cette injonction d’une astreinte ; que ces mesures doivent, en premier lieu, permettre la réalisation, au vu de la situation actuelle, d’un diagnostic des prestations appropriées à la lutte contre les animaux nuisibles, dans la perspective de la définition d’un nouveau cahier des charges pour la conclusion d’un nouveau contrat, après l’expiration, en mars 2013, de celui actuellement en vigueur ; qu’en effet, ce contrat devra prévoir des modalités et une fréquence des interventions préventives comme curatives adéquates à la situation effectivement observée au sein de l’établissement des Baumettes ; que ces mesures doivent, en second lieu, permettre d’identifier une solution de court terme proportionnée à l’ampleur des difficultés constatées, sans attendre la définition du nouveau cahier des charges et sans préjudice des interventions devant être effectuées dans le cadre du contrat actuellement en vigueur ; qu’en effet, il appartient à l’administration pénitentiaire de faire procéder, dans les plus brefs délais, selon les modalités juridiques et techniques les plus appropriées, et dans toute la mesure compatible avec la protection de la santé des détenus et des autres personnes fréquentant l’établissement ainsi qu’avec la nécessité de garantir la continuité du service public pénitentiaire, à une opération d’envergure susceptible de permettre la dératisation et la désinsectisation de l’ensemble des locaux du centre pénitentiaire des Baumettes ;

12. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la Section française de l’observatoire international des prisons et l’Ordre des avocats au barreau de Marseille sont seulement fondés à soutenir que c’est à tort que le premier juge a rejeté, par l’ordonnance attaquée, les conclusions tendant à la détermination et à la mise en œuvre de mesures appropriées à l’éradication des animaux nuisibles présents dans les locaux du centre pénitentiaire des Baumettes ;

Le Conseil d’Etat ne manque pas de gens brillants. En effet, de manière très subtile, l’ensemble des problèmes s’est vu résumé aux rats. Le Conseil d’Etat ne dit pas : on va refaire les murs, refaire le sol, redonner accès à l’eau potable, refaire les toilettes, tant qu’à faire agrandir le tout afin qu’il n’y ait plus surpopulation etc., non il dit, et il sait que les médias vont suivre: supprimons les rats, cause des vrais problèmes.

Comme si les pauvres rats étaient des « méchants » – le Huffington Post et Le Parisien ont d’ailleurs diffusé ce qui relève de la pure propagande : comme quoi des rats attaqueraient les détenus et les surveillants.

S’il y a des rats, comme des cafards, par ailleurs, dans la prison des Baumettes, c’est que celle-ci est insalubre (ces animaux n’envahissent rien du tout et ne sont pas la cause de la saleté, ils utilisent simplement une situation) et qu’il faut la raser (sans nuire aux animaux!). Tout le reste, c’est du rafistolage anti-humaniste et le prolongement du déni et de la fuite en avant dans le grand n’importe quoi.

Et l’anti-humanisme rejoint le social-darwinisme. La vraie question des prisons est gommée au moyen de la campagne contre les rats, entre jargon administratif et campagne médiatique !