En Angleterre, la chasse au renard jamais autant pratiquée, malgré l’interdiction

L’exploitation animale est une réalité sociale; il n’y a pas de spécisme abstrait qui surplomberait une humanité indifférenciée. A Londres par exemple, la fourrure n’est plus vendue dans les grands magasins, sauf évidemment chez Harrods, qui vise le luxe des classes sociales « chics. »

De la même manière, la haute bourgeoisie anglaise n’a pas abandonné « sa » chasse aux renards, qu’elle considère comme relevant de sa propre identité (pour la France, voir par exemple notre article La chasse et la (très) haute bourgeoisie). Elle a donc défendu son identité en contournant la loi.

Voici un article du Figaro expliquant cela, et on notera bien que l’article constate simplement que la loi d’interdiction a été obtenue de haute lutte:

Un demi-million de personnes dans les rues de Londres au plus fort de la crise. Sept cents heures de débat à la Chambre des communes (contre trois heures pour l’engagement militaire en Irak!).

Et pourtant, pour se justifier, les chasseurs prétendent désormais traquer l’odeur du renard, plus le renard lui-même. Et ça passe… Car là est évidemment la grande contradiction chez les personnes combattant un certain type d’exploitation animale, mais niant sa réalité sociale. La fourrure, tout comme le « foie gras », fait partie de l’attirail de la haute bourgeoisie. Et les personnes riches qui dominent dans la société ont largement le moyen de contourner la loi, vue que celle-ci est organisée et appliquée par des gens qui leur sont intimement liées…

En Angleterre, ils chassent le renard envers et contre tous

Outre-Manche, la loi interdisant la chasse au renard date de 2004. Pourtant, cette activité n’a jamais été aussi pratiquée.

Un matin d’hiver, il y a quelques mois, non loin du château de Badminton (là même où fut inventé le jeu de raquettes du même nom), sur les terres du duc de Beaufort. Droit comme un «i» sur son destrier, Ian Farquhar, alias «le Capitaine» (ex-officier du Queen’s Own Hussars, il fut écuyer de la reine mère), sanglé dans sa veste verte, pibole (petite trompe) autour du cou et fouet en main, savoure le moment.

C’est l’heure du meet, rassemblement des cavaliers. Des hommes, des femmes, et même des enfants juchés sur des poneys. Des bénévoles en bottes de caoutchouc et aux joues rougies par le froid leur proposent un verre de porto ou de whisky, servi sur un plateau. Un rituel immuable dans une ambiance festive. Les chevaux piaffent. Les chiens, superbes et racés, s’impatientent, vont de l’un à l’autre.

Une meute de 35 foxhounds, élevés et dressés pour une seule chose: la chasse au renard. Pratique pourtant interdite depuis quelques années! «Il faut que tout change, pour que rien ne change». Visiblement, les Anglais ont fait leur cet adage tiré du Guépard. On se souvient de la polémique suscitée par cette abolition.

Un demi-million de personnes dans les rues de Londres au plus fort de la crise. Sept cents heures de débat à la Chambre des communes (contre trois heures pour l’engagement militaire en Irak!).

Et Tony Blair qui confesse dans ses Mémoires avoir commis une «erreur politique majeure» en faisant voter la loi. Explication de Pierre de Boisguilbert, secrétaire général de la Société de vénerie et fin connaisseur du sujet: «Ce fut une décision purement politique. Arrivé au pouvoir en 1997, Tony Blair a finalement été contraint d’interdire la chasse au renard en 2004, sous la pression de l’aile gauche du parti travailliste. Le but poursuivi n’était pas tant de protéger le renard (en surnombre outre-Manche, y compris à Londres) que de s’en prendre au symbole de l’Angleterre conservatrice et traditionnelle: le gentleman-farmer qui chasse à courre. Sauf que ce clivage droite/gauche se double d’une autre fracture, plus profonde encore: celle entre les urbains et les ruraux. Deux univers, deux modes de vie».

Pour contourner l’interdiction gouvernementale et perpétuer un hobby ancestral (la chasse au renard date du XVIIe siècle), les équipages ont donc modifié leur façon d’opérer. À défaut de traquer Charlie (le surnom du renard), les chiens se contentent de pister son odeur.

C’est ce qu’on appelle le trail hunt: à l’aube, des cavaliers traînant un drag (sac de jute imprégné d’urine de renard en flacon made in USA!) sillonnent la campagne, reconstituant le parcours qu’aurait suivi le gibier avant la funeste année 2004. Plus l’itinéraire est compliqué, plus il est apprécié des aficionados: murets, clôtures, ruisseaux, bosquets, fourrés. Un sport autant qu’une chasse. Et si chute il y a, la partie n’en sera que meilleure.

Autre différence: la présence toujours possible de ce qu’on appelle les «saboteurs». Entendez les opposants anti-chasse de la très militante et virulente LACS (League Against Cruel Sports). Ces forcenés se tiennent en embuscade, équipés de caméras et autres appareils, bien décidés à surprendre leurs ennemis en flagrant délit.

Car la loi exige du plaignant la preuve que la meute poursuivait un renard et non son odeur. Ce qui la rend quasiment inapplicable: moins de 10 condamnations nationales en tout et pour tout depuis son adoption. Pour environ 200 équipages chassant en moyenne quatre fois par semaine!

À en croire Ian Farquhar, ex-master of foxhounds de Beaufort (soit le grand manitou), ces quelques cas ne sont que des «accidents»: «Comprenez bien que nos chiens appartiennent à la 25e génération d’une lignée dont le pedigree remonte à 1743. Il a fallu deux siècles et demi pour obtenir cette meute exceptionnelle qui fait l’admiration de tous . Si jamais un renard est débusqué, par une regrettable coïncidence, of course, comment voulez-vous briser l’élan de 35 bêtes aussi athlétiques et surentraînées?».

Au pays de l’euphémisme et du double sens, chacun interprétera ces propos à sa manière. Seule certitude: en ce lundi glacial, la centaine de cavaliers (les grands jours, l’effectif peut atteindre 200 chevaux) lancée à la poursuite d’une proie virtuelle s’en est rentrée bredouille, après une demi-journée de galopade et de steeple-chase.

Une spectaculaire chorégraphie dans un décor champêtre, il faut le reconnaître. Mais de Goupil, point. Ultime question du journaliste cartésien à un Nemrod aussi fourbu que sa monture:- Finalement, vous n’attrapez jamais rien?- Si, des rhumes.

Qui est le plus rusé des deux, le chasseur ou le renard? Après vingt-cinq ans de loyaux services, Ian Farquhar a pris sa retraite l’été dernier. Sur les quelque 200 équipages recensés en Angleterre et au pays de Galles, seuls deux d’entre eux (Beaufort et Heythrop) sont autorisés à porter cette couleur.

Tous les autres sont en rouge. Badminton est considéré comme la Mecque de la chasse au renard et l’équipage de Beaufort, le nec plus ultra en la matière. Jusqu’en 2005, c’est là que le prince Charles et ses fils s’adonnaient à ce passe-temps.

Lexique pour néophytes

Si la vénerie française possède son propre jargon, il en va de même avec son homologue britannique. La barrière linguistique en plus.

– Meet: rendez-vous de l’équipage et des participants, vers 11 heures du matin, devant le pub du village ou la demeure d’un particulier.

– Master of foxhounds: le maître d’équipage. Il est le patron, l’organisateur et le responsable de la chasse.

– Huntsman: le piqueur. Muni de la fameuse pibole, il mène les chiens pendant le laisser-courre. Dans le cas de l’équipage de Beaufort, Ian Farquhar, légende vivante de ce milieu, cumule les titres de master of foxhounds et de huntsman.

– Kennelsman: il s’occupe des chenils, de l’élevage, du dressage et de la santé des chiens.

– Whipper-in: le second. Armé d’un fouet, il assiste le huntsman en veillant à ce que les chiens restent en meute et ne s’égayent pas dans la nature.

Ceux-là sont des professionnels, qui arborent la couleur de leur équipage (vert ou rouge). Les participants se contentent d’une jaquette bleue mais la couleur du revers indique s’ils sont des chasseurs réguliers ou simplement des invités occasionnels!