Daniel Darc au paradis

Les sociaux-darwinistes se moqueront forcément de Daniel Darc quand celui-dit : « Quand je mourrai, j’irai au paradis, parce que c’est en enfer que j’ai passé ma vie. » Nous n’aimons pas le social-darwinisme et ne croyons pas au paradis, mais nous comprenons tout à fait ce que Daniel Darc voulait dire.

Décédé hier à 53 ans, d’un mélange d’alcool et de médicaments semble-t-il, Daniel Darc était une figure tourmentée, suintant la question des drogues. Il exprimait un malaise qui, aussi affreux qu’il puisse être, aussi « artiste décadent » qu’il ait pu tourner, correspond à une réalité certaine : ce monde est insupportable.

On peut personnellement considérer comme sans intérêt sa musique et comme ridicule sa conversion à la religion, mais il exprimait une dimension authentique évidente. Impossible de ne pas comprendre pourquoi il pouvait dire une chose comme :

Quand les gens disent « problèmes de drogue », je dis « solutions de drogue ». Sans les drogues, je serais mort depuis longtemps, j’aurais pas pu supporter tout ce qui se passe.

Ne pas voir qu’il y a ici quelque chose de tout à fait réel, ce serait faux et absurde. Comme pour Verlaine dont nous parlions hier, on n’a pas le droit de se moquer des personnes souffrant d’une angoisse terrible dans une société terrifiante.

Bien entendu, on peut considérer qu’il y a un manque de conscience, de compréhension de l’importance de la Nature, de l’aspect positif qui doit l’emporter. Si Daniel Darc s’est tourné vers la religion (le protestantisme), c’est parce qu’il avait une vision négative du monde, comme tous les religieux.

Voici ce qu’il dit dans une interview, à Evene.fr en 2008 :

Comment un ancien junkie réagit-il face au mythe de la drogue dans le rock ? On le voit avec Pete Doherty ou Amy Whinehouse : dans l’esprit d’un tas de gens, le fait de se défoncer, ça donne une crédibilité…

Quand j’étais au lycée, je voyais des mecs se défoncer et je trouvais ça effectivement cool. Dans le même genre, Mick Jones des Clash a dit un jour : « Quand j’étais petit, je voulais être guitariste et junkie. »

Guitariste, c’est compliqué, junkie c’est plus facile. Mais en ce qui me concerne, je n’ai pas eu des problèmes de drogue, j’ai eu des solutions de drogue. Ça m’a évité de me foutre en l’air, au même titre que le fait d’être myope m’épargne toutes les merdes qui nous arrivent en face.

Je pense que certaines personnes ont une certaine sensibilité et que la dope est un moyen rapide d’y remédier.

Après, la différence entre Amy Winehouse et Pete Doherty, c’est que j’ai envie de faire l’amour avec elle et de lui écrire des chansons : elle a une voix sublime. Alors que lui, pour moi, il n’a pas spécialement de talent. Ce qu’il reste d’Edith Piaf ou de Billie Holiday, ce n’est pas qu’elles se défonçaient, c’est que c’était des chanteuses sublimes. Il y a des génies et des cons. Le reste, on s’en fout.

Par la force des choses, vous êtes vous-même devenu un archétype du poète-maudit-torturé-revenu-de-tout. Ça vous énerve ou vous trouvez ça plutôt classe ?

Ça n’est pas réfléchi, je ne fais que parler de ce que je connais. Je connais des junkies, des mecs qui sont morts du sida, des voyous, des gangsters… Mon monde, c’est ça. Et puis je ne suis pas poète, ça ne veut rien dire, ce n’est pas un métier.

Voici comment Daniel Darc parle du Straight Edge, dans une interview à un fanzine post-punk en 1994 :

Que penses tu du mépris qu’ont les hardcoreux et les alternos pour ta musique la comparant a Depeche Mode et la jugeant soft et commerciale?

La question c’est à voir en gros si j’ai plus à voir avec les pédés de Depeche Mode qu’avec les punks alternatifs ? Ben les punks alternatifs je ne sais pas qui c’est… C’est de la merde. Ils nous prouvent quand tu prends les Berus ou des groupes dans le genre que dès qu’il y’a trois francs en jeu ils se foutent sur la gueule parce que tout le monde veut le blé…

Donc pour moi, ce n’est rien d’autre que de la merde, ça n’existe pas, c’est rien. Je sais pas même qui c’est, je les emmerde.

Le seul mec que je respecte dans tout ça, et qui est vraiment honnête c’est Henry Rollins, c’est le seul qui mérite le qualificatif de straight edge. Moi je respecte ce truc là mais je ne pourrais jamais dire que je suis ou voudrais être straight. De même que mes potes sont bouddhistes, je ne vais pas dire que je suis bouddhiste.

Je picolle, je me bourre la gueule, de quel droit je pourrais me prétendre bouddhiste ? Straight edge c’est un truc qui se mérite et Henry Rollins est un des seuls qui le mérite à ma connaissance. Jello Biafra aussi est quelqu’un de bien. Ils arrivent à comprendre et à être compris par les mecs qui écoutent Berurier Noir et machin, et ils arrivent à diffuser un message qui vole plus haut que toute cette merde française.

En France, il n’y a que des groupes de merdes !!! Que des groupes de merde, non j’exagère mais eux qui se disent purs et tout ça, c’est de la pure merde et rien d’autre. Quel besoin de se dire pur ? A 15 ans j’étais dans la rue et je me foutais sur la gueule avec des mecs à coup de poings américains et de chaines de vélos… Bon ben une fois que tu as fait ça, c’est bon, t’as vite compris, c’est excitant pendant 15 jours et après ça te casse les couilles. La « street credibility », la respectabilité de la rue, qu’est ce que j’en ai à foutre franchement ?

On voit bien que Daniel Darc fait des raccourcis, il n’a jamais dépassé une vision romantique du rock’n roll. Mais il y a une part de vérité, naturellement.