« Les animaux dénaturés », de Vercors

« Les animaux dénaturés » est un roman de Vercors, de 1952. Ce n’est pas un bon roman, ses conceptions étaient déjà très arriérées à l’époque, ce qui ne l’empêche pas de devenir « à la mode » ces derniers mois.

L’idée du roman est simple : on découvre une population d’êtres vivants, dont on ne sait pas s’il s’agit d’humains ou de grands singes. Le roman tente alors de définir ces êtres, car la question est de savoir s’ils peuvent être utilisés comme esclaves ou s’ils doivent se voir reconnaître des droits.

Bref, c’est tout le discours philosophique particulièrement spécieux sur ce qui ferait le caractère « unique » de l’être humain, sans jamais bien entendu que la question du travail ne soit abordé, ni que la distinction soit considérée comme secondaire en terme de droit à vivre de manière heureuse.

Rien que pour découvrir ce grand n’importe quoi plein de contradictions, cela peut être intéressant. Voici à titre d’illustration un passage au début du roman, donnant assez le ton au sujet de cette pseudo recherche philosophique, visant en fait à nier les droits des animaux en prétextant rechercher une distinction pour mieux maintenir la situation présente telle quelle.

– Je n’ai jamais entendu parler d’une chose pareille ! s’exclama-t-il sourdement. Qu’est-ce que c’est, ce Paranthropus ?
– On n’en sait rien encore.
– Comment ?
– Une sorte d’anthropoïde. Il vient d’en arriver une trentaine au Muséum. On les étudie en ce moment.

Le docteur commença :

– Mais qu’est-ce que vous…

Il s’interrompit, retourna au berceau.

– C’est quand même un singe, il est quadrumane, dit-il avec une sorte de soulagement.
– C’est conclure un peu vite, dit doucement Douglas.
– Il n’y a pas d’hommes quadrumanes.
– Docteur, dit Douglas, supposez par exemple qu’un accident de chemin de fer… tenez, recouvrons-lui les jambes… là… un petit mort aux pieds coupés…
Seriez-vous aussi catégorique ?
– Il a les bras trop longs, dit le médecin après un moment.
– Mais le visage ?

Le médecin levait les yeux avec une gêne perplexe, presque avec égarement. Il commença : « Les oreilles… »

– Et supposez, dit Doug, que dans quelques années on ait pu lui apprendre à lire, à écrire, à
résoudre des problèmes d’arithmétique…
– On peut tout supposer, puisqu’on n’en saura rien, dit hâtivement Figgins en haussant les épaules.
– On le saura peut-être : il a des frères, docteur.
Deux déjà sont nés au Zoo d’autres femelles. Trois encore vont bientôt…
– Alors il sera temps, balbutia le docteur en s’épongeant le front.
– De quoi ?
– De… de voir… de savoir…

L’inspecteur s’approcha. Ses cils blonds papillotaient comme des mites.

– Monsieur Templemore, qu’est-ce que vous attendez de nous ?
– Que vous fassiez votre métier, inspecteur.
– Mais quel métier, monsieur ? Cette petite créature est un singe, cela se voit. Pourquoi diable vouloir…
– C’est mon affaire, inspecteur.
– La nôtre n’est sûrement pas de nous mêler…
– J’ai tué mon enfant, inspecteur.
– J’ai compris, mais ce… cette créature n’est pas… elle ne présente pas…
– Elle a été baptisée, inspecteur, et inscrite à l’état civil sous le nom de Garry Ralph Templemore.

Le visage de l’inspecteur se couvrait d’une petite sueur fuie. Il demanda soudain :

– Sous quel nom a-t-on inscrit la mère ?
– Sous le sien, inspecteur. « Femme indigène de Nouvelle-Guinée, connue comme Derry. »
– Fausse déclaration ! triompha l’inspecteur.
Tout cet état civil est sans valeur.
– Fausse déclaration ?
– La mère n’est pas une femme.
– Cela reste à prouver.
– Comment ! Mais, vous-même…

– Les opinions sont partagées.

– Partagées ! Sur quoi, partagées ? Quelles opinions ?
– Celles des principaux anthropologues, sur l’espèce à laquelle appartient le Paranthropus. C’est une espèce intermédiaire : hommes ou singes ? Ils ressemblent aux deux. Il se peut très bien que Derry soit une femme, après tout. A vous de faire la preuve du contraire, si vous pouvez. En attendant, son enfant est mon fils, devant Dieu et devant la loi.

L’inspecteur paraissait à ce point désorienté que Doug prit pitié de lui.

– Peut-être préféreriez-vous, dit-il gentiment, en référer à vos supérieurs ?

Le visage blondasse s’éclaira.

– Oui, si vous le permettez, monsieur.