Le véganisme en Iran

Voici un passionnant article sur une initiative végane en Iran, publié sur Le Monde dans la partie consacrée au Proche-Orient (alors que l’Iran est en fait au Moyen-Orient, mais ce n’est pas ici important, bien sûr).

En Iran, la religion dominante est l’Islam chiite, où la notion de martyr et de sacrifice est extrêmement présente. Le sacrifice de l’agneau est donc une pratique extrêmement importante. Inversement, l’Islam chiite croit en le retour prochain du Mahdi, l’Imam caché qui va revenir pour faire régner la justice sur terre.

La Perse a ainsi toujours été le lieu de démarches révolutionnaires mystiques, où dans la révolution religieuse et la fin du monde en cours, les « lois » de Mahomet cèdent la place à la communauté universelle. Il y a de plus dans la tradition iranienne un respect énorme de la Nature, un arbre étant par exemple reconnu comme un être vivant.

Ajoutons à ces éléments culturels, la crise économique et la terrible cherté de la vie, et alors le véganisme apparaît comme une voie largement pratiquable. L’émergence du véganisme en Iran est un phénomène historique de grande importance, c’est une grande avancée dans l’affirmation du véganisme à l’échelle mondiale!

En Iran, la « sainte capitale de la viande » découvre le « vegan »

C’est dans la « sainte capitale de la viande », Machhad, au nord-est de l’Iran, que vit et prospère Mohammad Qaempanah, 34 ans, vegan – ne mange aucun produit d’origine animale – et militant environnemental. Autant dire un dur à cuire. Dans une ville où les trois millions de Machhadi – les habitants de Machhad – et plus de 20 millions de pèlerins en visite chaque année au tombeau de l’Imam Reza se rassasient de centaines de milliers d’agneaux sacrifiés, des fameux jujeh kebab de poulet mariné au safran et de kubideh, brochettes de viande hâchée, Mohammad a décidé de bousculer les habitudes de ses concitoyens. Dans son restaurant, « Khane » [« maison », en persan], qui ne désemplit pas, les langues se délient.

Il y a cinq ans, Momo (comme l’appellent ses amis) a décidé de sortir du système. Bien informé sur l’industrie alimentaire – pour avoir travaillé dans une filiale d’importation de viande de bœuf provenant du Brésil, dans l’import-export de bananes puis l’exportation de safran et de pistaches – le jeune giari (« mangeur d’herbe ») se bat désormais pour éveiller les consciences.

FORMES DOUCES D’ÉSOTÉRISME

Son succès, il le doit peut-être à l’augmentation du prix de la viande en Iran, un des reproches les plus virulents de la population à l’égard du président sortant, Mahmoud Ahmadinejad. Mais il y a autre chose. Dans un pays où le régime théocratique instrumentalise l’islam à des fins politiques, la religion officielle ne répond plus toujours aux aspirations spirituelles des Iraniens, qui sont de plus en plus nombreux à se tourner vers certaines formes douces d’ésotérisme, comme le yoga ou le véganisme.

Sa conversion à lui fût d’abord une histoire de cœur. « Ma copine de l’époque était vegan, j’ai voulu essayer », indique ce garçon maigre à la tignasse hirsute sur le boulevard Omar-Khayâm, en marche vers son restaurant. Mais très vite, les questions que posent un tel régime alimentaire le rattrapent : « Comment est produit ce que je mange ? Quelle est son origine ? » Il passe alors la vitesse supérieure. La phrase qu’il affiche désormais avec Zeinab, sa femme végétarienne, sur leurs différentes pages Web (CouchSurfing, WWOOF, son blog, etc.) devient un leitmotiv : « Nous tentons de traiter tout le monde, personnes et animaux, comme nous aimerions que l’on nous traite. »

Il se donne pour mission d’informer les Machhadi sur l’élevage industriel, le « droit des animaux » ou le réchauffement climatique. « J’avais d’abord pensé ouvrir une librairie ou organiser un festival sur ces sujets… mais pas grand-monde ne s’intéresse aux livres ou assiste à un évènement sur des questions environnementales en Iran », se désole-t-il. En revanche, beaucoup sortent pour aller manger… Après un premier restaurant qui deviendra vite trop petit, Khane voit le jour en 2011 et sert désormais 100 couverts par jour, en moyenne. Un véritable succès commercial qui accompagne son engagement toujours plus actif dans une dizaine de groupes, comme Vegan Planet, Vegan Iran, Meat the Truth, Permaculture Iran – sa dernière création – ou encore Roots & Shoots Iran Project, ainsi que la première « Ecole sur la nature en Iran », en collaboration avec le professeur Hossein Vahabzadeh, traducteur en farsi de nombreux ouvrages sur l’écologie.

Installé sur les bancs de Khane, il raconte l’origine de son envie de changer les choses. « Avant la guerre Iran-Irak [1980-1988], mon père et mon oncle faisaient partie des Moudjahidin du peuple [un des groupes de résistance au Shah, aujourd’hui en exil et sans grande audience en Iran]. Ils voulaient le changement, mais n’adhéraient pas aux pratiques « armées » du groupe. Alors ils ont préféré se ranger. Après la Révolution, la plupart de leurs amis encore militants se sont fait exécuter… »

– Et vous viviez déjà à Machhad ?

– Non, j’avais 9 ans quand on a dû fuir le sud du pays au moment de la guerre. Mon père travaillait comme physicien à Zabol [à la frontière iranienne avec le Pakistan et l’Afghanistan]. Il subissait des pressions pour aller au front. Il n’était plus militant, mais il pensait que le problème devait être réglé pacifiquement. Alors il a acheté une maison à Machhad, sans le dire à personne. Du jour au lendemain, nous avons tout laissé.

– Et que penses-tu des élections du 14 juin ?

– Je n’en ai rien à foutre. Pour moi et mes amis, ce sont tous les mêmes, que ce soit untel ou untel, ils ne changeront rien au fond du problème.

Depuis sa création, Khane organise régulièrement des projections de documentaires, avec un débat à la clé. Le dernier en date ? Le long voyage de Jane Goodall (Lorenz Knauer, 2010) ou Safar-é Jane en farsi, un film relatant la vie de Jane Goodall, célèbre primatologue britannique devenue militante pour l’environnement. Mohammad et ses amis ont traduit le film eux-mêmes. Mais son action ne s’arrête pas là : « Deux fois par semaine, nous distribuons plus de 700 repas vegan aux sans-abris de la banlieue de Machhad, grâce à des dons privés ». Et le mois dernier, victoire politique majeure, la piste cyclable que Mohammad et un collectif de ses amis réclamaient depuis cinq ans a enfin vu le jour à Machhad.

La suite ? Momo le révolutionnaire vient de revendre Khane à des amis pour acheter un terrain à une heure de là. Il y construit une ferme de permaculture (système de culture durable) qu’il souhaite associer au programme éducatif Roots & Shoots de Jane Goodall.

Cela fait deux heures que Mohammad expose ses idées quand un homme petit et replet, journaliste pour une chaîne de télévision locale, vient s’asseoir à notre table. Il vient parler d’un projet de documentaire à propos du projet Roots & Shoots. De délicieux mirza ghasemi (aubergines grillées, réduites en purée, à l’ail et aux tomates) ba baghali-polo (riz aux fèves et à l’aneth) arrivent pour nourrir les discussions. « Avec l’augmentation du prix de la viande [qui a quintuplé en six ans], Ahmadinejad a tout fait pour transformer tous les Iraniens en mangeurs de verdure ! » plaisante le journaliste.

Convertis ou non au véganisme, les Iraniens semblent en effet manger beaucoup moins de viande depuis que les prix ont explosé, sous le double effet d’une gestion chaotique des subventions étatiques et des sanctions économiques imposées à l’Iran par la communauté internationale en raison de son programme nucléaire. Confirmation trois jours plus tard par un boucher officiant à côté des abattoirs de Machad. « L’année dernière, nous faisions 6 000 000 de tomans (soit 3 730 euros) de chiffre d’affaires par jour. A l’époque, le prix du kilo de bœuf était de 15 000 tomans (9,30 euros). Cette année, le prix est passé à 31 000 tomans (19,30 euros le kilo) et notre chiffre d’affaires a chuté de 80% ! «