Le travail en abattoir, « ça mange les hommes »

Nous en avons plusieurs fois parlé des travailleurs du secteur de l’exploitation animale, et de leur exploitation forcenée. C’est un thème important: l’industrie de l’exploitation animale a beaucoup de mal à trouver des travailleurs, et ce malgré la crise. Bien sûr, ce n’est pas pour rien: à l’exploitation s’ajoute une terrible aliénation, et ceux qui travaillent dans ce secteur n’ont pas le « choix » (absence complète d’autre travail dans la région, pauvreté extrême, etc.).

C’est un argument évident en faveur d’un changement complet: ce système ne tient pas, personne n’en veut!

Voici des extraits très intéressants à ce sujet, concernant l’industrie de l’exploitation animale et les conditions de travail. Le premier extrait donne le point de vue de l’auteur, le second extrait expose sa vision de la situation dans le monde du travail, et  la conclusion de l’auteur, qu’on retrouve donc dans le premier extrait, ne va pas du tout dans le sens de l’abolition de l’exploitation animale.

En fait, ces deux extraits viennent d’un article du mensuel théorique de l’organisation Lutte Ouvrière, publié au moment de l’affaire des « lasagnes. » Et il y a ici comme un mur: le système est compris comme terrible, mais au lieu de remettre en cause la manière de produire, mais la production elle-même, on a ici une volonté de simplement mieux gérer…

On notera d’ailleurs que Lutte Ouvrière a exactement la même approche concernant le nucléaire.

De toute façon, la réduction drastique du personnel de la Direction générale de la concurrence, la consommation et la répression des fraudes (DGCCRF) rend impossible un contrôle réel et sérieux par les pouvoirs publics des pratiques des industriels : on y a supprimé 560 emplois entre 2007 et 2012, soit 15 % des effectifs, sans compter les réorganisations de services qui réduisent le nombre d’agents disponibles pour des contrôles.

Il y aurait un moyen simple et efficace pour effectuer ces contrôles : permettre aux travailleurs du secteur de rendre publique toute malversation qu’ils découvrent, sans risquer une sanction ou leur emploi.

Dans l’agroalimentaire comme dans toute l’industrie, les mieux placés pour contrôler la qualité de la production ou les fraudes sont les travailleurs des ateliers et des bureaux. Ce sont eux qui déchargent les camions, c’est entre leurs mains que passent la matière première, les bons de commande, les factures. Mais une telle mesure de bon sens, dont profiteraient en premier lieu les consommateurs, serait une brèche dans le sacro-saint secret industriel et commercial et ouvrirait la porte au contrôle par les travailleurs de toute la marche des entreprises. Autant dire qu’une telle initiative ne viendra d’aucun gouvernement.

(…)

Avec 1 500 établissements, près de 60 000 salariés, la filière de la viande est, selon l’INRS (santé et sécurité au travail), deux à trois fois plus touchée par les accidents de travail et les maladies professionnelles que les autres secteurs. En 2008, il y avait 150 accidents avec arrêt pour 1 000 salariés alors que la moyenne dans l’industrie est de 38 pour 1 000. Si l’on restreint les statistiques aux seuls abattoirs, c’est pire.

Ces chiffres sont certes à la baisse depuis une vingtaine d’années (264 accidents avec arrêt pour 1 000 salariés en 1992 dans les abattoirs !) : c’est en partie le résultat de contrôles, de campagnes de prévention de la Caisse nationale d’assurance maladie et de modifications sur les installations. Mais on sait aussi comment les pressions pour ne pas déclarer les accidents de travail augmentent dans toutes les entreprises. Les troubles musculo-squelettiques (TMS) sont la première maladie professionnelle du secteur. Ces chiffres donnent une idée des conditions de travail très difficiles, physiquement et moralement.

Selon les postes de travail, il fait des températures de 37 °C près des étuves, 12 ou 13° C sur les postes de découpage, 4 ou 5° C dans les frigos. Il faut ajouter le bruit permanent, les odeurs souvent insoutenables. Quant aux salaires, ils dépassent à peine le smic, même après des années d’ancienneté. Comme le disait un militant CGT d’un abattoir de Lamballe : « Des entreprises comme la Cooperl ou Kermené, ça mange les hommes ! Si on est en sous-effectif, c’est que des collègues ne sont plus capables de travailler dans les ateliers. »

Ces conditions très dures entraînent un taux élevé de renouvellement du personnel et un recours massif aux intérimaires. Cela explique l’embauche de travailleurs immigrés, parfois sans papiers, venus d’Afrique ou du Maghreb pour travailler dans la Sarthe ou en Bretagne, et de plus en plus souvent de travailleurs roumains ou polonais, slovaques, tchèques, embauchés avec des contrats de travail léonins en passant par des agences d’intérim installées dans les pays de l’Est.

Le directeur d’un abattoir de Lamballe, dans les Côtes-d’Armor, reconnaissait en 2011, devant des journalistes du Monde diplomatique : « Nous travaillons déjà avec quinze sociétés d’intérim françaises, et cela ne suffit pas. Nous souffrons aussi de la mauvaise image du travail dans les abattoirs (sic). Et donc, oui, nous faisons parfois appel à des étrangers. »

Les agences d’intérim s’adressent ainsi aux patrons des abattoirs : « Le travailleur détaché est employé et rémunéré par l’agence d’intérim. C’est elle qui élabore le contrat de travail et paie les cotisations sociales. Tout en respectant la législation en France, l’intérimaire dépend de la loi fiscale et sociale de son pays d’origine.

À salaire net équivalent, il est donc possible pour votre entreprise de réaliser une économie substantielle. » On croirait lire une annonce d’un « négrier » vantant sa marchandise !

Sur place, ces agences d’intérim retiennent souvent sur le salaire des « déductions » diverses, correspondant au logement, au coût de transport entre le pays d’origine et la France, aux frais d’interprétariat, etc. C’est illégal, mais cela se pratique couramment.

Et en guise de logement : « Ils vivent à six ou sept dans la même maison et l’employeur ponctionne pas mal pour ça. Ils n’ont pas de quittance de loyer parce que c’est l’employeur qui paye, ils ne peuvent pas ouvrir un compte bancaire parce que les fiches de salaire restent en Roumanie, et ils ne peuvent pas s’installer en France s’ils le veulent, parce qu’ils n’ont aucun papier officiel. L’employeur les tient comme ça », selon le témoignage au Monde diplomatique de militants de la CGT qui se battent aux côtés de ces travailleurs.

Ces pratiques, en augmentation en France, sont encore plus systématisées dans les abattoirs allemands où, après l’adoption de la directive dite Bolkestein en décembre 2006, les patrons des abattoirs ont recruté massivement des bouchers et désosseurs polonais sous-payés.

Une autre pratique, particulière aux abattoirs, est celle du tâcheronnat. Il s’agissait à l’origine de bouchers indépendants, embauchés pour une commande et payés à la tâche, c’est-à-dire au rendement. Mais la plupart des abattoirs bovins ou porcins embauchent en permanence des tâcherons, prestataires de service pour une commande, à des postes soit très techniques et non mécanisables, soit très difficiles où ils imposent la cadence ; des postes qu’aucun salarié ne veut ou ne peut tenir.

Les patrons des abattoirs jouent ainsi sur la différence de statut entre travailleurs pour mieux diviser. Mais depuis quelques années il s’est créé des sociétés de prestataires qui recrutent des tâcherons et proposent leurs services aux abattoirs. Les tâcherons deviennent ainsi de véritables salariés d’une société intermédiaire qui est sans cesse à la limite du délit de marchandage interdit par le code du travail.

La société EVS emploie ainsi plus de 1 200 salariés-tâcherons qui sont organisés syndicalement et ont fait grève dans la région d’Angers il y a quelques années, prouvant ainsi que, quel que soit leur statut juridique, des travailleurs organisés peuvent se faire respecter.