« Les animaux aussi ont des droits » : Peter Singer

« Les animaux aussi ont des droits » est un ouvrage qui est sorti il y a peu (mai 2013) et qui consiste en des entretiens de la journaliste Karine Lou Matignon (aidée de David Rosane, ornithologue), avec Boris Cyrulnik, Élisabeth de Fontenay et Peter Singer.

Voici un petit aperçu de ces entretiens, en trois parties, suivant le découpage du livre : « Les animaux libérés » (entretien avec Peter Singer), « Les animaux considérés » (entretien avec Élisabeth de Fontenay) et enfin « Les animaux révélés » (entretien avec Boris Cyrulnik).

« Les animaux libérés » est la partie où Peter Singer répond aux questions. Rappelons que ce philosophe australien d’origine juive autrichienne est l’auteur du livre « La libération animale », parue en 1975.

Le problème est justement ici que la journaliste présente Peter Singer comme le « fondateur du Mouvement de libération animale. » Or, le problème est qu’on ne sait pas ce que c’est que ce « Mouvement de libération animale » et ce n’est d’ailleurs jamais expliqué… Et pour cause!

Ce qu’il faut comprendre, c’est en fait tout ce qui, de très près ou de très loin, est lié à l’ALF. Mais il n’est pas traité de l’ALF, en fait c’est comme s’il s’agissait de faire une sorte d’histoire universitaire de la libération animale, en expurgeant discrètement tout ce qui serait révolutionnaire.

Peter Singer est à ce titre assez malin puisqu’il utilise la technique traditionnelel des « antispécistes », à savoir qu’il met en parallèle la lutte contre le spécisme et celle contre le racisme et le sexisme, ou encore l’homophobie.

L’idée est de tout résumer à un processus de « démocratisation » de la société sur le très long terme. Naturellement, les « universitaires » joueraient ici le rôle central, et la libération animale serait un processus sur le très long terme…

Voici comment Peter Singer, très habilement, explique le « réalisme » du « mouvement », dans une contorsion pour faire l’apologie du « bien-être » animal :

« Le mouvement est passé par différentes phases. Au début, il se caractérisait par une forte radicalisation et était plutôt idéaliste.

Nous avons mobilisé les moyens qui étaient à notre disposition à l’époque, les grandes manifestations, les occupations de site, la désobéissance civile, des tournages vidéos au sein des abattoirs ou des laboratoires (…).

Puis le mouvement a commencé à se faire attaquer pour sa violence, ses formes d’engagement militant, d’une façon disproportionnée par rapport aux faits.

Les incidents étaient insignifiants, rapportés à la taille du mouvement, et de loin beaucoup plus rares que les violences perpétrés par le mouvement anti-avortement, mais ces critiques ont vraiment freiné l’élan initial de manière significative. De plus en plus de gens s’en sont publiquement disssociés.

C’est alors que le Mouvement de libération animale [SIC !] a décidé de se professionnaliser, de mieux s’organiser, de créer des organisations non gouvernementales, de faire pression par le biais du lobbying, en soutenant des associations comme Compassion in World Farming au Royaume-UNi, la Humane Society of the United States, People for the Ethical Treatment of Animals ou la Farm Sanctuary aux Etats-Unis.

Ensuite en Europe, nombre d’organisations nationales ont commencé à travailler ensemble à travers l’Eurogroup for Animal Welfare [une structure ultra-réformiste collaborant avec l’exploitation animale]

Bref, on peut dire que les gens se sont mis en mode « réaliste. »

– C’est-à-dire ?

Ils avaient espéré en une véritable révolution pour mettre fin à la cruauté envers les animaux. Ils s’attendaient à voir les populations se révolter contre leur instrumentalisation dans les laboratoires et cesser massivement de manger de la viande pour faire s’effondrer l’élevage industriel.

Mais ils ont fini un jour par comprendre que cela ne se passerait pas ainsi, qu’il fallait plutôt envisager un changement progressif par l’éducation, la sensibilisation et le lobbying politique. »

La mauvaise foi de Peter Singer est assez terrible : il parle d’un mouvement « révolutionnaire » qu’il invente pour expliquer qu’il serait de manière naturelle parvenu à la pire conclusion réformiste qui soit.

Et bien sûr lui serait au cœur de tout cela, Peter Singer se présentant même dans une réponse à un nouveau Socrate, ayant rétabli la philosophie dans la vie quotidienne !

Or, il n’y a pas de mouvement qui se soit réclamé uniformément de Peter Singer, et encore moins y a-t-il un mouvement qui pensait triompher à court terme de l’exploitation animale… C’est prendre les révolutionnaires pour des idéalistes simplets, ce que fait justement Peter Singer !

Par la suite, il peut donc expliquer en toute « logique », dans une réponse à une question qui, il faut le noter, ne veut strictement rien dire, n’a en réalité aucun rapport avec l’ALF et est une apologie masquée du réformisme institutionnel :

« – L’ALF (Front de libération des animaux), par son action, a obtenu que certains actes commis à l’encontre des animaux, et qui étaient considérés comme autant de délits, soient maintenant qualifiés de crimes.

Pour parvenir à ses fins, ce mouvement a utilisé l’action violente. La violence peut-elle être reconnue comme légitime pour obtenir gain de cause face à l’indifférence, aux lenteurs administratives et aux ruses des lobbies ?

Non, la violence est contre-productive. La désobéissance civile, l’action non violente peuvent faire avancer la cause, jamais la violence car elle est associée dans l’esprit du public au terrorisme et il n’y a rien de pire aujourd’hui, pour un mouvement politique, que d’être regardé comme tel. »

Une belle vision bisounours comme on l’aime à l’université, et raconter cela en 2013, avec la crise économique et ce qui se passe par exemple en Grèce ou en Espagne, exige tout de même une sacrée négation de la réalité sociale…

De plus, on sait bien que l’exploitation animale est en plein boom au niveau mondial, par la généralisation de la « viande » et du lait, que donc toujours plus d’animaux sont massacrés sur notre planète, sans parler de la déforestation, etc. etc.

A cela Peter Singer ne propose qu’une solution (d’ailleurs même pas possible techniquement parlant, et encore moins acceptable selon nous) : la production de viande in vitro !

Mais donc et en tout cas et surtout, par la suite, Peter Singer fait l’apologie de l’utilitarisme, c’est-à-dire du principe d’utilité dans un mode très basique : si cela sert au plus grand monde, alors il faut le faire, et donc si on peut réduire la souffrance, il faut le faire :

« Lorsque les animaux souffrent, nous devons prêter la même considération à leur souffrance qu’à la nôtre. »

C’est un point de vue moral individualiste, un « choix » et d’ailleurs pour Peter Singer on peut être « antispéciste » en n’étant que végétarien, lui-même n’est pas « absolutiste » comme il dit et conçoit très bien la vivisection si c’était nécessaire pour des humains :

« La plupart des recherches sur les animaux sont pour moi indéfendables. Mais je n’en déduis pas qu’il est toujours immoral d’utiliser des animaux dans la recherche. »

Tout est question… d’utilité pour lui, et lui-même dit ainsi :

« Pour ce qui est des insectes, la probabilité est moindre [qu’ils puissent ressentir la souffrance], mais je leur accorde tout de même le bénéfice du doute.

Je n’hésiterais certes pas à écraser un moustique qui veut me piquer, mais en le faisant le plus rapidement et efficacement possible.

En tant qu’utilitariste, j’évite d’engendrer la mort, comme la cruauté, quand il est possible qu’un être vivant, quels que soient sa place dans l’échelle de la complexité du vivant ou son niveau d’individualité, ait la capacité de souffrir. »

Relativisme et « choix » individuel : c’est incorrect, parce que ce n’est pas universaliste. Comment Peter Singer peut-il critiquer le rapport actuel aux animaux, si lui-même tue un moustique en pensant : ce n’est qu’un moustique ?

En agissant ainsi, Peter Singer pense comme tout le monde, sauf qu’il est peut-être temps de comprendre que des moustiques il y en a beaucoup, qu’on ne peut pas les nier, pas plus eux que toute la planète…