« Nous ne l’exprimons pas trop fort car certains sont hermétiques à ce mot »

En France, le véganisme ne passe pas chez les entrepreneurs. Dans de nombreux autres pays, un petit capitalisme vegan se construit pas à pas sur des bases solides, mais en France, cela bloque.

Et quand on dit en France, c’est en fait surtout à Paris. La tendance est très claire : quand un restaurant ouvre, il vise souvent un public hype, car de toutes manières avec la crise c’est le meilleur moyen de rapporter de l’argent.

Les grandes villes sont donc visées, principalement Paris naturellement pour le côté branché, et ensuite, l’argumentaire vegan disparaît très vite, masqué derrière du végétal, du bon pour la santé, etc.

Les raisons sont claires : ne pas faire peur, ne pas braquer, surtout avec un repas à 20-25 euros, et encore plus dans la capitale française où les prix du loyer ne permettent aucune faute de timing.

Chez « Gentle gourmet », on peut s’asseoir et regarder la carte, si on ne sait pas que c’est vegan, on ne peut pas le savoir. Le site de ce restaurant met d’ailleurs en avant la « Bistronomie Bio Végétale. »

Pourquoi tout cela ? Parce que le terme « vegan » ou « végétalien » ne passe pas dans notre pays, cela semble immédiatement appelé une interprétation irrationnelle. Au point que des restaurants cachent ces mots… et encore plus aux yeux des bobos et des bourgeois plus traditionnels, qui risquent d’être troublés par le « sectarisme » d’un mode de vie éventuellement alternatif.

Voici ce qu’on lit par exemple sur L’hôtellerie-restauration :

Ouvert il y a tout juste six mois, le Café Pinson (Paris, IIIe) brouille complètement les pistes avec une devanture où rien n’indique que l’établissement est sans gluten, sans lactose, mais aussi végétalien et bio. Est-ce l’une des raisons de son succès ? « Les clients ne comprennent pas tout de suite, c’est quand ils nous demandent des précisions sur nos produits que nous leur expliquons notre démarche« , explique la manager Alizée Brière.

C’est dire tout de même la problématique, surtout vu que le 3e arrondissement est totalement branché, avec un public donc « cultivé », censé être ouvert d’esprit, et en plus le restaurant est censé justifier les prix qui sont élevés…

On lit pareillement, dans un même ordre d’idée dans le même article :

Convaincus de la nécessité de mettre en avant la gourmandise et la cuisine française, Stéphane Seebaruth et Peter Aigner ont ouvert en 2003 le Potager du marais, dans le centre de Paris. « Nous sommes un restaurant de cuisine française et nos plats reprennent des appellations de plats traditionnels », explique le premier.

Le même goût, le même nom : c’est le refus de la culture végane comme alternative, c’est juste la même chose en mode végétalien.

Dans une interview, le propriétaire de « MOB », un fast food ultra hype à Paris à la Cité de la Mode & du Design, tient le même discours.

MOB convient-il aux vegans ? au intolérants (lactose, gluten, oeuf …) ?

MOB est Vegan. Nous ne l’exprimons pas trop fort car certains sont hermétiques à ce mot. Voilà pourquoi nous disons sans aucune matière animale. Il n’y a donc ni œuf ni lait. Pour le gluten, nous travaillons à une option sans gluten à la demande.

Là encore, c’est végan, mais si on ne le sait pas, on peut très bien ne pas le savoir. Le problème est que si là on parle de quelques restaurants bobos parisiens, en fait la tendance globale au sein même du véganisme comme mouvement au sens très large.

Nous vivons en effet la fin d’une époque. Depuis plusieurs années, il y a une vague de mise en avant du véganisme, de différentes manières. Or, là, le retrait est de plus en plus général. Il semble qu’ici et là, on considère que la libération animale soit trop lourde à porter comme but en tant que tel.

On passe donc à autre chose. A une spécification sur le droit, comme l’association Droits des animaux, ou bien le mot « vegan » passe à la trappe et le mot « végétarien » est employé « tactiquement. »

Le réformisme assumé est alors considéré par beaucoup comme la seule option pratique (avec notamment l’association L214, dont le nom vient quand même du Code de l’environnement sur la propriété d’un animal : « Art L214-1 : Tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce. »).

Le véganisme est censé se dissoudre dans un front avec le végétarisme, qui lui-même doit se dissoudre dans une sorte de front de revendications bien précises, ciblées, permettant des campagnes.

Ou bien inversement le véganisme est assumé ouvertement mais pour être dilué dans autre chose, il n’en est plus parlé en tant que tel, à part en l’associant à autre chose, comme élément en plus, sans valeur en soi.

Tout cela donne une impression assez bizarre et s’il est difficile d’évaluer cette période forcément de transition, en tout cas il est clair qu’il y a une perte de repères nets, de définitions précises, et que cela renforce les tendances non rationnelles dans le mouvement pour les animaux.