Véganisme pour la Nature ou par misanthopie?

Il y a deux manières de voir le véganisme : on peut y voir la possibilité d’une vie humaine qui se tourne de nouveau vers la Nature… Ou bien on peut y voir un prétexte à la misanthropie et à une sorte de mélancolie.

La distinction est nécessaire, parce que la démarche n’a rien à voir et inévitablement, dans les années qui viennent, une scission profonde se produira, et heureusement, et tant qu’à faire le plus tôt sera le mieux.
En effet, dans le premier cas, on aime les animaux (et la Nature en général), tandis que dans le second cas, les animaux sont considérés comme des victimes à défendre, sans pour autant qu’on ne s’y intéresse.

Voici, pour illustrer cette seconde option, une réponse, faite lors d’une interview, par le porte-parole de la fondation Brigitte Bardot, Christophe Marie.

On ne peut nullement lui reprocher d’être en contradiction avec lui-même, pour autant nous trouvons sa position littéralement aberrante.

« Actuellement j’ai une chienne, adoptée alors qu’elle avait 9 ans, et j’ai la chance de pouvoir l’emmener chaque jour à la Fondation.

Cela dit, le combat que je mène n’est pas animé par une passion des animaux, c’est plutôt une réaction face à une injustice, l’animal n’est pas en mesure de s’opposer alors cela rend son exploitation d’autant plus insupportable.

C’est vrai que ça peut être difficile à comprendre, par exemple à mes débuts à la Fondation je me suis endetté pour pouvoir mener une action en Polynésie contre un programme de « nage avec les dauphins », dans un hôtel de Moorea. A l’époque, il y avait de nombreuses captures de dauphins qui se soldaient par la mort des animaux.

Lorsque je me suis rendu sur place, l’un de mes contacts à Tahiti voulait absolument me montrer des dauphins au large alors que cela ne m’intéressait pas du tout, pour lui c’était incompréhensible alors que pour moi c’était parfaitement logique.

Je ne mène pas ce combat par passion des dauphins mais parce que leur capture, leur captivité, tout cela me bouleverse. Je me fiche de les voir, je ne veux pas les toucher mais simplement les savoir libres, là-bas quelque part au large, avec leur groupe, loin des hommes et de leur prédation. »

Ce type d’attitude est extrêmement répandu, même s’il est difficile de savoir si c’est majoritaire chez les végans.

On peut bien sûr penser que c’est le cas pour les gens lors des happenings où été utilisés des « cadavres » d’animaux ; de fait, en terme de lisibilité et d’exposition médiatique, ces postures ont un grand succès.

D’ailleurs, dans la population, c’est assez souvent qu’on voit la personne aimant les animaux comme une jeune femme ne souriant pas et habillé en noir, ou bien comme un homme un peu âgé et misanthrope, ou bien encore comme « la vieille folle aux chats » ou aux pigeons, etc.

S’il y a incontestablement une dignité énorme dans le fait de lutter pour les animaux, ne pas se reconnaître dans leur réalité naturelle est une erreur grossière et il y a le risque que la cause animale ne devienne qu’un prétexte pour un « trip » nihiliste, pessimiste, etc.

On ne peut pas séparer la raison des cinq sens et d’ailleurs en pratique personne ne le fait, à part pour le coup, une petite frange de végans ultra-individualistes, anti-adoptions, etc.

Le philosophe Spinoza est ici très utile pour deux exemples, paradoxalement contradictoire. En effet, à ses yeux Dieu c’est la Nature, c’est-à-dire que c’est un véritable athée.

Mais le paradoxe est qu’il n’a pas assumé l’ouverture aux animaux, à l’encontre de la tradition athée justement (avec Epicure, Lucrèce, etc.).

La raison est qu’il veut se fonder sur la raison et qu’il pense constater :

« que les mélancoliques vantent de leur mieux la vie grossière des champs, qu’ils méprisent les hommes et prennent les bêtes en admiration. »

Pour lui, les mélancoliques sont des gens insupportables qui veulent se mettre à l’écart de la raison et donc trouvent un moyen de se mettre à l’écart, en jouant sur la « sensiblerie » pour éviter les responsabilités.

Si Spinoza a raison ici, on est libre de le penser, la chanson « Meat is murder » et tout le discours centré sur les abattoirs, la mort, la souffrance, etc. est en fait un prétexte pour des gens « mélancoliques », petit-bourgeois pourrait-on dire, qui trouvent une planque afin de donner libre-cours à leur nihilisme, leur pessimisme, etc.

Si bien entendu une telle affirmation serait unilatérale, impossible de ne pas voir que cette définition en termes de « mélancolie » pessimiste correspond à une partie significative de gens dans la cause animale, d’où la porosité culturelle avec l’extrême-droite et la misanthropie.

Ce qu’il est intéressant de voir alors, c’est que Spinoza se contredit cependant, car toute sa philosophie se fonde sur le principe selon lequel la vie cherche à se préserver et se développer. Il n’y aucune raison de ne pas voir que les animaux, ou les végétaux d’ailleurs, cherchent la même chose que nous : le bonheur.

Spinoza est ainsi obligé de bricoler une conception comme quoi chaque catégorie d’être vivant est un bloc « à part », séparé des autres. Voici ce qu’il dit, se contredisant et l’assumant :

« Ils font voir clairement que la loi qui défend de tuer les animaux est fondée bien plus sur une vaine superstition et une pitié de femme que sur la saine raison ; la raison nous enseigne, en effet, que la nécessité de chercher ce qui nous est utile nous lie aux autres hommes, mais nullement aux animaux ou aux choses d’une autre nature que la nôtre. Le droit qu’elles ont contre nous, nous l’avons contre elles.

Ajoutez à cela que le droit de chacun se mesurant par sa vertu ou par sa puissance, le droit des hommes sur les animaux est bien supérieur à celui des animaux sur les hommes.

Ce n’est pas que je refuse le sentiment aux bêtes.

Ce que je dis, c’est qu’il n’y a pas là de raison pour ne pas chercher ce qui nous est utile, et par conséquent pour ne pas en user avec les animaux comme il convient à nos intérêts, leur nature n’étant pas conforme à la nôtre, et leurs passions étant radicalement différentes de nos passions. »

Il suffit de considérer que la Nature évolue et qu’elle n’existe pas en bloc et on résout le problème de Spinoza : on peut et on doit (et d’ailleurs on le fait) se reconnaître dans la vie en général.

La raison dont disposent les humains ne doit pas leur servir qu’à eux – ce qui n’a pas de sens sur la planète en tant que système du vivant – mais à l’ensemble de la planète Terre.

L’intérêt de cette démarche, qui permet de dépasser l’anthropocentrisme, est de conserver la raison, et donc de ne pas sombrer dans la mélancolie comme style, le pessimisme comme vision du monde – ce qui est absolument nécessaire si l’on ne veut pas que son engagement pour les animaux ne se transforme en son contraire : utiliser les animaux comme objet de son propre ressentiment, de son propre nihilisme, de sa propre mélancolie misanthrope.