« Pourquoi les animaux ne parlent pas »

L’un des arguments les plus mis en avant pour dévaloriser les animaux (non humains) est leur réduction à des sortes de machines réagissant simplement avec des pulsions. C’est ce qu’explique ici Descartes, dans une Lettre à Newcastle.

Les animaux ne réagiraient que de manière mécanique, ils ne disposeraient pas du libre-arbitre et la preuve de cela serait leur absence de langage. Descartes en veut pour preuve que, si ce n’était pas le cas, ils tenteraient de s’adresser à nous, d’une manière ou d’une autre. Et s’ils le font, alors Descartes réduit cela à des « pulsions », des automatismes.

Il y a alors deux solutions: soit accorder aux animaux le statut d’individu, ce que veut l’idéologie des « droits des animaux ». L’individu se voit reconnu des « droits » relevant de la constitution formée par les humains. C’est ce qu’on appelle le droit « positif ». L’objectif est alors une sorte de 1789 pour les animaux.

Soit au contraire réfuter que l’être humain dispose du libre-arbitre, ce qui est alors la position de l’athéisme. Cela revient à considérer que tous les êtres vivants ont des droits en tant que tel, parce que la Nature cherche à développer la vie, elle évolue et cherche à devenir plus complexe, plus développée, plus épanouie, etc. C’est ce qu’on appelle le droit « naturel ». Les individus sont alors compris comme un élément du tout.

La question du langage montre que c’est l’athéisme qui a raison. C’est la Nature qui existe sur notre planète, c’est elle qui se transforme, il n’y a pas eu de « Dieu » pour parler et ainsi créer comme le prétend la genèse avec la formule « Dieu dit: Que la lumière soit! Et la lumière fut ».

Montaigne a ainsi raison quand il se moque de la prétention humaine:

« La présomption est notre maladie naturelle et originelle. La plus calamiteuse et frêle de toutes les créatures, c’est l’homme, et quant et quant la plus orgueilleuse.

Elle se sent et se voit logée ici, parmi la bourbe et le fient du monde, attachée et clouée à la pire, plus morte et croupie partie de l’univers, au dernier étage du logis et le plus éloigné de la voûte céleste, avec les animaux de la pire condition des trois ; et se va plantant par imagination au-dessus du cercle de la lune et ramenant le ciel sous ses pieds.

C’est par la vanité de cette même imagination qu’il s’égale à Dieu, qu’il s’attribue les conditions divines, qu’il se trie soi-même et sépare de la presse des autres créatures, taille les parts aux animaux ses confrères et compagnons, et leur distribue telle portion de facultés et de forces que bon lui semble. Comment connaît-il, par l’effort de son intelligence, les branles internes et secrets des animaux ? Par quelle comparaison d’eux à nous conclut-il la bêtise qu’il leur attribue ? »

Voici donc ce que dit inversement Descartes:

Enfin, il n’y a aucune de nos actions extérieures, qui puissent assurer ceux qui les examinent, que notre corps n’est pas seulement une machine qui se remue de soi-même, mais qu’il y a aussi en lui une âme qui a des pensées, exceptées les paroles, ou autres signes, faits à propos de ce qui se présente, sans se rapporter à aucune passion.

Je dis les paroles ou autres signes, parce que les muets se servent de signes en même façon que nous de la voix ; et que ces signes soient à propos, pour exclure le parler des perroquets sans exclure celui des fous, qui ne laisse pas d’être à propos des sujets qui se présentent, bien qu’il ne suive pas la raison ;

et j’ajoute que ces paroles ou signes ne se doivent rapporter à aucune passion, pour exclure non seulement les cris de joie ou de tristesse, et semblables, mais aussi tout ce qui peut être enseigné par artifice aux animaux ; car si on apprend à une pie à dire bonjour à sa maîtresse, lorsqu’elle la voit arriver, ce ne peut être qu’en faisant que la prolation de cette parole devienne le mouvement de quelqu’une de ses passions ;

à savoir, ce sera un mouvement de l’espérance qu’elle a de manger, si l’on a toujours accoutumé de lui donner quelque friandise, lorsqu’elle l’a dit ; et ainsi toutes les choses qu’on fait faire aux chiens, chevaux et aux singes ne sont que des mouvements de leur crainte, de leur espérance, ou de leur joie, en sorte qu’ils les peuvent faire sans pensée.

Or, il est, ce me semble, fort remarquable que la parole étant ainsi définie, ne convient qu’à l’homme seul.

Car bien que Montaigne et Charron aient dit qu’il y a plus de différence d’homme à homme, que d’homme à bête, il ne s’est toutefois jamais trouvé aucune bête si parfaite qu’elle ait usé de quelque signe, pour faire entendre à d’autres animaux quelque chose qui n’eût point de rapport à ses passions, et il n’y a point d’homme si imparfait qu’il n’en use ; en sorte que ceux qui sont sourds et muets, inventent des signes particuliers, par lesquels ils expriment leurs pensées.

Ce qui me semble un très fort argument, pour prouver que ce qui fait que les bêtes ne parlent point comme nous, est qu’elles n’ont pas de pensées, et non point que les organes leur manquent.

Et on ne peut pas dire qu’elles parlent entre elles, mais que nous ne les entendons pas ; car, comme les chiens et quelques autres animaux nous expriment leurs passions, ils nous exprimeraient aussi bien leurs pensées, s’ils en avaient.