Shiva et Nandi

Les religions nées en Inde sont marquées par un rapport particulier aux animaux, avec d’un côté un certain pacifisme, de l’autre des mysticismes liés aux traditions locales et ancestrales. Comme toutes les religions, il s’agit de cultes inventés par les humains, dans leur tentative de comprendre leur rapport avec la Nature.

Voici un exemple intéressant avec le dieu Shiva (ou Siva, si l’on compte que le « s » se prononce « ch »). Il est le fruit de différents mélanges de différents cultes. Et il est présenté comme ayant un rapport avec tous les animaux.

L’univers de Siva est par excellence celui du monde animal. Ce dieu terrible habite les espaces sauvages ; ses parures, ses attributs, son entourage rappellent cet univers qui lui est familier, celui de la forêt peuplée d’animaux dangereux.

Siva se pare de serpents, se vêt d’une peau de tigre et erre en compagnie de troupes malfaisantes. Siva est aussi appelé le « maître du bétail », Pasupati, mais derrière ce nom se dissimule le maître des êtres vivants, le berger guidant son troupeau sur la voie du salut. (…)

Les spéculations les plus anciennes sur pasu et Pasupati semblent se trouvent dans le Satapathabrahmana. Il y a tout d’abord un lien entre cinq animaux (homme, cheval, taureau, bélier et bouc) qui sont appelés Pasu car Prajapati voit (« pas ») Agni qui s’est dissimulé en eux.

Dans un autre passage, Pasupati est identifié aux herbes médicinales (osadhi) pour des raisons qui ne sont pas claires, mais l’explication du nom est que le bétail (pasu) devient puissant (patiy-) lorsqu’il mange des herbes. (…)

L’un des rappels les plus frappants du lien que Siva entretient avec le monde de la forêt se trouve dans la chasse (mrgayatra, vanayatra), une des cérémonies de la grande fête du temple.

Cette chasse simulée se déroule dans la forêt avec hommes en armes, animaux de combat (éléphants ou chevaux) et une image de Sica (Tripurantaka, ou Kiratarjuna). Le Rauravagama précise que : « Cherchant la mort des bêtes sauvages, la forme terrible apporte la terreur. Lors de cette chasse, toute créature, – bête ou homme – si elle est tuée, atteindra l’union avec Siva. »

Ce Siva, à la fois terrifiant et magnanime, rappelle que le Pasupati auquel on sacrifiait une victime pour le bien de la communauté mais également celui à qui s’offrent ses dévots pour s’assurer individuellement leur salut. (…)

Siva porte, s’il est vêtu, une peau de bête qui est bien souvent une peau de tigre, mais qui peut aussi être une peau d’éléphant, d’antilope, voire de lion. (…)

Le taureau, Vrsa ou Vrsabha, souvent appelé Nandin (« Réjouissant »), est l’animal le plus présent auprès de Siva : littéralement couché à ses pieds on le voit dans tous les temples de Siva devant la porte de la cella [la partie fermée]. (…) Si le Taureau est le seul animal de l’entourage de Siva à être toujours présent dans un temple sivaïte, c’est aussi le seul à être l’objet d’un culte.

Ce dernier ne se limite pas aux hommages rendus à la statue installée en face de la porte de la cella de Siva. Le Taureau est aussi figuré sur l’étendard du dieu levé lors de la grande fête annuelle du temple de Siva : ce lever de drapeau (dhvajarohana) constitue une fête à part entière qui marque le début de celle consacrée à Siva.

Que l’achèvement de la fête du dieu soit marqué par l’affalement de ce drapeau identifié par Vrsa souligne bien le caractère indispensable de la présence de ce dernier. (…)

Siva est devenu le Maître et le Sauveur d’un troupeau d’âmes liées par la souillure. Cette mutation ne l’a pas éloigné de son entourage animal initial : Vrsa, le taureau est pour lui beaucoup plus qu’une simple monture, des gazelles écoutent son enseignement, des serpents ou une peau de tigre accentuent son aspect terrible.

Lui-même prend la forme de l’oiseau-lion Sarabha, quand il s’agit d’affirmer la suprématie de sa doctrine sur celle de Visnu. (Le bestiaire de Siva : de Pasupati à Sarabha, article de l’ouvrage « Penser, dire et représenter l’animal dans le monde indien », paru en 2009)