Eloge de la vivisection « humaniste » par Georges Chapouthier

Ne pouvant plus nier les animaux, l’exploitation animale met en avant des gens se prétendant en faveur des animaux mais justifiant l’exploitation animale. C’est une opération visant à séduire et à neutraliser l’affirmation claire, nette et sans compromis de la libération animale.

Voici l’exemple de Georges Chapouthier, qui est directeur de recherche émérite au CNRS et neurobiologiste. Dans le Nouvel Observateur, il s’est fendu d’un article littéralement pathétique – dire qu’il se veut « philosophe »! – au titre terrible déjà en soi:

Défenseur des animaux et chercheur, je manipulais des rongeurs : ce n’est pas incompatible

Faut-il n’avoir honte de rien pour oser dire cela! Il n’y a pas à dire, il n’y a vraiment qu’en France qu’on trouve cet esprit absurde et irrationnel, mélange de compromis et d’opportunisme.

Comment ce type, qui a fait des études, qui est chercheur, peut-il autant prendre les gens pour des idiots? Comment peut-il imaginer une seule seconde qu’on peut accepter une contradiction aussi complète que le fait de prétendre aimer les animaux et ensuite de les torturer lors d’expériences?

Ce type, sans gêne, explique même qu’il travaillait sur l’anxiété: or, ne faut-il pas rendre les souris anxieuses, pour ensuite les « soigner »? Comment peut-il alors prétendre qu’il cherchait à rendre leur vie agréable?

Ce texte est un modèle du genre.

Comment être chercheur en biologie animale et défenseur des droits de l’animal ? Ces deux activités semblent très contradictoires.

La recherche scientifique utilise des animaux vivants, en majorité écrasante des rats et des souris, pour comprendre le fonctionnement de l’organisme et en déduire éventuellement des conséquences thérapeutiques susceptibles d’améliorer notre santé. Elle comporte des opérations chirurgicales ou des administrations de produits chimiques, qui causent aux animaux des désagréments ou des souffrances variés.

À l’inverse, défendre les droits des animaux, c’est militer pour qu’ils aient une vie conforme aux besoins de leur espèce et à l’abri des désagréments causés par l’homme.

L’enjeu : faire cohabiter ces deux activités nécessaires

Le problème est que ces deux activités apparemment contradictoires sont toutes deux nécessaires dans le monde d’aujourd’hui. La question qui se pose alors n’est pas :

« Faut-il supprimer l’expérimentation animale au détriment de la santé humaine ou faut-il poursuivre, cette expérimentation sans égard pour les droits de l’animal ? »

La vraie question, c’est :

« Comment faire pour que ces deux activités cohabitent de manière satisfaisante ? »

Cette grande question a traversé toute ma vie professionnelle et, avec Françoise Tristani-Potteaux, qui partage mes interrogations et fut longtemps directrice du service de presse du CNRS, j’ai pu y consacrer le livre « Le chercheur et la souris« , un ouvrage, grâce à son expérience, agréable à lire et que je n’aurais pas pu écrire seul.

Françoise Tristani-Potteaux sut retrouver, dans mon enfance, les germes de cette question.

Je ne me suis jamais habitué au fait de voir souffrir un animal

Passionné des animaux depuis la petite enfance, j’ai, petit a à petit, sous l’influence de mon milieu familial, transformé cette passion en un goût pour les sciences naturelles, qui m’a conduit à une carrière de chercheur en neurobiologie au CNRS. Mais mon affection pour les animaux ne disparut jamais.

Par rapport aux contraintes qui m’étaient imposées dans le cadre de la recherche scientifique, cette affection se manifesta progressivement dans ma vie et c’est justement le thème central du livre. Si j’ai assez vite surmonté les premières difficultés de maniement des souris, les premières inhibitions quand j’ai dû apprendre à leur faire des piqûres, je ne me suis jamais habitué au fait de voir souffrir un animal, même quand le but recherché (l’amélioration à terme de la santé humaine) était perçu comme noble.

À un moment de ma carrière, j’ai même failli renoncer et me consacrer exclusivement mon autre « métier », la philosophie.

Mais ça ne s’est pas fait parce qu’en France, il est très difficile de changer de domaine de recherche quand on a entamé sa carrière. En outre, si j’avais quitté mon laboratoire, d’autres chercheurs auraient immédiatement occupé ma place et effectué des recherches similaires sur les souris, sans peut-être le même souci éthique.

Tout en poursuivant mon métier initial de chercheur en pharmacologie, ma passion pour les animaux me poussa finalement à effectuer des recherches morales sur l’animalité et à m’engager, à la Ligue Française des Droits de l’Animal (fondée notamment par le professeur de médecine Jean-Claude Nouët et le prix Nobel de Physique Alfred Kastler) à militer activement pour les droits de l’animal.

Je respectais la « règle des trois R » : réduire, raffiner, remplacer

Alors comment concilier deux nécessités contradictoires ? En morale pratique, il n’y a jamais de réponse en tout blanc ou en tout noir.

Rappelons, par exemple, qu’en bioéthique humaine, pour l’avortement, la limite de temps arbitraire fixée par la loi ne satisfait ni les adversaires, ni les partisans. De la même manière, les propositions d’amélioration de l’expérimentation animale ne peuvent satisfaire ni les partisans de son abolition immédiate, ni les partisans de sa pratique sans aucune contrainte.

Parmi les améliorations souhaitables figurent la fameuse « règle des trois R » :

– Réduire le nombre d’animaux utilisé,

– Raffiner les protocoles pour les rendre mois pénibles aux animaux,

– Remplacer l’expérimentation animale, quand c’est possible, par des méthodes dites « substitutives ».

Mais aussi améliorer la qualité des animaleries, donner aux animaux, entre les expériences, voire après, des moments de vie paisibles, et (surtout ?) former les futurs expérimentateurs à davantage de morale.

Nous suivions une liste de recommandations éthiques

Les recherches de mon équipe ont porté sur la neuropharmacologie de la mémoire et de l’anxiété chez la souris, ce qui a notamment impliqué l’administration fréquente de molécules à visée thérapeutique.

Bien sûr, personnellement, dans l’activité de recherche de mon équipe, et en poussant à l’occasion mes élèves et mes collaborateurs dans ce sens, j’ai veillé à ce que toutes les recommandations éthiques mentionnées soient suivies : limitation du nombre des animaux utilisés par une prévision statistique convenable, amélioration des protocoles en prévoyant notamment l’administration, après l’expérience, d’une molécule à effets opposés, qui supprime les désagréments dus à la molécule étudiée, surveillance permanente de l’état des animaleries et de la mise à disposition de nourriture adaptée et de boisson….

Tout cela afin de limiter au maximum les désagréments liés à l’expérimentation même et de donner, entre les expériences, une vie agréable aux souris dans leur animalerie.

Il faut améliorer nos relations morales avec les animaux

Enfin, il ne faut pas oublier que le traitement des animaux par l’homme constitue un tout, où l’expérimentation n’occupe qu’une petite place.

Plus généralement, il faut donc améliorer nos relations avec les animaux domestiques ou sauvages, avec nos animaux de compagnie ou lutter contre les jeux cruels, comme la course de taureaux. Il faut améliorer nos relations morales avec les animaux en tenant compte de la sensibilité de chacun et des besoins particuliers de chaque espèce.

Il reste que, même si l’expérimentation animale reste sans doute nécessaire pour les décennies à venir, on ne peut s’empêcher de rêver à une société dont toute violence serait bannie et où les humains vivraient davantage en harmonie avec les autres animaux – leurs cousins – qui peuplent avec eux la planète.

Peut-être une telle société amènerait-elle aussi les hommes à se libérer de la violence et de la cruauté qui existe à l’intérieur même de leur propre espèce. Il faut se préoccuper des droits de l’animal, mais en n’oubliant pas, pour autant, le nécessaire respect des droits de l’homme.