Triste apologie du « cannabis business »

Le libéralisme, sous toutes ses formes, part du principe qu’on peut faire ce qu’on veut. Derrière ce discours sur la liberté se cache surtout la liberté du business…

Voici un article de Capital.fr qui est édifiant, et surtout sacrément cocasse, car la présentation de drogues sous un jour favorable est interdite. Or, là, on a tout un panorama fabuleux du point de vue capitaliste, qui après avoir lu cet article n’a qu’une envie: légaliser au plus vite le cannabis pour accumuler toujours plus de richesses…

Cannabis business, de l’or vert en barrettes

Dans les pays où le cannabis est dépénalisé, PME artisanales, industriels et grands labos appliquent déjà des business models florissants. La France laissera-t-elle cette manne partir en fumée ? Enquête sur un marché prometteur, alors qu’une étude du think-tank Terra Nova relance le débat sur la dépénalisation de cette drogue douce.

A l’occasion de cette journée spéciale, nous avons le plaisir de vous annoncer que nos élèves de deuxième année auront, dès la rentrée de septembre, la possibilité de s’inscrire à notre nouvelle chaire, Pers­pectives et enjeux du can­na­­bis business.» La scène se déroule à Jouy-en-Josas, un mardi ensoleillé de juillet 2024.

Le ban et l’arrière-ban du monde politico-économique se sont donné rendez-vous sur les pelouses de HEC : il y a soixante ans, jour pour jour, que la prestigieuse école de commerce s’est installée dans ce coin reculé des Yvelines, rattrapé depuis par l’expansion du plateau de Saclay.

L’ou­verture d’un séminaire consacré au marché du cannabis ? L’informa­tion ne provoque que quel­ques sourires dans l’assemblée : la légalisation n’attend plus que la publication du décret au Journal officiel et des centaines de jeunes entrepreneurs en herbe piaffent d’impatience, prêts à se lancer dès que le feu vert sera donné.

Ecoles de commerce.

Vous vous dites que Management a dû fumer la moquette pour échafauder un tel scénario ? Eh bien non ! A observer le mouvement de libérali­sa­tion en cours dans près de la moitié des Etats américains, au Canada, en Uruguay, mais aussi en Espagne et aux Pays-Bas, il n’est pas absurde d’imaginer que, dans dix ans, la production, la vente et l’utilisation du chanvre seront autorisées, de manière plus ou moins encadrée, dans notre pays.

Avec, entre autres retom­bées, la mul­­tipli­cation de formations spécialisées : le magazine Bloom­berg Businessweek, pas vraiment réputé pour sa fan­taisie, a publié cet été un guide des meil­leures écoles de commerce de marijuana.

Des formations payantes à l’utilisation pharmaceutique en passant par la traçabilité digitale, les produits dérivés ou les salons, le pot business, comme disent les Américains, a tout d’un véritable or vert, dont le potentiel économique dépasse de très loin la seule culture des plants. Les (rares) experts qui se sont penchés sur le sujet estiment que le marché légal représente environ 1,5 mil­liard de dollars rien qu’aux Etats-Unis.

Et qu’il pourrait être multiplié par cinq dès 2018 ! Il n’en fallait pas plus pour attirer des investisseurs. Les Etats qui dépénalisent y trouvent aussi leur compte : en taxant l’herbe à 44%, celui de Washington s’est déjà assuré un bonus fiscal de 50 millions de dollars en 2013. Autre argument choc : la création d’emplois.

Au Ca­na­da, la Colom­bie-Bri­tan­nique est devenue en quelques années le grenier à chanvre du pays. On estime que la filière y emploie déjà plus de 100 000 person­nes, pour une population de 35 millions d’habitants.

Manipulations génétiques.

Faut-il en déduire que la France pourrait créer 200 000 emplois ? Ce type d’extrapolation est certes sujet à caution, d’autant que la taille du marché reste par définition invérifiable.

Mais on peut affirmer que le chiffre d’affaires du cannabis dépasse chez nous le milliard d’euros. Selon l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), le fumeur de cannabis est surtout un homme jeune, de 17 à 34 ans, même si les auteurs du rapport 2014 notent qu’«un tiers des person­nes âgées de 15 à 64 ans en ont con­sommé au moins une fois dans leur vie».

Près de 4 millions de Français déclarent toucher au cannabis occasionnellement et environ 1,2 mil­­lion sont des consommateurs réguliers.

Pour ceux-ci, le budget «herbe» peut représenter jusqu’à 150 euros par mois. Toujours selon l’OFDT, le gramme de cannabis se négocie autour de 8,50 euros, avec des pics à 10 euros. C’est 2 euros de plus qu’il y a cinq ans, soit une hausse de 25% !

«Il y a sans doute une forme d’embourgeoisement qui explique ce phénomène, commente un producteur artisanal. Les gens demandent des produits de meilleure qualité, pour lesquels ils sont prêts à mettre le prix. Un peu comme les amateurs de vin.»

Une autre tendance pèse sur les tarifs : la préférence de plus en plus marquée pour l’herbe de cannabis au détriment de la résine, moins chère, mais moins concentrée en THC, la molécule psychotrope, autrement dit celle qui provoque les effets euphorisants. Les plus habiles des producteurs sont déjà sur les rangs pour accroître encore la teneur en THC du chanvre par des manipulations génétiques.

Business plan simplissime.

Ils seraient plus de 80 000 en France à braver la loi en se faisant ainsi producteurs en chambre. Il est vrai que le chanvre est très facile à faire pousser et que le business plan, simplissime, tient sur une feuille de papier à cigarette.

Des graines, un bac de terre, des lampes puissantes, un arrosoir, et le tour est joué : à raison de quatre ou cinq plants au mètre carré, on peut viser un chiffre d’affaires d’environ 5 000 euros.

Une économie du cannabis dépénalisée entraînerait certes une industrialisation, mais l’expérience américaine montre que les investissements restent accessibles à des entreprises modestes.

La contrainte principale concerne l’acquisition (ou la location) du sol et l’aménagement de serres. Les sociétés qui se sont montées à Denver, dans le Colorado, ont occupé à bon compte les entrepôts laissés à l’abandon par les compagnies pétrolières et les ont transformés et équipés pour des coûts très raisonnables, de l’ordre de 15 000  euros pour 100 mètres carrés utiles.

A Belvidere, dans le New Jersey, une entreprise agricole, Terra Tech Corp., a créé cette année une filiale spécialisée dans la culture du cannabis pour le marché médical. Le PDG, Derek Peterson, a fait ses cal­culs : «Avec nos produits classiques, fleurs et légumes, nous dégageons environ 4,5 millions de dollars par hectare, a-t-il expliqué au journal local, le NorthJersey.com. Avec le cannabis, le rendement devrait être de 37 à 60 millions de dollars !»

Pas étonnant qu’on prête depuis des années aux multi­nationales du tabac l’intention de miser sur la culture du chanvre.

Grands labos à l’affût.

Pour le cannabis à usage médical, le volet production (l’extraction du THC à partir des feuilles ou de la résine) nécessite, à l’échelle industrielle, des investissements importants. Le prix des machi­nes s’évalue en centaines de milliers d’euros, mais il en faut plus pour effrayer les grands labos pharmaceutiques, dont les besoins se mesurent en tonnes et qui cherchent à sécuriser leur approvisionnement.

C’est le cas du britannique GW Pharmaceuti­cals. Son spray à base de cannabis, le Sativex, a reçu en janvier 2014 de notre Agence nationale de sécurité des médicaments une autorisation de mise sur le marché. Une première en France.

Même si on est encore loin de toute légalisation, un entrepreneur français, Thomas Du­chêne, a décidé de parier sur l’avenir. Installée en Andalousie (la vente de graines et la consom­­­mation de cannabis sont autorisées en E­spa­gne), sa société, Planta Sur, commercialise graines et accessoires de «jardinage», mais il a aussi créé Expogrow, un salon spécialisé organisé à Irún… à portée de fumée de la France.

Conscient des risques qu’il prend avec cette initiative – la grande majorité des 17 000 visiteurs de la seconde édition étaient français –, il tient à préciser qu’il ne fait en aucun cas l’apologie du cannabis. Il n’en reste pas moins que sa petite entreprise propose un catalogue aussi varié que soigné, preuve que le marketing du cannabis est déjà en train de s’inventer. De la Big Buddha, en version Bubble Cheese ou Blue Cheese, à la Bomb, option Berry ou Buzz, le client a le choix entre des dizaines de graines aux effets et aux parfums variés.

De quoi donner du grain à moudre aux critiques «marijuaniques», un nouveau métier dans une filière en devenir… qui en intéresse beaucoup d’autres : le réseau des pharmacies et celui des avocats sont sur les rangs, mais aussi les secteurs de l’emballage et du transport, car le produit nécessite des contenants sécurisés.

Du coffret de luxe pour fumeurs raffinés au vaporisateur façon e-cigarette, on voit aussi débouler sur les marchés ouverts des kyrielles de produits dérivés. Voilà qui devrait inspirer les étudiants des écoles de commerce…