Faim et exploitation animale au Maghreb

Manger à sa faim est quelque chose de difficile pour une bonne partie de l’humanité. Et le paradoxe ici est qu’une alimentation végétalienne serait facile à mettre en place, satisfaisant les besoins. Pourtant, ce n’est pas fait.

Pourquoi ? Parce que le modèle de l’exploitation animale est exporté. C’est en cela que les gens qui veulent des réformes sont des gens qui contribuent à empêcher une remise en cause générale. Il ne s’agit pas que du temps qui pose problème, il y a aussi l’espace : le modèle s’exporte, partout dans le monde, rendant l’exploitation animale encore plus puissante, encore plus incontournable.

Voici des exemples tout à fait actuels, au Maghreb. Voici par exemple la situation au Maroc. La production de « viande » y est de 490 000 tonnes, et passera d’ici cinq ans à 612 000 tonnes…

D’après les statistiques de l’année 2013, la filière des viandes rouges emploie 1,9 million de personnes, soit 40% de l’ensemble des emplois du secteur agricole, et réalise un chiffre d’affaires de 25 milliards de DH.

La production de viande rouge a, pour sa part, dépassé son objectif  initial de 450 000 t pour atteindre 490 000t. Quant à la consommation, elle a atteint 14,2 kg/habitant/an, soit 4% de plus que l’objectif fixé de 13,5 kg/habitant/an.

Ces résultats sont le fait d’un amont jugé «extrêmement positif», du fait de l’amélioration génétique du cheptel bovin, ovin et caprin et du développement des techniques de production. (…) Le nouveau contrat-programme 2014-2020 prévoit un investissement global de 5 milliards de H, dont 1,45 milliard supporté par l’Etat et 3,55 milliards par le privé.

Trois axes sont retenus. Le premier concerne le développement de l’amont de la filière. Le deuxième axe porte sur l’aval. L’idée consiste en l’aménagement de 14 souks hebdomadaires à bestiaux, l’installation de 40 souks temporaires à l’occasion d’Aïd Al Adha, la  mise à niveau et la passation en gestion déléguée de 12 abattoirs communaux, et la création de 50 unités modernes de distribution et 7 unités de transformation et valorisation des viandes.

Le troisième axe est, quant à lui, relatif à la mise à niveau de l’interprofession, l’élargissement de la base des adhérents et l’application des principes de bonne gouvernance, la mise en œuvre du système national d’identification et de traçabilité du cheptel, l’élaboration des guides de bonnes pratiques, la formation aux métiers de viande au niveau du Zoopole d’Ain Jamaa, ainsi que la mise en place d’une stratégie de communication.

Ce nouveau contrat-programme devrait permettre de créer 80 000 emplois directs et de porter la production et la consommation moyenne respectivement à 612 000 t et 17,3kg/hab./an. Le chiffre d’affaires de la filière attendu s’élève à 35 milliards de DH.

On notera au passage que le ministre de l’agriculture et de la pêche maritime du Maroc, Aziz Akhannouch, a une fortune estimée à à 1,4 milliards de dollars… On voit ce qui se passe, c’est le triomphe d’un modèle, qui ne vise pas à satisfaire la faim, mais des perspectives économiques fondées sur le profit.

L’Algérie en est ici un autre exemple terrible en ce moment : on pourrait résoudre la faim en mettant en avant les végétaux, qui pourraient fournir tout ce qu’il faut. Mais l’idéologie dominante dans l’alimentation fait qu’il n’y a pas de chemin naturel vers le végétalisme… On tente à tout prix de se tourner absolument vers la « viande ».

La viande fraîche devient de plus en plus inaccessible pour de nombreux Algériens. Alors que la population augmente d’année en année, dans la capitale, la production des six abattoirs d’Alger, quant à elle, ne cesse de baisser.

L’inspecteur vétérinaire de la wilaya, Abdelhalim Yousfi, a déclaré, dans ce sens, que la production des abattoirs algérois a baissé de 4000 têtes de bovins en l’espace de quatre années, passant de 36 000 bovins abattues en 2010, à 32 000 en 2014. En somme, durant l’année dernière, près de 90 bovins ont été abattus par jour dans les six abattoirs d’Alger, à savoir Hussein Dey, Rouiba, El Harrach, Bordj El Bahri et Zeralda et de l’abattoir privé des Eucalyptus.

Une baisse qui n’est pas justifiée par l’incapacité de ces six abattoirs puisque ceux-ci peuvent même produire d’avantage. Elle est plutôt due au niveau de vie des Algériens confrontés à une hausse continue des prix des viandes. Des paramètres qui ont poussés, ajoute la même source, nombre de nos compatriotes à se tourner vers la viande rouge congelée d’importation, vendue à des prix plus accessibles.

En Tunisie, c’est pareil : l’élevage représente 37 % du PIB de l’agriculture… A quoi s’ajoutent les importations officielles comme illégales. 200 kilos de « viande » avariée ont été trouvés il y a quelques jours à Tunis, 400 kilos à Bizerte, 650 kilos à l’Ariana…

C’est une course pour manger à sa faim, mais comme cette course est mal orientée, elle débouche sur la faim, l’exploitation animale, et évidemment une situation de dépendance économique. Voici un exemple tout récent de décision prise dans l’urgence :

Le ministère du Commerce, a annoncé, dimanche 15 mars 2015, qu’un manque de viande rouge a été enregistré sur le marché, ce qui a obligé la société des Viandes à importer des quantités importantes de viande bovine.
Il a ajouté que le kilogramme de viande bovine sera vendu, à partir de la semaine prochaine, à 16,5 dinars.

Tout cela montre l’implication d’un nombre très important de paramètres. L’exploitation animale n’est nullement une méchanceté, mais un choix effectué très clairement suivant des valeurs au service d’un certain type d’économie.