« Le risque d’une forme d’autisme social »

Le quotidien La Croix a donné la parole à deux personnes au sujet du thème « Est-ce qu’on en fait trop pour nos animaux ? ». La Présidente de la Fondation 30 millions d’amis y exprime le point de vue que ce n’est pas très grave si c’est le cas de la part des « maîtres », dans un point de vue sans grand intérêt.

Celui de Jean-Pierre Digard l’est bien plus. Il s’agit d’un spécialiste de la « domestication » des animaux, avec un CV extrêmement fourni : directeur de recherche émérite au CNRS, auteur de 19 ouvrages, plus de 330 articles et de 450 comptes rendus critiques, Il est lauréat de la Fondation de la Vocation (1967), de l’Académie française (1990) et de l’Académie vétérinaire (1994), chevalier dans l’Ordre du Mérite agricole (2005) et membre de l’Académie d’Agriculture (2013) etc.

Et pourtant ce qu’il dit, à part quelques vérités, est d’une banalité, d’une simplification outrancière….

Jean-Pierre Digard : «Le risque d’une forme d’autisme social» 
 
JEAN-PIERRE DIGARD
Anthropologue, directeur de recherche émérite au CNRS

«On en fait trop pour les animaux de compagnie, parfois jusqu’au ridicule. L’animal de compagnie a selon moi une fonction rédemptrice : les aimer avec une telle ostentation et dépenser tellement d’argent pour eux est une manière de se déculpabiliser du sort que l’on fait subir aux autres animaux. C’est selon moi le ressort de cet investissement affectif excessif. On en fait des membres de la famille. On les anthropomorphise jusqu’à les maltraiter. 

Faire de son chien ou de son chat un substitut d’enfant, de conjoint ou de tout autre humain est une forme de maltraitance car c’est prendre un animal pour ce qu’il n’est pas. D’où la multiplication des troubles du comportement chez ces animaux, qui a abouti à l’apparition depuis une vingtaine d’années de vétérinaires comportementalistes.

Tout ceci n’est pas sans conséquence. “Plus je connais les hommes, plus j’aime les animaux”, ai-je entendu des milliers de fois dans mes enquêtes. J’y vois pour ma part le développement d’une forme d’autisme social. Les relations avec un animal de compagnie sont forcément très simples et gratifiantes : un chien vous fera toujours la fête quand vous rentrez chez vous…

À force de glorifier ce type de relation, on risque de développer une forme d’incompétence dans les rapports avec ses semblables.

Il y a plus grave que de dépenser une fortune pour opérer un chien d’une arthrose de la hanche. Chacun fait ce qu’il veut de son argent. Mais tous les animaux finissent par être vus au travers du prisme de l’animal domestique. C’est ainsi que le statut des animaux a fini par entrer dans le code civil. Nous sommes partis pour des années de bataille devant les tribunaux. 

Loin d’être purement symbolique, cette mesure va avoir des conséquences néfastes sur les filières agricoles et sur l’alimentation.

La défense des animaux ne peut pas être placée au-dessus de toute autre considération, y compris celle d’une alimentation équilibrée. Plus largement, tout ceci va finir par remettre en cause la place de l’homme dans l’univers telle que nous l’avaient léguée les Lumières.»

Disons le tout de suite car c’est un argument essentiel : ce que dit Jean-Pierre Digard au sujet des Lumières est faux. Les Lumières ne sont pas du tout anthropocentristes. Elles placent les humains au sein de la Nature et accordent même souvent une valorisation certaine aux animaux.

La « place de l’homme dans l’univers » dont il parle, c’est bien sûr le point de vue des religieux (ou des auteurs « existentialistes » comme Sartre et Camus). Il y a bien entendu des auteurs des Lumières largement influencées par la religion, mais prétendre que les Lumières font de l’être humain la clef de voûte de leur argumentation est absolument faux.
Jean-Pierre Digard a toutefois besoin de détourner la vérité afin de justifier sa conception de « l’autisme social », terme ne voulant rien dire puisque comme on le sait malheureusement, l’autisme est un trouble du développement qui relève de la santé et qui débouche notamment sur des problèmes d’interaction sociale.

Jean-Pierre Digard est en fait dans la dénonciation, au nom de l’anthropocentrisme, qu’il maquille en « Lumières » et en « humanisme », comme lorsqu’il a pu dire, dans une de ses très nombreuses interventions du genre car il est coutumier du fait :

« Je suis positiviste. Or, les faits montrent que l’homme est supérieur aux autres espèces vivantes. Le tout fait de moi un spéciste, si vous voulez. Moi je dis, un humaniste. »

N’importe quel humaniste et n’importe quel auteur des Lumières reprocherait pourtant facilement à Jean-Pierre Digard d’avoir un raisonnement tout à fait faux, puisqu’il rend l’être humain à la fois juge et partie dans sa démonstration : ce sont selon des critères humains que l’humain décide s’il est supérieur…

Mais c’est là son but, d’ailleurs Jean-Pierre Digard est d’ailleurs moins prudent dans son approche… lorsqu’il est en bonne compagnie, comme lors d’un « séminaire des personnels de direction de l’enseignement technique agricole public français », où il exprime ouvertement sa conception.

« Nous ne devons aucun droit aux animaux en tant qu’individus, sensibles ou non. »

La seule chose qui compterait selon lui, c’est l’importance éventuelle des espèces animales pour nos descendants humains, le reste n’a aucun intérêt.

Il ne peut pas dire cela, bien sûr, alors il dit que les gens en font trop. Mais son but est d’isoler l’humanité du reste de la vie. Or, justement, de notre point de vue, il faut au contraire partir de la planète en tant qu’ensemble, certainement pas de l’humanité prise isolément. C’est le principe de « la Terre d’abord ! ».

Jean-Pierre Digard combat tout ce qui s’en rapproche et il vise donc à disqualifier comme une « régression » tout ce qui n’est pas anthropocentriste. C’est là son leitmotiv, qu’il a résumé ailleurs par exemple avec la formule :

« En fait, je ressens plus d’indignation à voir traiter les chiens ou les chevaux comme des bébés qu’à assister à une corrida. »

En apparence, il en appelle la raison, en réalité il fait son Descartes qui veut nier les sens au nom de la « conscience » calculatrice.

Jean-Pierre Digard ne vise pas à critiquer les gens qui déborderaient d’affection mal placée, il vise à caricaturer en parlant d’anthropomorphisme, pour renforcer la muraille de Chine qui existe dans les têtes et les coeurs entre les humains et les animaux.

C’est le coup classique de la sordide dénonciation de la « vieille folle aux chats« , des gens défendant les oiseaux et notamment les pigeons… On a ici la moquerie au service de la barbarie, puisqu’il s’agit ni plus ni moins de nier la sensibilité, la compassion, l’aide pratique aux animaux, la reconnaissance de leur existence, de la sensibilité en général…

Les Lumières ont justement fait le contraire de Jean-Pierre Digard… Pour qui de toutes manières c’est sans importance: il sait que dans La Croix il a un public qui lui est acquis d’avance, son rôle étant ici d’aider les religieux à peaufiner leur discours face à la reconnaissance de la Nature, qui est précisément le vrai athéisme !