« La guerre du « modèle » animal »

Les responsables de l’association Antidote Europe ont publié une tribune dans Le Monde, un journal particulièrement agressif dans sa mise en valeur de la vivisection.

C’est problématique, car cela donne une image démocratique au Monde, et qui plus est les arguments utilisés, s’ils sont raisonnables, masquent la dimension idéologique et culturelle de la vivisection. Une « science » au service d’une industrie qui fait des bénéfices, de fait, ne sera jamais remise en cause dans une société au service de ces entreprises…

La guerre du « modèle » animal n’aura pas lieu !*

*Dans le titre de cet article, il y a plus qu’une allusion au titre de la pièce de Gireaudoux (La guerre de Troie n’aura pas lieu) qui cherche à déchiffrer les motivations fratricides de la future seconde guerre mondiale. L’auteur y met en relief le cynisme des politiciens (ici : scientifiques dévoués au « modèle » animal) ainsi que leur manipulation des symboles (ici : modèles animaux).

Pourquoi la guerre du « modèle » animal n’aura-t-elle pas lieu ? Simplement faute de combattants, car il n’existe pas d’espèce animale « modèle » pour une autre. Un enfant de 10 ans sait que son chien ne peut pas se croiser avec un chat. Quand il quittera le collège quelques années plus tard, il saura qu’une espèce donnée est entourée de barrières, qui se manifestent notamment par son isolement reproductif. Il saura aussi que la reproduction exige la fusion de gamètes mâles et femelles pour produire les chromosomes du descendant.

L’isolement reproductif indique que cette fusion ne peut se faire qu’entre partenaires de la même espèce et qu’elle est interdite entre partenaires d’espèces différentes. Conséquence : le patrimoine génétique d’une espèce est unique, c’est une loi fondamentale du vivant sur notre planète. Une espèce mobilise son patrimoine génétique pour réagir à un stimulus donné, tel que stress, agression physique ou chimique, maladie… Deux espèces différentes, soumises au même stimulus, vont réagir chacune avec son patrimoine génétique propre, réactions qui vont aller, selon les cas, de semblables à opposées.

On ne le saura qu’après exposition des deux espèces au même stimulus dans des conditions de laboratoire identiques. Le recours au « modèle » ne nous apprend rien quant à la réaction de l’espèce supposée « modélisée », il est donc inutile. Conclusion, aussi logique et rigoureuse que 2+2 = 4, mais encore largement ignorée de ceux pour qui logique et rigueur devraient être des impératifs : aucune espèce animale n’est un modèle biologique fiable pour une autre.

Comme dans tout débat scientifique, ceux qui sont d’un avis contraire doivent prouver le bien-fondé de leurs assertions et affirmations, autrement qu’en s’abritant derrières leurs titres et leur compassion pour les animaux, petit doigt bien mince alors qu’ils mettent en danger la santé et la vie de leurs congénères. Dans la réalité, l’expérimentateur aura en effet tôt fait de croire que la réaction de son « modèle » vaut pour l’homme, une croyance source des catastrophes sanitaires, comme le montre deux exemples simples.

La prévention d’abord, qui est confiée (dans le réglement européen REACH sur les substances chimiques notamment) aux « modèles » rongeurs, à qui on peut faire dire n’importe quoi ou son exact contraire. La souris, par exemple, « prouve » qu’un hydrocarbure testé sur la lignée C3H est fortement cancérigène, mais ne l’est que très faiblement pour la lignée C57BL/6, mais les mâles de cette dernière « prouvent » qu’une substance est fortement oestrogénique, mais qu’elle ne l’est pratiquement pas pour les mâles de la lignée CD-1. Conséquence : nous baignons dans 200 000 substances chimiques de synthèse dont nous ne savons rien quant à leurs dangers pour notre santé.

Les augures, lus dans les boyaux des « modèles » (bien choisis) par nos devins du XXIe siècle, sont favorables, mais la réalité de terrain est toute autre : en France, entre 2000 et 2009, le nombre de diabétiques de type 2 a plus que doublé, le nombre de cancers du sein et de la prostate ont été multipliés par deux et trois respectivement, les cas d’Alzheimer ont augmenté de 70 %, et le nombre de naissances d’enfants autistes est passé de 1 800 à 650 000 (données InVS, HAS, OPEPS, associations de patients).

La prévention sur « modèles » laisse à désirer… L’extrapolation de ces données sur les décennies à venir, si personne n’écarte ces devins, montre que, quand nos enfants nés depuis 2000 seront dans la force de l’âge, 1 sur 3 serait diabétique, 1 sur 4 souffrirait d’Alzheimer, tous les hommes seraient concernés par le cancer de la prostate et 1 femme sur 3 par le cancer du sein, 1 naissance sur 3 serait autiste et l’infertilité masculine serait totale. Le Meilleur des mondes…

Où sont les progrès de la recherche biomédicale effectuée sur « modèles » ? Aucune thérapie pour guérir, même simplement stabiliser, les maladies ou désordres ci-dessus. Depuis un siècle, les dizaines de milliers de travaux sur « modèles » (de la souris au singe en passant par les lémuriens) n’ont donné aucun résultat, pas de guérison du Sida, bien que des milliers de chimpanzés, infectés par le VIH lors d’essais, donc contagieux, croupissent dans des « sanctuaires » à la charge du contribuable. Ces fausses pistes ont accaparé crédits et temps de chercheurs au détriment de la vraie biomédecine humaine.

On n’échappera à cette course à l’abîme du Titanic sanitaire qu’en renonçant aux « modèles ». Notre seul vrai modèle, c’est l’homme. On dispose aujourd’hui de cultures de cellules humaines, en particulier des cellules pluripotentes induites (iPS), prélevées sur des personnes d’âge, de sexe, d’ethnie donnés, sur des organes malades, etc. On peut exposer ces cellules à des candidats médicaments ou à des substances chimiques à tester, et observer dans le détail les dérégulations intervenues dans l’expression des gènes de ces cellules.

Les méthodes de « génomique » (pharmacogénomique, toxicogénomique), « protéomique », « métabolomique »… sont déjà très largement utilisées à l’étranger à cette fin. On commence à tester des substances sur des « mini-organes » (cerveau, foie…) issus d’iPS.

On dispose aussi de méthodes d’édition et d’ingénierie génomiques précises (CRISPR/Cas9), capables d’activer ou d’éditer (suppléer, modifier, remplacer ou supprimer) à volonté n’importe quel gène, notamment des gènes défaillants sources de maladies. Selon Edmund Beecher Wilson (1856-1939), toute maladie démarre au niveau des cellules, c’est à ce niveau que l’on doit commencer l’étude biomédicale, avant de l’étendre aux tissus et organes, jusqu’aux aux essais cliniques pour les médicaments. Le prix Nobel Sidney Brenner préconise judicieusement l’étude de maladies « de la paillasse au lit du patient », donc sans passer par l’animalerie.

Les chercheurs de nos établissements publics de recherche ont certainement les moyens intellectuels pour mettre en œuvre cette biologie du XXIe siècle et pour participer à l’exploration des immenses champs d’investigation qu’elle a ouverts. Mais les faibles moyens donnés à la recherche biologique en général et à la biomédecine en particulier sont très largement insuffisants à cette fin, d’autant qu’ils sont majoritairement consacrés aux « modèles animaux », qu’il serait temps de ranger sur les étagères des musées des sciences…

Claude Reiss, ex-DR CNRS et président d’Antidote Europe

André Ménache, vétérinaire etDirecteur d’Antidote Europe