Sur un aspect de « Laudato si »

Le site « alternatif » sur la COP 21 a publié un nouvel article sur l’encyclique Laudato si, qui jouera malheureusement un si grand rôle en décembre. Le voici :

Jusqu’ici, le pape a exposé les motivations derrière cette encyclique et expliqué en quoi la religion était un moyen de faire face au réchauffement climatique et aux enjeux écologiques. Le troisième chapitre se nomme « La racine humaine de la crise écologique », il permet au pape d’exprimer sa vision du progrès et de la modernité, d’expliquer les risques et les perspectives que la technologie renferme, et enfin de s’attaquer à ce qu’il appelle « l’anthropomorphisme moderne ».

En ce sens, l’homme est nu, exposé à son propre pouvoir toujours grandissant, sans avoir les éléments pour le contrôler. Il peut disposer de mécanismes superficiels, mais nous pouvons affirmer qu’il lui manque aujourd’hui une éthique solide, une culture et une spiritualité qui le limitent réellement et le contiennent dans une abnégation lucide. (par. 1.5)

L’anthropocentrisme moderne, paradoxalement, a fini par mettre la raison technique au-dessus de la réalité, parce que l’être humain « n’a plus le sentiment ni que la nature soit une norme valable, ni qu’elle lui offre un refuge vivant. (par. 115)

La position du pape se veut équilibrée: pas foncièrement contre le progrès technologique, mais il insiste sur les dérives qui y sont liées, (de son point de vue).

De la même manière qu’aux premier et deuxième chapitres, il y a le même discours de fond: la seule perspective est la religion. Le discours se veut équilibré mais en réalité, il ne l’est absolument pas. Pour le pape, l’humanité a perdu ses repères et se comporte comme un dieu sur Terre, les dérives de la technologie et de la finance en sont deux des principales manifestations.

Il ne sert à rien de décrire les symptômes de la crise écologique, si nous n’en reconnaissons pas la racine humaine. Il y a une manière de comprendre la vie et l’activité humaine qui a dévié et qui contredit la réalité jusqu’à lui nuire. Pourquoi ne pouvons-nous pas nous arrêter pour y penser? Dans cette réflexion, je propose que nous nous concentrions sur le paradigme technocratique dominant ainsi que sur la place de l’être humain et de son action dans le monde. (par. 101)

Les critiques visant le « paradigme technocratique » sont pour le moins très tranchées et s’accompagnent d’une certaine vision du monde.

Il n’est pas permis de penser qu’il est possible de défendre un autre paradigme culturel, et de se servir de la technique comme d’un pur instrument, parce qu’aujourd’hui le paradigme technocratique est devenu tellement dominant qu’il est très difficile de faire abstraction de ses ressources, et il est encore plus difficile de les utiliser sans être dominé par leur logique. (par. 108)

Le paradigme technocratique tend aussi à exercer son emprise sur l’économie et la politique.L’économie assume tout le développement technologique en fonction du profit, sans prêter attention à d’éventuelles conséquences négatives pour l’être humain. Les finances étouffent l’économie réelle.(par. 109)

L’idée au final et que la technique n’est pas un instrument neutre, elle modèle la société pour répondre à ses intérêts propres. Ce développement est la conséquence d’une perte de repères, de spiritualité. Il convient alors de réguler et contrôler la technique. Ceci va de pair avec le mouvement d’une humanité qui reprend conscience de sa place sur Terre.

Au chapitre précédent, le pape tenait à montrer que la religion apportait des réponses et des respectives. Cette idée revient tout logiquement ici:

La culture écologique ne peut pas se réduire à une série de réponses urgentes et partielles aux problèmes qui sont en train d’apparaître par rapport à la dégradation de l’environnement, à l’épuisement des réserves naturelles et à la pollution. Elle devrait être un regard différent, une pensée, une politique, un programme éducatif, un style de vie et une spiritualité qui constitueraient une résistance face à l’avancée du paradigme technocratique. (par. 111)

Pour le pape, tout cela a une cause : anthropocentrisme moderne, un anthropocentrisme « dévié ». Dévié, car pour le pape le rôle de l’humanité est de prendre soin de l’ensemble de la Création, de la ramener avec elle vers Dieu. Il critique donc le « bio-centrisme », car ce n’est pas pour lui la réponse correcte: c’est une autre forme de déviation.

Un anthropocentrisme dévié ne doit pas nécessairement faire place à un “bio-centrisme”, parce que cela impliquerait d’introduire un nouveau déséquilibre qui, non seulement ne résoudrait pas les problèmes mais en ajouterait d’autres. (par. 118)

Avant de terminer, il y a deux paragraphes sur lesquels nous aimerions nous arrêter. Le premier évoque les tests sur les animaux.

Dans la vision philosophique et théologique de la création que j’ai cherché à proposer, il reste clair que la personne humaine, avec la particularité de sa raison et de sa science, n’est pas un facteur extérieur qui doit être totalement exclu.

Cependant, même si l’être humain peut intervenir sur le monde végétal et animal et en faire usage quand c’est nécessaire pour sa vie, le Catéchisme enseigne que les expérimentations sur les animaux sont légitimes seulement « si elles restent dans des limites raisonnables et contribuent à soigner ou sauver des vies humaines».

Il rappelle avec fermeté que le pouvoir de l’homme a des limites et qu’« il est contraire à la dignité humaine de faire souffrir inutilement les animaux et de gaspiller leurs vies ». Toute utilisation ou expérimentation « exige un respect religieux de l’intégrité de la création ». (par. 130)

Après avoir exposé et vanté son « écologie intégrale », rappelé que l’écologie ne doit pas oublier les plus pauvres, critiqué très violemment ce qu’il appelle le « paradigme technocratique »…après avoir été en quelque sorte un défenseur des pauvres et de l’environnement contre toutes les dérives modernes qui, selon lui, ont amené l’humanité et la Terre à cette situation, le pape tient exactement le même discours que l’industrie autour des expérimentations animales.

Il nous semble atypique de se dire écologiste et d’aborder la question des expérimentations animales avec autant de légèreté: car au-delà de la forme, il n’y a rien. Quel laboratoire va se vanter de faire « souffrir inutilement » des animaux ?

De faire des tests « pour le plaisir » ? De faire des tests sans aucune raison ? Aucun. Au contraire, toute la chaîne des entreprises qui « fournissent » les laboratoires en animaux aux laboratoires eux-mêmes aura pour principal argument que cela permet de sauver des vies.

Encore une fois, le pape semble mettre de côté toute une partie de la « création » dans son écologie « intégrale ».

Le deuxième paragraphe concerne l’avortement. Nous trouvons important de nous y arrêter car nous trouvons la manière d’aborder le sujet dérangeante. Tout comme pour les tests sur les animaux, le pape traite ce sujet en quelques lignes après en avoir consacré des dizaines au « paradigme technologique » ou à « l’anthropocentrisme dévié ». Il s’agit pourtant d’un sujet sensible et complexe.

Puisque tout est lié, la défense de la nature n’est pas compatible non plus avec la justification de l’avortement.

Un chemin éducatif pour accueillir les personnes faibles de notre entourage, qui parfois dérangent et sont inopportunes, ne semble pas praticable si l’on ne protège pas l’embryon humain, même si sa venue cause de la gêne et des difficultés : « Si la sensibilité personnelle et sociale à l’accueil d’une nouvelle vie se perd, alors d’autres formes d’accueil utiles à la vie sociale se dessèchent ». (par. 120)

La position de l’Église sur le droit à l’avortement est bien connue et on pourra arguer que le pape n’a pas besoin de s’exprimer davantage sur le sujet dans une encyclique sur l’écologie. Toutefois, un tel sujet ne peut être discuté sans le prendre entièrement en considération : l’embryon et la femme qui le porte.

Un des mots d’ordre de l’écologie « intégrale » du pape est de n’oublier personne. Pourtant ce paragraphe parle d’embryons mais pas des femmes, soit la moitié de l’humanité et première concernée par la question de l’avortement.