« Profession : Animal de laboratoire »

Audrey Jougla est une ancienne journaliste passée par France Inter et qui a étudié à Sciences Po. Rien de plus institutionnel pour cette végétarienne qui a publié un ouvrage intitulé « Profession : Animal de laboratoire« , aux éditions Autrement, remettant en cause quelque chose de pourtant tout à fait institutionnel.

Un paradoxe, sur lequel on peut avoir un aperçu avec son « chat » pour le journal 20 minutes, dont voici quelques questions réponses. On notera que les droits d’auteurs de l’ouvrage iront aux associations anti-vivisection.

tos : Quel est l’age moyen des animaux de laboratoire ? Est-ce pris en compte pour les études ?

Bonjour tos, oui évidemment les protocoles de recherche choisissent précisément les animaux sur lesquels ils travaillent, et l’âge a son importance. Les espèces, les lignées même, d’animaux ne sont pas choisies au hasard. Mais cela pose aussi la question du biais du modèle animal introduit par ce choix et de son objectivité.

Fanny et Shego : Certaines associations affirment que l’on peut se passer de test sur les animaux. Qu’en est-il exactement aujourd’hui ? Pourquoi n’utilise-t-on pas des molécules humaines ?

Bonjour Fanny et Shego, Il existe plusieurs types de méthodes alternatives (ex vivo, in vitro, 3D, in silico, modèles biomathématiques, modélisation des maladies humaines, reproduction sur puces d’organes ou mini organes, par exemple). Les laboratoires qui les utilisent ne le font souvent qu’en complément des animaux et rarement en substitution (84 % vs 13 %).

Les chercheurs ne sont pas suffisamment formés à ces méthodes alors que les expériences sur les animaux font partie du cursus (il n’y a pas d’objection de conscience possible en France).
Financièrement elles ne sont pas encouragées non plus. Je vous invite aussi à consulter les entretiens de chercheurs sur ce sujet sur les sites de deux associations scientifiques opposées aux expériences sur les animaux : Antidote Europe et Pro Anima.

KM : Bonjour, D’où sont issus les animaux de laboratoires ?

Bonjour KM, effectivement c’est une question totalement ignorée par le grand public et merci d’en parler. Les animaux de laboratoire sont conçus pour cela : ils viennent d’élevages spécialisés. Il y a en France plusieurs firmes – dont une multinationale Harlan, présente dans 38 pays – qui sont chargées d’élever des rongeurs, des chiens, etc.

Il y a également des élevages plus petits comme celui de Mézilles, qui élève principalement des chiens de la race Beagle. Dans l’actualité, on parle notamment en ce moment de l’extension du centre de primatologie de Niedershaubergen : cela prouve que la chaîne de l’expérimentation animale est très vaste et ne tarit pas. Harlan, par exemple, commercialise aussi bien des animaux de laboratoire que leur nourriture (croquettes), etc.

Julie : Que dit la loi par rapport à ces pratiques ?

Bonjour Julie ! Comme sur le sujet récemment très médiatisé des abattoirs, la réponse des scientifiques qui expérimentent est de dire : nos pratiques sont encadrées par la législation. Justement, cette législation est la Directive européenne de 2010, appliquée depuis février 2013 en France.

Elle instaure 3 paravents majeurs dans l’encadrement de la souffrance animale : les 3 R (réduire, raffiner, remplacer), les comités d’éthique et les points limites (quand la souffrance est insoutenable et que le protocole n’a pas besoin de continuer, on euthanasie l’animal).

Dans la pratique : le nombre d’animaux utilisés est stable depuis 1999 en France, et des méthodes alternatives existantes ne sont pas utilisées. Les comités d’éthique sont souvent juges et parties, des protocoles commencent d’ailleurs aussi sans leur aval…

Quant aux points limites : comment mesure-t-on la douleur d’un animal qui, au quotidien, ne va pas bien de toute façon, est prostré dans sa cage ou atteint d’une maladie neurodégénérative ? Ce sont des avancées louables, mais dans la pratique, très compliquées à mettre en place et toujours nuancées par “dans la mesure du possible” ou soumises au jugement du chercheur, comme c’est le cas pour l’anesthésie par exemple.

julie : Est-ce que les animaux souffrent réellement ? que font- les labos des animaux après avoir testé les produits ?

bonjour Julie, sur la réalité de la souffrance, je pense que vous seriez horrifiée tant la réalité dépasse ce qu’on peut imaginer. Les termes de “tests” sur les animaux ou même de “recherche” nous empêchent de nous figurer ce qu’ils recouvrent.

Il n’y a pas que les expériences, déjà mais les conditions de détention des animaux (carcérales) qui sont très dures pour des animaux comme les chiens ou les singes. Ils ne voient pas la lumière du jour, vivent dans de petites cages, dont ils ne sortent que pour les expériences.

Ensuite, ces animaux sont rendus “fous” (expériences de psychiatrie) ou malades pour le besoin des expériences. Enfin, il y a la relation entre le personnel de laboratoire et ces animaux. Et ça peut être très violent.

Après les expériences, les animaux qui n’ont pas été trop abîmés, peuvent être proposés à l’adoption (l’association GRAAL), mais c’est une minorité. Dans la majeure partie des cas, les animaux sont “sacrifiés” (c’est le terme scientifique) : c’est-à-dire euthanasiés.

Lolotte : Bonjour. Est-ce que vous étiez déjà sensible au sort des animaux de laboratoire avant de vous lancer dans cette enquête ?

Bonjour Lolotte ! Oui, c’est un sujet qui m’interpellait particulièrement pour deux raisons : d’abord parce que j’avais l’impression que c’était LE domaine pour lequel la souffrance était systématiquement justifiée (bien plus que pour la viande, le cirque, la corrida, la fourrure par exemple.)

Ensuite parce que l’opacité y est double : on ne voit jamais les 2,2 millions d’animaux de laboratoire qui subissent les expériences chaque année en France, et le discours scientifique empêche le grand public de remettre ces expériences en question…

Cerise : Existe-t-il des médicaments qui n’ont jamais été testés sur des animaux ?

Bonjour Cerise, l’autorisation de mise sur le marché (AMM) oblige les laboratoires à tester sur les animaux : autrement dit, c’est une obligation légale sans quoi, pas de commercialisation possible.

Laurent : Comment avez-vous réussi à infiltrer des labos ?

Comme on l’imagine : ce fut long et compliqué. Affronter l’univers de l’expérimentation animale c’est aussi affronter la complexité du monde scientifique, lorsqu’on n’est pas scientifique soi-même.

C’est donc en travaillant sur un mémoire de recherche en éthique que j’ai pu commencer à approcher les chercheurs, les animaliers, et, au bout de longues semaines, ces fameux animaux de laboratoire que le grand public ne voit jamais.

Toute cette partie est très raccourcie dans le livre, car le but était d’arriver rapidement sur l’enquête. Mais ça m’a pris beaucoup de temps et c’était très décourageant.

Marion S. : Je ne cautionne pas mais on est quand même bien content de trouver des vaccins dont on a besoin, non ?
C’est toujours l’argument « animal vs humain » qui revient sur le tapis.

Malheureusement, c’est loin d’être aussi simple… Je pointe du doigt notamment des expériences qui sont redondantes (soit par besoin de publication des chercheurs, soit aussi parce que les résultats des expériences ne sont pas mutualisées, alors que c’est le cas pour les essais cliniques, pratiqués sur l’homme).

D’autres sont pratiquées dans le seul but commercial de mettre de nouveaux médicaments sur le marché et ces expériences qui sont donc commanditées par les laboratoires pharmaceutiques dans un but de profit et non pour le « mieux-être de l’humanité ».

Il ne faut jamais perdre de vue l’éventail de toutes les expériences réalisées qui est loin de ne concerner que les vaccins… Enfin, il existe aussi des méthodes alternatives, sans animaux.