Lemmy Kilmister et Motörhead

Les médias ont été nombreux à honorer hier Lemmy Kilmister, décédé à 70 ans, après une carrière de 40 ans, chanteur et bassiste du fameux groupe Motörhead, connu pour son rock’n roll profitant de l’énergie du punk et son son puissant et heavy metal, avec les albums Overkill et Bomber de 1979 et Ace of Spades de 1980.

Lemmy Kilmister a vraiment fait avancer la musique, de par ses apports, permettant à un son lourd d’être mélodique, vraiment accrocheur. Voici son parcours en quelques chansons. Tout d’abord un groupe de space rock auquel il a appartenu : « Hawkwind ».

Voici la chanson « Overkill » de Motörhead, en live, tout un exemple de l’orientation rock en version speed heavy metal si l’on peut dire.

Voici « Love me forever », chantée par la metal queen Doro avec Lemmy Kilmister, dans la lignée de leur duo classique Alone again.

Et voici une visite de Motörhead… au journal télévisé de TF1 dans les années 1980.

Les deux dernières vidéos expriment l’énorme paradoxe de Lemmy Kilmister, rebelle sans cause exprimant d’un côté ce qu’il y a de meilleur dans l’attitude rock : la dimension sentimentale, pleine d’abnégation, respectueux de l’amitié, haïssant le mensonge, etc. Rien que de plus ouvrier, en quelque sorte.

Pour cette raison, Lemmy Kimister est devenu une figure populaire incontournable, qu’il stylisait grâce à sa voix gutturale, son micro toujours posé un peu trop haut l’amenant à élever sa bouche, ses paroles de chansons célébrant la solitude du looser tentant d’arracher à la vie des parcelles de bonheur, etc.

Cette orientation individualiste est à la base de l’autre aspect : Lemmy Kilmister a joué un rôle très négatif en cultivant une image de rocker solitaire vivant rock’n roll, tout en étant parfaitement inséré socialement, jouant à la console de jeux et se baladant en… tank dans sa propriété, alors que sa résidence était remplie d’objets nazis de la seconde guerre mondiale et en se vantant de haïr les légumes et d’aimer la viande.

Lemmy Kilmister, c’est le meilleur et le pire de l’identité du rockeur metal, dans un mélange souvent indigeste : le rappel de la valeur de l’amitié, du courage, avec une fascination certaine pour l’esthétique fasciste, une exigence populaire associée à un refus catégorique des nantis, une apologie de l’esprit d’aventure tout en célébrant les piliers de bars, la mise en avant de l’héroïsme mais un engagement social se résumant à la dénonciation des pédophiles, l’éloge de l’alcool et du sexe consommé « virilement » tout en exprimant les sentiments tourmentés les plus romantiques et les joies de la vie de famille.

Bref, tout cela ravit les journalistes, trop contents de raconter que Lemmy Kilmister expliquait qu’une guitare est « un aimant à chattes », qu’il aurait couché avec 2000 femmes, qu’il prenait des amphétamines comme des bonbons ainsi que du LSD, qu’il buvait de l’alcool fort comme personne et qu’il aurait bu 45658 bouteilles de Jack Daniel’s, qu’il aurait fumé trois paquets de cigarettes par jour, que les médecins lui auraient exigé qu’il ne donne jamais son sang tellement il était toxique et que pour cette raison on n’aurait pas pu le transfuser, etc.

Quel intérêt a ce mode de vie absolument inauthentique? Aucun, à part se gâcher et gâcher son art. Lemmy Kilmister s’est corrompu dans la posture du rebelle sans cause, finissant par mettre sa vie en scène, répétant finalement en boucle un style et une attitude, avec une approche très non-conformiste tout en étant conservateur dans les valeurs.

C’est un peu du punk metal brillant à l’origine, mais se répétant lui-même et tournant vers une dimension conservatrice, exactement comme l’ont fait les Ramones, avec au final un éloge de la dope et de la baise, de la vulgarité et de la provocation, le tout exprimé avec un « coeur d’or » de rebelle sans cause. C’est du rocker pour journaliste, à l’opposé de ce qui a été reconnu par les gens dans Motörhead.

On a là, au fond, tout ce qui distingue – ou a distingué historiquement – le rock metal du punk hardcore, tout au moins dans les années 1980 / 1990, avant que tout se noie dans un même metal – metalcore qu’on écoute au kilomètre, sans regarder forcément les valeurs transportées, que tout se perd dans l’apparence… Jusqu’à une prochaine nouvelle vague porteuse d’authenticité, de créativité artistique, de valeurs positives.