Kalaweit contre la déforestation et pour les gibbons en Indonésie

Mercredi soir sur France 3, on a pu voir un documentaire (encore visible quelques jours) sur un français qui agit en Indonésie contre la déforestation, ainsi que pour aider les gibbons. Il a organisé son combat au sein d’une association qu’il a fondé, Kalaweit (qui suit précisément la déforestation en cours).

Il a pris la nationalité indonésienne justement, afin d’acheter des terres et les préserver. C’est une initiative personnelle qui ne peut pas changer l’ensemble des choses, mais c’est un engagement qui mérite d’être connu et soutenu.

Le journal Libération lui donne la parole dans une longue interview, dont voici ici quelques extraits. Le titre de l’interview est d’ailleurs « Partout, au restaurant ou dans votre magasin, demandez des produits sans huile de palme », ce qui est très clair et tout à fait juste!

Le refus catégorique de l’huile de palme est absolument nécessaire!

Comment se portent les gibbons, aujourd’hui ?

Il y a 17 espèces de gibbons dans le sud-est asiatique, dont 7 en Indonésie. Beaucoup sont au bord de l’extinction. On les perd beaucoup plus vite que les orangs-outangs, puisqu’ils ne peuvent absolument pas s’adapter à une forêt dégradée.

Les nasiques, endémiques de Bornéo, sont aussi bien plus menacés que les orangs-outangs.

Je ne dis pas que ces derniers vont bien, loin de là, mais comme ce sont de grands singes lents, ils sont plus victimes des flammes parce qu’ils ne peuvent pas s’enfuir.

Le gibbon, très vif, part de branche en branche, mais ça ne veut pas dire qu’il survit. Il ne meurt pas devant les caméras lors des incendies mais va se faire tuer par les autres gibbons parce qu’il sera entré sur leur territoire.

Le rythme d’extinction s’accélère-t-il ?

Oui. Depuis la fièvre de l’huile de palme au début des années 2000, la déforestation s’accélère, donc la pression sur les animaux aussi. Il n’y a jamais eu autant d’animaux capturés. Pas parce qu’il y a plus de braconniers.

Le braconnier type qui va chercher le gibbon dans la forêt a quasiment disparu. Aujourd’hui, celui qui attrape un gibbon, c’est l’ouvrier qui rentre en contact avec les animaux quand il déforeste.

C’est vraiment l’industrie de l’huile de palme qui est en cause, donc ?

Oui, sans ambiguïté. Si une compagnie forestière obtient une concession, aujourd’hui, c’est une très bonne nouvelle. Parce qu’elle fera un abattage sélectif sur 25 ans : il va rester de la forêt, certes abîmée, mais il va en rester.

Si une compagnie d’huile de palme obtient la même concession, il ne restera plus un arbre, c’est fini. Tout sera déforesté en 2 à 3 ans.

L’huile de palme, c’est une sorte de rouleau compresseur ?

Oui. A tous points de vue. Les politiques ne voient qu’elle. Je l’ai vécu. A Bornéo, j’avais créé une réserve de 700 hectares avec les autorités, officielle.

Mais au bout de cinq ans, le statut de cette zone a changé suite à des élections au parlement provincial. C’est devenu de l’huile de palme, tout a été déforesté.

La pression de l’industrie de l’huile de palme est énorme. Attention, je parle bien d’industrie et pas des compagnies. Si on regarde le cadastre stricto sensu, on voit les concessions attribuées au charbon, à l’huile de palme, aux mines…

Les autorités de Djakarta ne vont parler que de celui-ci. Mais cela ne reflète pas du tout la réalité du terrain, bien plus grave.

Les autres zones, destinées aux villageois et considérées sur le papier comme de la «forêt», sont rachetées à tour de bras par de grands propriétaires terriens qui y font de l’huile de palme à titre privé et vendent leurs récoltes à la compagnie d’à côté.

Même les compagnies labellisées RSPO (Table ronde pour l’huile de palme durable) achètent cette production, il n’y a pas de traçabilité sur le terrain.

L’automne 2015, la situation est devenue catastrophique…

Les incendies ont lieu tous les ans depuis 17-18 ans et l’arrivée de l’industrie de l’huile de palme dans les zones de tourbières à Sumatra et à Bornéo.

Le but, c’est de défricher au plus vite et le moins cher possible. Donc de brûler. Mais comme c’est de la tourbe, l’incendie peut devenir incontrôlable.

Le phénomène météo El Nino, en 1997-1998, a fait perdre plus de 2 millions d’hectares de forêt en Indonésie, à cause de ces incendies criminels devenus ingérables. Cela s’est répété en 2015. On n’a pas eu de pluie pendant trois mois et l’intensité des incendies est devenue apocalyptique.

Dans la province centrale de Kalimantan, où je vis, on ne voyait pas à 50 mètres. Les vendeurs à la sauvette, aux feux rouges, ne tenaient pas plus d’une heure avant de vomir. Enfants et personnes âgées étaient malades.

C’était très violent. Une vingtaine de décès ont été attribués aux incendies, sans compter tous les autres non répertoriés comme tels. C’était ahurissant. J’ai du mal à trouver les mots pour faire comprendre à quel point.

Vous avez les yeux rouges, la trachée qui vous fait mal en permanence, tout ça pendant trois mois ! Les autorités disent de porter des masques, mais comment le faire faire à un gamin du matin au soir, par 30 degrés?

La population était assez passive, très à l’indonésienne. Les 32 ans de dictature de Suharto ont laissé des traces.

Les gens en avaient ras le bol, mais personne ne se révoltait ouvertement. Mais dès que je l’ai fait avec ma vidéo, tout le monde l’a utilisée pour dire «nous aussi on est en colère».

J’ai reçu des centaines de messages de soutien, les gens me disaient «merci de parler pour nous». Le succès de cette vidéo m’a dépassé. Je l’avais faite spontanément parce que j’étais en colère de voir mes gamins cracher du sang, impuissant.