La Picardie et l’urbanisme diffus

Avant on pouvait penser que la ville, c’était la culture, et la campagne, la nature. Selon ses possibilités, on choisissait l’un ou l’autre. Mais ça, c’était avant : aujourd’hui les villes ont de la culture en leur centre et c’est surtout du divertissement pour les gens aisés, alors que les campagnes ressemblent à champs gangrenés par du béton.

Si on se demande pourquoi le Front National fait de tels scores en Picardie, c’est justement parce que les gens là-bas ressentent de manière particulièrement forte cette situation intenable.

Voici comment la Direction Régionale de l’Equipement Picardie expose la situation en 2007, dans son document « La péri-urbanisation en Picardie : toujours plus loin des villes » (on se doute que la situation a empiré depuis) :

« La péri-urbanisation a touché la Picardie à compter des années 1970. Depuis lors, la population n’a cessé de s’établir de plus en plus loin des unités urbaines dans des communes de moins en moins bien desservies.

Il s’en est suivi une forte consommation d’espace, la péri-urbanisation ayant pour corrolaire la multiplication des zones pavillonnaires dans les villages. Parallèlement, les emplois se sont polarisés dans ces mêmes unités urbaines.

Ce double mouvement de report de la population en périphérie et de concentration de l’emploi en ville est à l’origine de trajets domicile-travail massifs. (…)

Le phénomène de péri-urbanisation n’a pas épargné la Picardie.

Déjà sous-dimensionnés au regard de l’armature urbaine des autres régions françaises, les pôles urbains picards ont eu beaucoup de peine à polariser la population régionale, une bonne part de celle-ci ayant choisi de s’installer à la campagne s’obligeant à des trajets domicile-travail de plus en plus longs.

Si on intègre les résultats provisoires du recensement de 2006 fournis par l’INSEE, dans le secteur d’Amiens, ce sont désormais les communes les plus éloignées de tout centre urbain (ce que certains sont tentés d’appeler le « rural profond »), celles situées à 25-30 km de ce pôle urbain qui sont les plus dynamiques. »

Quand on lit ces lignes, on voit que le développement urbain gangrène les campagnes et que les emplois se trouvent loin : on ne peut pas faire pire au plan écologique. On pollue, on détruit la Nature, le cadre de vie se bétonise et la culture se trouve dispersée, atomisée, inaccessible…

La particularité de la Picardie, c’est de ne pas avoir de vraies grandes villes pour drainer d’un côté, bloquer de l’autre, ce qui fait que ce n’est même plus un phénomène de péri-urbanisation qui se déroule, mais encore pire : d’urbanisme diffus !

Voici ce que constate un document du Ministère de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement analysant justement cet aspect. Ce qu’on lit aide vraiment à comprendre la situation et le document fournit plein d’informations.

« La recherche proposée est fondée sur une hypothèse centrale : une partie des territoires picards actuellement qualifiés de « périurbains », relève d’une ou plusieurs figures territoriales que nous qualifierons « d’urbain diffus ». (…)

L’émergence d’une périurbanisation ordinaire autour des grandes villes picardes, visible dans la confrontation entre la carte lumineuse de 1975 et celle de 2008, traduit un mouvement d’étalement par contiguïté. Les agglomérations d’Amiens, de Beauvais, et de Saint-Quentin se diffusent vers des communes périphériques, à dominante résidentielle, qui connaissent des dynamiques démographiques fortes et se développent sur le modèle de la tâche d’huile. L’espace bâti y est quas iexclusivement réservé aux activités résidentielles.

La constitution d’un espace métropolisé toute la frange sud de l’Oise, dégagé de l’analyse de l’occupation humaine, s’inscrit également dans cette dynamique d’étalement par contiguïté. Le développement résidentiel et économique de ces urbains diffus s’explique principalement par leur proximité à l’Ile-de-France, véritable ville-centre pour ces territoires-relais.

Les prix du foncier et le solide réseau de transports vers la région capitale expliquent le renforcement de la dynamique résidentielle ancienne. Le desserrement de l’activité francilienne concrétise l’élan économique.

D’après l’INSEE, l’aire urbaine de Paris englobe désormais la totalité du Pays de Valois et des abords du Creillois. La part des nouveaux habitants provenant de l’Ile-de-France y est de 60%.

Elle s’est également étendue de l’Oise vers l’est, dans l’Aisne, et touche désormais Soissons et Villers-Cotterêts. La dynamique est telle que certains « urbains diffus » de 1850 sont aujourd’hui devenus de véritables pôles urbains.

La médiane qui traverse la Picardie d’est en ouest, zone d’interface centrale, semble être sous l’influence de plusieurs moteurs : l’extension des dynamiques franciliennes et rémoises (étalement par contiguïté) ainsi que des impulsions internes (croissance endogène).

Alors que certaines zones diffuses entre Laon et Soissons connaissent aujourd’hui des dynamiques résidentielles importantes, dues à la proximité de Reims, certains territoires sont également influencés par les communes multipolarisées de cette zone, formant un maillage de villes et de bourgs forts, reliés par un réseau viaire solide. Depuis 2000, ces territoires multipolarisés prennent de l’ampleur et impulsent une dynamique d’urbanisation aux urbains diffus attenants. »

Et à l’intérieur de la périphérie, on a la périphérie, comme ici.

« Le long de l’estuaire de la Somme, de Saint-Valéry-sur-Somme jusqu’au périurbain amiénois, l’urbain diffus semble influencé par une dynamique littorale importante.

La carte de l’occupation de l’espace de 1911 met en avant l’apparition d’une poche humaine sur la côte littorale, concomitante avec le développement de stations balnéaires, pendant « la belle époque ».

Ce développement résidentiel traduit la diffusion par connexité de ce territoire, tourné vers une spécialisation touristique. »

« Si le sud de l’Aisne est désormais touché par l’extension de l’aire urbaine de Paris, les urbains diffus du nord du département sont poussés par un développement quasi-autonome, entretenant peu de liens avec les territoires voisins.

La faiblesse des navettes domicile-travail entre la Thiérache et ses voisins illustre un fonctionnement économique quasi-autonome.

Cette affirmation doit être nuancée car le taux de chômage y est élevé. Plus que d’un développement autonome, il faudrait ici parler d’un territoire à la recherche de moteurs. »

Quand on voit cela, on comprend tout de suite que le projet de libération de la Terre, de protection de la Nature, va de pair avec une remise en cause des tendances actuelles qui poussent les humains à connaître une vie quotidienne éloignée à la fois de la nature et de la culture…

Les humains le sentent bien, en Picardie on sait que le malaise est profond… et le désarroi ne disparaîtra que quand il y aura conscience de la nécessité de se tourner vers la Nature, d’organiser la société non pas contre elle mais avec elle, en abandonnant les règles et principes fondés sur le profit.