Tribune au sujet du projet « Europa City »

Voici un document très intéressant et important, au sujet du projet « Europa City », une initiative capitaliste de type pharaonique qui est ici bien présentée de manière paradoxale par un élu des Républicains, un parti soutenant pourtant entièrement ce type de démarche…

Il a été publié initialement en tant que tribune dans Libération.

Europa City : quand les galeries marchandes remplacent les terres agricoles

A quelques kilomètres de Paris, la filiale immobilière du Groupe Auchan a jeté son dévolu sur 300 hectares de terres agricoles où l’on cultive le blé, le colza, le maïs et la betterave afin d’y construire Europa City, un complexe à la fois gigantesque, démesuré et contre-nature.

En Ile-de-France, entre l’aéroport du Bourget et l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle, on s’apprête à détruire, dans le silence le plus total, 300 hectares de terres agricoles parmi les plus fertiles de France. Cela se passera sur le «triangle de Gonesse», à moins de 7 kilomètres du Parc des Expositions de Paris-Le Bourget où fut signé, à l’issue de la COP21, l’accord de Paris sur le climat.

La filiale immobilière du Groupe Auchan a en effet jeté son dévolu sur ce terrain où l’on cultive aujourd’hui le blé, le colza, le maïs et la betterave afin d’y construire Europa City, un complexe à la fois gigantesque, démesuré et contre-nature.

Europa City, dont l’ouverture est envisagée entre 2021 et 2024, est un équipement qui nécessitera au minimum deux milliards d’euros d’investissement privé et près d’un milliard d’euros d’investissement public. Il s’agit d’y bâtir 230 000 m2 de galeries marchandes, 50 000 m2 de parc d’attractions, 2 700 chambres d’hôtel, un parc aquatique de 20 000 m2, une piste de ski, un cirque, un auditorium et plusieurs salles de spectacle.

Les terres agricoles du triangle de Gonesse accueilleraient ainsi d’ici quelques années plus de 30 millions de visiteurs par an, soit deux fois plus que Disneyland Paris.

Néfaste à plusieurs titres, ce projet constituerait d’abord une véritable catastrophe écologique s’il voyait le jour, puisqu’on ne peut construire Europa City sans détruire en même temps des sols qui ont atteint des niveaux de fertilité exceptionnels.

Selon les termes de Michel Isambert, pédologue retraité de l’INRA, «les sols couvrant la zone du triangle de Gonesse se sont développés pour l’essentiel dans des dépôts limoneux éoliens épais de plusieurs mètres.

Ils sont faciles à travailler, à forte réserve en eau accessible aux racines des cultures annuelles et assurent des récoltes abondantes».

C’est en définitive un véritable trésor que le groupe Auchan s’apprête à détruire de façon irréversible, un trésor lentement constitué à la suite de phénomènes géologiques et climatiques exceptionnels.

Si encore ce projet n’était porté que par une société privée, prête à détruire une partie du patrimoine de l’humanité pour assurer son développement de court terme, on pourrait aisément lui opposer avec force la poursuite de l’intérêt général.

Mais la puissance publique, sans doute par naïveté, prête avec zèle son concours à ce projet contre-nature. Ce faisant, elle contrevient de manière totalement irresponsable à l’article 6 de la charte de l’environnement qui dispose que «les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable».

Car le groupe Auchan dispose en réalité d’un véritable bras armé public, l’Etablissement Public d’Aménagement (EPA) Plaine de France, situé à la fois sur le département de la Seine-Saint-Denis et sur celui du Val-d’Oise et qui est chargé, par l’Etat, de procéder à toutes les opérations nécessaires à la réalisation du projet.

Le groupe Auchan dispose également de relais importants auprès des élus locaux, notamment dans le département du Val d’Oise.

Ces derniers, alléchés par les promesses d’emploi formulées par les porteurs du projet, sont prêts à toutes les concessions et n’hésitent pas, pour certains, à se transformer en véritables représentants de commerce au service de la famille Mulliez, propriétaire du groupe Auchan.

La ficelle est grosse et le procédé, en plus d’être malhonnête, est pour le moins détestable. En effet, les thuriféraires d’Europa City n’hésitent pas à faire miroiter la création de 17 000 emplois à des maires de communes où le taux de chômage est sensiblement plus élevé que dans le reste de l’Ile de France.

Europa City serait en quelque sorte la chance ultime d’un territoire économiquement dévasté : le chantage à l’emploi est ici à peine masqué.

Mais les promesses ne seront pas tenues. Sur les 17 000 emplois projetés on additionne en réalité des emplois qui correspondent à différentes phases du projet, de la construction à l’exploitation. En somme, on agrège artificiellement des emplois qui ne font que se succéder.

Par ailleurs, les métiers qui seraient proposés par Europa City correspondent à des métiers dits «en tension», sur lesquels il est déjà très difficile de recruter. Europa City ne créera pas d’emplois, il se contentera d’en déplacer.

Enfin, si les créations d’emplois sont pour le moins incertaines, les destructions d’emplois seront, elles, bien réelles.

Dans le contexte bien connu de l’hyperinflation des grands complexes commerciaux en France, les galeries marchandes déjà sur place, et qui peinent à attirer plus de la moitié du trafic projeté au moment de leur création, seraient vouées à une mort certaine.

Au moment où le débat public commence, il convient d’appeler nos concitoyens à la plus grande vigilance car nous ne voulons pas que les promesses d’aujourd’hui produisent les déceptions de demain. Nous appelons à la mobilisation citoyenne car nous croyons fermement que l’avenir et l’existence même de l’humanité sont indissociables de son milieu naturel.

Vijay Monany Conseiller Départemental (LR) de la Seine-Saint-Denis