État de fiabilité « inacceptable » des diesels de secours des centrales nucléaires

L’information révélée au sujet de la fiabilité des diesels de secours des centrales nucléaires fait froid dans le dos. Pas seulement de par la remise en question, justement, de leur fiabilité, mais parce que si une telle chose est possible, c’est qu’à l’arrière-plan, la sécurisation complète et absolue du parc nucléaire se révèle être une supercherie…

C’est le Journal de l’énergie qui a révélé le problème, en expliquant notamment :

Entre juillet 2012 et décembre 2014, EDF a jugé « dégradé » l’état de ses diesels de secours. L’évaluation négative de la fiabilité des diesels repose sur plusieurs centaines de bilans effectués sur les systèmes de secours des réacteurs.

Dans trois documents internes inédits publiés aujourd’hui par le Journal de l’énergie, EDF donne à voir une réalité différente de celle qu’il propose aux Français sur la sûreté des réacteurs français.

A des degrés divers, la très grande majorité des groupes électrogènes des réacteurs nucléaires posaient problème à cette période. Six cents anomalies « actives » étaient signalées sur les diesels de secours en mai 2014 et 458 en mars 2015.

Exemples d’anomalies « actives » : « De nombreux suintements ou fuites d’huile, d’air ou de carburant sur les circuits auxiliaires des Groupes Électrogènes dégradent la fiabilité d’ensemble », indiquent les bilans mi-2012-2013 et 2014 d’EDF. Ces bilans précisent aussi que la majorité des incidents de sûreté sur les diesels « a pour origine des causes de Facteur Humain ». C’est-à-dire qu’ils découlent d’erreurs humaines. (…)

EDF présente le bilan 2014 de « l’état de santé » des groupes électrogènes (dénommés LHG, LHH, LHP, LHQ) de chaque réacteur français (« une tranche », dans le jargon d’EDF) dans un tableau intitulé « Evaluation de la fiabilité des systèmes ».

L’évaluation des deux diesels de secours de chaque réacteur est classée selon son état de santé : « État correct » en vert, « État à surveiller » en blanc, « État dégradé » en jaune et « État inacceptable » en rouge. Les bilans sont répartis sur les quatre trimestres de l’année 2014.

Les cases vides indiquent les diesels pour lesquels il n’y a pas eu de bilan dans l’année.

Dans chaque case une note déterminée par de nombreux paramètres est attribuée aux systèmes de secours des réacteurs. Parmi ces paramètres : l’état des moteurs, la vétusté des pièces, l’historique des pannes, les anomalies non résolues et la disponibilité des diesels. (…)

Le classement d’EDF est édifiant. Aucun bilan effectué sur les diesels de secours en 2014 des réacteurs français n’est classé en « État correct ». Tous les bilans des diesels de secours posaient problème en 2014.

Ces systèmes de secours sont tous classés : « État à surveiller », « État dégradé » et « État inacceptable ». L’évaluation globale des groupes électrogènes de secours basée sur la moyenne de 205 bilans réalisés en 2014 est mauvaise. « L’état de ces systèmes sur le parc [nucléaire, ndlr] est donc « dégradé » », indique le document d’EDF.

La majorité des bilans des diesels sont soit classés en « État dégradé » (43,9 %), soit en « État inacceptable » (13,2 %). Dans la synthèse du document, EDF en déduit pourtant que « la fiabilité globale de ces systèmes est considérée à l’état « à surveiller ». (…)

Si les deux diesels de secours de chaque réacteur venaient à tomber en panne, un groupe électrogène diesel « d’ultime secours » ou une turbine à combustion (selon le site) est à la disposition de tous les réacteurs de la centrale. Mais ces « secours des secours » rencontrent également des problèmes importants de fiabilité.

Dans une note interne d’EDF intitulée « AP 913 – BILAN SYSTEME LHT 2014 » datée de juillet 2014, EDF fait le bilan de ces matériels sur les années 2012 et 2013.

Les bilans des groupes électrogènes « d’ultime secours » sont majoritairement classés par EDF dans « État à surveiller » (48,7 %) et « État dégradé » (40,5 %). Seuls 2,7 % des bilans sont classés dans « État correct ». « L’état du système sur le parc [nucléaire, ndlr] est donc « à surveiller », indique le bilan des diesels « d’ultime secours ».

Les bilans des turbines à combustion sont encore moins bons. Le plus grand nombre est classé dans « État dégradé » (45,6 %) et « État inacceptable » (21,6 %). 3,5 % des bilans atteignent l’« État correct ».

Voici ce que dit notamment Sortir du nucléaire à ce sujet :

Parmi les centrales les plus touchées, tous les générateurs de secours de Paluel (Seine-Maritime) présentaient pendant plusieurs trimestres un état de fiabilité « inacceptable », ainsi qu’une partie de ceux de Flamanville (Manche) et de Gravelines (Nord). Au dernier trimestre 2014, les diesels du réacteur 1 de Fessenheim étaient également dans un état de fiabilité « inacceptable ».

Ce constat est grave : ce sont ces générateurs qui, en cas de défaut d’alimentation électrique (en cas d’accident, séisme, mise à mal du réseau électrique…) sont censés fournir le courant nécessaire pour, pendant 15 jours, assurer les fonctions vitales de la centrale, dont le refroidissement du combustible nucléaire. À Fukushima, ces diesels avaient étés noyés et la fusion du coeur s’en était suivie en quelques heures.

Le gouvernement doit cesser de cautionner le comportement irresponsable d’EDF !

Il apparaît dans ces documents que la dégradation de ces moteurs diesels résulte de nombreux facteurs : vieillissement et obsolescence accélérée – un fait sur lequel le Réseau « Sortir du nucléaire » avait déjà alerté en 2011 – mais aussi erreurs humaines et maintenance insuffisante.

Pour réduire son manque à gagner lié aux arrêts de réacteurs pour maintenance, EDF aurait donc fait des impasses sur l’entretien d’équipements de sûreté indispensables ?

Que penser des dispositifs post-Fukushima tant vantés par EDF si l’entreprise ne peut même pas compter sur la disponibilité de ses équipements de secours les plus importants ? Il est dans tous les cas irresponsable qu’EDF prétende allonger la durée de fonctionnement de ses centrales alors qu’elle est déjà incapable d’assurer le bon fonctionnement de ces diesels.

Pourquoi faut-il attendre une fuite dans la presse pour que ces informations soient connues ? Quant à l’Autorité de sûreté nucléaire, pourquoi n’est-elle pas informée de ces données et pourquoi n’intervient-elle pas ? Devant une telle situation d’insécurité, l’ASN doit exiger d’EDF la mise à l’arrêt immédiat de tous les réacteurs aux systèmes de secours défaillants.

Le Réseau « Sortir du nucléaire », qui étudie la possibilité d’action en justice, interpelle Ségolène Royal. Il est inacceptable que se poursuive la complaisance envers une entreprise qui met en danger les Français et dissimule de telles informations sur l’état de dégradation de ses équipements.

Cet exemple de dégradation des installations conforte la nécessité de l’arrêt des réacteurs vieillissants, à commencer par ceux qui ont dépassé leur durée de fonctionnement initialement assignée.