L’importance de l’entourage pour lutter contre la dépendance

Le retour musical de Renaud a largement occupé les médias, qui ont beaucoup insisté sur sa bataille contre l’alcool. Lui-même a largement expliqué dans quel état terrible et dans quelle errance il était, le résumant de la manière suivante dans La Provence :

Ivrogne que j’étais, zombie, titubant, trébuchant, bafouillant, vomissant…

Auguste Charrier, président d’Alcool Assistance, a publié une tribune très importante dans le Nouvel Observateur, expliquant l’importance de l’entourage dans le combat d’une personne face à la dépendance… Une lutte qui dure toute une vie.

Renaud annonce qu’il ne boit plus : alcoolo-dépendant, je suis passé par là

J’ai toujours bien aimé les textes de Renaud mais je n’ai jamais été un fan pour autant. Pourtant, depuis que je sais qu’il souffre d’alcoolisme, j’ai un élan de solidarité naturel envers lui. Car moi aussi, je suis passé par là.

Nous, les alcoolo-dépendants, nous sommes tous liés humainement par un fil invisible. Et c’est tant mieux, parce que s’il y a bien une chose à ne pas faire lorsque l’on est alcoolique, c’est penser que l’on peut s’en sortir seul. Ça a été mon erreur, et je l’ai payé cher.

Je buvais pour supporter les railleries au collège

Je suis sobre depuis près de 40 ans. J’ai commencé à boire jeune, vers 13 ans. Et j’ai aussi eu la chance de m’arrêter jeune, à 26 ans.

Je viens du milieu ouvrier et mes parents m’ont offert une éducation « à l’ancienne ». Chez nous, quand on mettait la table, on posait les couverts en premier et le vin avec.

Au début, c’était pour goûter, puis je me suis rapidement rendu compte des effets bénéfiques de l’alcool. Je buvais seulement un demi-verre de vin rouge mais cela m’aidait à affronter les regards moqueurs de mes camarades de classe.

Au collège, les enfants sont cruels et comme j’avais quelques kilos en trop, ils ne me loupaient pas. Mais grâce à l’alcool, j’arrivais à passer au-dessus des remarques, à avoir de la répartie et à me faire des amis.

Finalement, l’alcool a été pour nous, les alcoolos-dépendants, un outil fabuleux. Boire ou prendre de la drogue, c’est finalement trouver une solution à un problème. Cette solution est malheureusement éphémère et dangereuse puisqu’un jour, on se rend compte que le piège s’est refermé sur nous et que la solution est devenue le plus gros problème.

C’est ce qui m’est arrivé au milieu de ma vingtaine. J’étais cadre, mari et papa, j’avais tout pour être heureux mais j’avais un problème avec l’alcool.

En seulement un an, j’ai perdu mon travail et la confiance des miens, j’étais presque à la rue. La chute était vertigineuse. C’est fou à quel point l’on peut tout perdre si rapidement dans un effet boule de neige.

Un jour, alors que je devais boire régulièrement pour ne pas trembler, j’ai croisé un oncle qui m’a proposé de l’aide. Je l’ai d’abord envoyé bouler. Je voyais dans sa proposition un signe de ma faiblesse. Je pensais qu’il me prenait pour un nul et je ne supportais pas ce regard sur moi.

Mon égo sous le bras, j’ai entrepris de me soigner tout seul. Après tout, j’avais bu tout seul donc je pouvais bien arrêter seul. Grosse erreur.

Je l’ai payé cher, cet égo. En me sevrant tout seul, j’ai fait un délirium tremens. J’ai donc eu des phases d’hallucination, où je voyais des meubles bouger et parler, suivi d’une phase de lucidité qui rendait les épisodes délirants extrêmement angoissants. Je n’avais pas du tout prévu cette conséquence neurologique sévère lié au syndrome de sevrage d’alcool.

Quand ça vous arrive, pas besoin d’avoir fait médecine pour savoir que le seul moyen d’aller mieux, c’est de boire de l alcool. Je me suis donc retrouvé face à un dilemme : boire et échouer, mais ne pas devenir fou, ou bien lutter, mais prendre le risque de quitter terre. Je me suis alors souvenu des mots de mon oncle et je l’ai appelé.

Il a tout de suite compris que j’avais besoin d’aide. À cette époque, le choix était restreint : c’était soit la psychiatrie soit le service gastro à l’hôpital. Vu mes hallucinations, le choix fût vite fait.

Arrivé dans l’hôpital psychiatrique, j’ai eu un choc. Je me suis dit que je ne pouvais pas finir ici, pas à 26 ans. Pour que ce lieu ne devienne pas ma résidence principale, j’ai lutté mais j’ai surtout accepté de l’aide.

Lorsque l’on boit ou que l’on se drogue, c’est pour mieux taire ce que l’on ne peut dire. C’est une manière d’encaisser en retardant le moment de passer à la caisse émotionnelle. C’est pour ça qu’il faut mettre des mots sur sa souffrance et sur ses traumatismes : pour les digérer.

À l’hôpital, j’ai rencontré un homme, il faisait partie de la fédération nationale Alcool Assistance, qui s’appelait à l’époque La Croix d’Or. Il m’a beaucoup aidé à parler. Il m’a écouté, sans jamais me faire culpabiliser ou me faire me sentir plus bas que terre.

Je me souviens encore, lorsque j’avais fini mon rendez-vous avec lui, je le regardais partir à travers les barreaux de l’hôpital psychiatrique. Je me disais alors :

« Si un jour je lui arrive à la cheville, c’est que j’aurais réussi quelque chose. »

Je sentais au fond de moi l’envie de rejoindre Alcool Assistance, mais jamais je n’aurais pensé en devenir le président.

Lorsque vous tentez de sortir de l’alcoolisme, les jours passent et il est important de les compter. C’est un signe très encourageant d’entendre Renaud dire qu’il est sobre depuis 108 jours. Cela veut dire qu’il a dépassé la phase de l’addiction physique mais qu’il se bat encore avec la phase psychologique.

Selon moi, chaque jour est une marche et il est utile de s’arrêter à certains étages pour reprendre son souffle et se féliciter du chemin parcouru. C’est pour ça que ce système de jours et de jetons gagnés est une très bonne idée.

Lorsque l’on veut battre une addiction, il faut se fixer des objectifs réalisables. Compter ses jours d’abstinence, c’est un moyen de regarder vers l’avenir, de s’encourager et puis de se féliciter. Pour d’autres, ce sera retrouver un aspect extérieur plus attrayant ou bien retrouver sa famille dont on ne pouvait plus profiter à cause de la maladie.

Cette histoire de jours permet aussi de montrer aux autres que l’on avance. Ce qui est très important. Lorsque vous avez un cancer, les gens vous demandent comment vous allez. Lorsque vous êtes alcoolique, c’est un peu plus délicat. Ils n’osent pas. Le sujet met mal à l’aise. C’est un moyen de contrer ce problème de considération et de reconnaissance sociale.

Depuis mes 26 ans, je n’ai pas rebu une seule goutte d’alcool. J’en ai aujourd’hui 66 et pourtant, je reste toujours vigilant. C’est aussi ce conseil que je donnerais à Renaud : accepter l’aide des autres, s’entourer mais surtout, rester sur ses gardes.

Oui, ne pas avoir consommé pendant 108 jours est énorme mais il ne faut cependant pas se sentir infaillible. On reste toujours un peu plus fragile que les autres. D’ailleurs, les alcooliques sont souvent de grands sensibles que les circonstances extérieures peuvent vite ébranler.

Je ne sais pas si j’aurai un jour la chance de rencontrer Renaud mais, en tout cas, maintenant que je suis au courant de son combat, je ne laisserai plus personne en dire du mal. Je me sens un devoir naturel de le protéger.

Si, au hasard d’une conversation, quelqu’un me dit que « quand même Renaud, il avait mauvaise mine » ou « qu’il tremblait un peu le pauvre », je répondrais que cet homme vit une période de sa vie extrêmement douloureuse et inimaginable pour quiconque ne l’a pas vécue.

Mais moi, je l’ai vécue et je tends la main à Renaud, je la tends à tous les alcoolos-dépendants. Et surtout, j’y crois. Je crois en son rétablissement. Il n’y a pas d’âge pour guérir de l’alcoolisme et il est toujours temps !