« Ne tourmente pas la fourmi (…), car elle vit, et la vie est chose douce »

Saadi est un poète persan du 13e siècle très connu pour ses poèmes pour les roses.  Voici un passage d’un de ses écrits, tiré de « Boustan » c’est-à-dire « Le verger ». Il s’agit d’un petit conte philosophique où il faut saisir la morale, comme chez La Fontaine.

La fourmi.

Ecoute ce beau trait de la vie des saints et que le ciel te permette de marcher sur leurs traces !

Schibli [c’est-à-dire le dévotDjafar ben Younès] portait au village un sac de froment qu’il avait acheté au marchand de grains ; il trouva dans le blé une fourmi qui courait çà et là éperdue.

La pitié l’empêcha de dormir cette nuit-là et il se hâta de reporter l’insecte à sa première demeure, en se disant qu’il serait cruel de l’en tenir éloignée.

— Console, toi aussi, les cœurs affligés, si tu veux obtenir les consolations de la fortune. Qu’elles sont belles ces paroles de l’illustre Firdausi (que la clémence divine descende sur sa tombe !)

«Ne tourmente pas la fourmi qui charrie son grain de blé, car elle vit, et la vie est chose douce. »

Il n’y a qu’un cœur inhumain et noir qui puisse nuire à une fourmi; ne fais pas peser lourde ment ta main sur la tête des faibles, dans la crainte que l’injustice ne t’écrase aussi comme une fourmi.

La bougie a été sans pitié pour le papillon, vois comme elle se consume en jetant ses feux sur l’assemblée.

Beaucoup sont plus faibles que toi, j’en conviens, mais beaucoup aussi te sont supérieurs par leur puissance.

— Sois généreux, ô mon fils; on captive la bête féroce par des chaînes de fer et l’homme par des bienfaits. Retiens ton ennemi dans les liens de la reconnaissance, ces liens que l’épée ne peut trancher; vaincu par ta généreuse bonté, il renoncera à ses projets de vengeance.

Mauvaise graine ne peut donner de bons fruits. L’ami qui a à se plaindre de toi s’enfuit avec horreur (littéralement : ne peut plus te voir en peinture) ; mais, au contraire, un ennemi à qui tu rends service finit par devenir ton ami dévoué.

Voici le passage du vers cité de Ferdowsî, le poète national perse ayant vécu à la fin du 10ème siècle, tiré du Livre de Feridoun et de Minoutchehr, Rois de Perse, d’après le Shah-Nameh :

Tour écouta toutes ces paroles, mais il n’y fit aucune attention. Il n’approuva pas ce discours, et l’esprit de paix d’Iredj ne le satisfit pas. Il se leva de son siège en colère, il lui répondit en bondissant à chaque parole.

Tout à coup il quitta la place où il avait été assis, il prit avec sa main son lourd siège d’or, et en frappa la tête du roi, maître de la cou- ronne, qui lui demanda grâce pour sa vie, en disant : « N’as-tu aucune crainte de Dieu, aucune pitié de ton père ?

Est-ce ainsi qu’est ta volonté ? Ne me tue pas, car à la fin Dieu te livrera à la torture pour prix de mon sang. Ne te fais pas assassin, car, de ce jour, tu ne verras plus trace de moi. Approuves-tu donc, et peux-tu concilier ces deux choses, que tu aies reçu la vie, et que tu l’enlèves à un autre ?

Ne fais pas de mal à une fourmi qui traîne un grain de blé ; car elle a une vie, et la douce vie est un bien. Je me contenterai d’un coin de ce monde, où je gagnerai ma vie par le travail de mes mains.

Pourquoi t’es-tu ceint pour le meurtre de ton frère ? Pourquoi veux-tu brûler le cœur de ton vieux père ? Tu as désiré la possession du monde, tu l’as obtenu ; ne verse pas de sang, ne te révolte pas contre Dieu, le maître de l’univers. »

La Perse est toujours d’une richesse incroyable en ce qui concerne le rapport historique à la Nature, les arbres ayant même des « esprits ». Au-delà du mysticisme, il y a un vrai lien avec la Nature qu’il est intéressant de découvrir.