Isaac Asimov: Gaïa et Galaxia

Rien ne serait plus faux de penser que les utopies appartiennent au passé. Bien au contraire, elles se développent selon les besoins de l’humanité, car l’imagination ne tombe pas du ciel, mais reflète les possibilités.

Il y a ainsi vraiment lieu de s’intéresser à Isaac Asimov et à son utopie qu’est Gaïa / Galaxia. Cette utopie est le point culminant de l’ensemble des romans de science-fiction d’Asimov, ce dernier gagnant en 1966 le prix Hugo de « la meilleure série de tous les temps » (Hugo Gernsback étant le rédacteur de la première revue consacrée à la science-fiction.

En France, Isaac Asimov est surtout connu pour son travail d’anticipation sur ce que pourraient être les robots dans le futur, et quel rapport les humains auraient avec eux (les fameuses « lois de la robotique »), surtout que ceux-ci s’humanisent.

Isaac Asimov a cherché à comprendre quelle évolution aurait l’humanité. Il a ainsi imaginé le futur, et au bout de cette évolution, après que le grand Empire regroupant toutes les planètes se soit effondré, il y a plusieurs options possibles. Mais celle qui apparaît comme la meilleure est Gaïa.

Sur la planète en question, tout est relié. Voici un extrait, au moment où le principe est expliqué pour la première fois. La personne répond à la question de savoir qui est Gaïa:

« Il dit enfin: « Vous?

-Oui, moi. Et le sol. Et les arbres. Et ce lapin là-bas, dans l’herbe. Et l’homme que vous apercevez à travers les arbres. Toute la planète et tout ce qu’elle abrite est Gaïa. Nous sommes tous des individus – des organismes séparés – mais nous partageons tous une même conscience globale.

La planète inanimée y contribue pour la plus faible part, les différentes formes de vie à des degrés divers, et les êtres humaisn pour la plus grande proportion – mais nous la partageons tous.

-Je crois », nota Pelorat à l’adresse de Trevize, « qu’elle veut dire que Gaïa est une sorte de conscience de groupe. »

Trevize opina. « Je me doutais de quelque chose comme cela… Dans ce cas, Joie, qui dirige ce monde?

-Il se dirige tout seul. Ces arbres poussent en rangs bien alignés de leur propre initiative. Ils se multiplient juste assez pour assurer le renouvellement de ceux qui pour quelques raisons meurent. Les êtres humains récoltent les pommes dont ils ont besoin; les autres animaux, y compris les insectes, mangent leur part – et seulement leur part.

-Les insectes savent quelle est leur juste part, c’est ça? dit Trevize.

-Oui… en un sens. Il pleut quand c’est nécessaire et il arrive même qu’il pleuve à verse quand c’est une averse qui est nécessaire – tout comme il peut y avoir aussi une période de sécheresse, si c’est de la sécheresse qu’il faut…

-Et la pluie sait ce qu’elle a à faire, pas vrai?
-Oui, absolument », fit Joie, imperturbable. »

Bien entendu, il y a une part de naïveté, toutefois une telle démarche même littéraire ne tombe pas du ciel. Elle est le fruit d’un questionnement, non pas seulement d’Asimov, mais de l’humanité entière.

Ce qu’il y a derrière l’art, c’est la découverte pour ainsi dire de notre planète, du fait qu’elle existe à part entière, qu’elle a une identité. Plus l’humanité à conscience de la Terre, plus cela se reflète dans les idées et dans l’art.

De manière très intéressante pour nous également, la question du véganisme est posée. La réponse est différente de dans « Demain les chiens », où tous les animaux deviennent vegans. Mais elle est très intéressante de par son questionnement.

Voici un extrait concernant cet aspect:

« Puisque toute chose sur Gaïa participe de la même conscience de ce groupe, comment se fait-il que vous, un élément de ce groupe, puissiez manger ceci, qui en est manifestement un autre élément?

-C’est vrai! Mais toute chose se recycle. Il faut bien se nourrir, et tout ce qu’on peut manger, plante ou animal, et même les sels minéraux, fait partie de Gaïa. Mais là, voyez-vous, on ne tue jamais par plaisir ou par sport, et on ne tue jamais en infligeant des souffrances inutiles. »

De manière très intéressante également, on découvre que les Gaïens acceptent la mort. La mort fait partie de la vie, et la vie continue justement. Quand on meurt, le corps en décomposition est récupéré par la planète. Voici ici l’extrait en question:

« Et puis, d’ailleurs, ce qui est mangé continue malgré tout à faire partie de la conscience planétaire: à partir du moment où tous ces éléments sont incorporés dans notre organisme, ils participent dans une plus large mesure à la conscience totale. Quand je mourrai, moi aussi je serai dévoré – ne serait-ce que par les bactéries – et je participerai, pour une part bien plus réduite, à ce tout. Mais un jour viendra où des fragments de moi deviendront des fragments d’autres êtres humains. De quantité d’autres humains. (…)

-Mais, dit Trevize, votre conscience individuelle – ce je ne sais quoi qui fait que vous êtes Dom – cette conscience ne sera plus jamais réassemblée?

-Non, bien sûr que non. Mais quelle importance? Je serai toujours partie intégrante de Gaïa et c’est cela seul qui compte. »

L’oeuvre d’Isaac Asimov est donc riche en questionnement. Surtout, la colonisation d’autres planètes permet de remettre en avant la Terre elle-même. Dans les romans d’Asimov (qui forment des cycles unis) celle-ci est la planète d’origine, elle est devenue un mythe, elle a de nouveau de la valeur. Inversement, la planète appelée Gaïa est une sorte d’utopie, ce que la Terre aurait dû être si elle n’avait pas été massacrée par les technologies.

Asimov pousse même l’utopie à expliquer que Gaïa deviendra Galaxia, c’est là par contre un prolongement créatif et imaginaire. Mais la question de Gaïa est posée. Et désormais, elle ne cessera plus de l’être.