Les vertébrés et l’anéantissement biologique par la sixième extinction de masse

Les médias se sont fait largement l’écho ces derniers jours d’une étude publiée dans les Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America (PNAS), c’est-à-dire les Comptes-rendus de l’Académie nationale des sciences des États-Unis d’Amérique.

Le titre de cette étude scientifique a d’ailleurs le mérite de la clarté :

« L’anéantissement biologique par la sixième extinction de masse signalée par les pertes et les déclins de la population de vertébrés »

Pour ce faire, les trois scientifiques à l’origine de l’article ont utilisé les données concernant 27600 vertébrés terrestres, en particulier 177 mammifères.

Cependant, les médias n’ont pas compris, naturellement, le réel message que les auteurs de l’article ont voulu faire passer. En fait, l’article va dans le sens d’une reconnaissance de la planète comme un ensemble organisé, et non pas comme un lieu où des espèces coexistent de différentes manières.

Les auteurs ont, en effet, modifié l’axe traditionnel d’étude. Au lieu de raisonner en termes d’espèces disparaissant, ce qui correspond au principe de la « sélection naturelle » censée prédominer dans la Nature, les auteurs ont tenté d’avoir une vue d’ensemble.

Et là, forcément, ils s’aperçoivent que l’effondrement est général. Il n’est donc pas juste de se focaliser sur certaines espèces comme si on s’intéressait à des individus séparés, il faut bien regarder la planète comme un système, où tout est lié.

A la vision de « l’individu », ils ont opposé un raisonnement en termes d’ensemble, de système.

Ils expliquent ainsi, tout à fait dans la logique qui fait que nous parlons de « Gaïa » pour bien symboliser que la Terre est un seul organisme général :

« En somme, en perdant des populations (et des espèces) de vertébrés, nous perdons des réseaux écologiques complexes impliquant les animaux, les plantes et les microorganismes.

Nous perdons également des réservoirs d’informations génétiques qui peuvent se montrer vitaux pour les ajustements et la survie évolutionnaire des espèces, dans un environnement général changeant rapidement.

Cela suggère que, même s’il n’y avait pas d’ample signe que la crise s’étend bien au-delà de ce groupe d’animaux, la défaunation planétaire actuelle des vertébrés va elle-même amener des effets catastrophiques en cascade sur les écosystèmes, aggravant l’anéantissement de la nature.

Ainsi, alors que la biosphère subit une extinction en masse d’espèces, elle est également ravagée par une vague bien plus sérieuse et rapide de déclins et d’extinction de population.

De par leur combinaison, ces assauts causent une vaste réduction de la faune et de la flore de notre planète.

L’anéantissement biologique qui en résulte aura évidemment de sérieuses conséquences écologiques, économiques et sociales. L’humanité paiera un prix très haut pour avoir décimé l’unique assemblage de vie que nous connaissons dans l’univers. »

On ne trouve rien de cela dans les médias, bien sûr. Comme d’habitude, malheureusement, l’écho d’une étude sérieuse est déformé, mal compris, donnant un mélange de sensationnalisme et de relativisme. Prenons un simple exemple ici, pour montrer l’ampleur du problème.

Dans Le Monde, un quotidien on ne peut plus sérieux, un article est consacré à cette étude (encore par Audrey Garric!) et on y lit :

« l’opinion publique peine à mesurer la gravité du phénomène à l’œuvre (deux espèces disparaissent chaque année, ce qui paraît faible, surtout quand ces dernières sont peu connues ou peu répandues) »

Or, il ne s’agit pas de deux espèces en général disparaissant par an, mais de deux espèces de vertébrés. Pourquoi cette précision est-elle importante ? Parce qu’il existe environ 45000 espèces de vertébrés, mais pas moins de 990 000 espèces d’invertébrés…

Qui sont, de par leur taille, leur mode d’existence, évidemment peu connues.  L’article scientifique du PNAS ne les oublie pas et ajoute à ce sujet des précisions, donnant comme estimation une menace d’extinction pour 42 % de 3623 espèces invertébrés terrestres et 25 % de 1306 espèces invertébrés marines.

De manière également très importante à nos yeux, on ne retrouve pas dans l’article du Monde le terme d’anthropocène, pourtant employé dans l’article scientifique. C’est un vrai souci, révélant un choix : celui de masquer le fait que c’est bien l’humanité qui est au cœur de la question de l’extinction.

Dernière remarque à ce sujet, on lit dans l’article du Monde :

« Les populations d’orangs-outans de Bornéo ont chuté de 25 % ces dix dernières années, pour atteindre 80 000 individus »

Ce qu’on lit ici est incompréhensible. Le document scientifique nous dit, en effet, qu’il y a désormais « moins de 5000 orang-outans de Bornéo et de Sumatra » !

L’article du Monde mentionne des chiffres d’il y a plus de dix ans, alors que les orang-outans disparaîtront de Bornéo dans les trois ans si rien n’est fait ! Une telle erreur est extrêmement grave.

Malheureusement, elle reflète un dédain véritable pour tout ce qui touche un engagement sincère, profond, authentique, entièrement au service des animaux.

Le ton général des articles publiés dans les médias est simpliste, s’appuyant sur un amer mélange de sensationnalisme, d’information, de pessimisme et de faux espoir.

Ce qu’on lit dans l’étude, pourtant, devrait amener à un engagement net, franc, pour la libération de la Terre, la défense de toute vie.

Les gens qui ont compris le véganisme ne devraient à ce titre pas raisonner en tant qu’individu, mais bien s’identifier à la planète…

Tout comme ils ne devraient pas se contenter de refuser de consommer personnellement ce qui relève de l’exploitation animale, mais bien partir en guerre pour sauver les animaux à l’échelle planétaire…

Car le constat des auteurs, que l’on devine bien, est formel :

« Nos données indiquent qu’au-delà des extinctions générales d’espèces, la Terre fait face à un épisode massif de déclins et d’extirpations de population, qui auront des conséquences négatives en cascade sur l’écosystème fonctionnant et rendant des services vitaux à la civilisation durable.

Nous décrivons cela comme un « anéantissement biologique », afin de souligner la magnitude actuelle de l’événement qu’est la sixième extinction majeure qui se déroule sur Terre ».

En clair, tout est lié et tout va en cascade. Il ne s’agit pas seulement de quelques espèces en particulier disparaissant, mais d’un effondrement général. On marche à l’anéantissement, comme en témoigne l’effondrement des populations de vertébrés à l’échelle mondiale.

Et quelles sont les raisons de cet anéantissement ? Il ne s’agit nullement uniquement du changement climatique. Ce sont les activités humaines, désordonnées et destructrices, expansionnistes et polluantes, qui provoquent la catastrophe.

L’étude dresse ce terrible panorama sur le déséquilibre planétaire :

« Dans les dernières décennies, la perte d’habitat, la surexploitation, les organismes invasifs, la pollution, la toxification, et plus récemment la perturbation climatique, tout comme l’interaction parmi ces facteurs, ont conduit à des déclins catastrophiques à la fois en nombre et en taille de populations à la fois des espèces vertébrés communes et rares. »

C’est un point important, au centre de l’étude sans doute, et c’est le point largement mentionné par les médias.

Ce qui a en effet frappé les auteurs de l’étude, c’est que les espèces de vertébrés non considérées comme « en danger » voient également leur population en déclin. Voici un tableau donnant la part, pour les espèces en déclin, de celles considérées comme en danger (en rouge) et celles non considérées comme en danger (en vert).

On remarquera que la situation est particulièrement sous-estimée pour les oiseaux.

Avant d’aborder d’autres points soulignés, regardons un aspect de la méthode. Les auteurs de l’article ont découpé le monde en 22 000 carrés de 10 000 km² : les graphiques suivent ce découpage.

Le graphique suivant montre par exemple le pourcentage du déclin de la population de 177 espèces de mammifères dans le monde. Il s’agit ainsi de l’extinction des populations des espèces, pas des espèces en tant que tel.

Voici un graphique plus général, présentant, pour la période 1900-2015, le pourcentage du déclin de la population des vertébrés, pour chaque continent. On constate un effondrement général.

Le graphique ci-dessous demande une explication un peu précise. Il s’agit à chaque fois d’un triptyque.

Tout à gauche est présentée la richesse des espèces en termes de diversité, le chiffre changeant selon les 22 000 carrés de 10 000 km² employés pour l’étude. Le chiffre indiqué indique le nombre d’espèces, la ligne horizontale représente une coordonnée planétaire : la latitude.

Au centre, on retrouve ce même tableau, mais uniquement avec les espèces concernées par un déclin de la population.

A droite, on a le pourcentage d’espèces en déclin par rapport au total.

On notera que le déclin de la population des mammifères et des oiseaux est similaire dans les régions riches en espèces différentes, comme dans les régions pauvres en espèces différentes.

Le graphique ci-dessous présente la distribution des espèces terrestres de vertébrés sur la planète.

Tout à gauche, on retrouve la richesse des espèces, leur diversité.

Au centre, le nombre d’espèces connaissant un déclin selon leur localisation.

A droite, le pourcentage d’espèces connaissant un déclin, par rapport à la diversité locale d’espèces.

Ce dernier aspect est frappant : l’Amazone, l’Afrique centrale, le sud et le sud-est asiatique, des régions du monde connaissant une très grande diversité d’espèces de vertébrés, sont frappées par un important déclin de la population.

En clair, auparavant on pensait que, grosso modo, sur les quarante dernières années, la population de vertébrés avait chuté de 58%. Il apparaît qu’en réalité, le chiffre soit bien plus grand.

L’Afrique, notamment, a vu sa population de vertébrés chuter de 80%, l’Asie de 75%.

L’étude parle ainsi d’une « épidémie mondiale de déclin [de la population] des espèces » et considère que tout va se jouer dans les 20-30 ans.

Cela est tout à fait juste et c’est là que nous affirmons que la planète a besoin d’une avant-garde pour ouvrir le chemin de l’opposition à l’anéantissement, pour lutter sans compromis dans la défense de notre mère la Terre!