La vénerie vue en 1900

Nous sommes en 1900, il y a bien plus de cent ans, et Lucien Boppe (1834-1907), qui fut Directeur de l’École nationale des eaux et forêts (École forestière),à Nancy, publie un ouvrage sur la chasse et la pêche en France.

Voici la présentation qu’il fait de la chasse à courre. Aussi absurde que cela soit, il faut comprendre la nature de ce phénomène barbare, car il existe encore dans notre pays… Quelle folie!

On notera que Lucien Boppe cherche à avoir un point de vue « neutre », ce qui rend le document justement très intéressant, car il est en quelque sorte conforme à l’objectivité de l’idéologie dominante.

Il reflète une approche froide, très 19ème siècle, à la fois scientifique mais en même temps réductrice.

Pour l’anecdote qui a son importance, Lucien Boppe a également écrit sur la sylviculture et il s’est largement engagé pour la protection de la futaie des Clos, dans la forêt de Bercé, dans la Sarthe.

La question arriva en 1907 à la Chambre des Députés et le ministre de l’agriculture annonça son accord pour la protection, un chêne étant nommé par la suite du nom de Lucien Boppe. Touché par la foudre, la souche y est encore symboliquement préservé.

La vénerie

En première ligne se place la chasse à courre, à cor et à cris. C’est la chasse française par excellente, qui fut instituée jadis à l’égal d’une profession d’État, avec tout le luxe et le pompeux attirail que comportaient les plaisirs royaux : la vénerie en un mot.

On compte encore en France des veneurs émérites et des équipages de premier ordre. Le courre du cerf est resté le type de ce sport somptueux.

Il exige un nombreux personnel et se pratique à grand renfort d’auxiliaires : chevaux et chiens.

Chaque chasse prend l’éclat d’une fête où rien ne manque à la mise en scène : maîtres, invités, valets portant la livrée et le bouton de l’équipage.

On se propose pour objectif de ne chasser, pour le prendre, qu’un animal dont l’espèce et l’individu sont déterminés à l’avance. Le succès dépend de la quête du limier, puisque c’est lui qui sert à détourner le cerf dans le buisson, où il est rembuché.

Le limier doit avoir le nez fin et suivre juste. Il marque chaque foulée sans bruit et sans abois; an piqueur à débrouiller si telle est la vraie voie du gibier qu’il cherche. Sa besogne faite et à l’heure dite, le piqueur se trouve au rendez-vous, où il fait son rapport détaillé.

Si le mettre de l’équipage juge qu’on tient une bonne piste, il prend de suite ses mesures pour l’attaque et proportionne les moyens d’action à la résistance probable et à la difficulté du terrain.

Tout d’abord, on foule l’enceinte avec quelques chiens, les plus vieux et les plus lents, pour faire le rapprocher et le lancer; en même temps, on poste du monde sur la refaite probable pour chercher à voir l’animal par corps et être bien sûr que le piqueur a dit vrai.

Alors seulement on découple la meute. La voie est chaude et les premiers coups de gueule des chiens excités par la fanfare éclatent sous les grands bois et se répercutent dans les lointains comme les échos d’une puissante symphonie.

A partir de cet instant, la chasse est poussée à fond ; c’est une lutte de vitesse dont le grand train est entretenu par des relais plusieurs fois renouvelés. L’art est de ne permettre aucun défaut, aucun change, aucun ralentissement dans la poursuite.

Après deux ou trois heures, plus ou moins suivant les cas, le cerf haletant baisse la tête et tire la langue.

Souvent, il cherche un étang ou une mare pour se rafraîchir et c’est là qu’il s’arrête pour tenir les abois et vendre chèrement ce qui lui reste de vie.

Le cor sonne l’hallali.

En forme d’épilogue, le maître de l’équipage ou l’invité à qui on fait les honneurs de la chasse sert la bête sur ses fins d’un coup de dague ou de carabine ; beaucoup moins d’ailleurs pour terminer son martyre que pour épargner la vie des chiens, contre lesquels il se défend des andouillers et des pieds de devant avec le courage du désespoir.

On compte les minutes et l’équipage tient à honneur la rapidité avec laquelle la victoire a été enlevée.

Quand le laisser-courre est bien mené, tout cela se sera passé si rapidement, si naturellement que le spectateur, qui suit en voiture ou à cheval sans autre préoccupation que celle de ne pas se perdre, croit que cela devait arriver.

Bien peu se doutent de ce qu’il a fallu déployer de savoir, d’expérience, de coup d’oeil et d’énergie avant et pendant l’action, pour éviter les mille incidents de nature à compromettre le résultat final.

La représentation se termine par la curée, qui tient lieu d’apothéose surtout lorsqu’elle se fait aux flambeaux.

Mais ce sont les beaux jours, car chasser n’est pas toujours prendre et il faut compter avec les buissons creux, les incidents et les accidents.

On ne doit jamais tirer le cerf devant les chiens ; cela est au contraire admis pour le daim, le sanglier et le loup chassés dans les mêmes conditions. Le courre du loup est autrement difficile et tourmenté. C’est accomplir un raid des plus durs que suivre un animal qui, d’une traite, vous emporte à 60 et 80 kilomètres du lancer.

La vénerie emploie aussi des chiens de force qui, à proprement parler, ne sont plus des chiens courants.

On les substitue à la meute, en face d’un animal : cerf, loup ou sanglier qui tient les abois et fait tête, afin d’éviter aux chiens d’ordre de trop graves blessures.

Les matins coiffent l’animal, l’étranglent ou le rendent inoffensif jusqu’à l’arrivée du chasseur qui le servira de la pique ou de la dague.

Mais les mâtins et les dogues surtout sont de véritables bêtes féroces qu’il faut toujours tenir en laisse et surveiller de près ; car, à l’occasion, ils attaquent l’homme et peuvent causer les plus grands malheurs.

Il ne sera pas question de la chasse au lévrier, puisque l’usage en est formellement interdit par la loi.

Le titre de veneur ne se gagne pas sans chevrons. Il demande, en même temps qu’une grande résistance physique, de l’adresse et les connaissances les plus variées concernant le maniement des armes, le choix et le dressage des chevaux et des chiens, les mœurs et les allures du gibier, etc…

Mais, par-dessus tout, un don inné qui ne s’acquiert pas. Tout veneur doit aussi savoir jarreter le gibier pour en faciliter le transport, le vider, le dépouiller et le découper.

Chacun de ces menus détails est réglé par une tradition dont il aura la coquetterie de ne pas s’écarter.

Encore fût-il muni de toute cette science, ce n’est pas sans un long apprentissage à l’école des bons maîtres qu’il deviendra un veneur capable, à l’aide des preuves dont le gibier marque son passage et à ses allures, d’en reconnaître, sans se méjuger, l’espèce, l’âge et le sexe.

Car, si, en temps de neige, quand le livre des ânes est ouvert, il est facile à tout le monde de suivre un animal à une piste, en été, surtout par un temps sec, il faut faire état du moindre brin d’herbe foulé ou froissé.

C’est donc par sa pratique des choses du revoir qu’un veneur donne sa mesure.

[Suivent des dessins explicatifs sur les empreintes des animaux.]

Le langage de la chasse a été créé uniquement à l’usage de la vénerie. Les autres chasses se sont donné le genre de se l’approprier.

On trouvera ci-après la liste des termes techniques les plus usités.

Abattures……. Voir Foulées

Affût……. Lieu où l’on se cache pour tirer le gibier.

Aller d’assurance……. Se dit d’un animal qui marche sans crainte.

Allures……. Façon de marcher des animaux; se dit aussi de la distance qui sépare l’empreinte du pied de devant de celle du pied de derrière.

Aze……. Voir Hase.

Bauge……. Gîte des bêtes noires et des bêtes mordantes.

Billebauder……. Fouler une enceinte sans y voir préalablement remis le gibier ; chasser à la billebaude, c’est chasser au hasard.

Bête……. Tout animal de chasse à courre.

Bouquin……. Mâle du lièvre.

Bourre……. Mâle du canard sauvage.

Boutoir……. Bout du nez des bêtes noires.

Bréhaigne……. Biche,daine ou chevrette devenues stériles.

Broche……. Premier bois du cerf et des bêtes fauves; comme Dague.

Brisées……. Branche rompue pour marquer le passage d’un gibier; on met le gros bout du côte où la tête est tournée.

Brout……. Bourgeons et écorces dont les bêlez fauves s’enivrent au printemps; de là leur nom de Bêtes de brout.

Carnage……. Tripailles et chair morte que l’on traîne par la campagne pour attirer loups et renards dans les pièges.

Cattiche……. Retraite des loutres au bord des étangs et rivières.

Cerf……. Biche; faon jusqu’à 6 mois, hère de 6 mois à 1 an, daguet, 2e à 5e têtes, dix cors jeunement, dix cors bellement à 7 ans, puis gros ou vieux cerf.

Cervaison……. Époque où la chair du cerf est grasse et de bonne qualité.

Change (faire un)……. Se dit lorsqu’une bête se substitue à celle que l’on chasse.

Chevreuil……. Chevrette ; faon, daguet, brocard à 3 ans.

Clapier……. Ensemble des trous creusés et habités par les lapins.

Coulées……. Faux chemins que les animaux tracent sous les couverts.

Cris des animaux……. Le loup hurle; le renard glapit; le cerf brème (brâmement); le chevreuil rait ou rée (le réement, le raire); l’ours et le sanglier grognent; la marmotte et la loutre sifflent; le lapin et le lièvre crient.

Cris du chasseur pour avertir qu’il voit le gibier par corps……. Souilleau, pour sanglier; tayau, pour bêtes fauves ; vla-au ou vloo, pour lièvre, loup, renard ou blaireau ; tire-haut, pour gibier à plumes.

Curée……. Repas que l’on fait faire aux chiens lorsqu’ils ont pris le gibier; la curée est chaude quand on donne sur le terrain quelque partie de la bête morte ; la curée froide est celle que l’on donne au logis.

Dague……. Premier bois des bêtes fauves.

Daim……. Daine et, pour les mâles, comme le cerf.

Débucher……. Se dit de la bête qui sort du bois.

Déchaussure……. Égratignures que le loup fait sur le sol après avoir jeté ses laissées.

Défenses ou limes……. Longues dents canines qui sortent de la mâchoire inférieure des sangliers.

Détourner……. C’est tourner tout autour d’une enceinte pour s’assurer, soit à l’aide de limiers, soit par le revoir, si la bête que l’on cherche y est encore remise. On compte les passages par des brisées.

Écoutes……. Oreilles des sangliers.

Fort……. Canton de bois épais et fourré où les grands animaux se reposent pendant le jour.

Fouger……. Action du sanglier qui arrache les racines avec son boutoir.

Foulées ou foulures……. Traces laissées par les pieds d’un animal sur l’herbe et sur le terre; se dit trace pour le sanglier, voie pour les bêtes fauves et les lièvres, passée pour l’écureuil, piste pour les bêtes mordantes et puantes.

Frayer (leur tête)……. Action des bêtes de brout lorsqu’elles frottent aux perches leurs bois en velour pour les brunir.

Frayoir, ou frévoir……. Parties des perches écorchées par les bêtes fauves qui y frottent leurs bois.

Gagnage……. Terres oh les bêtes fauves vont en pâture.

Gardes……. Ergots des traces de sanglier.

Goupil……. Ancien nom donné au renard.

Graies ou grès……. Canines en crochet qui sortent de la mâchoire supérieure des sangliers et semblent aiguiser les défenses.

Haire ou hère……. Jeune cerf qui, ayant perdu la livrée, n’a pas encore sa première tète.

Halots……. Comme Rabouillères.

Hase……. Femelle du lièvre.

Hallali……. Cris de victoire quand la bête est prise sur pied ou à terre.

Harde……. De horde, troupe de bêtes fauves.

Hourvari (faire un)……. Se dit d’un animal qui double ses voies.

Houzures……. Traces boueuses laissées par les sangliers sur les arbres autour des souilles.

Limier……. Chien dressé à marquer une piste sans crier.

Livrée……. Marques et bandes de couleur pâle qui éclairent la fourrure des faons et des marcassins jusqu’à 8 mois.

Massacre……. Tète de bête fauve séparée du corps.

Mangeure……. Cantons où les sangliers trouvent leur nourriture.

Pays……. Terrain boisé (grand ou petit pays).

Piste……. Trace ou sentiment que tout animal laisse de son passage.

Portées……. Branche froissée par la tète du cerf dans sa coulée.

Quêter ……. Chercher à détourner une bête.

Rabouillères……. Trous où les hases de lapins font leurs petits.

Raire (le)……. Brâmement du cerf pendant le rut (raire, réer).

Randonnée……. Circuit que fait la bête de chasse dans un même canton.

Recoquetage……. Seconde couvée des faisans ou perdrix.

Regalis……. Place grattée par le pied du chevreuil et où il a fait sa nuit.

Rembuchement……. Rentrée de la bête dans le fort où elle se remise.

Reposées……. Lieux où les bêtes fauves se reposent pendant le jour.

Revenir de tête……. Se dit des mâles des bêtes fauves quand ils ont refait leur ramure.

Sanglier……. Laie; marcassin jusqu’à 6 mois, bêtes rousses de 6 mois à 1 an, bête de compagnie de 1 an à 2 ans, ragot mâle de 2 à 3 ans, puis tiersan, quartan, passé 4 ans solitaire ou vieux sanglier.

Saunières……. Pain d’argile pétri de sel à l’usage des bêtes fauves.

Souille……. Endroit boueux où le sanglier se vautre.

Taison, tesson……. Blaireau.

Terrier……. Retraite souterraine des renards, des blaireaux et des lapins.

Toucher (au bois)……. Voir Frayer (leur tête).

Trait……. Corde que l’on attache au collier du limier pour le maintenir.

Trôler……. Quêter au hasard, sans remettre, à la billebaude.

Vautrait……. Équipage de chiens à courre le sanglier.

Viander……. Se dit des bêtes fauves qui vont en nature.

Viandis……. Pâture des bêtes fauves.

Vriller ou vermiller……. Action du sanglier qui fouille la terre pour y chercher des insectes et des racines.

Voie……. Voir Foulée.

Volcelet……. Cris pour annoncer que l’on revoit du cerf par corps.

Vol-ce-l’est……. Empreintes que les pieds des bêtes fauves laissent sur le sol.

Vol-ci-aller……. Empreintes du pied des animaux sans ra-mure : sangliers, loups, renards, etc.