L’expérimentation animale en France ne baisse pas, bien au contraire

Voici une tribune au sujet de la vivisection publiée dans Libération et, s’il ne s’agissait pas de crimes terrifiants devant nous révolter de la manière la plus complète, on rirait de tant de naïveté et d’hypocrisie.

Oser appeler à une transition vers la fin de l’expérimentation animale, tout en constatant qu’en réalité, il n’y a aucune base pour une telle transition, comment appeler cela? De la fausse candeur, du mensonge?

Il n’y a qu’une voie vers la libération animale et elle ne passe par la croyance en les institutions, en la diffusion d’illusions à ce sujet.

TRIBUNE
Expérimentation animale : comment accompagner la nécessaire transition ?
Par Muriel Obriet, membre de la Commission condition animale d’Europe Ecologie-les Verts, collaboratrice de l’Association Pro Anima EthicScience

Malgré la législation européenne, les tests sur animaux continuent de progresser en France, selon les derniers chiffres publiés par le ministère de la Recherche. Un enjeu sociétal et politique.

Si l’on en croit les déclarations des chercheurs qui pratiquent et soutiennent l’expérimentation animale, nous pouvons dormir sur nos deux oreilles.

Ils l’affirment avec conviction : «Il y a une réglementation très stricte qui part de l’Union européenne ainsi qu’une charte éthique, on ne peut pas faire n’importe quoi…»

Il y a bien effectivement une directive européenne «relative à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques» promulguée en 2010 (1) qui pose un certain nombre d’obligations aux Etats membres, propres à réduire le nombre d’animaux utilisés dans les procédures et les souffrances qui leur sont infligées, et qui formule même, au point 10 du préambule, l’objectif final : «Le remplacement total des procédures appliquées à des animaux vivants à des fins scientifiques et éducatives, dès que ce sera possible sur un plan scientifique.»

Nous serions donc légitimement en droit de nous dire que nous sommes actuellement dans une phase de transition qui prépare l’avènement à moyen terme d’une science du vivant capable de s’abstraire totalement du «modèle animal». Qui dit transition dit processus, étapes…

Mais les chiffres sont têtus et contredisent les discours qui se veulent rassurants. Les données statistiques, pour l’année 2015, viennent d’être publiées sur le site du ministère de la Recherche et de l’Innovation.

Elles nous apprennent que le nombre d’animaux utilisés en France a augmenté de 7,5 % entre 2014 et 2015 – soit un total de 1 901 752 animaux – dont une hausse de 187 % pour les primates non humains. Et encore ne sont pas comptabilisés les animaux élevés et tués pour le prélèvement de leurs organes et de leurs tissus (méthodes ex-vivo) dont le nombre augmente de manière considérable.

On s’étonne que pour 19 % des animaux – des souris aux primates en passant par les chiens, les chevaux ou les reptiles – la provenance géographique ne soit pas renseignée. Ils ne proviennent donc pas d’élevages agréés, condition pourtant clairement posée dans l’article 20 de la directive européenne. Le ministère de la Recherche et de l’Innovation évoque même le recours à des «fournisseurs occasionnels» sans préciser les espèces concernées. La provenance est particulièrement peu renseignée pour les reptiles (+ de 92 %) et les primates (42 %).

Si le public est généralement convaincu que l’expérimentation animale a pour objet l’étude des maladies, la recherche des traitements et l’évaluation de l’efficacité de «candidats médicaments» (molécules susceptibles d’avoir des effets thérapeutiques) – c’est-à-dire la recherche appliquée ou translationnelle – il doit savoir que celle-ci ne représentait, en 2015, que 23 % des animaux utilisés.

Alors qu’aucune finalité de recherche ne peut être invoquée, et que de nombreuses méthodes alternatives sont disponibles, 28 271 animaux ont été utilisés à des «fins éducatives» dans les universités et centres de formation, soit une hausse de 9 % entre 2014 et 2015.

Les chiffres nous disent aussi que les animaux ont été soumis à davantage de procédures de «classe modérée», + 40,6 % par rapport à 2014 (2) et «sévère», + 19,3 % (3) alors que, parallèlement, le nombre d’animaux utilisés dans des procédures dites «légères» diminuait de 16 %.

La part des animaux génétiquement modifiés (AGM), animaux «altérés» qui vont développer des formes humaines de maladies qu’ils ne développent pas naturellement, croît régulièrement.

Ils représentent 21,7 % du total des animaux utilisés en 2015, dont 4,7 % avec un phénotype dommageable (caractère qui altère gravement l’état général de l’animal). Ils ne représentaient que 19 % du nombre total en 2014.

Ces éléments doivent nous alerter. Nous sommes en train de faire marche arrière, l’objectif final – malgré des avancées majeures réalisées dans le domaine des méthodes alternatives ces vingt dernières années et une réglementation qui se voulait incitative – semble être un horizon repoussé toujours plus loin. Le constat est désolant mais réaliste : en France, rien n’est fait pour accompagner la transition vers une recherche sans animaux.

Les chiffres témoignent de cette absence de volonté politique.

L’enjeu est sociétal. Il est temps que nos gouvernants et nos élus prennent activement leur part car rien ne pourra se faire sans la mise en œuvre de mesures d’envergure.

Il conviendrait, tout d’abord, de se donner les moyens d’appliquer rigoureusement la législation européenne, notamment, en ce qui concerne l’évaluation des projets impliquant des animaux et le contrôle des éleveurs, fournisseurs et utilisateurs de ces animaux.

Mais le pouvoir politique doit aussi être capable de se montrer entreprenant : lancer des appels à projets portant sur le développement des approches alternatives et financer les plus innovants, accompagner la mise en place de formations universitaires diplômantes consacrées à ces approches dans les filières des sciences du vivant, créer une banque nationale de données (centre ressources), travailler au niveau européen à la révision du processus de validation des méthodes alternatives (pour que de nouvelles méthodes soient reconnues et utilisées dans des délais beaucoup plus courts).

Une délégation interministérielle pourrait assurer la mise en œuvre et la coordination de l’ensemble des mesures et en évaluer les effets.

Devront également être impliqués dans une réflexion commune tous les acteurs de la société civile ayant la volonté de contribuer à la réalisation de l’objectif «du remplacement total des procédures appliquées à des animaux vivants» : scientifiques mais aussi juristes, économistes, intellectuels, communicants, ONG.

(1) Transposée en droit français dans le décret 2013-118 du 1er février 2013.
(2) Essais de cancérogénicité dont le point limite n’est pas la mort (transplantation d’organes avec gestion du rejet et autres actes chirurgicaux sous anesthésie, irradiation ou chimiothérapie avec une dose non mortelle).
(3) Essais de toxicité aiguë provoquant la mort (essais exigés dans le cadre réglementaire), essai d’activité de vaccin avec maladie progressivement mortelle, création de modèles de tumeurs osseuses invasives ou avec propagation métastasiques, interventions chirurgicales susceptibles de provoquer une douleur ou une angoisse postopératoire intense.