Le bac français 2018 sur les animaux

LTD a eu davantage de visites hier, et pour cause : l’article “Bêtes” écrit par Voltaire pour le Dictionnaire philosophique était au programme du bac français hier.

Et pour cause, le thème du bac français dépend toujours d’un « objet d’étude », cette année ce fut « La question de l’Homme dans les genres de l’argumentation du XVIe siècle à nos jours », au sujet des animaux.

C’est une information importante, mais il ne faut pas s’emballer pour autant… L’humanité ne doit pas se poser la question des animaux : elle doit y répondre. Que le bac français de cette année soit consacré aux animaux est une bonne chose, mais ce n’est que le reflet d’une inévitable évolution, pas d’un choix conscient.

Les professeurs de français ne promeuvent pas le véganisme et le fait que le thème des animaux soit au bac témoigne même d’une intégration, finalement vaguement humaniste, de ce thème par les institutions, sans que pour autant rien ne change fondamentalement.

D’ailleurs, le thème, ce n’est pas exactement les animaux, mais la cruauté humaine envers les animaux, voire l’anthropocentrisme, ce qui pour le coup est plutôt bien.

Les quatre oeuvres furent les suivantes :

Texte A : Montaigne, Essais, livre II, chapitre 11 « De la cruauté », (1580-1588), adapté en français moderne par André Lanly
Texte B : Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, préface (1754)
Texte C : Voltaire, Dictionnaire philosophique, article « BÊTES » (1764)
Texte D : Marguerite Yourcenar, Le Temps, ce grand sculpteur, « Qui sait si l’âme des bêtes va en bas ? » (1983)

Si la dissertation est plus générale, l’écriture d’invention proposait directement de s’engager sur la question animale. Le corpus où l’on compare les textes exigeait pareillement d’affronter la question.

Le commentaire portait quant à lui sur l’articles Bêtes de Voltaire, ce qui obligeait donc aussi à connaître son argumentation remettant en cause la vision mécaniste de Descartes pour qui les animaux sont des machines.

ÉCRITURE
I – Vous répondrez d’abord à la question suivante (4 points) :
Quels comportements humains les auteurs du corpus dénoncent-ils ?

II – Vous traiterez ensuite, au choix, l’un des sujets suivants (16 points) :

1- Commentaire :
Vous commenterez l’article « BÊTES » extrait du Dictionnaire philosophique (1764) de Voltaire (texte C).

2- Dissertation :
La littérature vous semble-t-elle un moyen efficace pour émouvoir le lecteur et pour dénoncer les cruautés commises par les hommes ?
Vous appuierez votre réflexion sur les textes du corpus, sur les oeuvres que vous avez étudiées en classe et sur vos lectures personnelles.

3- Invention
Vous êtes journaliste et vous cherchez à montrer qu’il est nécessaire de promulguer la « Déclaration des droits de l’animal ». Vous écrivez un article de presse d’au moins cinquante lignes, reprenant les caractéristiques du texte de Marguerite Yourcenar (texte D), et présentant des arguments variés sur un ton polémique.

Voici également le texte D, intéressant à connaître puisque l’écriture d’invention demandait de le reprendre quant à l’approche. En apparence, on peut l’imaginer engagé ; en réalité, c’est juste une posture existentialiste. A la même époque, il y a l’ALF en Grande-Bretagne avec des dizaines de libération d’animaux par jour…

Texte D : Marguerite Yourcenar,Le Temps, ce grand sculpteur, « Qui sait si l’âme des bêtes va en bas ? » (1983)

Dans l’état présent de la question, à une époque où nos abus s’aggravent sur ce point comme sur tant d’autres, on peut se demander si une Déclaration des droits 1 de l’animal va être utile.

Je l’accueille avec joie, mais déjà de bons esprits murmurent: «Voici près de deux cents ans qu’a été proclamée une Déclaration des droits de l’homme, qu’en est-il résulté? Aucun temps n’a été plus concentrationnaire, plus porté aux destructions massives de vies humaines, plus prêt à dégrader, jusque chez ses victimes elles-mêmes, la notion d’humanité.

Sied-il de promulguer en faveur de l’animal un autre document de ce type, qui sera –tant que l’homme lui-même n’aura pas changé–, aussi vain que la Déclaration des droits de l’homme? »

Je crois que oui. Je crois qu’ilconvient toujours de promulguer ou de réaffirmer les Lois véritables, qui n’en seront pas moins enfreintes, mais en laissant çà et là aux transgresseurs le sentiment d’avoir mal fait. «Tu ne tueras pas.» Toute l’histoire, dont nous sommes si fiers, est une perpétuelle infraction à cette loi.

« Tu ne feras pas souffrir les animaux, ou du moins tu ne les feras souffrir que le moins possible. Ils ont leurs droits et leur dignité comme toi-même », est assurément 2 une admonition bien modeste; dans l’état actuel des esprits, elle est, hélas, quasi 3 subversive .
Soyons subversifs. Révoltons-nous contre l’ignorance, l’indifférence, la cruauté,qui d’ailleurs ne s’exercent si souvent contre l’homme que parce qu’elles se sont fait la main sur les bêtes.

Rappelons-nous, puisqu’il faut toujours tout ramener à nous-mêmes, qu’il y aurait moins d’enfants martyrs s’il y avait moins d’animaux torturés, moins de wagons plombés amenant à la mort les victimes de quelconques dictatures, si nous n’avions pas pris l’habitude de fourgons où des bêtes agonisent sans nourriture et sans eau en route vers l’abattoir, moins de gibier humain descendu d’un coup de feusi le goût et l’habitude de tuer n’étaient l’apanage des chasseurs.

Et dans l’humble mesure du possible, changeons (c’est-à-dire améliorons s’il se peut) la vie.

1  Une « Déclaration universelle des droits de l’animal » a été rédigée et adoptée par la Ligue internationale des droits de l’animal en 1977, puis proclamée solennellement par l’UNESCO en 1978. Elle n’a cependant aucune portée juridique.
2 Admonition : avertissement, conseil, ordre.
3 Subversive : qui menace l’ordre établi

Que le bac français se soit confronté à la question des animaux n’est pas anodin. C’est le reflet d’une évolution, mais également une tentative d’intégration de la question. Et c’est même surtout cela… La société fait semblant d’aborder et de prendre au sérieux les animaux.