Dégradations, dissociation, tactique et stratégie

A Lille il y a eu de nouveaux actes de dégradation. En quelques semaines, une boucherie, une poissonnerie, un restaurant et une rôtisserie ont donc vu leurs vitrines brisées et l’inscription « non au spécisme » tagué sur les murs.

A Angers, c’est la porte en verre d’une boucherie-charcuterie qui a été détruite, des inscriptions à la craie expliquant l’acte. Il y avait pareillement « non au spécisme ». A également notamment été écrit « Viande = meurtre », « l’art » s’est vu ajouter « du meurtre », « le goût » s’est vu ajouter « de la mort ».

Notons ici, au passage, trois faits intellectuellement importants. Tout d’abord, ces actions ne sont pas signées ALF : on relève ici d’une démarche différente, dans l’esprit « antispéciste » (qui n’est pas du tout le nôtre). On pourra dire que c’est très proche, voire pareil, évidemment, mais force est de reconnaître que ces actions n’ont sciemment pas été signées ALF.

Cela semblera évidemment étrange pour toutes les personnes qui considèrent que la stratégie de la libération animale exprimée par l’ALF est incontournable et n’est pas remplaçable par autre chose, qu’un telle action est typique de l’ALF.

Mais c’est que pour les « antispécistes », il n’y a pas de « stratégie » de la libération animale, ce que propose inversement l’ALF.

Il est possible de citer ici l’association « 269 libération animale », qui hier expliquait précisément cela. « 269 libération animale » a une démarche fondamentalement différente du cassage de vitrine et du tag, puisqu’elle entend témoigner « dans » le système pour protester et convaincre.

Mais on retrouve ce même esprit de « déconstruction » et non de révolution. Il y a une tactique de « dépassement » antispéciste, pas une stratégie comme l’affirme l’ALF.

« Contrairement à ce qu’on entend ou lit, les activistes de 269 Libération Animale ont une conscience très claire des limites de ce type d’action (blocages, libérations, occupations) et ne croient pas que le « Grand Soir » soit au bout d’une évacuation après le blocage d’un abattoir.

De plus, l’action directe n’est pratiquée que depuis très peu de temps et nécessite du nombre pour déployer tout son potentiel (rappelons que 62 activistes ont pu stoppé l’activité d’un gros abattoir durant 24h, ce qui laisse imaginer ce que nous pourrions réaliser en augmentant le nombre de participant.e.s).

L’usage de l’action directe permet d’exprimer une vision du monde et une désapprobation radicale à l’égard du système politique et économique. Le blocage est une tactique, et non une stratégie, et encore moins un traité de philosophie politique.

(…)

Contrairement à ce qu’on lit ou entend ici et là de la part de personnes qui n’ont même pas le respect de lire nos textes, nous ne nions pas La formidable percée de la question animale dans le débat public, grâce aux vidéos de L214. Justement L214 a eu l’immense mérite de créer un terreau favorable pour l’avènement d’un véritable soulèvement et mouvement de déconstruction du spécisme. A nous maintenant d’entreprendre ! Malheureusement, il n’y a pas eu de sursaut militant ni de changement de mode d’action. Voilà ce que nous déplorons ! »

269 Libération animale se veut un L214 « allant jusqu’au bout », par la désobéissance civile. Cela n’a rien à voir avec l’idée d’un affrontement révolutionnaire comme rupture, d’une position révolutionnaire comme identité, comme seule identité possible dans un monde détruisant la planète et aliénant les gens.

Rien n’est possible sans culture et philosophie, comme point de repère, comme orientation, comme valeur. C’est fou comment les antispécistes sont éloignés des préoccupations éthiques, morales, du véganisme des années 1990, au nom d’un actionnisme sans aucune mise en perspective, ni orientation.

Alors que ce qui compte, c’est l’attitude morale, la mentalité, la culture, la réflexion, la sensibilité, le style d’approche des problèmes. C’est qui permet d’avancer et de voir aussi qui décide de ne plus avancer, en raison d’un basculement dans le conformisme, les conventions, la capitulation, le carriérisme, etc.

La capacité à assumer la rupture est la clef pour évaluer le positionnement d’une personne. Et il n’y a pas que les faits, il faut ici l’esprit, un bon niveau culturel pour ne pas faillir. Reprenons ici comme illustration une image, symbole de cet esprit de rupture, du blog Vegan Revolution, qui avait ouvert en octobre 2004 et est l’ancêtre direct de LTD.

LTD n’a pas obtenu la surface de L214, rien que par son refus d’utilisation de facebook c’était déjà inévitable. Mais LTD a su maintenir à la fois la continuité et la contribution à l’approfondissement, l’enracinement de la rupture.

Certains s’en moquent comme quoi cela fait office de « gardiens du temple », mais nous avons vu beaucoup de gens velléitaires ne pas être à la hauteur de la Cause, tandis que d’autres ont sombré pour tel ou tel problème, telle ou telle considération. Tout est une question de socle !

Ensuite, pour en revenir aux actions, et c’est un autre point, il est très étonnant que ces inscriptions « non au spécisme » soient écrites en général. La police utilise en effet la graphologie pour être capable d’identifier les auteurs de telle ou telle inscription. Écrire quelque chose de cette manière est très dangereux sur le plan de l’identification et on peut être absolument certain que c’est par ce moyen que la police tente de cerner les auteurs.

Enfin, une autre réflexion qu’il est possible de faire, c’est de voir un phénomène inévitable de dissociation de la part des institutionnalisés. La Croix leur a donné la parole. On a par exemple :

À Vegan France Interpro, même son de cloche. « Les associations les plus extrêmes ne commettraient pas ces violences, explique Hélène Modrzejewski, la présidente. Ces actions désorganisées desservent notre cause. Ils donnent une mauvaise image des végans. »

On comprend que Hélène Modrzejewski dise cela. Après avoir monté son annuaire vegan (appelé ici vegan France interpro), elle a monté sa boîte de certification végane, « Expertise Végane Europe ».

Cette boîte est hébergée par la Cité de l’Innovation au Coudray, à Chartres, organisée par le Centre Européen d’Entreprises et d’Innovation, un incubateur d’entreprises.

Tout cela n’est pas très bon pour son business visant à vivre d’un véganisme formant une « niche » dans l’économie…

Autre exemple :

« Ce sont des jeunes casseurs d’une vingtaine d’années qui agissent à titre personnel. Ils manifestent violemment et sans réfléchir. Je comprends leur colère mais je condamne leurs actes », témoigne Alexandra Blanc, la fondatrice de Vegan Impact.

On a ici le coup classique : ce sont des jeunes, sans réflexion, juste en colère. Par contre, passer dans les médias ou manifester par exemple avec un soutien-gorge en lentilles, c’est tellement plus adulte.

Dernier exemple :

« La façon de procéder de ces groupuscules ne correspond pas à nos modes d’actions, se défend aussi Brigitte Gothière, fondatrice de L214, connue pour ses vidéos choc tournées dans des abattoirs. Trois millions d’animaux sont tués chaque année en France dans les abattoirs et nous dénonçons ce système d’élevage intensif qui favorise la maltraitance des animaux mais toujours de façon pacifiste. »

Le fameux coup du groupuscule ! Il faut dire que de par leur parcours historique, les gens de L214 savent très bien ce qu’est l’ALF, vu qu’ils ont toujours été contre. Ils comptent donc bien profiter de leur notoriété pour dénoncer tout ce qui n’est pas « reconnu ».

Mais reconnu par qui, là est la question ! Et de toutes manières, n’est-ce pas le contenu qui compte ? Et cela révèle le problème de fond : la méconnaissance historique de ce qu’a été la libération animale jusqu’à présent, l’absence de continuité dans les structures, la destruction des forces vives par des actions velléitaires sans mise en perspective.