A l’occasion du printemps, deux actes destructeurs ont été
commis en Haute-Savoie qu’on peut considérer comme en rapport avec
l’arrivée de la saison de la vie… Le second était une réponse
au premier, comme l’affirme ce communiqué :
« Dans la nuit du 20 au 21 mars, nous avons versé de la peinture sur les vitres du tractopelle qui commençait le chantier du centre commercial « Snow » à Sallanches.
Quelle honte que de débuter des travaux de destruction de la végétation de la zone humide le jour du printemps. Normalement à cette saison la nature ne meurt pas, elle revit. Cet acte est donc là pour gêner ce chantier qui détruit la nature alors qu’il faut la respecter ! »
Sallanches est une ville de 16 000 habitants dans une vallée
peuplée et industrielle, entre Annecy et Chamonix. Le supermarché
Carrefour en périphérie de la ville n’est pas jouxté par une
galerie commerciale : un promoteur spécialisé dans ce domaine
a considéré qu’il y avait pourtant là un potentiel économique.
Il a malheureusement réussi à l’emporter malgré la lutte.
La prairie attenante au supermarché est restée vierge suite à
un combat juridique de longue haleine permettant d’assurer sa
reconnaissance en tant que zone humide, permettant de gagner de
précieuses années pour en empêcher l’assèchement. Les opposants
locaux se sont appuyés sur ces démarches et ont reconnu ce travail
mené depuis les années 2000, surtout par la personne d’ Yvonne
Vuillaume, décédée en 2016. De nombreux recours juridiques avaient
empêché un premier projet en 2010.
C’est là quelque chose d’essentiel. Défendre une zone
humide, c’est défendre la Nature dans ce qu’elle a de plus
concrète, de plus essentielle. Il ne s’agit pas de lieux ou
d’espaces exceptionnels, spectaculaires, qui émeuvent à grande
échelle. Ce sont des endroits d’apparence banale, tout à fait
courants, bien que malheureusement de moins en moins présents.
Ce sont en effet de simples prairies marécageuses auxquelles
presque personne ne prête attention. Il y a pourtant là
quelque-chose d’essentiel, un moment de synthèse entre l’eau et
la terre, qui conditionne l’ensemble de la vie sur Terre, et donc
la vie de la Terre elle-même.
Défendre les zones-humides, s’opposer à leur asséchement, est
donc quelque chose de fondamental, presque basique en matière
d’écologie. Ou cela devrait l’être, et il y a eu en tout cas,
donc, depuis un certain temps maintenant tout un mouvement à
Sallanches en Haute-Savoie pour s’opposer à l’implantation d’un
centre-commercial appelé « The Snow » sur une grande
prairie, qui est une zone humide du bassin versant de l’Arve, aux
pieds du Mont-Blanc.
Leur lutte a échoué, mais elle est une leçon, d’une grande
importance même, car il y a eu la tentative de mobiliser directement
la population, posant ainsi la lutte écologiste de manière
démocratique, en ayant compris la nature du système économique qui
produit forcément ces destructions.
C’est là quelque chose de fondamental : on a à la fois
les gens et à la fois le contenu posé clairement. Ce n’est pas
quelque chose d’abstrait poussé par en-haut. C’est quelque chose
de difficile, mais incontournable. C’est une expérience précieuse.
Essayons de résumer, à grands traits, ce qui s’est passé,
avec son arrière-plan. Les fonctions naturelles des zones humides
étant facilement reconnaissables par la science, en tout cas pour
leur nature la plus essentielle, il y a eu une prise en considération
de cette question par les gouvernements à la fin du XXe siècle. Un
ensemble législatif permettant de limiter les dégâts en organisant
une certaine protection a été mis en place internationalement, puis
dans la plupart des pays. Il s’agit en France notamment de la loi
sur l’eau, qui est en général très connue des personnes
s’intéressant à l’écologie – il en a été énormément
question par exemple à Notre-Dame-des-Landes.
Seulement, cette loi est insuffisante, car elle ne protège pas de
manière systématique les zones humides. Elle organise même les
moyens de son propre contournement, ce qui fait que plus de la moitié
d’entre elles ont disparues en France depuis les années 1960. Ce
que ne peuvent pas les petites entreprises, les grandes le peuvent,
en donnant l’impression de « compenser ».
Ce qui a donc été possible à Sallanches pendant de nombreuses
années pour défendre cette zone humide, l’a été parce que le
rapport de force démocratique était favorable par rapport à des
recours juridiques. Mais tout a changé lorsqu’un promoteur de
grande envergure s’est intéressé à la chose, avec l’appui des
autorités locales.
Ce qui s’est passé est tout à fait habituel, et expliqué dans
le détail par les opposants dans leurs différentes documentations,
via surtout le site contrethesnow.fr : la législation
protégeant la zone humide n’a pas fait le poids face à des
intérêts capitalistes puissants et très bien organisés.
Le groupe Les Arches Métropole, qui explique avoir livré 180 000
m² de surfaces commerciales à travers la France en dix ans et
détenir 65 millions d’euros d’actifs foncier, a en effet très
facilement fait sauter les protections juridiques afin de détruire
la zone humide. Cela en toute légalité, du moins sans qu’il soit
possible de s’y opposer suffisamment sur le plan juridique.
En l’occurrence, à partir du moment où le promoteur a défini
lui-même ce qui relevait ou non de la zone humide et qu’il
s’engage à « compenser » au moins le double de la
surface qu’il a considérée comme étant une zone humide, il est
impossible d’empêcher le projet sans un grand rapport de force
populaire.
La « compensation » relève bien évidement de l’escroquerie, de la négation de la Nature elle-même, comme l’ont très bien expliqué les opposants tout au long de leur combat.
Il s’agit prétendument de recréer artificiellement les
fonctions écologiques (biologiques et hydrologiques surtout) de la
prairie humide, ailleurs. C’est une procédure tout à fait
courante, à laquelle les bétonneurs sont habitués, avec tout un
tas d’écologues et d’universitaires qui les aident dans leur
démarche destructrice. Ces gens sont des criminels, des
collaborateurs de la destruction de mère Nature.
Il faut bien voir ici que presque systématiquement, donc, lors de
la création d’un lotissement ou d’une zone d’activité, d’un
grand bâtiment, d’une route ou d’un échangeur, on a une petite
zone humide qui est asséchée, et plus loin un trou qui est creusé
avec de l’eau mis dedans, en guise de « compensation ».
La prairie attenante au Carrefour de Sallanches a donc été
considéré comme étant simplement une ressource foncière, qui plus
est « sur un site exceptionnel, à l’environnement arboré
qui fait face aux monts des Aravis », et sa nature humide a été
considérée comme secondaire.
L’erreur serait de croire que la question est ici d’ordre
juridique, avec la nécessité d’une expertise pour reconnaître le
niveau de « fonctionnalité » de la zone humide, pour
prouver la nécessité de la préserver. La question se pose en fait
bien plus profondément : il s’agit de savoir si l’on
considère ou non la Terre comme un organisme vivant, organisée de
manière complexe et minutieuse, avec sa propre valeurs à défendre
en tant que tel. C’est une question de vision du monde.
Le problème est ensuite démocratique : il s’agit de
convaincre la population que les gens qui nient la Nature ont tort,
et s’exposent forcément à de grands dangers, alors qu’il faut
au contraire reconnaître la Terre comme un être vivant, dont
l’humanité est une composante.
Le grand mérite du collectif local qui s’est lancé dans la
dernière grande bataille a été de comprendre dans ses grandes
lignes l’enjeu de ce qui se passait, et de poser dès le début le
combat pour la zone humide comme un combat démocratique, par en bas.
Ce qu’il fallait, c’était le soutien de la population, et
précisément de la population ouvrière, qui, objectivement, n’a
pas les mêmes intérêts que les entrepreneurs et leur besoin
d’accumulation de richesse avec le projet de galerie commerciale
« The Snow ».
Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas des gens subjectivement
conquis par la possibilité d’aller à un centre commercial, ou
bien qui monnaient leur âme dans la perspective d’un emploi. Nous
savons tous comment le mode de vie dominant lave le cerveau des gens
et fait perdre tout sentiment naturel, ainsi que toute mise en
perspective de l’avenir. Il faudrait consommer immédiatement, sans
réfléchir au lendemain, et s’éloigner le plus possible d’une
nature sans intérêt voire « hostile ».
Mais il s’agit de bien mener la bataille pour que les gens
comprennent ce que sont les destructions et à qui elles profitent.
Cela ne sert à rien parler d’écologie sans cela, à moins de
faire comme les riches ONG et de se complaire dans le témoignage et
la bonne conscience. Le fait que le directeur du WWF vienne de tout
abandonner du jour au lendemain pour rejoindre la liste d’Emmanuel
Macron pour les Européennes est encore un exemple de plus du manque
de sens de valeurs parmi tous ces gens qui vivent trop dans le
confort pour ne pas être corrompu.
Dès le début a donc été mené à Sallanches une intense
campagne d’information de la population, avec justement ce thème
que l’on pourrait résumer en : pour la nature, contre un
projet destructeur des entrepreneurs.
Cela n’a pas été suffisant, avec au plus fort du combat
seulement un noyau d’une grosse centaine de personne mobilisées,
et quelques milliers soutenant la démarche. Il appartient aux
personnes ayant mené ce combat d’en comprendre les raisons, les
difficultés, les éventuelles erreurs, les limites historiques. Il
n’en reste pas moins que ce fut une grande expérience, avec une
démarche à développer, là-bas et ailleurs, pour inverser enfin la
tendance contre la destruction de la Nature en général et des zones
humides en particulier.
C’est en systématisant les luttes démocratiques, portées par la base, que les valeurs de défense de la Nature et de protection des animaux se généraliseront et qu’un espace sera ouvert pour un changement complet de la société française… A la condition de bien définir ces luttes en s’appuyant sur le principe de la défense de notre mère la Terre !