Le rapport de l’IPBES : anthropocentrisme contre biocentrisme

Le point de vue final de l’IPBES sur la situation de la biodiversité a été rendu public le lundi 6 mai 2019 et il y a lieu de porter un regard très approfondi sur ce qui est dit. Pour cette raison, il faut étudier cela aspect par aspect. Notons tout de suite cependant que le rapport complet n’est pas disponible. Les signataires se sont mis d’accord sur un texte de 1500 pages… mais ne le rendent pas public ! Cela le sera en cours d’année… En attendant, on a qu’un résumé, avec des thèses qu’on doit croire sur parole ! Nous y reviendrons, point par point.

Notons déjà que, malgré que la réunion ait eu lieu en France, à Paris, il n’y a eu aucun émotion ou mouvement tant du côté des gens que du côté des médias ou des partis politiques, ou bien encore des associations.

Personne n’a les moyens de mobiliser et les gens ne veulent pas se bouger. Les initiatives sont pathétiques. La « marche mondiale » organisée à Metz a rassemblé… 2000 personnes, mais c’était dans une sorte de fusion avec les gilets jaunes qui ont évidemment pris le dessus et relégué les écologistes en fin de cortège. Le quotidien Le Parisien a donné des conseils pour sauver la planète et on trouve des recettes faciles du type manger moins de viande, manger bio, etc., comme si tout n’était qu’une affaire à la fois individuelle et aisée à régler.

Le Figaro, à la rendue publique du document de l’IPBES, a bien mis un article en tête de gondole de son site (Un million d’espèces menacées d’extinction sur la planète), mais l’article est… payant et l’actualité live mise en avant est une naissance dans la famille royale britannique. Cela en dit long sur le sens des priorités

Mais portons déjà un regard sur l’approche de l’IPBES elle-même, avant de voir son rapport. Cette structure, mise en place dans le cadre de l’ONU, se définit comme la « Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques ». Le problème saute aux yeux pour qui raisonne en termes de planète comme système unifié, comme Gaïa. Déjà, il ne faudrait pas une plateforme intergouvernementale, mais un gouvernement mondial. La question est planétaire, la réponse est planétaire.

Tout autre point de vue appartient au passé.

Ensuite, les termes de « biodiversité et de « services écosystémiques » sont erronés. Ils s’appuient en effet sur la multiplicité, alors qu’il faudrait partir d’un point de vue biocentriste, c’est-à-dire centralisé, unifié. La bio-diversité est secondaire par rapport au caractère unifié de la vie planétaire ; on parle ici d’une biosphère. Il n’y a pas de « services » fournis par des « écosystèmes », mais des interrelations de la vie à l’échelle de la planète.

Il n’y a pas de « diversité » et d’éléments individuels, séparés, mais un tout composé de multiples éléments lui étant subordonnés dans leur substance même. Il n’y a pas l’humanité d’un côté, des êtres vivants naturels de l’autre, sur un rocher dans l’espace. Il y a Gaïa, et rien d’autre.

Certains diront que c’est du pinaillage ou de la mystique, mais c’est qu’ils ne voient pas ou refusent le point de vue biocentriste et la lecture de la planète comme système-Terre unifié. C’est d’ailleurs le cas de l’humanité encore aujourd’hui et la conséquence en est la continuation de la catastrophe. Tant que la planète ne sera pas considérée comme étant Gaïa, un système unifié, jamais il ne sera possible de se placer au niveau des questions posées par Gaïa dans son rapport à l’humanité, et inversement.

Tant que Gaïa sera niée, Gaïa sera incomprise et le processus de crise s’amplifiera… Et cela jusqu’au bout, jusqu’à la soumission à Gaïa. Les religieux veulent la soumission à Dieu, les individualistes celle à l’individu, tous ont tort. Il faut se soumettre à la Nature et nous sommes nous-mêmes naturels ; pour être soi-même, il faut se soumettre à sa propre nature, sa propre substance.

L’humanité n’est pas extérieure à la Nature, elle en est une composante, elle n’en est qu’une composante et rien d’autre. L’évolution à l’échelle planétaire n’est pas l’évolution de l’humanité isolée du reste, mais l’évolution de la planète comme système unifié, avec des évolutions en son sein, où tout est relié, connecté

L’IPBES n’est pas d’accord avec la thèse de la planète comme Gaïa. Pour cette structure, il n’y a pas de Nature, mais la « nature » comme rassemblement d’êtres vivants formant un phénomène se développant à côté de l’humanité. D’où les phrases formant les titres du rapport dans sa version sous forme de résumé :

« Le dangereux déclin de la nature :
Un taux d’extinction des espèces « sans précédent » et qui s’accélère  

La réponse mondiale actuelle est insuffisante ;
Des « changements transformateurs» sont nécessaires pour restaurer et protéger la nature

Les intérêts particuliers doivent être dépassés pour le bien de tous »

Tout ce qu’on lit ici est absurde. La Nature ne peut pas « décliner » et il ne s’agit pas de la « protéger ». La vie est invincible et le développement de la Nature ne peut pas être arrêté. L’idée selon laquelle l’humanité devrait « gérer » de manière meilleure son rapport à la « nature » comme phénomène relève résolument de l’anthropocentrisme, et c’est faux

Le biocentrisme reconnaît la vie comme un processus en développement, toujours plus complexe et se diffusant toujours plus. Rien ne peut arrêter la vie et sa diffusion

Il faut d’ailleurs être bien naïf pour croire que les intérêts particuliers pourraient être « dépassés » du moment qu’on les reconnaît. Les intérêts particuliers ne doivent pas être dépassés, ils doivent s’effacer devant ceux de la planète comme système unifié. C’est le principe du slogan : la Terre d’abord

Le rapport de l’IPBES se relève de fait intenable dans sa nature même, par définition collective, planétaire, totale. Que peuvent faire des individus dispersés par rapport à cela ? Ils ne peuvent que paniquer ou bien refuser les faits… Une telle approche doit être abolie. L’ère de l’anthropocentrisme se termine, celle de l’humanité au service de la vie sur la Terre commence. Et comme on est loin du compte, cela signifie qu’il va y avoir un bouleversement général, une révolution à l’échelle planétaire, l’affirmation de valeurs totalement nouvelles. La morale vegan straight edge va s’imposer

La question qui se pose ici est alors : comment interpréter l’extinction des espèces ? C’est, au-delà des apparences, une question d’une complexité gigantesque. Il ne s’agit pas de nier la destruction, mais il faut voir que la Nature s’appuie sur elle-même. Si des animaux en mangent d’autres, ou si des êtres vivants en mangent d’autres (comme certains animaux avec le végétaux), ce n’est pas parce que la Nature est cruelle.

Ce qui se passe, c’est qu’elle évolue, mais comment peut-elle évoluer, si ce n’est en se transformant elle-même ? La Nature est vie et dans ses fondements mêmes, il y a le fait de vouloir prolonger la vie. Chaque être veut persévérer dans son être, comme l’a dit Spinoza, c’est la base de la Nature même. La souffrance, la cruauté apparente que l’on voit dans la Nature, n’est qu’un support de l’évolution. Il faut ici avoir confiance en la Nature, en son évolution, qui ne peut qu’aboutir à la protection générale de la vie

A l’avenir, la vie se développera sans s’auto-mutiler. Qui a compris ce qu’est la Nature et le sens de son évolution, de son progrès, ne peut pas voir les choses autrement.

Il faut de plus être très prudent avec la notion d’espèces. Elle a été conçu par l’humanité pour procéder à des descriptions, des classifications des êtres vivants. Cela correspond-il à la Nature dans son contenu ? C’est là un champ d’analyse pour les cent prochaines années. Remarquons d’ailleurs que l’humanité affirme elle-même qu’elle ne sait pas précisément combien il y a d’espèces sur Terre. Sa propre définition de ce qu’est une espèce est très difficilement praticable.

Rappelons aussi que pendant des décennies, on a expliqué que les dinosaures ont disparu. L’écrasante majorité des gens le pensent encore. Mais on sait depuis les années 1990 qu’en réalité, une partie des dinosaures s’est transformée en les oiseaux. Il y a même davantage d’espèces d’oiseaux que de mammifères… Plutôt pas mal pour quelque chose qui est censé avoir disparu !

Prenons un autre exemple, avec Franck Courchamp, chercheur au CNRS et observateur du rapport de la Plate-forme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques. Le Monde a organisé un tchat avec lui et voici une de ses réponses, qui du point de vue biocentriste le résume à un simple charlatan



« Ma question est la suivante : – a t on besoin de toutes les espèces !?
-Mr green

Franck Courchamp : Non bien sûr. On n’a pas besoin de tout, il y a une certaine redondance, avec certaines espèces remplissant des rôles écologiques similaires à d’autres. »

Voilà une réponse de comptable, certainement pas de quelqu’un ayant étudié la vie et, connaissant sa complexité, sait bien que ce qui existe n’existe pas pour rien et a une fonction, dans un ensemble interconnecté. La lecture pragmatique, avec des entrées-sorties comme dans la comptabilité, est une aberration criminelle à l’époque de la crise planétaire. Cela en dit long sur l’IPBES… Francj Courchamp se prend ici pour le responsable du personnel de l’entreprise écosystèmes & Cie dirigée par l’humanité…

Citons une autre de ses réponses, où la carte d’électeur et la carte de crédit sont mis sur le même plan, en-dehors de toute question de conscience, de culture, de rapport à la Nature… On est ici dans la supercherie anthropocentriste.

« Chacun d’entre nous a deux cartes dans sa manche. D’abord, la carte d’électeur : les politiciens font ce que les électeurs veulent s’ils veulent être élus. Votez pour ceux qui mettent l’environnement en premier lieu. Ensuite, la carte de crédit : vos choix de consommation font une différence énorme (moins de viande, moins d’emballage, moins d’huile de palme, etc.). Il faut juste qu’on se rappelle que pour être heureux, il y a d’autres moyens que d’aller s’acheter une nouvelle paire de chaussures… »

Encore et toujours l’individu ! Mais cela ne tient plus. La crise par rapport à Gaïa est trop profonde.

On dira, de manière fort juste, que de toutes façons c’est la vie sauvage en général qui compte, pas les « espèces ». Et c’est là tout à fait comment il faut voir les choses, effectivement. C’est d’ailleurs le point d’achoppement de toute la lecture anthropocentriste, qui ne peut que s’effondrer. L’humanité appartient à la Nature et une humanité, aussi aliénée qu’elle soit, ne peut pas agir contre sa propre substance. Elle est imbriquée dans la Nature, elle ne peut pas agir contre elle.

Dans quelle mesure tout ce qu’elle a fait jusqu’à présent a-t-il été au service de la Nature ? On ne le sait pas encore. Peut-être l’humanité n’est-elle qu’un outil pour par exemple protéger la Gaïa d’éventuelles météorites risquant de lui rentrer dedans. Peut-être n’a-t-elle été qu’un moyen pour diffuser tous les éléments naturels à la surface de la planète. Peut-être était-ce son rôle que d’accélérer un réchauffement.

Dans tous les cas, il appartient à l’humanité de se mettre au service de Gaïa et d’arrêter d’agir de manière anthropocentriste. Il faut une nouvelle génération qui assume le biocentrisme, opérant une analyse de tous les aspects de la vie planétaire, de tous les aspects de la vie humaine, et qui réorganise toutes les valeurs, toute la production, tout le style de vie.

Les générations passées sont trop corrompues, cyniques, passives, individualistes… Elles sont incapables de quoi que ce soit, car elles ne savent pas ce qu’est la loyauté. Et Gaïa a justement besoin de cela : de combattants la protégeant avec la loyauté la plus totale… Pas de compromis en défense de notre mère la Terre !