La corrida pour les mineurs et les 40 « du monde du spectacle et de la culture »

C’est une tribune publique parue dans Le Figaro (mais avec accès payant) qui, évidemment, a été reçu très négativement par tous les amis des animaux. Et pour cause, voilà que quarante personnes « du monde du spectacle et de la culture » dressent un tableau idyllique de la corrida.

Il n’en fallait pas moins pour se sentir trahi, puisqu’il est évident que le refus de la corrida relève de la civilisation. Voir des gens cultivés défendre la corrida ne peut sembler que totalement absurde.

Ce qui est encore plus fou, c’est que la tribune défend l’accès des mineurs à la corrida. On est là dans l’ignominie la plus complète. La corrida serait un art, auquel aurait droit un enfant de 14, 12, 8 ans…

Deux choses ont malheureusement été oubliées par les défenseurs des animaux. D’abord, que nous vivons dans une société bourgeoise faite pour des bourgeois. Partant de là, ce qui prime, c’est que chacun fasse ce qu’il veut. Il n’y a pas de morale qui prime.

La tribune vise à juste titre d’ailleurs les puritains. A juste titre, selon nous, car si puritanisme il y a, alors LTD est en première ligne, puisque pour nous il n’y a pas de différence entre les mentalités, la culture, le style de vie, la démarche, etc. Pour faire abolir la corrida, il faut le triomphe de la morale dans la culture. Comme d’ailleurs pour le véganisme.

Le second point oublié, c’est malheureusement la mystique liée à la corrida. On en revient à la question de la vision du monde. Pour nous, la Nature est un ensemble, un grand tout et la vie s’y développe. Il y a des côtés liés à la souffrance, mais la vie l’emporte et se développe, elle progresse.

Par contre, pour les ennemis de la Nature, voire ses négateurs, la Nature est au mieux un monstre, une entité sadique, où la vie et la mort s’affrontent tout le temps, etc. Chez les partisans de la corrida, celle-ci équivaut donc à la tragédie grecque selon Nietzsche : la force brute cède la place au triomphe de la volonté devenue beauté par sa victoire.

C’est très philosophique, pour ne pas dire mystique. Gérard Depardieu trouve par exemple que la corrida est un « rituel sublime », le syndicaliste Marc Blondel se voulait rigoureusement athée mais appréciait la corrida pour sa dimension païenne…

Et il faut lire la prose de Simon Casas, une des principales figures de la tauromachie, qui y voit pareillement une véritable « magie ».

Le discours des partisans de la chasse à courre est d’ailleurs exactement le même. On a ici un rapport patriarcal au monde sauvage, un refus de tout esprit naturaliste.

Ces deux points que sont le refus libéral de la morale et la dimension magique, morbide, sont essentiels à comprendre pour qui veut dénoncer la corrida et comprendre adéquatement cette tribune, symbole du refus de la morale et de la compassion.

Ces gens sont des barbares.

« La corrida est un art et nul ne doit en être exclu » : l’appel de quarante personnalités

Depuis la fin du mois d’août, des responsables politiques évoquent la possibilité d’interdire la corrida aux mineurs. Nous, femmes et hommes de lettres, d’arts et de culture, nous opposons à cette proposition.

L’enfant, comme l’adolescent, est doué d’intelligence, apte à l’émotion, sensible à l’héroïsme, disponible à la beauté, à la culture et à l’art. Vouloir lui épargner la complexité du réel, la violence et le sacré, c’est mépriser son devenir.

La corrida est l’âme de la culture taurine millénaire. La corrida davantage qu’un spectacle est un art, culminant dans la rencontre de courage et d’honneur qui se joue dans l’arène. Ce moment figure l’engagement total qui gouverne la vie de l’artiste. C’est pourquoi Cocteau, Picasso, Hemingway ou Francis Bacon avant nous s’y sont tellement retrouvés.

En démocratie, la liberté est le principe et l’interdiction doit être l’exception. À l’heure où nos libertés sont sans cesse restreintes, où des hommes de pouvoir décident à leur place de ce qui est bon pour les autres, l’idée même d’une interdiction de la corrida est un signal alarmant.

Faut-il le répéter ? Interdire un art est indigne d’une démocratie moderne.

Ceux qui l’envisagent ne peuvent le faire qu’au nom d’une moralisation indue et paternaliste de la vie publique ; celle qui fit autrefois condamner Flaubert pour la légèreté de Madame Bovary ; celle qui fit mettre en prison Oscar Wilde pour homosexualité en Grande-Bretagne ; celle qu’on croyait disparue, mais qui, sinistrement, bannit le nu sur les réseaux sociaux. La France ne peut incarner ce puritanisme rétrograde et triste.

Plaider pour cette mesure, c’est choisir l’air du temps contre le fil du temps. La corrida est affaire de tradition, de transmission entre les générations.

Instrumentaliser les enfants pour combattre la corrida, c’est la condamner dans vingt ans.

Qui pour descendre demain dans l’arène, si on chasse aujourd’hui les jeunes qui en rêvent ?

« La beauté est dans l’œil de celui qui regarde », disait justement Oscar Wilde. Les députés qui portent le projet d’interdire la corrida aux mineurs leur retirent une part de rêve, un pan de beauté et un espace de traditions, au profit d’une société encore plus aseptisée.

Ils leur refusent un vecteur possible d’émancipation. On peut débattre de la corrida. On peut la trouver violente ou belle, ou violente et belle. Nul n’est tenu d’y assister. Nous demandons au gouvernement que nul n’en soit exclu.

LISTE DES SIGNATAIRES

Arnaud Agnel, comédien ; Olivier Ansellem, photographe; Pierre Arditi, comédien ; Bartabas, scénographe ; Charles Berling, comédien ; Dominique Bluzet, directeur de théâtres ; Myriam Boisaubert, poète ; Jean-Paul Capitani, éditeur ; Philippe Caubère, comédien ; Mathieu Cesar, photographe de mode ; Yves Charnet, écrivain ; Anne Clergue, galeriste ; Frédéric Coudron, romancier ; Martine d’Anglejan Chatillon, galeriste et productrice ; Patrick de Carolis, journaliste et écrivain ; Hubert de Watrigant, peintre ; Denis Declerck, ancien directeur de théâtre ; Éric Dupond-Moretti, avocat et auteur ; Jean-Pierre Formica, peintre ; Gil Galliot, comédien et metteur en scène ; Pauline Guerrier, sculpteur; Georges Heinz, professeur des écoles d’architecture ; Kostia, designer ; Marie-Sara Lambert, productrice de spectacles taurins ; Jacques-Olivier Liby, écrivain ; Jean-Marie Magnan, écrivain ; José Manrubia, peintre ; François Marthouret, comédien et metteur en scène ; Marion Mazauric, éditrice ; Vera Michalski-Hoffmann, éditrice ; Françoise Nyssen, éditrice, Loren Pallatier, peintre ; Ernest Pignon-Ernest, plasticien ; Denis Podalydès, comédien ; Diego Ramos, peintre ; Jean Reno, comédien ; Rudy Ricciotti, architecte ; Patrick Siméon, peintre ; Jean Varela, comédien et directeur de théâtres ; Laurent Weil, journaliste.