Nous avions parlé récemment de fachos tentant de s’approprier en France le terme de « hardline » et avions alors présenté de manière sommaire ce qu’était le mouvement hardline. En voici ici une présentation plus complète (également présente dans la catégorie culture de nos archives).
Avec le développement de la scène straight edge durant les années 1980, puis l’intégration du véganisme dans les principes, il y a eu un grand besoin au tout début des années 1990 d’englober tout cela dans un système de pensée cohérent.
L’une de ces tentatives a été la scène « Hardline », qui a en fait surtout consisté en une sensibilité plus qu’un courant organisé, même s’il existe des principes très stricts définissant le mode de vie Hardline. Ces principes ont été la source de très nombreuses polémiques, tant menées correctement que provoquées par des rumeurs sans fin concernant les Hardline.
Les principes Hardline proviennent d’un manifeste, publié parallèlement à un maxi de 4 chansons du groupe Vegan Reich, en 1990. Le choix provocateur du nom a grandement desservi les idées de ce groupe, qui se situe en fait dans la tradition punk provocatrice: il s’agit d’une réponse à l’attitude très négative que recevaient les vegans à ce moment là.
Au tout début des années 1990, les vegans subissaient un grand ostracisme, et cela même au sein d’une scène punk comme en Californie. Le choix du nom est une réponse provocatrice à la manière de les voir, sur un mode punk. Musicalement, il s’agit d’ailleurs de musique punk, influencé grandement toutefois par Iron Maiden et le heavy metal.
Le discours de Vegan Reich se situe donc dans la tradition contestataire et provocatrice de l’anarcho-punk européen, mais toutefois avec une perspective positive, visant la construction, typique de l’esprit straight edge californien. On retrouve ainsi la tentative de construire une ligne révolutionnaire radicale concernant la libération animale.
« La production de viande et de lait torture, tue, pour aucune raison vous répandez leur sang pour votre ego et votre goût.
Belsen, Auschwitz, Dachau, les similitudess sont effrayantes. Une mentalité de race dominante, la liberté pour ceux qui seraient supérieurs.
Votre société morale et civilisée est construite sur la brutalité et la cruauté.
Là où la normalité est folie et le fait d’être sain d’esprit une idéologie extrême,
comme la Résistance à l’Allemagne nazie, nous n’obéirons pas aux lois de la barbarie.
(…) Coupable de meurtre, vous ferez face à la nouvelle loi! »
(Chanson « The way it is« )
Le Hardline considère donc que la lutte armée est justifiée pour la défense des animaux, et même que cette défense doit s’élargir: la lutte est pour « la défense du futur de la terre et toutes les forme de vie, [et] tout est justifié contre tous ceux qui s’y opposent ».
Et cette lutte est vue comme forcément liée à la lutte contre toutes les autres formes d’oppression: Vegan Reich est un groupe d’extrême-gauche, issu de la scène punk californienne (certains membres du groupe « Fall out boy » viennent même de Vegan Reich).
Mais la situation fut vite intenable pour Vegan Reich, en raison des projections faites sur le groupe, dont la réputation traversa vite tous les USA et atteignit également l’Europe, provoquant incompréhension, scandale, annulation de concerts.
A cela s’ajouta trois problèmes essentiels: tout d’abord, au nom de la défense de toute vie, le hardline considérait que l’avortement était à éviter. Dans un pays comme les USA, cela fut vite assimilé à une position « prolife » typique de l’extrême-droite.
Ensuite, la vie étant naturelle, le hardline mit en avant le principe de « l’ordre naturel », et au nom de cela rejetait l’homosexualité. Cette position homophobe et l’ambiguïté concernant le droit à l’avortement fit qu’en Europe des groupes d’extrême-droite commencèrent à s’intéresser à Vegan Reich, qui se saborda alors.
Mais le hardline en tant que principe continua à se développer, avec une tentative d’organisation. Celle-ci se déroula au même moment que le développement de la scène krishnacore, lancée par des groupes comme Shelter et 108. Les personnes se définissant comme Hardline rejetaient foncièrement le krishnacore, en raison de leur végétarisme (au lieu du véganisme) et de leur rejet de la question social-révolutionnaire.
Le principal média des hardline était alors la revue « Vanguard » (Avant-Garde), lancée par le principal activiste et membre de Vegan Reich, Sean Muttaqi. Le slogan sur le numéro 1 de la revue était « On the frontline for Earth liberation » ( « Sur la ligne de front pour la libération de la Terre »).
Pourtant, les hardlines cherchaient eux aussi une manière de résoudre la question sociale, et une division eut alors lieu en leur sein, en 1998.
Après le départ de Sean Muttaqi en 1992, David Agranoff était devenu le principal « dirigeant » du mouvement et avait ancré le hardline dans l’activisme d’extrême-gauche, avec une participation à d’autres structures, comme Earth first, et sa tendance devint « Education For A Sustainable Future » (Education pour un futur durable), définitivement ancrée dans le camp progressiste.
L’autre tendance Hardline, la seule à conserver le nom à côté d’autres petits groupes, suivit Sean Muttaqi, alors de retour, après avoir été influencé par le mystique musulman Bawa Muhaiyaddeen, et s’être davantage tourné vers le Reggae et le Hip Hop.
Une partie de la scène Hardline s’orienta alors de manière idéaliste vers une sorte d’Islam interprété de manière anticapitaliste. Etre Hardline fut alors lié au fait de reconnaître un « ordre naturel » fondé par Allah, Dieu d’un Islam rejetant fondamentalement (selon eux) toute exploitation et toute oppression.
La revue « Vanguard » cessa alors d’exister, au profit d’Ahl-i Allah (« Le peuple d’Allah ») puis de Taliyah al-Mahdi. L’objectif était la pratique d’une sorte d’Islam vegan influencé par la culture rastafari. La scène Hardline explosa alors de nouveau, entre les partisans de l’affirmation uniquement de l’Islam, et des groupes éparpillés tentant de maintenir une identité Hardline (les Hardline chapters – chapitres hardline).
Le label Path of Perfection (voir leur interview ici) ne se définit plus que comme musulman, avec une grande influence de Malcolm X, tout en affirmant des valeurs d’extrême-gauche (lutte contre le racisme, l’impérialisme, l’oppression des femmes, l’exploitation des animaux, etc.).
Sean Muttaqi ne se définit pareillement plus que comme musulman, tout en étant en pratique toujours vegan et straight edge. S’il prône toujours la spiritualité musulmane, il est en accord avec la violence en faveur des animaux et ici aussi des valeurs progressistes (le refus de toute oppression et exploitation, et on notera qu’il réfute l’antisémitisme, prône la légalisation de la Marijuana, etc.).
Comme on le voit, la scène Hardline a toujours été un microcosme, et il y a eu énormément de fantasmes à son sujet. La méconnaissance au sujet de ses options politiques a longtemps permis à des gens de la scène straight edge de rejeter les vegans straight edge, comme quoi cela reviendrait au « Hardline », etc.
Être hardline serait ici être intolérant, brutal, sectaire, bizarre, dangereux, etc.
Alors qu’en réalité, la scène hardline est une particularité nord-américaine, et consiste en des vegan straight edge cherchant une option révolutionnaire, et qui ont été influencés par les mouvements sociaux-révolutionnaires afro-américains marqués par la spiritualité: Malcolm X, mais aussi MOVE (dont a fait partie Mumia Abu-Jamal).
Ceux et celles qui ont refusé cette option religieuse, ou plutôt mystique, faisant référence quant à eux / elles au Weather Underground, la guérilla anti-impérialiste des USA des années 1970.