La victoire sur le taureau, symbole patriarcal de la défaite de la déesse-mère

Avant une présentation des corridas comme promis dans l’article La corrida au patrimoine culturel de l’UNESCO !?, voici un article présentant l’idéologie qui est le fondement de la mise à mort du taureau (cet article est également dans notre section culture).

Si les corridas existent encore, c’est pour une raison simple: la victoire sur le taureau est une démonstration de force patriarcale. Ceux qui sont fascinés par les corridas ne voient pas un animal: ils imaginent un monstre symbole de virilité, vaincu par plus fort que lui.

Voici un aperçu de comment le taureau est devenu ce symbole.

Au début de l’humanité, la femme avait une valeur inestimable, car elle donnait la vie. Cette période fut celle du matriarcat, marquée par le culte de la déesse-mère.

La remise en cause des déesses-mères a été un processus long et compliqué; les corridas d’aujourd’hui sont une sorte de lointain reste de cette époque de transition.

Les déesses-mères étaient vénérées comme symbole des femmes donnant la vie; la première vision du monde est celle du culte de la vie. La femme donnant la vie, elle a une valeur supérieure à l’homme.

Mais les hommes au service des femmes vont travailler à leur service, et ce travail va modifier leur statut social, tout comme leur stature physique. La domestication des animaux et l’agriculture marquent le passage à une nouvelle étape.

C’est alors qu’apparaissent de nouveaux cultes, remettant à différents degrés le statut de la déesse-mère. Pour comprendre d’où vient la corrida, regardons donc l’antiquité, et Rome qui a été en fait à la croisée des chemins des religions orientales, et de nombreux cultes de ce type se sont installés.

Les cultes sont à Rome en concurrence les uns les autres ; à côté des cultes aux déesses-mères Cybèle (d’origine phyrigienne) ou Isis (d’origine égyptienne), on trouve les dieux masculins Sérapis (déformation du dieu-taureau Apis, d’Egypte) et Mithra (qui vient en partie de Perse).

Le taureau est justement utilisé comme moyen de concurrencer le culte de la vie et de la déesse-mère. Au lieu des femmes, c’est le soleil et le sang qui vont être salués comme symboles de la vie. Le taureau répond aux besoins du patriarcat: il représente la force, la puissance, la fécondité. Son sang répandu dans les sacrifices sera le nouveau symbole de la vie.

Il est donc surprenant mais en même temps logique que cette évolution se soit faite au sein d’un culte à la déesse-mère.

Selon la légende du culte de la déesse Cybèle, qui est la mère des dieux, celle-ci a fait se mutiler un jeune qu’elle a élevé après l’avoir trouvé enfant. Jalouse de son amour pour une nymphe, elle le frappe de folie et celui-ci s’émascule avec un silex sous un pin, avant de mourir. Cybèle le ressuscite alors.

Dans le culte de Cybèle à Rome, la cérémonie pour devenir prêtre exigeait à un moment l’automutilation en se donnant des coups et surtout l’émasculation avec un silex. Par la suite, elle fut remplacée par un taurobole: un taureau est sacrifié au-dessus du prêtre qui est alors inondé de sang, et ce sont les testicules du taureau qui sont offerts à la déesse.

Après cette première étape, la déesse-mère fut abandonnée; en fait à cette époque les déesses-mères se retrouvaient intégrés dans le panthéon d’une religion dominée par un « Dieu le père. »

On passe alors du taurobole – le sacrifice du taureau – à la tauroctonie, c’est-à-dire un mythe fondé sur la mort du taureau. A Rome se développe de manière en effet intense le culte à Mithra, dont le mythe fondateur est le suivant: Mithra serait né de lui-même, à partir de la roche, et aurait donné naissance au monde en répandant le sang d’un taureau lors d’un sacrifice, auquel participent un chien, un serpent et un scorpion qui pince les testicules du taureau.

Le sang est ici la vie, et on voit bien la dimension patriarcale: Mithra est né à partir de rien, il domine un taureau, qu’il sacrifie comme dans le culte à Cybèle, sauf que cette fois il n’y a plus de Cybèle!

Le culte à Mithra sera d’ailleurs répandu chez les hommes: sa base populaire est l’armée romaine. Rome adoptera dans la foulée un nouveau culte: celui du « Soleil invaincu » (Sol invictus). Là aussi on reconnaît une sorte de culte à la vie, mais dans une version patriarcale.

Ces deux cultes seront finalement remplacés par le christianisme, non sans mal et avec bien entendu l’intégration de nombreux éléments de ces différentes religions.

Mais le taureau reste un symbole fort: aujourd’hui encore la légende du Minotaure est très connue, justement pour cette raison: le patriarcat permet aux hommes de se reconnaître en Thésée qui a dominé le taureau, mais en fait aussi tous les animaux.

Les tableaux de Picasso avec des Minotaures sont également très connus et « appréciés » , et pourtant on peut y voir une brutalité énorme, allant jusqu’au viol!

C’est dans ce cadre qu’il faut comprendre les corridas. Elles sont nées sous leur forme moderne à la fin du 18ème siècle, mais existaient déjà depuis au moins le 16ème siècle sous différentes formes. Et leur nature même est patriarcale, puisqu’il s’agit pour l’aristocrate de se prouver qu’il existe, en risquant sa vie, puisqu’il refuse de travailler et donc de se reconnaître dans le travail.