« Les animaux ont-ils des droits ? »: non, mais des gens sont payés pour entretenir l’illusion

Une fois n’est pas coutume, nous allons publier un document insupportable. Il s’agit d’un article intitulé « Les animaux ont-ils des droits ? » et publié hier dans le quotidien Le Monde, dans la section « Point de vue. »

Nous disions encore hier que la violence contre les animaux explose, que l’agro-business massacre toujours plus d’animaux. Pour autant, il ne faut pas croire qu’il n’y a justement pas de subventions destinés à des gens qui font semblant de critiquer, afin de donner l’illusion que tout cela est « démocratique ».

Les auteurs de cet article sont Florence Burgat, notamment directrice de recherche à l’INRA, et Jean-Pierre Marguénaud, professeur de droit privé à la Faculté de droit et des sciences économiques de Limoges et directeur du Centre de recherche sur les droits de la personne.

Bref, des « intellectuels » au sens vraiment « bourgeois » du terme. Des gens payés par l’Etat et la société pour critiquer l’Etat et la société, et l’on peut se douter de quel genre de critiques il s’agit: un discours pacifiste, totalement inféodé aux lois, aux institutions, à l’esprit dominant.

Du propre, du lisse, du bourgeois; aucune attaque frontale contre l’agro-business, aucune affirmation du véganisme.

Un discours de la « protection animale » absolument insupportable, tant parce qu’il ne répond pas aux exigences simples du jour: le véganisme, la libération animale, que parce qu’il est pompeux, élitiste, juridique, fatiguant jusqu’au harassant, et… personnel: les gens se mettent en avant en tant qu’individus, en tant que penseurs.

A LTD notre principe est simple: les point de vue doivent être clairs, compréhensibles et reprenables par tout le monde.

Aucune personnalité ne doit être mise en avant (avec sa photo, son nom, son « parcours », etc.), ce sont les animaux qui comptent, c’est Gaïa qui compte.

La question de la libération animale n’est pas une question « juridique », mais un devoir culturel et moral, et la libération animale n’est pas négociable.

L’article suivant est vain; il donne l’illusion qu’appeler à des réformes « par en haut » changera quoi que ce soit; il s’agit d’une démarche institutionnelle, d’une démarche opposée au développement populaire du mouvement vegan, à la base, par en bas, de manière démocratique, et sur des fondements absolument sans compromis.

Cet appel, alors que l’exploitation animale est en pleine expansion, est faux, décalé, élitiste, et ne répond pas aux exigences de la libération animale!

Les animaux ont-ils des droits ?

LEMONDE.FR | 15.07.10 |

Florence Burgat et Jean-Pierre Marguénaud sont respectivement rédactrice en chef et directeur de la Revue semestrielle de droit animalier

Les animaux ont-ils des droits ? Cette question, communément moquée et balayée d’un revers de main il y a peu, fait aujourd’hui partie des interrogations recevables, comme l’a montré récemment le 21e forum « Le Monde – Le Mans » intitulé « Qui sont les animaux ? ».

Qu’est-ce qui justifie que l’on fasse souffrir, de manière routinière, industrielle, et dans des proportions jamais atteintes, des milliards d’animaux terrestres et marins pour des bénéfices dont la légitimité et l’utilité sont au moins discutables ? Si l’on pense que les animaux n’ont pas de droits et qu’ils n’ont, somme toute, que ce qu’ils méritent, il faut s’en expliquer.

Un grand pas vers l’explication est franchi lorsque beaucoup se sentent contraints d’étayer une position qui semblait jusque-là acquise, inébranlable, pour ne pas dire irréprochable : après tout, ce ne sont que des bêtes ; d’où il faut entendre que quand on agit contre l’intérêt des bêtes, on ne fait rien de vraiment mal, rien de vraiment grave.

De cela, nous ne sommes peut-être pas absolument persuadés en notre âme et conscience, mais la collectivité ayant entériné les pratiques cruelles et massives contre les animaux, tout se passe comme si nous nous sentions individuellement justifiés d’en profiter, et donc innocents.

Ce trouble que chacun ressent en songeant aux souffrances infligées aux animaux a du reste entraîné depuis longtemps ses premières conséquences juridiques sur le continent européen : en Angleterre par le Martin’s Act, dès 1822, en France par la loi Grammont de 1850 punissant les mauvais traitements commis publiquement envers les animaux domestiques. Ces premiers pas étaient cependant bien timides, car la condition de publicité des actes commis tendait à protéger davantage la sensibilité des hommes auxquels le spectacle en était imposé que celle des animaux qui les subissaient.

Sans doute la condition de publicité tombera-t-elle par le décret du 7 septembre 1959 pour les mauvais traitements et ne sera-t-elle pas reprise par le loi du 19 novembre 1963 qui institua le délit d’actes de cruauté.

Cependant, aux côtés des souffrances inutilement infligées, c’est-à-dire non nécessitées par la finalité d’usages la plupart du temps générateurs de souffrance, il faut désormais songer à ces violences qui sont imputables au système d’exploitation.

Si la cruauté contre les animaux n’a pas d’âge, quelque chose s’est emballé. Dans le même temps, l’invisibilité de la souffrance animale se fissure, l’évidence selon laquelle les bêtes ne sont bonnes qu’à être tuées semble, pour peu qu’on y réfléchisse, douteuse. Derrière le « produit » se profile parfois quelque chose que nous n’aimons pas voir. La torsion que subit le statut juridique des animaux traduit ce malaise.

Le législateur européen prend des mesures de plus en plus nombreuses pour « protéger » les animaux et veiller à leur « bien-être », y compris et surtout au moment le plus paradoxal où on les mutile et où on les tue. La prédilection des législateurs pour un mot aussi fort que le « bien-être », visant à faire face à des situations où sa prise en compte confine à l’absurdité, reflète probablement pour une part le malaise inhérent à la justification implicite d’activités animalicides.

La proposition de règlement du Conseil du 18 septembre 2008 sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort en appelle d’ailleurs à la « prise en compte du bien-être des animaux » tout en enjoignant les exploitants « d’épargner au maximum la douleur, la détresse ou la souffrance aux animaux destinés à l’abattage ».

On découvrira une nouvelle dimension du paradoxe dans la Directive 93/119/CE du Conseil du 22 décembre 1993 sur la protection des animaux au moment de leur abattage ou de leur mise à mort qui mentionne dans l’un de ses alinéas qu’il « est interdit d’assener des coups ou d’exercer des pressions aux endroits particulièrement sensibles. Il est en particulier interdit d’écraser, de tordre, voire de casser la queue des animaux ou de les saisir par les yeux. Les coups appliqués sans ménagement, notamment les coups de pied, sont interdits ».

Faut-il que ces actes fussent répandus pour qu’il ait été nécessaire de les noter aussi explicitement dans une directive !

LA PERSONNALITÉ JURIDIQUE

Alors que certains scientifiques s’en remettrent au concept mécaniste de nociception, que d’autres admettent l’existence de douleurs « seulement physiques », le législateur européen, quant à lui, reconnaît aux animaux cette évidence, à savoir la capacité à souffrir, à être le sujet de leur douleur et à ressentir la souffrance psychique qu’est la détresse.

En vérité, tout le monde sait cela. Pourtant, les animaux sont très exactement traités comme des matières premières dont les règles de transformation sont soigneusement décrites.

Comment peut-on tranquillement reconnaître en même temps que les animaux sont profondément affectés par ce qui leur est fait, et en affirmer le caractère licite ? La légitimité de ces pratiques n’est-elle pas mise en question au cœur de leur réglementation ?

S’il est vrai que les animaux demeurent versés du côté des biens, et à ce titre appropriables, ils bénéficient depuis le décret de 1959, la loi de 1963 (précités), la loi du 10 juillet 1976 – dont l’article 9 proclame que « Tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce » – et le Code pénal entré en vigueur en 1994, d’une protection contre leur propriétaire lui-même.

Désormais, le droit ne laisse plus le propriétaire disposer de sa chose comme bon lui semble lorsque cette chose est un animal. D’ailleurs cette prise en compte de l’intérêt propre de l’animal, être vivant et sensible, n’exprime-t-elle pas une forte résistance à sa classification dans la catégorie des choses ?

Une ligne se dégage alors pour comprendre les raisons d’octroyer des droits aux animaux, par-delà les devoirs de l’homme à les utiliser le moins cruellement possible.

A ceux qui considèrent que les avancées législatives en matière de protection des animaux, et plus encore l’idée de leur reconnaître des droits, comme une insulte à la misère humaine, il faut répondre que la misère humaine résulte de l’exploitation ou de l’indifférence à la souffrance des plus faibles et que c’est au contraire l’insulter, sinon la légitimer, que de prôner l’indifférence farouche à l’égard de la souffrance d’autres êtres plus faibles encore et qui ne peuvent jamais consentir.

Il faut leur répondre que, dans la mesure où il ne suffit pas de rester indifférent à la souffrance des animaux pour soulager la misère humaine, la protection des animaux et celle des plus faibles des hommes relève du même et noble combat du Droit pour aider ceux à qui il peut être fait du mal, beaucoup de mal.

Considérer les animaux comme des choses, c’est les maintenir dans la catégorie où on les avait enfermés à l’époque où la négation de leur sensibilité permettait de les exploiter pleinement.

Nous estimons au contraire que tant sur le plan éthique que sur le plan juridique, dans le prolongement des idées avancées par René Demogue il y a plus d’un siècle, il est inacceptable de continuer à considérer les animaux comme des choses.

On peut, certes, améliorer le sort des animaux sans leur accorder la personnalité juridique, et des progrès ont été accomplis en ce sens aussi bien en droit français qu’européen.

Il semble cependant difficile de faire véritablement ressortir l’utilité de règles protectrices toujours plus nombreuses sans accorder aux animaux un statut qui leur reconnaisse la personnalité juridique et leur attribue techniquement des droits.

De toute façon, dans ce domaine comme dans tout autre, les améliorations concrètes dépendent de l’interprétation des textes par le juge.

Or, il ne fait guère de doute que les mêmes règles également protectrices ne seront pas interprétées dans un sens aussi favorable aux animaux dans un Etat continuant à les considérer comme des choses, toujours un peu viles, que dans un Etat les ayant déjà admis dans la catégorie des personnes titulaires de droits.

Florence Burgat est directeur de recherche en philosophie, INRA, université de Paris-I.

Jean-Pierre Marguénaud est professeur de droit privé, faculté de droit et de sciences économiques de Limoges (OMIJ).