Panache radioactif: Quels sont les risques attendus sur la France ?

La Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité (CRIIRAD) a été fondée à la suite de Tchernobyl, et bien évidemment on va faire confiance à cette association bien plus qu’à l’Etat français quant aux chiffres de la radioactivité.

Voici leur évaluation de la situation alors que les premières retombées radioactives de Fukushima arrivent jusqu’en France, entre aujourd’hui et demain. Le document n’est pas reproduit ici en entier, on peut trouver là une version PDF complète.

PANACHES RADIOACTIFS : Quels sont les risques attendus sur la France ?

Au vu du nombre impressionnant de demandes qu’elle a reçues, et plus encore de l’inquiétude exprimée par la plupart des messages, la CRIIRAD a décidé de rédiger un texte d’information destiné à rassurer, autant qu’il est possible, les personnes qui l’ont interpellée sans pour autant aller au-delà de ce que permettent les données disponibles. C’est difficile car les données utilisables sont encore très rares. C’est d’autant plus choquant que des résultats d’analyse existent mais qu’ils ne sont pas publiés. Nous reviendrons dans un prochain communiqué sur les nombreux dysfonctionnements qui provoquent depuis 10 jours notre indignation et notre colère.

LE CHOIX DE LA CRIIRAD

Etant donné les niveaux de risque auxquels sont exposées les populations japonaises, nous avons décidé de concentrer nos efforts sur la situation au Japon, sachant évidemment que les panaches radioactifs n’arriveraient sur la France que postérieurement et que les concentrations en produits radioactifs auraient considérablement décru. En parallèle, des recherches ont immédiatement été lancées sur les réseaux de mesures implantés aux Etats-Unis, au Canada et au Mexique afin de disposer d’une évaluation intermédiaire des niveaux de contamination des panaches avant leur arrivée sur l’Europe.

Ce jour 21 mars, la situation au Japon reste la priorité de la CRIIRAD : les rejets radioactifs continuent, ils peuvent s’aggraver à tout instant ; les conditions météorologiques sont en outre défavorables et pourraient le rester jusqu’à mercredi minuit au minimum (heure de Tokyo) ; les mesures de protection qui ont été prises sont insuffisantes ; les niveaux de contamination dans les produits à risque sont très élevés et bien au-delà des zones proches de la centrale (nous avons travaillé tout le week-end pour contrer les informations erronées diffusées à ce sujet).

Le présent document vient en complément. Il s’efforce de faire le point sur les niveaux de contamination attendus en France. Dès lors que le travail d’analyse de notre laboratoire pourra commencer, l’information sera plus facile à élaborer.

LA PROGRESSION DES MASSES D’AIR CONTAMINE EN DIRECTION DE L’EUROPE

Les mécanismes qui diminuent de la radioactivité de l’air La centrale nucléaire de Fukushima Daiichi rejette dans l’atmosphère, depuis 10 jours, tout un cocktail de produits radioactifs. Schématiquement, 3 mécanismes concourent à abaisser les niveaux de contamination et par conséquent les niveaux de risque :

1/ les émissions radioactives sont progressivement diluées dans des volumes d’air de plus en plus importants. Ceci conduit évidemment à une baisse de la concentration de l’air en produits radioactifs (ou plus exactement à une baisse de l’activité de l’air qui s’exprime en Bq/m 3). L’air que les populations sont susceptibles de respirer est ainsi de moins en moins radioactif.

Note : c’est ce que Roger Belbéoch appelle la démocratisation du risque : les niveaux d’exposition sont plus faibles mais un bien plus grand nombre de personnes est touché.

2/ les produits radioactifs présents dans l’air se déposent progressivement au sol, ce qui conduit à appauvrir progressivement le panache et à abaisser d’autant sa dangerosité. Deux mécanismes convergent : les dépôts secs, qui se produisent en permanence, quelles que soient les conditions météorologiques, et les dépôts humides, plus intenses, qui sont provoqués par la pluie ou la neige.

En tombant, elles lessivent en effet les masses d’air contaminé, précipitant au sol (ou sur les océans) les particules radioactives en suspension (aérosols) et les gaz solubles (c’est le cas des iodes radioactifs). Il faut espérer à ce propos que les panaches radioactifs restent le plus longtemps possible sur le Pacifique et l’Atlantique où l’impact des retombées est moindre d’un point de vue sanitaire.

3/ l’activité des produits radioactifs diminue dans le temps : pour certains, comme le césium 137 ou le krypton 85, très lentement ; pour d’autres, assez rapidement. Le rythme de décroissance est déterminé par la période radioactive de chaque radionucléide. Celle de l’iode 131 est de 8 jours. Cela signifie qu’en 1 période, soit 8 jours, l’activité initiale est divisée par 2 ; en 2 périodes, soit 16 jours, par 4 ; en 3 périodes, par 8, etc.

NB : la période radioactive ne suffit pas à déterminer le temps pendant lequel un produit radioactif reste dangereux. Il faut également tenir compte de l’activité initiale. Si l’activité initiale de l’iode est de 80 Bq, un mois plus tard, soit après 4 périodes, elle sera divisée par 16. Il ne restera « que » 5 Bq ; mais si l’activité initiale est de 8 000 Bq, un mois plus tard, il reste encore 500 Bq.

L’impact de ces 3 mécanismes – dilution, dépôts, désintégration – augmente évidemment avec le temps et la distance.

ESTIMATION PRELIMINAIRE DES NIVEAUX DE RISQUE PAR LA CRIIRAD

Sur la base des éléments qu’elle a pu collecter, la CRIIRAD considère que :

• le risque d’irradiation (voir note 1) par les masses d’air contaminé sera négligeable (les personnes qui disposent d’un radiamètre ne devraient pas mesurer d’augmentation du bruit de fond ambiant mais nous invitons les personnes qui sont équipées à le vérifier : une mesure vaut mieux qu’une prévision) ;

• le risque associé à l’inhalation des aérosols et halogènes radioactifs présents dans l’air devrait être très faible (voir note 2) . Les calculs de dose précisés ci-dessous indiquent que la mise en œuvre de contre-mesures, notamment la prise de comprimés d’iode stable3, n’est pas justifiée.

Nous avons essayé d’estimer les niveaux de dose résultant de l’inhalation des radionucléides dont la présence est documentée : césium 137, césium 134, iode 131, iode 132, iode 133 et tellure 132. Le premier calcul a été conduit pour une activité de 1 mBq/m3 pour le césium 137 (estimation donnée par l’IRSN) et de 125 mBq/m3 pour l’iode 131 (sur la base du rapport isotopique mesuré par TEPCO devant la centrale de Fukushima Daiichi le 19 mars 2011 à 12h – heure locale). Le calcul a été effectué en supposant que les panaches radioactifs restent présents sur la France pendant 1 semaine et sans que leur activité diminue.

Conclusion : une personne (adulte ou enfant) qui respirerait l’air contaminé 7 jours durant, recevrait une dose de rayonnement inférieure à 1 µSv, soit un niveau de dose négligeable ;

En prenant une marge de sécurité par rapport à l’évaluation de l’IRSN (soit 10 mBq/m -voir note3- en césium 137 au lieu de 1 mBq/m3), les doses s’élèvent à 2 µSv pour l’adulte et à 8 µSv pour l’enfant.

• le risque d’irradiation des personnes par les produits radioactifs déposés sur les sols sera négligeable, n’induisant aucune augmentation mesurable du bruit de fond ambiant (là encore ceci pourra être facilement vérifié par des mesures radiamétriques) ;

• le risque lié à l’ingestion d’eau ou d’aliments contaminés par les retombées radioactives devrait rester limité. Le laboratoire de la CRIIRAD évaluera le plus rapidement possible les quantités de radioactivité déposées au sol (dépôts sec et dépôts liés aux précipitations) afin de vérifier les ordres de grandeurs attendus dans les aliments et de donner, si nécessaire, des conseils adaptés.

[NOTES:

1 Il s’agit de l’exposition des personnes aux rayonnements émis par les produits radioactifs présents dans les panaches et qui se désintègrent. Un peu comme on peut être exposé aux rayonnements ultra-violets émis par le soleil. Il n’y a pas d’incorporation de produits radioactifs ;
2 Sous réserve cependant que les radionucléides significatifs sur le plan dosimétrique, mais qui n’ont pas fait l’objet de mesures, restent dans les rapports attendus. Il s’agit notamment des isotopes du strontium et du plutonium.
3  En revanche, le contexte actuel peut amener chacun à réfléchir à l’équilibre de son régime alimentaire et à vérifier s’il n’est pas carencé en iode (la thyroïde a besoin d’iode stable pour fabriquer les hormones nécessaires au bon fonctionnement de l’organisme). Rappelons également que lorsque la thyroïde est carencée en iode, elle fixe d’autant plus l’iode radioactif.]

En conclusion, le passage des masses d’air contaminé sur la France ne doit pas générer trop d’inquiétude.

Cependant, compte tenu du manque crucial de données, la CRIIRAD est contrainte de laisser certaines affirmations au conditionnel. Ceci devrait pouvoir être corrigé très rapidement.

Son laboratoire a procédé, dès aujourd’hui, sur plusieurs de ses balises à des prélèvements de filtres à poussières et de filtres à charbon actif afin de vérifier que l’air que l’air que nous respirons n’est pas encore contaminé.

Les premiers résultats, qui concernent la balise implantée à Romans-sur-Isère, dans la Drôme, confirment l’absence de contamination mesurable dans l’air jusqu’à la date du prélèvement, le lundi 22 mars 2011 à 10 heures : pas de césium 137 dans le filtre aérosols, ni d’iode 131 dans la cartouche à charbon actif.