La corrida comme « patrimoine culturel » français !?

En décembre 2009, nous avions publié un article intitulé La corrida au patrimoine culturel de l’UNESCO !? Cette fois c’est fait : la France a élevé la tauromachie au statut de « patrimoine culturel immatériel français » par la commission du ministère de la Culture.

Il s’agit évidemment d’un moyen de pression idéologique, d’une valorisation morale. Par ce biais, la corrida reste dans les moeurs, tout comme la vivisection ou l’exploitation animale en général. Une preuve que le véganisme, c’est toute une contre-culture… Et encore faut-il qu’il y ait la libération animale derrière, sinon, impossible de faire face à la pression de la société.

Car c’est une énorme victoire pour la corrida. C’est en effet la prestigieuse UNESCO qui a inventé ce principe honorifique de patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Le principe est le suivant :

On entend par patrimoine culturel immatériel les pratiques, représentations, expressions, connaissances et savoir-faire que les communautés reconnaissent comme faisant partie de leur patrimoine culturel. Ce patrimoine, transmis de génération en génération, est recréé en permanence par les communautés et leur procure un sentiment d’identité et de continuité.

Le ministère de la culture fait donc un grand cadeau à la corrida et à l’exploitation animale en général.

Pourtant, il y a ici évidemment deux problèmes dans la définition de « patrimoine immatériel. » D’abord et évidemment le fait que les corridas ne sont certainement pas immatérielles, mais bien concrètes justement. Ensuite, il y a le fait de se cacher derrière la continuité qui, si elle est vraie, ne justifie rien du tout.

Voici justement le communiqué de l’alliance anti-corrida, qui n’a pas saisi cela.

Le 13 décembre 2009, l’Union des villes taurines françaises (UVTF) annonçait ses démarches visant à inscrire la culture taurine au patrimoine immatériel de l’Organisation des nations unies pour l’éducation (Unesco) prétendant que « la corrida est fondée sur le respect du taureau en tant que patrimoine génétique, et qu’en vivant dans une culture extensive, toutes sortes de bêtes sauvages se trouvent préservées ».

Or, pour être déposée, une telle demande nécessite au préalable l’aval de l’État Français. Le 9 juillet 2010 le directeur de Cabinet du ministre nous affirmait : « À ce jour aucune démarche officielle n’a été entreprise par l’UVTF auprès du ministère en vue d’une candidature » ! Interrogé au téléphone, il nous a confié qu’il n’y avait aucune chance pour que l’aval de l’État français soit accordé à ce projet.

Aujourd’hui, au même titre que la conservation d’objets des musées et des monuments historiques, les crèches vivantes ou la gastronomie française, notre gouvernement est le seul à reconnaître au Patrimoine immatériel français une activité réprimée par le code pénal partout dans l’Hexagone, excepté, par dérogation, dans certaines localités.

Comment notre ministre de la Culture, chargé de rendre accessible au plus grand nombre les oeuvres capitales de notre peuple et de favoriser la création des oeuvres d’art et de l’esprit, peut-il décemment encourager une survivance archaïque qui consiste à donner en spectacle la torture d’un animal ?

Pour les responsables du lobby tauromachique, qui ont senti le vent tourner, il ne s’agit que de redorer le blason d’une tauromachie mal en point, en manque de subventions publiques et de spectateurs… Pour l’Alliance Anticorrida, l’aval de l’État est l’aveu que nos dirigeants n’ont que faire des aspirations et de l’opinion de la majorité des Français ! C’est aussi un aiguillon pour continuer le combat. D’autant que l’Unesco, référence mondiale en matière de culture et d’éducation, qui a pour objet de faire évoluer l’humanité tout entière, ne prendra jamais le risque d’inscrire à son patrimoine une tradition barbare !

Ce communiqué est totalement ridicule, il est totalement servile vis-à-vis du ministère de la culture ou de l’UNESCO, il est d’une naïveté confondante. Car ne pas voir que derrière la corrida il y a l’exploitation animale en général, comme organisation économique, c’est se condamner à ne rien comprendre du rapport de forces.

C’est exactement comme la vivisection : seule la libération animale peut critiquer celle-ci de manière adéquate. Toute le reste est mêlé au système produisant la vivisection.

Car, bien sûr le ministère de la culture dit qu’il reconnaît la tauromachie, « au même titre que la tarte tatin, le fest-noz, la tapisserie d’Aubusson, les parfumeurs de Grasse. » Mais cela n’est qu’apparence.

Si la corrida est reconnue, c’est bien sûr pour casser la libération animale… Exactement dans le même esprit que la « modernisation » de la chasse dont nous parlions il y a peu, et qui soutient une criminalisation massive de la libération animale.

Cela se révèle très bien dans le communqué de Corrida.tv, qui explique :

Cette mesure constitue la reconnaissance, par l’instance compétente, de la dimension culturelle de la tauromachie telle qu’elle se pratique et telle qu’elle est vécue dans notre pays par les professionnels (toreros et éleveurs) et par les amateurs qui composent le monde taurin français.

Elle est la traduction scientifique des dispositions législatives et réglementaires qui légalisent la corrida depuis plusieurs décennies dans les régions taurines « où peut être invoquée une tradition locale ininterrompue », et consacre l’exception culturelle qu’avait déjà reconnue le législateur.

Elle s’inscrit également dans la continuité des travaux et recherches menés dans ce domaine au titre de la connaissance du patrimoine ethnologique.

(…)

Dans son dossier, l’Observatoire a fait valoir que la corrida reflète un aspect significatif de l’histoire et du vécu de chacun des peuples qui l’ont en partage en Europe du sud et en Amérique latine ; qu’elle participe des arts du spectacle vivant, des activités rituelles et festives et constitue en outre le noyau de nombreuses fêtes locales qui, dans nos régions et dans nos villes, ont un grand pouvoir d’animation et d’attraction touristique.

L’Observatoire a fait valoir en outre que la tauromachie suscite, tout au long de l’année, la participation dans notre pays de centaines de milliers de passionnés, souvent membres de clubs taurins, à des manifestations culturelles et à des rencontres, favorisant du même coup la publication de nombreux ouvrages et revues qui lui sont consacrés.

Enfin, l’Observatoire a montré que dans son organisation et son déroulement la corrida est fondée sur la mise en valeur de l’instinct offensif du taureau et sur le respect de cet animal, élevé en liberté sur de vastes étendues qui constituent, en particulier en France, des écosystèmes déterminants pour la préservation de la faune et de la flore sauvages vivant sur ces territoires. Elle contribue par là même à maintenir des traditions et des savoir-faire liés à la campagne et à l’élevage.

Un peu d’écologie, beaucoup de terroir, énormément d’exploitation animale.

Voilà pourquoi l’alliance anti-corrida ne peut qu’être déçue : elle n’a pas perçu les enjeux en arrière-plan.