Le faux biocentrisme de Gérard Charollois : un humanisme de la séparation d’avec la Nature

Puisque nous parlons de biocentrisme, il est nécessaire de préciser que l’utilisation que nous en faisons est la plus simple et la plus juste. Ce terme est en effet employé parfois à tort et à travers, de manière biaisée, comme par Gérard Charollois, de la « Convention vie et nature. »

Cet ancien juge utilise le terme de « biocentrisme » de manière erronée, puisqu’au lieu de ramener l’être humain à la Nature, il veut élever la Nature à ce qu’on peut appeler la culture, ce que lui appelle le « droit. »

Et il considère que l’humanité est « sortie » de la Nature, qu’elle est déjà coupée d’elle, qu’elle doit d’ailleurs rester extérieure à elle.

Cela peut être intéressant, bien entendu, c’est une thèse certainement discutable, mais ce n’est pas du biocentrisme. C’est de « l’abolitionnisme » élargi, pas du tout la reconnaissance de Mère Nature.

Expliquons cela, car c’est une problématique importante ; ce n’est pas du tout couper les cheveux en quatre, culturellement cela a des conséquences importantes.

C’est d’ailleurs simple à comprendre, dans ses fondements.

La tradition biocentriste est grosso modo historiquement portée par les groupes américains faisant partie du réseau « Earth first ! », qui utilisent régulièrement le slogan « For the wild ! », c’est-à-dire « pour le sauvage ! »

La démarche d’Earth First ! va de pair avec une critique très sévère du véritable « carcan » formé par le formalisme « civilisé », ce que les romantiques du 19ème siècle appelaient le style « bourgeois », et tout cela va avec un appel au retour à la vérité portée par la Nature.

C’est ce que nous voulons dire entre autres par « la Terre doit redevenir bleue et verte ! »

Gérard Charollois serait d’accord avec le principe d’une Nature sauvage reprenant une large place sur la planète, sauf que la valorisation qu’il est en fait n’est pas biocentriste, contrairement à ce qu’il affirme.

Car il y a en effet dans le message biocentriste quelque chose d’absolument insupportable pour les Français pétris de « tradition » et du terroir, c’est la mise en avant d’un ordre naturel. Le biocentrisme va forcément de pair avec l’ordre naturel.

C’est par exemple ce qui fait que nous ne limitons pas notre tradition au véganisme en particulier, et que nous nous intéressons en général au courant vegan straight edge, la libération animale et la libération de la Terre, Earth first !, le courant hardline (qui a tenté de célébrer l’ordre naturel mais en s’appuyant sur la religion), les insurrectionalistes anarchistes latino-américains, Spinoza, Lucrèce, etc.

S’il y a des différences entre ces courants, ces penseurs, etc, pour nous comme pour eux, la Nature est ordre en transformation, et on y coupe pas. L’humanité appartient à la Nature.

Elle peut prétendre le contraire, et elle le fait… Mais ce n’est qu’une illusion.

Bien entendu, les religions s’opposent à l’idée qu’il y ait un ordre naturel, mais c’est également le cas de ceux qui opposent Nature et culture, affirmant que les humains se sont arrachés à la Nature, qu’ils ont créé le droit, l’art, le langage, l’histoire, etc. etc. C’est ce que toute personne passée par la classe de terminale au lycée apprend en cours de philosophie.

Ainsi, Gérard Charollois pense qu’il est biocentriste, car il dit que la Nature a une valeur en soi. Ce n’est cependant pas être biocentriste, car le terme « centriste » désigne qu’on place la Nature au centre.

Or, Gérard Charollois place la Nature au centre de ses préoccupations, cela c’est vrai, mais il ne place pas la Nature au centre de sa conception du monde. Là est très exactement toute la différence.

Il en est d’ailleurs conscient puisqu’il explique dans « De l’écologie au biocentrisme » :

« Cette approche est le biocentrisme qui considère à la fois les espèces et les individus qui les composent.

Nous concilions deux courants de pensées contemporains : l’écologie qui pense les espèces et le courant animaliste qui pense l’être sensible. »

Or, la tradition biocentriste ne « concilie » rien du tout, elle considère que les deux sont la même chose, d’où par exemple la critique de certaines personnes véganes à LTD qui ne voient pas le rapport avec le straight edge, alors que pour nous accepter sa dimension naturelle implique d’être straight edge, parce que les drogues sont illusoires et forment un paradis artificiel, anti-naturel.

De la même manière, c’est vrai pour les courants insurrectionalistes anarchistes d’Amérique du Sud ou bien nombre de personnes partisanes de la libération animale aux Etats-Unis assument automatiquement la libération de la Terre.

Il ne s’agit pas d’un agrégat d’idées, mais d’une seule idée. Par exemple, et qu’on soit d’accord ou pas n’est pas la question, pour les insurrectionalistes anarchistes d’Amérique du Sud, être révolutionnaire c’est forcément et à la fois être anarchiste, vegan, pour la libération de la Terre, anti-civilisation. Tout cela va purement et simplement ensemble.

Pour en revenir à la question du biocentrisme, on pourra dire que cela ne change pas grand chose de savoir si on reconnaît un ordre naturel ou pas. En France, le pays des « jardins à la française », c’est pourtant d’une importance capitale.

Il est facile d’ailleurs de voir que le biocentrisme de Gérard Charollois n’assume pas du tout la libération animale et la libération de la Terre. Il se reconnaît – Gérard Charollois est un ancien juge – justement dans le courant welfariste, dans le courant juridique-réformateur (celui de « Droits des animaux » qu’il soutient donc).

Dans son article « Un statut pour la Nature », cette « élevation » juridique de la Nature est explicite :

« Pour nous, la nature doit être sauvée en toutes ses composantes et en tous lieux. Quand par mutation comportementale, l’homo capitalistus deviendra un homo ecologicus, un contrat liera l’humain enfin hominisé avec la Nature, contrat reconnaissant à la nature le droit d’être et de demeurer. »

Il y a un article équivalent intitulé « un statut pour l’animal » où forcément, comme dans le mouvement pour les droits des animaux, on a l’utilisation du concept de spécisme, avec le même discours moraliste :

« Un jour prochain viendra où le spécisme sera considéré à l’instar du racisme.

Reconnaître l’unité du vivant, refuser les frontières éthiques imposent d’élever la condition animale sans abaisser la condition humaine.

Bien au contraire, l’apprentissage du respect des êtres sensibles élève l’humain et le prépare à des relations apaisées, bienveillantes, altruistes. »

Et de là on retombe sur une définition misanthrope, forcément. Voici ce qu’il dit dans un article intitulé « Un statut pour l’humain », un article avec beaucoup d’allusions révélatrices de ses lectures (Bergson, Teilhard de Chardin…).

Pour faire court, disons que Gérard Charollois a une vision « technique » de l’être humain : les humains seraient violents et cupides « par nature » – thèse opposée au biocentrisme qui considère que Mère Nature fait bien les choses – qui auraient pris le chemin de la « technique » et qui vont se transformer par le biais de la technique.

Ce qu’explique Gérard Charollois, c’est que les humains doivent sortir de la Nature, qu’ils sont différents et ont pris un autre chemin.

Voici ce qu’il dit :

« Si la conscience s’élevait au niveau de la science, l’humanité se réconcilierait avec la biosphère.
Parce que l’homme a des droits, une puissance, une supériorité technique, il a des devoirs envers le vivant. Affirmons ces droits et ces devoirs et cessons d’esclavagiser l’animal non-humain et la nature pour que l’humain s’hominise enfin.

Pour beaucoup, l’homme actuel est le fruit d’une évolution darwinienne. Sans doute. Mais le fruit est un aboutissement.

Je préfère penser qu’il est la fleur dont sortira un jour le fruit non encore advenu. Rien ne permet d’affirmer que le processus d’évolution doive s’achever maintenant et il faut tout l’orgueil naïf de l’animal doué de raison pour s’imaginer être le but ultime.

Il se pourrait d’ailleurs que l’homme devienne, par sa maîtrise de la biologie, l’artisan de sa propre évolution mais nous touchons là aux limites de la spéculation philosophique et scientifique. Ce qui est certain, c’est que l’avenir est conditionné par la guérison de deux instincts caractérisant notre espèce : la violence et la cupidité.

Ces tares comportementales pourraient bien constituer une impasse évolutive à défaut d’une mutation culturelle urgente. »

En clair, pour Gérard Charollois l’humanité a pris un chemin particulier ; étant mauvaise elle mène une guerre à la Nature, mais s’étant développée elle peut « prendre conscience » et arrêter sa guerre, et qui plus est persévérer dans son éloignement de la Nature afin de se perfectionner.

Ce n’est pas du biocentrisme. Respecter la vie n’est pas du biocentrisme, placer la vie au centre est du biocentrisme, mais non pas simplement du « droit », mais de la philosophie elle-même à la base de ce droit.

Et c’est ce qui fait que par son aspect moraliste, Gérard Charollois ne fait que reprendre à son compte la conception du mystique chrétien Teilhard de Chardin. Nous en reparlerons.

Le biocentrisme est un humanisme

Le biocentrisme, c’est placer la vie au centre de la réflexion. C’est considérer que l’anthropocentrisme est erroné, que la vie en général a des droits, et pas simplement les êtres humains.

Le biocentrisme est donc une révolution intellectuelle, la négation absolue de toute religion. L’être humain n’est plus considéré comme le « meilleur » aboutissement de l’évolution de la Nature, mais comme une composante seulement de la Nature.

Le biocentrisme est ainsi un humanisme, le véritable humanisme même, parce qu’il définit l’être humain tel qu’il est vraiment. Il n’y a pas d’être humain sans Nature, les jardins à la française sont une aberration intellectuelle, car la pensée n’existe pas de manière abstraite, elle est une faculté sensible.

Le cerveau est une réalité sensible, il n’y a pas d’âme ou que ce soit du genre. Prétendre que l’humanité est supérieure, c’est prétendre que l’être humain serait d’une nature différente. La religion a prétendu cela en disant justement que les humains avaient une « âme. » Beaucoup d’autres idéologies font de même : la psychanalyse prétend qu’il y a un inconscient et que la « civilisation » permet de s’extirper de la Nature, le queer prétend qu’on peut choisir sa propre nature, sa propre identité (homme, femme, rien de cela…), etc.

On ne peut choisir rien du tout : on est ce que l’on est. L’humanité doit en terminer avec son problème d’ego, et saisir qu’elle n’est qu’une partie d’une planète vivante, en évolution. L’humanité se définit justement par sa compréhension de cette réalité, et selon nous son programme doit être la responsabilisation la plus grande.

Les opposants anthropocentristes au biocentrisme affirment que défendre la Nature, c’est nier l’humanité ; en réalité, seule l’affirmation de la Nature permet à l’être humain d’avoir un regard correct sur lui-même, car il est naturel.

Même un individu vivant dans une grande mégalopole, aliéné au point de rien aimer de naturel, vivant dans le béton et célébrant non pas la culture mais les objets de consommation, reste un être vivant, un être vivant forcément tourmenté de par un environnement aseptisé, neutralisé, statique.

La vie est mouvement, elle est rencontre, elle est formation de liens, de plus en plus constructifs. Les destructions provoquées par les humains sur la planète vont avoir comme conséquence directe un retournement de situation où l’être humain va devoir contre-intervenir contre ses propres interventions.

Cela va le façonner différemment ; après 10 000 années de guerre contre la Nature, l’être humain est arrivé au point où il doit saisir qu’il ne peut plus aller plus loin, d’ailleurs le réchauffement climatique est la crise qui le lui rappelle.

Évidemment, il y a des interprétations conservatrices du biocentrisme, qui expliquent que tout doit rester pareil, que rien ne doit changer, ou bien encore que les humains doivent se réconcilier avec la Nature… Sauf que les humains ont dès leur formation connu un rapport conflictuel avec la Nature.

En période de crise, la Nature est prise en otage par certains pour un discours romantique, qui regarde en arrière, qui veut en revenir, comme les gens de la ZAD d’ailleurs, à une sorte de monde idéalisé dans les films où l’on voit des petites communautés paysannes et artisanales, homogènes et où tout un chacun est à sa place, etc.

C’est de la fiction. De toutes manières, les humains ne peuvent pas trouver dans le passé une forme adéquate de rapport avec la Nature, même si la période avant la domestication et l’agriculture était marquée d’un rapport moins conflictuel.

D’ailleurs, les humains veulent conserver leur progrès, la culture et la capacité d’avoir celle-ci par un travail moins important, surtout alors qu’encore pour la grande majorité de l’humanité, vivre est quelque chose de très difficile.

Une société mondiale biocentriste ne pourra pas trouver un modèle dans le passé, elle ne pourra exister que comme société où l’humanité est organisée à l’échelle mondiale, organisant sa production de manière rationnelle, en accordant tout l’espace nécessaire pour que la Terre redevienne bleue et verte.

Et pour cette même raison, inévitablement l’humanité tentera la « terra-formation » d’autres planètes, pour que la vie se développe. L’humanité, comme composante d’une planète vivante, a inévitablement cette fonction de préserver et de diffuser la vie !