Hulot rejoint l’écologie en mode catho

C’est une prise de choix pour l’Eglise catholique: Nicolas Hulot rejoint leur camp, parlant de « l’âme du monde », promouvant une écologie dont les termes sont absolument catholiques. Le journal La Vie souligne même que lorsque Hulot a pris la parole, il avait des accents « bergogliens », allusion à Jorge Mario Bergoglio, l’actuel pape François!

Pape qui sera accueilli en grande pompe par un autre François, le président de la République française quant à lui, trop heureux d’avoir le pape en « guest star » à la conférence de l’ONU sur le changement climatique qui se déroulera à Paris à la fin de l’année!

Tous unis afin… de ne surtout pas critiquer l’anthropocentrisme, de bien faire en sorte que le concept de Nature soit réfuté, que tout résumé à une question « environnementale » qui serait à « gérer »…

Nicolas Hulot : « l’âme du monde est profondément malade »

Des responsables religieux chrétiens, musulmans, juifs et bouddhistes de la Conférence des responsables du culte en France se sont réunis le 21 mai au Sénat pour un colloque sur le climat et les religions. Une journée marquée par l’intervention de Nicolas Hulot, envoyé spécial du Président de la République pour la protection de la planète qui les a interpellés dans un discours aux accents « bergogliens ».

À un mois de la publication de l’encyclique sur l’écologie, c’est un appel très spirituel, aux accents bergogliens, qu’a lancé Nicolas Hulot, envoyé spécial du Président de la République pour la protection de la planète, aux responsables religieux chrétiens, musulmans, juifs et bouddhistes de la Conférence des responsables du culte en France, réunis le 21 mai au Sénat pour un colloque sur « le climat et les religions » en prévision de la conférence de Paris sur les changements climatiques (COP 21).

« Nous sommes dans une profonde crise de civilisation, et d’ailleurs le mot crise lui même d’ailleurs a-t-il encore un sens, dans la mesure où en théorie une crise est un mauvais moment à passer … ? Reconnaissons ici que ce mauvais moment ne cesse de s’éterniser ce qui prouve qu’il y a quelque chose de profondément intime qui ne fonctionne plus dans nos sociétés. Pour moi, il y a une nécessité absolue, effectivement de mener la bataille de l’Histoire. L’âme du monde est profondément malade. »

Ainsi, pour Nicolas Hulot, le rôle particulier des religieux est de placer cet enjeu à « un niveau supérieur », de relier les hommes entre eux et à leur Histoire pour guérir « l’âme du monde » : « Si la dimension éthique ne dépasse pas la simple expertise, je pense que l’effort, l’échéance sera insuffisante » a-t-il déploré avant de poursuivre : « L’homme n’est plus relié à rien. C’est le désarroi tragique de l’homme moderne. Il n’est plus relié à son passé, il est en train de se désolidariser de son futur et il a pensé, probablement aveuglé par l’hypertrophie de la technique et de la technologie qu’il pouvait détacher sa branche de l’arbre de la création. »

Des propos qui font écho avec ceux du pape François que l’envoyé spécial du Président à rencontré à plusieurs reprises au Vatican : « C’est une grande méprise qui advient « quand l’absolutisation de la technique prévaut », ce qui finit par produire « une confusion entre la fin et moyens . Résultat inévitable de la « culture du déchet » et de la « mentalité de consommation exagérée ».

Au contraire, affirmer la dignité de la personne c’est reconnaître le caractère précieux de la vie humaine, qui nous est donnée gratuitement et qui ne peut, pour cette raison, être objet d’échange ou de commerce » déclarait ainsi le pape fin novembre devant le Parlement européen.

Hulot, lui, déclare : « Je sais que dans une société matérialiste tout cela est complètement hors sol. Mais qui mieux que vous peut nous aider à replacer l’homme là où il est ? »

Accents bergogliens aussi dans cette dénonciation forte d’une culture du déchet qui fait le lit des conflits et des intégrismes : « Dans un monde qui n’a pas besoin d’humiliations supplémentaires ni d’occasions de tensions, de conflits supplémentaires, la crise climatique est l’ultime injustice, a-t-il affirmé parce qu’elle affecte et frappe prioritairement des hommes, des femmes et des enfants qui sont déjà en situation de vulnérabilité, qui pour la plupart n’ont pas bénéficié d’un mode de développement qui parfois s’est fait même sur leur dos et dont ils subissent les conséquences négatives. (…) Dans un monde aussi réactif, cette ultime humiliation fait le lit de tous les intégrismes. Prendre en charge collectivement l’enjeu climatique c’est pacifier le monde; laisser le temps de dicter la mutation c’est nous livrer un XXIème siècle à côté duquel les tragédies du XXème nous sembleront dérisoires. »

Des responsables religieux, il attend ainsi qu’ils aident à séparer le bon grain de l’ivraie du le discours politique : « C’est un moment de vérité et vous devrez nous aider à faire en sorte que, derrière les mots plein d’empathie, parfois larmoyants, parfois sincères mais parfois éloignés de la sincérité les responsables politiques mettent en place des actions à la hauteur de la situation et qu’à Paris ils écrivent l’Histoire et ne la laissent pas s’écrire à notre place ».

Faisant allusion aux moqueries qui ont suivi ses trois visites au Vatican il a déclaré : « On dit que je suis tellement désespéré que je vais chercher un miracle. Mais la crise est tellement grave qu’il faut une dimension verticale… ». Les membres de la Conférence des responsables du culte en France doivent rencontrer François Hollande le 1er juillet et lui remettre un texte interreligieux sur le sujet.

Programme des Assises chrétiennes de l’écologie,

Voici le programme des Assises chrétiennes de l’écologie, qui se dérouleront du 28 au 30 août à Saint-Étienne. Nous en avons parlé et nous en reparlerons: il est vraiment significatif que ce soit les catholiques qui aient ici mis l’initiative.

Ils ont en effet compris que le grand risque était l’affirmation de la Nature, qui saperait le principe de « Dieu ». Et ils ont compris que les gens qui ne les soutenaient pas étaient dominés culturellement par des gens anthropocentristes rejetant la Nature, tout en préservant un compromis « laïc » avec l’Église.

Il y a donc un boulevard pour faire passer le catholicisme pour « écologiste », avec comme bouquet final la venue du pape à Paris pour la conférence de l’ONU sur le climat, en décembre…

La dimension « anticapitaliste » n’est également forcément pas oubliée: il y a ainsi la publication par La Vie d’une interview de Naomi Klein, figure « altermondialiste », présentée ainsi:

Pour Naomie Klein, «ne pas se résigner à la crise climatique est une question morale». Pour l’altermondialiste candienne, la lutte contre le changement climatique doit remettre en cause la domination du capitalisme.

Tout cela est, malheureusement, vraiment très bien ficelé, et foncièrement logique. Raison de plus d’assumer « la Terre d’abord! » à la fois face aux individualistes anti-Nature et aux religieux pro-mysticisme.

Agir sur mon empreinte écologique. Pourquoi ? Comment ?

Si tous les humains consommaient autant que les ­Français, il faudrait trois fois notre planète pour y pourvoir. Aliments, mobilité, habitat, loisirs, culture, etc. : nous simulerons la façon dont chacun peut diminuer ses principaux postes de consommation pour réduire son empreinte écologique, qui mesure l’impact de notre mode de vie sur la planète. Avec Arnaud du Crest, membre du Forum pour d’autres indicateurs de richesse et du groupe Paroles de chrétiens sur l’écologie, auteur de Pour un engagement écologique : simplicité et justice.
> Forum 2 Ven 18 h-19 h 15, sam 12 h 30-13 h 45.
Devenir une famille à énergie positive

Les consommations d’énergie et d’eau à la maison représentent une source de dépense importante. Elles sont aussi coûteuses pour l’environnement. Des milliers de « familles à énergie positive » montrent qu’il est possible d’agir ensemble de façon concrète, efficace et ludique pour trouver les solutions. ­Frédéric Delhommeau est l’un de ces pionniers, qui a lancé cette opération en France en 2008. Responsable de l’antenne parisienne de l’association ­Prioriterre (www.prioriterre.org), il présentera cette démarche de sobriété ­heureuse.
> Forum 57 Ven 18 h-19 h 15, sam 12 h 30-13 h 45.
Prier avec la Création, en prenant son temps…

Se mettre à l’écoute de la parole de Dieu. Contempler la Création que le Seigneur nous donne à aimer. Expérimenter le silence, l’écoute de Sa parole, de ma parole, de la parole des autres, en prenant du temps. Faire l’expérience avec d’autres d’une prière guidée, ou pas… Isabelle Ezanno, membre des Chemins ignatiens dans la Loire, nous introduira dans ce chemin de beauté.
> Forum 6 Ven 18 h-19 h 15, sam 14 h 15 à 15 h 30.
Jeûner pour le climat ? Quand spiritualité et écologie s’embrassent

Jeûner le premier jour de chaque mois pour soutenir spirituellement les négociations de l’Onu sur le réchauffement climatique, lors de la conférence Paris Climat 2015. Tel est l’objectif de l’initiative Jeûne pour le ­climat, qui relie 10 000 personnes dans le monde depuis une année. Martin Kopp, chargé de plaidoyer pour la justice climatique au niveau de la Fédération luthérienne mondiale, présentera cette démarche et l’avancée des négociations climatiques.
> Forum 8 Ven 18 h-19 h 15.
« Christianisme et objection de croissance »

Quelles limites se donner individuellement et collectivement ? Avec Chrétiens et pic de pétrole, un groupe basé à Lyon, et Olivier Rey, philosophe, auteur d’Une question de taille (Stock, 2014) nous explorerons les pistes individuelles et collectives pour construire un autre modèle de société fondé sur la convivialité, l’autonomie des individus et la notion de limites.
> Forum 16 Ven 16 h 30-17 h 45, sam 12 h 30-13 h 45.
Banque et climat : comment mettre notre argent au service d’une transition vers des sociétés soutenables

Quel rôle jouent les banques françaises dans le dérèglement climatique ? ­Comment reprendre le contrôle de son argent ? Lucie Pinson, chargée de la campagne « Finance privée » pour l’association environnementale les Amis de la Terre, proposera des pistes concrètes d’action pour des placements éthiques et écologiquement ­compatibles.
> Forum 19 Ven 18 h-19 h 15, sam 14 h 15-15 h 30.
L’Église, actrice de la transition énergétique : pourquoi et comment ?

Emmanuelle Geffriaud est conseillère énergie puis responsable du pôle « Espace info énergie » au sein de l’association Prioriterre, qui aide les citoyens à baisser leur consommation énergétique. Elle nous aidera à comprendre, exemples à l’appui, comment, dans l’Église, on peut impliquer les paroisses, et les paroissiens, de manière concrète dans la transition énergétique.
> Forum 27 Sam 12 h 30-13 h 45, sam 14 h 15-15 h 30.
Vivre en harmonie avec tous les vivants, humains et non-humains, est-ce possible ?

En vérité, quel a été au long des siècles notre comportement de chrétiens vis-à-vis de l’ensemble des vivants ? Et que devrait-il être ? Nous y réfléchirons avec Jean-Pierre Raffin, ancien enseignant-chercheur à l’université Paris VII-Denis Diderot, membre actif de l’antenne ­Environnement et Modes de vie au sein de la Conférence des évêques.
> Forum 3 Ven 18 h-19 h 15.
François d’Assise, patron de l’écologie

Qu’en est-il en réalité de saint François d’Assise ? Que nous enseignent les sources dont on dispose ? Et aujourd’hui, comment pouvons-nous nous inspirer de lui ? Patrice Kervyn, religieux franciscain, nous aidera à mieux situer l’immense envergure de ce saint universel que Jean Paul II a fait patron de l’écologie.
> Forum 28 Ven 18 h-19 h 15, sam 14 h 15-15 h 30.
Résister en animant un éco-hameau chrétien

Est-on condamné à mener une vie « sur les rails » ? Alexandre Sokolovitch, animateur coordinateur de l’éco-hameau Goshen, où vivent quatre familles, nous fera part des expériences alternatives autour d’une ferme en agroécologie qui sont menées dans ce lieu expérimental, principalement auprès des jeunes. Alexandre se réfère à une démarche chrétienne inspirée par les courants de pensée de l’éducation populaire, de la non-violence et des valeurs de l’altermondialisme. Avant de se fixer à Goshen, il a vécu avec sa femme Marie et leur ­premier enfant pendant trois ans en nomade dans un bus à la rencontre de la marginalité en France.
> Forum 33 Ven 18 h-19 h 15, sam 14 h 15-15 h 30.
Danser pour honorer la terre

Une invitation douce à habiter son corps et à ouvrir tous ses sens avec Béatrice Pupier, qui anime des ateliers de danses sacrées depuis une dizaine d’années.
> Forum 52 Ven 16 h 30-17 h 45, sam 12 h 30-13 h 45.
Effets du réchauffement climatique sur la biodiversité

Animaux et plantes sont loin d’être insensibles au réchauffement climatique. Il est fréquent de constater qu’ils montent en altitude pour retrouver des températures plus froides… Avec ­Raymond Faure, président de la Frapna (Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature) Loire. La Frapna mène des actions pour la protection de la faune et de la flore, des milieux naturels et de l’environnement.
> Forum 10 Sam 14 h 15-15 h 30.
Soigner l’esprit, guérir la Terre. Atelier pratique de découverte du « travail qui relie »

Comment se transformer soi-même et convertir son regard sur la nature, pour se sentir bien plus proche d’elle ? Michel Maxime Egger, sociologue, responsable d’ONG, chrétien orthodoxe, auteur de la Terre comme soi-même et de Soigner l’esprit, guérir la Terre (Labor et Fides, 2012 et 2015), nous présentera une méthode de transformation personnelle sous la forme d’une spirale en quatre temps : s’enraciner dans la gratitude, honorer sa peine pour le monde, changer de perception, aller de l’avant. La méthode sera mise en pratique à travers quelques exercices.
> Forum 61 Sam 14 h 15-15 h 30.
Lutter contre le changement climatique : du global au local

Olivier Nouaillas, journaliste à La Vie, auteur du Changement climatique pour les nuls (First, 2014), examinera les réponses que l’on peut apporter à la crise climatique. À la fois au niveau global, mais aussi au niveau local, sans oublier les démarches plus militantes ou spirituelles, auxquelles nous pouvons tous nous associer.
> Forum 70 Ven 16 h 30-17 h 45, sam 12 h 30-13 h 45.
Choisir une alimentation saine, écologique, éthique et réduire ses déchets

Un atelier réunira parents et enfants avec Laure Haag Cassaigne. Chaque mois, cette jeune mère de famille organise des ateliers pour aider chacun à adapter son style de vie, afin de le rendre plus ­respectueux de l’environnement et des hommes. Elle s’appuie sur des exemples concrets, donnant lieu à un plan d’action précis. Par exemple : choisir son alimentation et réduire ses déchets, c’est possible, mais comment faire ? Laure nous aidera à adopter les bons réflexes.
> Forum J Programme jeunesse, sam 9 h 30 à 11 h 30.
La terre nourricière, un trésor à préserver

Découvrir la richesse de vie des sols et de la terre. Prendre conscience qu’il faut la préserver pour nourrir les hommes aujourd’hui et demain. Avec Agnès Gosselin, ancienne conseillère agricole et animatrice du mouvement Chrétiens en monde rural (CMR)
> Forum 50 Ven 16 h 30-17 h 45, sam 14 h 15 à 15 h 30.

Vers l’encyclique sur l’écologie

Il est fort probable, voire carrément certain que le pape sera à Paris lors de la conférence de l’ONU sur le climat à la fin de l’année. Ce sera le point d’orgue de la campagne catholique pour happer l’écologie, ce qui ne sera guère difficile en France puisque dans notre pays on ne reconnaît pas la Nature.

Le résultat sera simple: qui ne reconnaît pas la Nature devra reconnaître Dieu…

Voici un exemple de ce qui s’orchestre, avec un article tiré de La vie, qui fait partie du groupe Le Monde – Télérama – Courier International etc. (Le Monde Diplomatique y est en partie lié).

Que peut-on attendre de l’encyclique sur l’écologie ?

Lors d’un colloque organisé par l’Académie pontificale des sciences au Vatican qui s’est ouvert mardi 28 avril sur le thème « Protéger la planète, rendre digne l’humanité », Ban Ki-moon a déclaré attendre l’encyclique sur l’écologie avec impatience et a ajouté que le Pape François lui avait confié qu’elle était déjà écrite et serait publiée en juin. Que peut-on attendre de ce texte ? Plusieurs interventions du pape sur le sujet permettent d’envisager quelques pistes.

1. Dénonciation de la culture du déchet

Depuis le début de son pontificat, le Pape ne cesse de dénoncer la mentalité commune de la « culture du rebut » ou du « déchet » qui commence par le gaspillage des choses et finit par concerner les êtres humains, pris dans la même logique. Cette culture du déchet est pour lui l’héritage direct de la société de consommation qui, en stimulant la pulsion d’achat, renforce l’individualisme du consommateur en le déresponsabilisant.

Trois mois après son élection, il déclarait dans une Audience générale : « Jadis, nos grands-parents faisaient très attention à ne rien jeter de la nourriture qui restait. Le consumérisme nous a poussés à nous habituer au superflu et au gaspillage quotidien de nourriture, à laquelle parfois nous ne sommes plus capables de donner la juste valeur, qui va bien au-delà des simples paramètres économiques », expliquait-il.

Ainsi, un monde qui raisonne en terme d’utile/inutile en vient à nier la dignité humaine en méprisant la fragilité : « La vie humaine, la personne, ne sont plus considérées comme une valeur primaire à respecter et à garder, en particulier si elle est pauvre ou handicapée, si elle ne sert pas encore — comme l’enfant à naître — ou si elle ne sert plus — comme la personne âgée. Cette culture du rebut nous a rendus insensibles également aux gaspillages et aux déchets alimentaires, qui sont encore plus répréhensibles lorsque dans chaque partie du monde malheureusement, de nombreuses personnes et familles souffrent de la faim et de la malnutrition. »

2. Rompre avec une conception du droit égoïste

Comment expliquer cette « globalisation de l’indifférence » qui se traduit par une certaine aphasie face à la culture du déchet ? Devant le Conseil de l’Europe, François l’affirme : le problème c’est le passage d’une conception du « droit humain » guidée par la recherche du « bien commun », créatrice d’une liberté responsable à une conception du « droit individualiste » autocentrée où la liberté confine à l’égoïsme : les racines d’une société, affirme le Pape, s’aliment de « la vérité », qui constitue « la nourriture, la sève vitale de n’importe quelle société qui désire être vraiment libre, humaine et solidaire ».

En outre, « la vérité fait appel à la conscience, qui est irréductible aux conditionnements, et pour cela est capable de connaître sa propre dignité et de s’ouvrir à l’absolu, en devenant source des choix fondamentaux guidés par la recherche du bien pour les autres et pour soi et lieu d’une liberté responsable ». Sans cette recherche de vérité, poursuit le pape, « chacun devient la mesure de soi-même et de son propre agir, ouvrant la voie à l’affirmation subjective des droits, de sorte qu’à la conception de droit humain, qui a en soi une portée universelle, se substitue l’idée de droit individualiste.

Cela conduit à être foncièrement insouciant des autres et à favoriser la globalisation de l’indifférence qui naît de l’égoïsme, fruit d’une conception de l’homme incapable d’accueillir la vérité et de vivre une authentique dimension sociale. » Or, conclut-il, un tel individualisme rend « humainement pauvre et culturellement stérile » : « De l’individualisme indifférent naît le culte de l’opulence, auquel correspond la culture de déchet dans laquelle nous sommes immergés. Nous avons, de fait, trop de choses, qui souvent ne servent pas, mais nous ne sommes plus en mesure de construire d’authentiques relations humaines, empreintes de vérité et de respect mutuel. »

Retrouver une conscience collective, voilà l’idée : « Rappelons-nous bien, cependant, que lorsque l’on jette de la nourriture, c’est comme si l’on volait la nourriture à la table du pauvre, à celui qui a faim ! », déclarait-il dès 2013.

3. La vocation particulière des chrétiens sur la question écologique

« Lorsque nous parlons d’environnement, de la création, ma pensée va aux premières pages de la Bible, au Livre de la Genèse, où l’on affirme que Dieu établit l’homme et la femme sur terre afin qu’ils la cultivent et qu’ils la gardent (cf. 2, 15). Cela suscite en moi les questions suivantes : Que signifie cultiver et garder la terre ? Cultivons-nous et gardons-nous vraiment la création ? Ou bien est-ce que nous l’exploitons et nous la négligeons ? », interrogeait François lors d’une audience générale en juin 2013.

Ainsi, les chrétiens ont une responsabilité plus grande en ce que cette question touche au plan de Dieu à travers la Création, comme il l’expliquait à des scouts italiens en novembre 2014 : « En tant que disciples du Christ, nous avons une raison de plus pour nous unir avec tous les hommes de bonne volonté pour la protection et la défense de la nature et de l’environnement. La création, en effet, est un don qui nous a été confié des mains du Créateur. Toute la nature qui nous entoure est une création comme nous, une création avec nous, et dans le destin commun elle tend à trouver en Dieu lui-même l’accomplissement et la finalité ultime — la Bible dit « des cieux nouveaux et une terre nouvelle » (cf. Is 65, 17 ; 2 P 3, 13 ; Ap 21, 1).

Cette doctrine de notre foi est pour nous une incitation encore plus forte à avoir une relation responsable et respectueuse avec la création : dans la nature inanimée, dans les plantes et dans les animaux, nous reconnaissons l’empreinte du Créateur, et dans nos semblables, son image elle-même. »

Plus que d’une responsabilité, pour les chrétiens il s’agit même d’un devoir, affirmait-il, se référant à Benoît XVI : « Nous sommes en train de perdre l’attitude de l’émerveillement, de la contemplation, de l’écoute de la création; et ainsi, nous ne sommes plus capables d’y lire ce que Benoît XVI appelle « le rythme de l’histoire d’amour de Dieu avec l’homme ». Pourquoi est-ce le cas ? Parce que nous pensons et vivons de façon horizontale, nous nous sommes éloignés de Dieu, nous ne lisons pas ses signes. »

4. L’écologie de l’environnement indissociable de l’écologie humaine

Sur ce point, l’audience générale du 5 juin 2013 fournit des indications fortes : « « Cultiver et garder », affirme François, ne comprend pas seulement le rapport entre nous et l’environnement, entre l’homme et la création, cela concerne également les relations humaines. Les Papes ont parlé d’écologie humaine, en étroite relation à l’écologie de l’environnement ». Ainsi, pour lutter contre la « culture du déchet », explique François, il est indispensable de considérer le système dans son ensemble et prendre le problème à la « racine » : défendre la vie dans ce qu’elle a de plus fragile, de « l’enfant à naître » à « la personne âgée ».

À ce sujet, il avait eu des mots très forts devant le Parlement européen, fustigeant les « styles de vie un peu égoïstes, caractérisés par une opulence désormais insoutenable et souvent indifférente au monde environnant, surtout aux plus pauvres » et regrettant « une prévalence des questions techniques et économiques au centre du débat politique, au détriment d’une authentique orientation anthropologique » : « L’être humain risque d’être réduit à un simple engrenage d’un mécanisme qui le traite à la manière d’un bien de consommation à utiliser, de sorte que – nous le remarquons malheureusement souvent – lorsque la vie n’est pas utile au fonctionnement de ce mécanisme elle est éliminée sans trop de scrupule, comme dans le cas des malades, des malades en phase terminale, des personnes âgées abandonnées et sans soin, ou des enfants tués avant de naître. »

Alors que la voix du Pape semble porter de plus en plus loin sur la scène internationale, la réflexion systémique proposée par cette encyclique qui sera publiée six mois environ avant la conférence pour le climat Cop 21 ne devrait pas passer inaperçue.

La religion comme opium du peuple

Nous vivons une époque vraiment plus que mauvaise sur le plan des religions. Celles-ci gagnent de plus en plus du terrain en France, et il y a une chose qui est particulièrement visible: les gens qui basculent dans la religion sont comme droguées.

Elles n’ont plus aucun sens critique; celui-ci est tellement anesthésie que les arguments rationnels ne marchent plus. La mauvaise foi triomphe, comme chez les personnes dépendantes aux drogues ou à l’alcool.

En fait, c’est comme un refuge, une manière de s’évader de la réalité, tout en critiquant la réalité comme quoi elle devrait être différente. Difficile de faire mieux que Karl Marx avec sa fameuse expression selon laquelle la religion est un « opium ».

Comment empêcher les gens de tomber dans cette drogue? C’est très difficile, bien sûr, mais il y a une chose qui doit être ici frappante: les gens qui parlent de Dieu parlent toujours en fait des êtres humains…

C’est encore un anthropocentrisme – c’est-à-dire une négation de la Nature -, masqué derrière un discours sur Dieu, qui ne parle en fait pas tant de Dieu (comme la théologie le fait) que des humains parlant de Dieu…

Pour l’Allemagne, la critique de la religion est finie en substance. Or, la critique de la religion est la condition première de toute critique.

L’existence profane de l’erreur est compromise, dès que sa céleste oratio pro aris et focis [« discours pour les autels et les foyers », c’est-à-dire pour Dieu et la patrie] a été réfutée.

L’homme qui, dans la réalité fantastique du ciel où il cherchait un surhomme, n’a trouvé que son propre reflet, ne sera plus tenté de ne trouver que sa propre apparence, le non-homme, là où il cherche et est forcé de chercher sa réalité véritable.

Le fondement de la critique irréligieuse est celui-ci : l’homme fait la religion, ce n’est pas la religion qui fait l’homme. La religion est en réalité la conscience et le sentiment propre de l’homme qui, ou bien ne s’est pas encore trouvé, ou bien s’est déjà reperdu. Mais l’homme n’est pas un être abstrait, extérieur au monde réel.

L’homme, c’est le monde de l’homme, l’État, la société. Cet État, cette société produisent la religion, une conscience erronée du monde, parce qu’ils constituent eux-mêmes un monde faux.

La religion est la théorie générale de ce monde, son compendium encyclopédique, sa logique sous une forme populaire, son point d’honneur spiritualiste, son enthousiasme, sa sanction morale, son complément solennel, sa raison générale de consolation et de justification.

C’est la réalisation fantastique de l’essence humaine, parce que l’essence humaine n’a pas de réalité véritable. La lutte contre la religion est donc par ricochet la lutte contre ce monde, dont la religion est l’arôme spirituel.

La misère religieuse est, d’une part, l’expression de la misère réelle, et, d’autre part, la protestation contre la misère réelle.

La religion est le soupir de la créature accablée par le malheur, l’âme d’un monde sans cœur, de même qu’elle est l’esprit d’une époque sans esprit. C’est l’opium du peuple.

Le véritable bonheur du peuple exige que la religion soit supprimée en tant que bonheur illusoire du peuple. Exiger qu’il soit renoncé aux illusions concernant notre propre situation, c’est exiger qu’il soit renoncé à une situation qui a besoin d’illusions. La critique de la religion est donc, en germe, la critique de cette vallée de larmes, dont la religion est l’auréole.

La critique a effeuillé les fleurs imaginaires qui couvraient la chaîne, non pas pour que l’homme porte la chaîne prosaïque et désolante, mais pour qu’il secoue la chaîne et cueille la fleur vivante.

La critique de la religion désillusionne l’homme, pour qu’il pense, agisse, forme sa réalité comme un homme désillusionné, devenu raisonnable, pour qu’il se meuve autour de lui et par suite autour de son véritable soleil. La religion n’est que le soleil illusoire qui se meut autour de l’homme, tant qu’il ne se meut pas autour de lui-même.

L’histoire a donc la mission, une fois que la vie future de la vérité s’est évanouie, d’établir la vérité de la vie présente.

Et la première tâche de la philosophie, qui est au service de l’histoire, consiste, une fois démasquée l’image sainte qui représentait la renonciation de l’homme à lui-même, à démasquer cette renonciation sous ses formes profanes.

La critique du ciel se transforme ainsi en critique de la terre, la critique de la religion en critique du droit, la critique de la théologie en critique de la politique.

« Ce puritanisme anglo-saxon »…

Le Monde a publié un article intitulé « Le filon de l’hygiène intime de l’homme ». C’est un journal appartenant à la presse catholique, et voici comment, en passant, on retrouve un thème très connu des personnes vegan straight edge…

Mais pourquoi chercher à effacer toute animalité du corps ? « On sait que le désir sexuel est intimement lié à l’odorat et que les anosmiques ont de gros problèmes de libido, rappelle Denyse Beaulieu, auteure de Parfums – Une histoire intime (Presses de la Cité, 2013). 

Or, depuis les années 1980, on éradique progressivement dans les parfums toutes les notes animales pour les remplacer par des odeurs de propreté. Ce puritanisme anglo-saxon questionne notre aptitude à accepter un corps adulte qui sécrète. »

Le coup du puritanisme anglo-saxon est quelque chose de vraiment typique à la France. En apparence d’ailleurs, c’est un discours plutôt de gauche, moderne, ouvert d’esprit, appréciant la vie, etc. mais en réalité c’est totalement catholique.

Il n’y en effet pas de tel puritanisme. Rappelons simplement que les hippies sont nés aux Etats-Unis… Que l’Angleterre est le berceau de la cause animale, donc de la reconnaissance des animaux… Que l’Autriche a toujours connu un fort courant naturiste… Et que dire du Danemark, qui a tellement été ouvert d’esprit sur la nature que cela a été utilisé par l’ultra-libéralisme pour lancer la pornographie ?

L’argument de l’article est ici d’autant plus ridicule que la France, pays de Descartes et de Malebranche, rejette ouvertement tout ce qui est animal, sans même parler de la Nature, qui est tellement niée que même les antispécistes, qui se prétendent les grands « rebelles », nient tout autant la Nature…

Est-il bien nécessaire de rappeler ici que la base de tout cours de philosophie de terminale au lycée, c’est l’affirmation de la séparation totale de la Nature et de la culture ? Seule une chose produite par les humains pourrait être belle, etc. etc.

Le premier parc national a été ouvert historiquement aux Etats-Unis, certainement pas en France où la Nature est combattue à coups de « régulations » systématiques. Quant au catholicisme n’en parlons pas : faut-il souligner encore et toujours que les prêtres ne peuvent pas se marier, contrairement aux pasteurs des pays « puritains » anglo-saxons ?

En vérité, le terme de « puritanisme » sert uniquement à faire peur, à promouvoir le libéralisme, y compris sous sa forme classiquement hypocrite catholique (je fais des « péchés » puis je me confesse donc je peux).
C’est un masque pour dénoncer la morale, au nom de l’éloge de l’individu, de l’individualisme, de l’ego s’affirmant sans aucune mesure…

« Le risque d’une forme d’autisme social »

Le quotidien La Croix a donné la parole à deux personnes au sujet du thème « Est-ce qu’on en fait trop pour nos animaux ? ». La Présidente de la Fondation 30 millions d’amis y exprime le point de vue que ce n’est pas très grave si c’est le cas de la part des « maîtres », dans un point de vue sans grand intérêt.

Celui de Jean-Pierre Digard l’est bien plus. Il s’agit d’un spécialiste de la « domestication » des animaux, avec un CV extrêmement fourni : directeur de recherche émérite au CNRS, auteur de 19 ouvrages, plus de 330 articles et de 450 comptes rendus critiques, Il est lauréat de la Fondation de la Vocation (1967), de l’Académie française (1990) et de l’Académie vétérinaire (1994), chevalier dans l’Ordre du Mérite agricole (2005) et membre de l’Académie d’Agriculture (2013) etc.

Et pourtant ce qu’il dit, à part quelques vérités, est d’une banalité, d’une simplification outrancière….

Jean-Pierre Digard : «Le risque d’une forme d’autisme social» 
 
JEAN-PIERRE DIGARD
Anthropologue, directeur de recherche émérite au CNRS

«On en fait trop pour les animaux de compagnie, parfois jusqu’au ridicule. L’animal de compagnie a selon moi une fonction rédemptrice : les aimer avec une telle ostentation et dépenser tellement d’argent pour eux est une manière de se déculpabiliser du sort que l’on fait subir aux autres animaux. C’est selon moi le ressort de cet investissement affectif excessif. On en fait des membres de la famille. On les anthropomorphise jusqu’à les maltraiter. 

Faire de son chien ou de son chat un substitut d’enfant, de conjoint ou de tout autre humain est une forme de maltraitance car c’est prendre un animal pour ce qu’il n’est pas. D’où la multiplication des troubles du comportement chez ces animaux, qui a abouti à l’apparition depuis une vingtaine d’années de vétérinaires comportementalistes.

Tout ceci n’est pas sans conséquence. “Plus je connais les hommes, plus j’aime les animaux”, ai-je entendu des milliers de fois dans mes enquêtes. J’y vois pour ma part le développement d’une forme d’autisme social. Les relations avec un animal de compagnie sont forcément très simples et gratifiantes : un chien vous fera toujours la fête quand vous rentrez chez vous…

À force de glorifier ce type de relation, on risque de développer une forme d’incompétence dans les rapports avec ses semblables.

Il y a plus grave que de dépenser une fortune pour opérer un chien d’une arthrose de la hanche. Chacun fait ce qu’il veut de son argent. Mais tous les animaux finissent par être vus au travers du prisme de l’animal domestique. C’est ainsi que le statut des animaux a fini par entrer dans le code civil. Nous sommes partis pour des années de bataille devant les tribunaux. 

Loin d’être purement symbolique, cette mesure va avoir des conséquences néfastes sur les filières agricoles et sur l’alimentation.

La défense des animaux ne peut pas être placée au-dessus de toute autre considération, y compris celle d’une alimentation équilibrée. Plus largement, tout ceci va finir par remettre en cause la place de l’homme dans l’univers telle que nous l’avaient léguée les Lumières.»

Disons le tout de suite car c’est un argument essentiel : ce que dit Jean-Pierre Digard au sujet des Lumières est faux. Les Lumières ne sont pas du tout anthropocentristes. Elles placent les humains au sein de la Nature et accordent même souvent une valorisation certaine aux animaux.

La « place de l’homme dans l’univers » dont il parle, c’est bien sûr le point de vue des religieux (ou des auteurs « existentialistes » comme Sartre et Camus). Il y a bien entendu des auteurs des Lumières largement influencées par la religion, mais prétendre que les Lumières font de l’être humain la clef de voûte de leur argumentation est absolument faux.
Jean-Pierre Digard a toutefois besoin de détourner la vérité afin de justifier sa conception de « l’autisme social », terme ne voulant rien dire puisque comme on le sait malheureusement, l’autisme est un trouble du développement qui relève de la santé et qui débouche notamment sur des problèmes d’interaction sociale.

Jean-Pierre Digard est en fait dans la dénonciation, au nom de l’anthropocentrisme, qu’il maquille en « Lumières » et en « humanisme », comme lorsqu’il a pu dire, dans une de ses très nombreuses interventions du genre car il est coutumier du fait :

« Je suis positiviste. Or, les faits montrent que l’homme est supérieur aux autres espèces vivantes. Le tout fait de moi un spéciste, si vous voulez. Moi je dis, un humaniste. »

N’importe quel humaniste et n’importe quel auteur des Lumières reprocherait pourtant facilement à Jean-Pierre Digard d’avoir un raisonnement tout à fait faux, puisqu’il rend l’être humain à la fois juge et partie dans sa démonstration : ce sont selon des critères humains que l’humain décide s’il est supérieur…

Mais c’est là son but, d’ailleurs Jean-Pierre Digard est d’ailleurs moins prudent dans son approche… lorsqu’il est en bonne compagnie, comme lors d’un « séminaire des personnels de direction de l’enseignement technique agricole public français », où il exprime ouvertement sa conception.

« Nous ne devons aucun droit aux animaux en tant qu’individus, sensibles ou non. »

La seule chose qui compterait selon lui, c’est l’importance éventuelle des espèces animales pour nos descendants humains, le reste n’a aucun intérêt.

Il ne peut pas dire cela, bien sûr, alors il dit que les gens en font trop. Mais son but est d’isoler l’humanité du reste de la vie. Or, justement, de notre point de vue, il faut au contraire partir de la planète en tant qu’ensemble, certainement pas de l’humanité prise isolément. C’est le principe de « la Terre d’abord ! ».

Jean-Pierre Digard combat tout ce qui s’en rapproche et il vise donc à disqualifier comme une « régression » tout ce qui n’est pas anthropocentriste. C’est là son leitmotiv, qu’il a résumé ailleurs par exemple avec la formule :

« En fait, je ressens plus d’indignation à voir traiter les chiens ou les chevaux comme des bébés qu’à assister à une corrida. »

En apparence, il en appelle la raison, en réalité il fait son Descartes qui veut nier les sens au nom de la « conscience » calculatrice.

Jean-Pierre Digard ne vise pas à critiquer les gens qui déborderaient d’affection mal placée, il vise à caricaturer en parlant d’anthropomorphisme, pour renforcer la muraille de Chine qui existe dans les têtes et les coeurs entre les humains et les animaux.

C’est le coup classique de la sordide dénonciation de la « vieille folle aux chats« , des gens défendant les oiseaux et notamment les pigeons… On a ici la moquerie au service de la barbarie, puisqu’il s’agit ni plus ni moins de nier la sensibilité, la compassion, l’aide pratique aux animaux, la reconnaissance de leur existence, de la sensibilité en général…

Les Lumières ont justement fait le contraire de Jean-Pierre Digard… Pour qui de toutes manières c’est sans importance: il sait que dans La Croix il a un public qui lui est acquis d’avance, son rôle étant ici d’aider les religieux à peaufiner leur discours face à la reconnaissance de la Nature, qui est précisément le vrai athéisme !

L’humanité est-elle « l’intendante » de la « création »?

LTD est athée, c’est-à-dire que nous ne croyons pas en Dieu, mais pas seulement cela: être athée, c’est reconnaître la Nature, comme à l’époque des Lumières. Parce que s’il n’y a pas de Dieu, il faut bien qu’il y ait quelque chose, et ce quelque chose, c’est la vie, c’est la Nature.

Rien à voir donc avec les ultra-libéraux qui sacralisent l’individu, rejettent la Nature comme « mauvaise », « meurtrière », et considèrent que l’humanité serait « supérieure » parce qu’elle disposerait du « libre-arbitre ».

Ces gens sont souvent d’ailleurs bien moins intéressant que les croyants qui, s’ils sont plein de préjugés et de superstitions, comprennent qu’il y a un souci majeur à célébrer la « toute puissance » de l’humanité.

Les médias ont parlé d’ailleurs abondamment de cette histoire d’un jeune anglais de 19 ans qui a décidé de « faire un bébé tout seul », en utilisant sa propre mère comme « mère porteuse ». On est là à la fois dans l’absurde et le crime. Il ne faut pas s’étonner après que l’extrême-droite ait le vent en poupe quand on accepte ce genre de choses au nom de la « liberté », du libre choix de l’individu, etc.

Voici un article illustrant comment la religion tente ici de prendre une position « écologiste » afin de conquérir l’opinion publique, aux dépens évidemment de la défense de la Nature. La venue probable du pape à la conférence de l’ONU sur le changement climatique à Paris en fin d’année sera ici une apothéose de toute une opération savamment calculée.

D’ailleurs, l’article a été rédigé par le rédacteur de La Croix, dans une perspective dite œcuménique, c’est-à-dire transcendant les clivages religieux.

A quoi on pourrait répondre, simplement: admettons que vous avez raison, alors on devrait dire que « Dieu créé, l’homme détruit ». Or, vous ne le dites pas, vous ne faites rien pour stopper les destructions, alors que vous devriez être aux premières loges de la lutte. C’est la preuve que votre position n’est qu’une variante d’anthropocentrisme…

Chrétiens et écologie, en harmonie avec l’univers

Dans la perspective chrétienne, s’engager en faveur de la Création est une manière de témoigner de la solidarité de toutes les créatures dans le salut.

Les chrétiens qui réfléchissent à la problématique écologique se tournent vite et de manière spontanée vers les récits de la Création dans le livre de la Genèse. Ils s’arrêtent aussi sur l’un ou l’autre texte comme le Cantique des trois enfants (Dn 3) ou le psaume 144. Mais ils sont plus mal à l’aise face au Nouveau Testament qui, pourtant, devrait être leur point de départ, car c’est à la lumière du Christ que la foi chrétienne envisage la Création. Les Écritures nous disent en effet que c’est « par lui et pour lui que le monde fut créé » (Col 1, 16).

Le Sauveur est aussi le Créateur du monde. Cette conviction est exprimée dans les hymnes cosmiques au Christ du Nouveau Testament. Jésus-Christ, médiateur et sauveur de la Création, confirme que la Création est l’œuvre très bonne de Dieu. Sont ainsi tenues ensemble les actions créatrices et salvifiques. La Création ne peut être séparée du Salut. Elle est elle-même concernée par le projet de Salut, promise à un avenir. Elle aussi est promise à la régénération finale (Ap 21, 1) et à la vie éternelle, dans l’union au Christ (Ep 1, 10). Elle aussi doit être évangélisée, selon la finale de l’Évangile de Marc : « Allez par le monde entier, proclamer l’Évangile à toutes les créatures » (Mc 16,15).

RESPONSABILITÉ DE L’HOMME À L’ÉGARD DE L’AVENIR DE TOUTE LA CRÉATION DONT IL EST L’INTENDANT

Voilà qui donne un autre fondement à la responsabilité de l’homme à l’égard de l’avenir de toute la Création dont il est l’intendant. « Créée ex nihilo (2 M 7, 28), elle est par nature soumise à la loi du temps et menacée sans cesse d’un retour au néant d’où elle a été tirée. Elle ne peut échapper à cette finitude et accéder à la gloire promise qu’en étant unie et ramenée à cet au-delà d’elle-même qui est son origine : Dieu. Pour cela, elle a besoin de l’être humain ; en attendant, elle gémit dans les douleurs de l’enfantement », explique Michel Maxime Egger (« Le respect de la Création », Christus n° 234 hors-série, mai 2012, p. 112).

Ce théologien orthodoxe fait référence à saint Paul qui écrit dans sa lettre aux Romains : « La Création attend avec impatience la révélation des fils de Dieu : livrée au pouvoir du néant – non de son propre gré, mais par l’autorité de celui qui l’y a livrée –, elle garde l’espérance, car elle aussi sera libérée de l’esclavage de la corruption, pour avoir part à la liberté et à la gloire des enfants de Dieu. Nous le savons en effet : la Création tout entière gémit maintenant encore dans les douleurs de l’enfantement » (Rm 8, 19-22).

La libération de l’emprise du péché a été inaugurée par la mort et la résurrection du Christ mais n’a pas encore atteint son achèvement. Le triomphe du Christ ne le sera qu’à la fin des temps, quand toutes choses seront récapitulées en lui. La Création aspire elle aussi à ce temps, qui sera celui de la réconciliation de toutes choses dans le Christ.

UNE MANIÈRE DE TÉMOIGNER DE LA SOLIDARITÉ DE TOUTES LES CRÉATURES DANS LE SALUT

Dans la perspective chrétienne, l’engagement en faveur de la Création est une manière de témoigner de la solidarité de toutes les créatures dans le Salut. L’homme n’est pas seul à être sauvé. Le Salut a une dimension cosmique. La promesse d’un ciel nouveau et d’une terre nouvelle oblige à s’interroger sur notre attitude à l’égard de la Création tout entière aimée de Dieu et à inventer des manières d’établir des relations plus harmonieuses avec elle.

Dans la tradition biblique, c’est le mot shalom qui caractérise le mieux cette harmonie : une harmonie de l’homme avec Dieu, des hommes entre eux et de l’humanité avec l’univers. Le mot est employé par le prophète Isaïe pour décrire les promesses messianiques : la paix qui régnera dans le peuple sera accompagnée de réjouissance et fera fleurir le désert et la terre aride (Is 35, 1-2). Le shalom est une réalité divine qui comprend la justice, la paix, l’intégrité de la Création dont les hommes sont aussi les acteurs.

« ISIS tue les pigeons et emprisonne, exécute ceux qui les élèvent »

Voici une image très particulière et qui mérite réflexion. C’est un tweet d’un organisme dépendant du gouvernement des États-Unis, et visant à critiquer les djihadistes.

Le texte dit :

« Les gens sans pitié d’ISIS [l’État islamique] tuent les pigeons et emprisonnent, exécutent ceux qui les élèvent ; les Kurdes les nourrissent – un fort contraste »

Il y a là quelque chose de très révélateur : on ne peut pas passer pour les « bons » sans aimer les animaux. Les gens aiment les animaux et montrer qu’on ne les aime pas ne passe pas. C’est pour cela que prétendre les aimer fait partie de la tradition du showbusiness (ce que PeTA feint de ne pas comprendre).

En pratique, pourtant, de manière organisée, la société des États-Unis est comme celle en France : elle considère les pigeons comme des nuisibles. En France, les mairies organisent les captures et les assassinats de pigeons, par exemple dans des mini chambres à gaz. C’est du meurtre, voire du génocide, dont le parallèle avec le meurtre industriel organisé à Auschwitz est évident.

Il est donc totalement hypocrite de prétendre que les gens d’ISIS seulement seraient des assassins concernant les pigeons. Cela montre le double jeu dès qu’il est parlé des animaux. C’est un peu comme le droit français qui reconnaît désormais les animaux comme des êtres vivants doués de sensibilité, sans que cela ne change rien à leur situation, puisqu’il s’agit légalement de marchandises et qu’une marchandise, par définition, s’achète, se vend, se loue, etc.

Ce n’est que par risque de trouble de l’opinion publique que l’État intervient, non pas en faveur des animaux « domestiques », mais en faveur de leur gestion.

Pour en revenir à ce dont parle le tweet, ce qu’il se passe est que dans les zones qu’ils contrôlent, les gens d’ISIS font régner la terreur. Une de leurs mesures, à laquelle il est ici fait allusion, concerne « l’élevage » de pigeons considéré désormais comme illicite.

Les gens d’ISIS ont condamné des gens le faisant, et ont apparemment au moins dans un cas enfermé les pigeons dans un sac et incendié le sac. L’histoire reste à vérifier, car elle rentre en contradiction formelle avec le principe connu de l’Islam selon laquelle aucune violence ne doit être faite « gratuitement » contre les animaux.

Après, l’Islam n’étant pas une religion centralisée, de multiples interprétations sont possibles : les pigeons ont pu être considérés comme des « idoles », et d’ailleurs l’Islam connaît de multiples rejets de l’élevage des pigeons, qui reste cependant une tradition forte voire reconnue dans des pays comme l’Iran ou le Pakistan.

Bref, tout cela montre encore une fois le rapport tortueux, et destructeur, que l’humanité entretient avec les animaux. Cela montre aussi que les religions sont une erreur profonde, car elles n’exposent pas, contrairement à ce qu’elles prétendent, de principes clairs concernant le rapport aux animaux.

Et quand on dit clairs, de notre côté nous voulons dire également : harmonieux, non destructeurs. Mais cela passe bien sûr par reconnaître que contrairement à ce que dit la religion en général, l’être humain est bien un animal. C’est un animal qui a développé certaines capacités, mais qui justement, par conséquent, a des responsabilités, un devoir de protection.

Dans les films de science-fiction, on a souvent le scénario des restes d’une humanité prenant un vaisseau spatial et s’enfuyant loin d’une planète en perdition. Une telle vision anthropocentriste est absolument intolérable. L’humanité doit protéger la planète, elle en est une composante ; son premier devoir d’ailleurs est désormais de reculer, pour que la planète redevienne bleue et verte.

Après, elle peut amener la vie sur d’autres planètes qui ne la connaissent pas, bien sûr, mais la Terre-mère est d’une importance absolue. C’est elle qui héberge la vie comme ensemble complexe, où tous les êtres vivants sont liés, où la vie s’est développée et multipliée dans un processus si long.

Hors de question d’accepter une humanité qui vient tout détruire en l’espace de quelques centaines d’années !

« Une année de kairos pour l’avenir de la planète et de l’humanité »

En prévision de la future conférence de l’ONU sur le climat, la Conférence des évêques de France a publié un document de travail, alors que l’Eglise catholique organise en août des Assises Chrétiennes de l’Ecologie, à Saint-Etienne. De leur côté les protestants ont publié un ouvrage appelé « Les changements climatiques« .

Voici des extraits du document des évêques de France, qui montre comment l’Eglise va utiliser la conférence pour promouvoir ses fins. Le grand risque pour elle est une vague d’athéisme provoqué par la reconnaissance de Gaïa comme lieu de vie où tout est inter-relié.

Afin de préserver l’anthropocentrisme, l’Eglise met donc en avant le « bon moment », le « moment opportun », c’est-à-dire la capacité qu’aurait l’être humain à intervenir en toute intelligence, de par la puissance du libre-arbitre, etc.

A cela est ajouté une pincée de doctrine sociale de l’Eglise, un soupçon de millénarisme, une larme de tiers-mondisme, un brin de critique de la « société de consommation »… Le tout afin de nier la Nature et de ne surtout pas parler des animaux.

Entre ça et la ZAD, on assiste à une affreuse montée en puissance de la critique « spirituelle » de la société de consommation, en mode « avant c’était différent », typiquement dans l’esprit des années 1930.

Le tragique qui ouvre un nouveau possible

Le défi auquel est aujourd’hui confrontée la communauté internationale peut être mis en résonance avec une figure majeure de la tradition chrétienne : le kairos.

Cette notion grecque renvoie à une expérience particulière du temps, celle du « moment opportun ». Il s’agit d’un instant de grâce où tout peut basculer, mais cette ouverture au radicalement nouveau est toujours précédée d’un événement tragique.

Le kairos dit cette conjonction paradoxale entre la mort et la vie, entre la perte et le nouveau possible. Les récits bibliques qui parlent du kairos illustrent bien ce paradoxe. Les évangiles utilisent ce mot au moment où Jésus sort de l’anonymat et commence sa vie publique. Un événement tragique est associé à ce début : la décapitation de Jean-Baptiste.

Plus tard ce seront les disciples de Jésus qui partiront proclamer l’Evangile dans le monde entier, et encore une fois c’est la mort en croix de Jésus et l’expérience qu’ils font de sa résurrection qui en constitue l’évènement déclencheur. Au moment où la réalité sombre dans le désespoir, le kairos désigne l’émergence d’un radicalement nouveau. Le dérèglement climatique pourrait être un kairos pour nos sociétés contemporaines.

Nous vivons en effet, la fin d’une époque et d’un modèle : le changement climatique en est le signe. Le modèle sur lequel les sociétés se sont développées est celui de la croissance économique et de la prospérité partagée. L’imaginai
re de vie bonne de ce modèle de développement est fondé sur l’idée d’une production et d’une consommation en augmentation permanente.

Or, ce modèle qui a permis une amélioration sans commune mesure des conditions de vie, notamment dans les pays dits développés, se révèle aujourd’hui inviable à cause de l’épuisement et de la dégradation des ressources naturelles qu’il a provoqués.

Les risques de mort associés au réchauffement climatique en sont la preuve. Serons-nous capables d’inventer une autre forme de développemen t et de dresser un autre imaginaire de la vie bonne ? Saurons-nous « choisir la vie » entre vie et mort, entre bénédiction et malédiction, comme nous y invite le livre du Deutéronome (Dt, 30, 15-20)?

Un signe d’espoir

Un signe des temps encourage à répondre positivement à cette question : cette même année 2015 où aura lieu la COP21, arrivent à échéance les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD), définis de commun accord en l’an 2000 par tous les pays des Nations Unies. Certains de ces objectifs ont été atteints, notamment celui de réduire de moitié la pauvreté extrême (les personnes qui vivent avec moins de 1,25 dollars par jour) au niveau mondial.

Ce résultat constitue un signe d’espoir : la pauvreté n’est pas une fatalité et son éradication est possible. Mais cette pauvreté reste pourtant très concentrée dans certaines régions du monde (notamment le continent africain) : la pauvreté mondiale s’est réduite mais l’inégalité entre les pays et à l’intérieur même de chaque pays s’est accentuée. Ces résultats porteurs à la fois d’espoir et de déception sont à la base des négociations internationales actuellement en cours, visant à définir de nouveaux objectifs en faveur du développement pour les 15 ans à venir.

Or, cette convergence dans la même année de la conférence sur le climat et de la reformulation des OMD pour les années à venir, constitue une opportunité pour articuler d’une manière nouvelle la question écologique avec la que
stion économique et sociale. Cette coïncidence au niveau du calendrier renforce les conditions pour faire de l’année 2015 une année de kairos pour l’avenir de la planète et de l’humanité.

D’au tant plus que les OMD vont très probablement être re-baptisés « Objectifs du développement durable » et qu’ils auront un caractère universel, c’est-à-dire qu’ils ne concerneront pas seulement les pays les moins avancés, mais la totalité des pays, qu’ils soient riches ou pauvres. Une chance historique pour redéfinir le développement comme un modèle porteur de vie pour la famille humaine universelle.

La contribution de la foi chrétienne

L’Eglise veut participer et contribuer à ce changement d’époque avec ses ressources propres. Les défis auxquels la planète et l’humanité sont au jourd’hui confrontées touchent les fondements même de la foi chrétienne : l’espérance
face à l’avenir, l’universalité du bien commun, et la solidarité comme socle du vivre ensemble.

Nous reprenons chacun de ces trois fondements en précisant à chaque fois les termes du kairos, c’est-à-dire le tragique constaté et le nouveau possible qui commence à se dessiner, par rapport à chacun des trois domaines concernés : la représentation de l’avenir, du bien commun et du vivre ensemble.

L’espérance face à l’avenir

La crise – écologique, économique et sociale – trouble notre regard sur l’avenir qui apparaît aujourd’hui bouché et menaçant. Le développement n’est pas seulement compromis au Sud, il l’est également au Nord. Un monde est en train d
e s’écrouler : celui qui pensait le développement comme croissance infinie.

L’humanité fait face à l’expérience angoissante de sa finitude. Sommes-nous capables aujourd’hui de faire entendre à nos contemporains une nouvelle promesse d’avenir ? Comment parler d’infini dans un monde fini ?

L’espérance chrétienne est fondée sur une idée de promesse qui n’est pas celle d’un but prédéfini à atteindre, mais celle d’un appel qui met en marche vers un meilleur possible. L’image de la « terre promise » qui va mettre en marche le peuple de Dieu premièrement derrière Abraham, et ensuite derrière Moïse, illustre bien cette idée d’une promesse qui met debout et en chemin vers un avenir meilleur mais dont on ne connaît pas la forme concrète qu’il pourra avoir.

Aujourd’hui c’est le moment opportun pour dessiner à nouveau cet imaginaire de la « terre promise » et d’un développement qui pourrait être porteur de vie « pour tout l’homme et pour tous les hommes ». Un nouveau style de vie qui mobilise une autre manière de consommer et de produire, de se déplacer et d’habiter l’espace est déjà en
construction.

Une autre expérience du temps qui valorise la lenteur et le long terme plutôt que l’immédiateté et le court-termisme est envisageable. Une nouvelle représentation de « la vie bonne » est aujourd’hui à construire : une vie qui assure à chacun la possibilité d’être reconnu comme co-créateur et pas seulement comme consommateur.

Omar Khayyam dans l’ombre bleue du jardin

Les Rubaïyat d’Omar Khayyam (1048-1131) sont des poèmes très connus, en Iran bien sûr mais également en Europe au 19ème siècle avec le courant important qu’a été l’orientalisme (les illustrations plus bas sont de cette époque).

Dans ses rubaïyat, c’est-à-dire ses quatrains, Omar Khayyam célèbre les jardins, la vie et les femmes, jamais vulgairement, le tout formant en effet une allégorie pour mettre en avant une vie harmonieuse, heureuse, qu’il considère cependant comme éphémère et fragile, son époque étant effectivement difficile, surtout quand on a compris la vanité de la religion…

On a ici une exigence très parlante, et évidemment, on ne saurait comprendre les approches de Baudelaire (avec ses « paradis artificiels ») et de Rimbaud (ses « illuminations » et la lettre dite du « voyant ») sans voir l’influence d’Omar Khayyam. Et il saute aux yeux que l’incapacité de Rimbaud à continuer la poésie, ou de Baudelaire à ne pas sombrer dans le glauque, vient de l’incapacité à se relier à la vie dans ce qu’elle a de perpétuellement nouveau.

Voici quelques quatrains, tirés de la Rubaïyat.

I
Tout le monde sait que je n’ai jamais murmuré la moindre prière. Tout le monde sait aussi que je n’ai jamais essayé de dissimuler mes défauts. J’ignore s’il existe une Justice et une Miséricorde… Cependant, j’ai confiance, car j’ai toujours été sincère.
II
Que vaut-il mieux ? S’asseoir dans une taverne, puis faire son examen de conscience, ou se prosterner dans une mosquée, l’âme close ? Je ne me préoccupe pas de savoir si nous avons un Maître et ce qu’il fera de moi, le cas échéant.
III
Considère avec indulgence les hommes qui s’enivrent. Dis-toi que tu as d’autres défauts. Si tu veux connaître la paix, la sérénité, penche-toi sur les déshérités de la vie, sur les humbles qui gémissent dans l’infortune, et tu te trouveras heureux.
IV
Fais en sorte que ton prochain n’ait pas à souffrir de ta sagesse. Domine-toi toujours. Ne t’abandonne jamais à la colère. Si tu veux t’acheminer vers la paix définitive, souris au Destin qui te frappe, et ne frappe personne.
V
Puisque tu ignores ce que te réserve demain, efforce-toi d’être heureux aujourd’hui. Prends une urne de vin, va t’asseoir au clair de lune, et bois, en te disant que la lune te cherchera peut-être vainement, demain.
VI
Le Koran, ce Livre suprême, les hommes le lisent quelquefois, mais, qui s’en délecte chaque jour ? Sur le bord de toutes les coupes pleines de vin est ciselée une secrète maxime de sagesse que nous sommes bien obligés de savourer.
XVII
La brise du printemps rafraîchit le visage des roses. Dans l’ombre bleue du jardin, elle caresse aussi le visage de ma bien aimée. Malgré le bonheur que nous avons eu, j’oublie notre passé. La douceur d’Aujourd’hui est si impérieuse !
XVIII
Longtemps encore, chercherai-je à combler de pierres l’Océan ? Je n’ai que mépris pour les libertins et les dévots. Khayyâm, qui peut affirmer que tu iras au Ciel ou dans l’Enfer ? D’abord, qu’entendons-nous par ces mots ? Connais-tu un voyageur qui ait visité ces contrées singulières ?
XLIII
Bois du vin ! Tu recevras de la vie éternelle. Le vin est le seul philtre qui puisse te rendre ta jeunesse. Divine saison des roses, du vin et des amis sincères ! Jouis de cet instant fugitif qu’est la vie.
LII
Si tu as greffé sur ton cœur la rose de l’Amour, ta vie n’a pas été inutile, ou bien si tu as cherché à entendre la voix d’Allah, ou bien encore si tu as brandi ta coupe en souriant au plaisir.
LXXV
Du vin ! Mon cœur malade veut ce remède ! Du vin, au parfum musqué ! Du vin, couleur de rose ! Du vin pour éteindre l’incendie de ma tristesse ! Du vin, et ton luth aux cordes de soie, ma bien aimée !
LXXXII
On me dit: « Ne bois plus, Khayyâm ! » Je réponds: « Quand j’ai bu, j’entends ce que disent les roses, les tulipes et les jasmins. J’entends, même, ce que ne peut me dire ma bien-aimée. »
LXXXIV
L’aurore a comblé de roses la coupe du ciel. Dans l’air de cristal s’égoutte le chant du dernier rossignol. L’odeur du vin est plus légère. Dire qu’en ce moment des insensés rêvent de gloire, d’honneurs ! Que ta chevelure est soyeuse, ma bien-aimée !



Rabbins et chamanes

La religion n’est pas qu’une source de folie et d’oppression, c’est aussi une manière étrange de tenter de comprendre la Nature. C’est ce genre de choses que Charlie Hebdo n’a jamais compris, ne voyant qu’un aspect de la question.

Chaque religion est, d’une manière déformée, un dialogue avec la Nature, une tentative de comprendre comment vivre harmonieusement. En fait la religion c’est aussi une psychologie, un état d’esprit.

Voici un exemple improbable avec un compte-rendu (tiré d’Actualités juives) d’une rencontre (organisée par l’association Coeur de forêt) qu’on peut penser assez originale, mais dont le fond est tout à fait logique, le judaïsme regorgeant de référence à la Nature (comme par ailleurs toutes les religions) : « le Juste fleurit comme le palmier (…) comme le cèdre du Liban il est élancé », « Un homme est comme un arbre des champs », « Comme les jours des arbres seront les jours de mon peuple », « Il sera tel un arbre planté au bord de l’eau », etc.

Grands chefs indiens et Grands rabbins, l’incroyable rencontre

Tournure exceptionnelle pour le dialogue interconfessionnel le mercredi 3 décembre, puisque trois chefs indiens de la forêt amazonienne ont rencontré des grands rabbins. Au programme : échanges sur les spiritualités, les conceptions de la nature et les récits de la création.

Etait-ce une première fois ? Quoi qu’il en soit, trois chefs des spiritualités natives du « Nouveau monde » se sont trouvés au sein d’une synagogue. Hôte de cette rencontre à l’initiative de Jérémie Déravin-Rubinstein, fondateur de l’associations « Cœur de forêt », l’ancien Grand rabbin de France Joseph Haïm Sitruk était entouré du rabbin Michaël Azoulay, qui représentait l’actuel Grand rabbin de France Haïm Korsia, du Rav Lemmel, et du Rav Abergel.

Ces membres éminents du judaïsme français ont eu la joie d’accueillir Benki Piyako Ashaninka du Pérou, Puwë Puyanawa du Brésil, et Walter Lopez Shipibo du Pérou, tous trois chefs spirituels de leurs tribus respectives et chamans-guérisseurs.

Proximité avec le hassidisme?

S’il s’avère périlleux de rendre compte d’un dialogue de près d’une heure trente sur les points communs et les différences entre la spiritualité juive et la spiritualité des peuples de la forêt, précisons que sa teneur fut amicale d’un bout à l’autre.

La cosmologie amérindienne demeure complexe pour la métaphysique occidentale, mais elle entretient des correspondances surprenantes avec la mystique juive et sa conception de la nature et de la création.

De même, les phrases de Walter Lopez Shipibo, prononcées sur un étrange rythme, sembleront familières à qui possède une approche du hassidisme : « Tout parle, tout reçoit : la terre gémit, les arbres se balancent, les plantes portent la sagesse ; nous apprenons par le silence ».

Puis, s’attardant sur les nombreux livres dans la synagogue, il a eu cette sentence lumineuse : « Les peuples de la forêt apprennent le monde grâce à la Nature. La Nature des juifs se tient dans leurs livres. »

Toute religion considère, d’une certaine manière, que Dieu c’est la Nature, sauf qu’évidemment au contraire de Spinoza elles considèrent que Dieu a une « personnalité » à part et que c’est lui qui a donné l’existence à la Nature.

Les religions manient ici une savante ambiguïté, afin d’apparaître comme liées à la Nature, ou plutôt comme conforme à la Nature. Dans le cadre du judaïsme ou de l’Islam, manger cacher et halal respectivement est considéré par les adeptes de ces religions comme une sorte de véganisme authentique, d’alimentation bio authentique, c’est-à-dire étant moralement correct, bon pour la santé.

On sait également qu’avec la conférence de l’ONU à Paris en décembre, le pape va carrément sortir une encyclique, histoire de repeindre en vert l’Église.

Tout cela va exiger des débats et des discussions, et un sacré niveau parce qu’on ne peut pas réfuter les religions en disant simplement « bouh c’est le mal » comme le feront inévitablement les quelques antispés en mal de radicalité verbale. La question de fond, c’est la Nature, le rapport avec elle, c’est un enjeu de civilisation, cela demande du sérieux !

Irréligieux : article de l’Encyclopédie

Dans l’Encyclopédie de Diderot, on trouve un article très intéressant au mot « irreligieux ». Il est vraiment très bien et très utile pour se forger une opinion après les assassinats hier de nombreux dessinateurs et caricaturistes de Charlie Hebdo.

Diderot, qui était athée (mais feint d’être déiste dans l’article), souligne que ce qui compte c’est la vertu, c’est-à-dire le fait de bien se comporter, de se comporter moralement, la morale n’ayant pas de lien forcé avec la religion, loin de là !

Mais de la même manière il est habilement dit qu’on n’est irréligieux que dans la société dont on est membre, et qu’attaquer l’Islam en France, cela n’a aucun sens alors que c’est le catholicisme qui prédomine. Rejeter toutes les religions a donc un sens, mais il faut savoir mettre l’accent sur ce qui compte…

IRRELIGIEUX, adj. (Gram.) qui n’a point de religion, qui manque de respect pour les choses saintes, & qui n’admettant point de Dieu, regarde la piété & les autres vertus qui tiennent à leur existence & à leur culte, comme des mots vuides [vides] de sens.

On n’est irréligieux que dans la société dont on est membre ; il est certain qu’on ne fera à Paris aucun crime à un mahométan de son mépris pour la loi de Mahomet, ni à Constantinople aucun crime à un chrétien de l’oubli de son culte.

Il n’en est pas ainsi des principes moraux ; ils sont les mêmes partout. L’inobservance en est & en sera repréhensible dans tous lieux & dans tous les tems. Les peuples sont partagés en différens cultes, religieux ou irréligieux, selon l’endroit de la surface de la terre où ils se transportent ou qu’ils habitent ; la morale est la même partout. C’est la loi universelle que le doigt de dieu a gravée dans tous les coeurs.

C’est le précepte éternel de la sensibilité & des besoins communs.
Il ne faut donc pas confondre l’immoralité & l’irréligion. La moralité peut être sans la religion ; & la religion peut être, & est même souvent avec l’immoralité.

Sans étendre ses vûes au-delà de cette vie, il y a une foule de raisons qui peuvent démontrer à un homme, que pour être heureux dans ce monde, tout bien pesé, il n’y a rien de mieux à faire que d’être vertueux.

Il ne faut que du sens & de l’expérience, pour sentir qu’il n’y a aucun vice qui n’entraîne avec lui quelque portion de malheur, & aucune vertu qui ne soit accompagnée de quelque portion de bonheur ; qu’il est impossible que le méchant soit tout-à-fait heureux, & l’homme de bien tout-à-fait malheureux ; & que malgré l’intérêt & l’attrait du moment, il n’a pourtant qu’une conduite à tenir.

D’irréligion, on a fait le mot irréligieux, qui n’est pas encore fort usité dans son acception générale.

Hulot, Hollande, le pape et la conférence de Paris de 2015

La conférence sur le changement climatique qui aura lieu à Paris en décembre promet d’être un fiasco complet. Pour autant, François Hollande a donné une consigne interne très claire : il faut faire en sorte que la France en sorte avec une bonne image, celle du pays modéré qui veut aller de l’avant (c’est d’ailleurs un style diplomatique français traditionnel, comme c’est le cas avec la Palestine, la guerre en Irak, l’Afghanistan, etc.).

Adepte par conséquent de la fuite en avant, on a pu voir une entrée en la matière en deux temps. Tout d’abord, lors de ses vœux, François Hollande a souligné l’importance de la conférence (histoire qu’on ne lui reproche rien a posteriori sur ce plan) :

« 2015, mes chers compatriotes, ce sera une année essentielle aussi et j’allais dire avant tout pour la planète.

La France va accueillir la conférence sur le climat en décembre prochain. Elle rassemblera tous les chefs d’Etat et de gouvernement du monde entier.

C’est une magnifique opportunité pour nous rassembler d’abord nous-mêmes au-delà de nos différences, pour mettre en commun ce que nous avons de meilleur, pour redonner du sens au progrès. La France, elle doit être exemplaire – elle l’est – avec la loi sur la transition énergétique qui a déjà été votée par l’Assemblée nationale, avec la loi sur la biodiversité.

La France, elle a été capable il y a maintenant 70 ans, de réunir une grande conférence pour les droits universels de l’homme. Maintenant, nous devons entraîner le monde pour qu’il puisse adopter à son tour une déclaration pour les droits de l’humanité pour préserver la planète.

Et je ferai tout pour qu’à Paris, en 2015, la conférence soit un succès, parce que je veux que lorsque nos enfants nous interrogeront ou nos petits-enfants, sur ce que nous avons été capables de faire en 2015, nous puissions être fiers et leur dire que nous avons contribué à préserver la planète toute entière. »

La seconde étape fut hier « l’entretien avec Nicolas Hulot, envoyé spécial pour la protection de la planète », dont on n’a rien appris d’officiel à part deux photos.

Même le facebook officiel de Nicolas Hulot (« géré par son équipe ») ne dit rien. Les articles de ce facebook ont été arrêtés juste avant Noël, comme d’ailleurs son Tumblr officiel, où par contre il y a les photos de lui au Vatican, puisqu’il est allé négocier l’intervention du pape à Paris.

Comme cela tout le monde serait content : le pape continuerait d’avoir sa bonne image de brave gars qui veut changer les choses (mais les gens sont méchants seul Dieu est bon etc.), François Hollande aurait une conférence « réussie », etc.

Voici ce que dit là-dessus Nicolas Hulot sur son tumblr :

Entretien avec le Cardinal Parolin, Secrétaire d’État du Vatican

C’est avec le Cardinal Parolin qu’a été évoquée la question du déplacement du Pape en France, et la nécessité, s’il vient en 2015, que le Saint Père s’exprime fortement sur la question du Climat.

Très au fait de l’avancée des négociations climatiques, le Cardinal a formulé le souhait que les Chefs d’État et de Gouvernement parviennent à un accord ambitieux et rappelé que la publication de l’Encyclique sur l’Écologie sera un moment important de l’année 2015.

«Nous sommes convaincus de l’importance du sujet et nous partageons votre préoccupation. Au fond, c’est une question spirituelle et éthique que nous avons tenté d’écarter mais elle revient » a-t-il conclu.

Ce n’est pas tout ! Il y a une « encyclique » sur l’écologie qui est prévue et qui ne devrait pas tarder à sortir. Il va de soi que nous étudierons cela en détail. On l’aura compris en tout cas , c’est une offensive tout azimut afin de renouveler l’Église catholique et de la rendre plus « dans son temps ».

Voici un exemple de ce à quoi il faut s’attendre, avec cette information officielle du Vatican, datant d’il y a un mois :

Cité du Vatican, 11 décembre 2014 (VIS).

Le Saint-Père a adressé un message au Ministre péruvien de l’environnement, qui préside à Lima la XX Conférence des Nations-Unies sur le climat (1 – 12 décembre), dans lequel il encourage les participants dans leurs débats sur un sujet « qui a une incidence sur l’humanité entière, et tout particulièrement sur les pauvres et les jeunes.

Il s’agit d’une grande responsabilité, également morale… Les changements climatiques font sentir leurs effets dans de nombreux pays, surtout côtiers et insulaires du Pacifique. Ceux-ci soulignent l’incurie et l’inaction alors que les délais se réduisent pour trouver des solutions. Or ces solutions ne peuvent se trouver qu’ensemble et dans la concorde…

Une lutte efficace contre le réchauffement ne peut être conduite que collectivement, après avoir surmonté les intérêts particuliers et écarté le poids des pressions politiques et économiques…

Il faut donc en passer par une culture de la solidarité et du dialogue, qui soit en mesure de prouver l’absolue nécessité de protéger la planète et l’humanité ». Les travaux de cette conférence doivent « se fonder sur la justice, l’équité et le respect ».

Un simple tweet (officiel, du pape) résume peut-être tout aussi bien:

Nicolas Hulot, dans une rapide interview donnée dans la rue à côté de l’Elysée, expliquait dans le même ordre d’idées qu’il en allait de la survie de l’humanité. Avec un tel anthropocentrisme, cette conférence a déjà une très mauvaise base…

L’hypocrisie du Monde par rapport aux animaux

« Tuer les animaux, c’est mal, mais j’aime trop les lasagnes »: la contradiction de tels propos saute aux yeux. C’est incohérent, et par conséquent une telle pensée n’a pas de sens. Quelqu’un dit cela est disqualifié d’office.

Pourtant, le quotidien Le Monde a publié un long article, intitulé « La philosophie à l’épreuve de la viande ». Et les gens qui « défendent » les animaux suivent cette démarche incohérente consistant à dire: je pose un problème mais de toutes manières moi-même je n’y réponds pas et je n’appelle à personne à le faire.

C’est-à-dire que le journal Le Monde – lié au catholicisme comme tout le monde le sait ou devrait le savoir – se permet de donner la parole non pas aux personnes favorables au véganisme, mais aux gens qui justement le réfutent, tout en prétendant poser la question animale sous un jour progressiste.

En faisant ainsi, le journal Le Monde fait le contraire de partout dans le monde, car bien évidemment, il n’y a qu’en France où un tel procédé grossier ne choque pas. La France est le dernier pays « occidental » où la question animale est tellement brûlante que le terme « vegan » ne dépasse pas les pages fashion d’articles pour les bobos.

Et le journal Le Monde contribue à cette entreprise de démolition de la libération animale, dans le même esprit que l’association L214. Et il faut des réformes, et la morale de chacun suit son rythme lent, et patati et patata.

Ce qui passe naturellement par une vision historique propre aux quartiers bourgeois: aucune culture humaine depuis 2000 ans n’aurait pas été carnivore (pas de jaïn, pas de bouddhisme indien, pas de Bishnoïs, etc.),  ignorance de la classe ouvrière anglaise qui rejette la vivisection à la fin du 19ème siècle, l’ALF apparaissant dans les années 1970 n’en parlons même pas, etc.

La philosophie à l’épreuve de la viande

LE MONDE CULTURE ET IDEES | 24.12.2014 à 12h36 • Mis à jour le 29.12.2014 à 11h29 |

Certes, la Journée internationale sans viande (Meat Out Day), fixée chaque année autour du 20 mars, suscite l’intérêt croissant du grand public et des médias. Certes, scientifiques et politiques sont chaque jour plus nombreux à dénoncer l’aberration pour l’environnement que représente la production mondiale de viande (302 millions de tonnes en 2012, soit cinq fois plus qu’en 1950), l’une des grandes causes de la déforestation, du réchauffement climatique et de la pollution de la planète. Certes, de grands chefs cuisiniers prennent position, tel le Français Alain Ducasse, qui a supprimé la viande de la carte du Plaza Athénée, son restaurant parisien. Certes, le nouveau livre du moine bouddhiste Matthieu Ricard, Plaidoyer pour les animaux, est un joli succès de librairie… Et après ?

Après, rien. Ou presque. On sait, et on continue. On évoque avec pessimisme la crise écologique, on s’indigne du scandale des élevages industriels, mais on ne renonce pas à son bifteck. Ni à sa dinde de Noël. Tout juste réduit-on un peu sa consommation… Mais si peu ! Un effort infime au regard de l’essor fulgurant qu’a connu l’industrie de la viande depuis la fin de la seconde guerre mondiale. En France, alors que la population est passée de 40 millions d’habitants à près de 70 millions aujourd’hui, la quantité de viande consommée par personne a presque doublé entre 1950 et 1980, grimpant de 50 à près de 100 kg par an. Elle a, depuis, légèrement régressé, mais avoisine toujours les 90 kg par personne et par an. Soit près de 500 000 bovins, ovins et porcins tués chaque jour dans les abattoirs, tandis que les végétariens plafonnent à 2 % de la population.

« Défi majeur à la cohérence éthique des sociétés humaines »

« Tous les ans, 60 milliards d’animaux terrestres et 1 000 milliards d’animaux marins sont tués pour notre consommation, ce qui pose un défi majeur à la cohérence éthique des sociétés humaines », constate Matthieu Ricard. Dans un livre choc paru en 2011, le romancier américain Jonathan Safran Foer allait plus loin encore. Faut-il manger les animaux ?, s’interrogeait-il à l’issue d’une longue enquête, en partie clandestine, dans cet enfer insoutenable qu’est l’élevage industriel. « Les animaux sont traités juridiquement et socialement comme des marchandises », conclut-il. Nous le savons tous, comme nous devinons tous l’horreur des traitements qu’on leur inflige. Sans vouloir nous en souvenir. Car c’est un fait : « La majorité des gens semble avoir accepté le fait de manger les animaux comme un acte banal de l’existence. »

En avons-nous moralement le droit ? Le 30 octobre, l’Assemblée nationale adoptait un projet de loi visant à reconnaître aux animaux, dans notre Code civil, le statut d’« êtres vivants doués de sensibilité ». Pouvons-nous, pour notre plaisir ou par simple habitude, faire souffrir et mourir des êtres vivants capables de souffrance, d’émotions, d’intentions, alors même que notre survie alimentaire n’est pas en jeu ? Et si non, pourquoi continuons-nous à le faire ? Pour tenter de comprendre, nous avons voulu interroger la philosophie. Et nous devons avouer notre surprise : la philosophie, jusqu’à un passé (très) récent, ne s’est jamais posée cette question. Elle ne s’est jamais demandé si cette pratique était acceptable. C’était une évidence.

« Tuer les animaux pour les manger, cela allait de soi. On n’en parlait même pas »

« Dans l’Antiquité grecque, on ne pouvait pas tuer un animal ni manger de la viande n’importe comment, tempère la philosophe Elisabeth de Fontenay, auteur de l’ouvrage somme Le Silence des bêtes. La philosophie à l’épreuve de l’animalité (Fayard, 1999). Pour les Anciens, comme pour Aristote et Platon, cette pratique était très codifiée par les sacrifices religieux. Mais tuer les animaux pour les manger, cela allait de soi. On n’en parlait même pas. » A quelques exceptions près : Pythagore (571-495 av. J.-C.), pour qui tuer un animal pour le manger était un crime ; et longtemps après, Plutarque (45-120 apr. J.-C.), dont le traité S’il est loisible de manger chair est un vibrant plaidoyer pour l’abstinence de nourriture carnée. Mais, dans leur immense majorité, les Anciens ne se sont intéressés à l’animal que pour démontrer combien l’homme en était différent. Combien il leur était supérieur.

C’est ce qu’on nomme l’humanisme anthropocentrique : une conception fondée sur l’idée de l’exceptionnalisme humain, que la tradition judéo-chrétienne n’a fait que renforcer. Notamment le christianisme, selon lequel la bête a été créée pour le bien de l’homme, centre et maître de la création. Toute la tradition philosophique occidentale sera marquée par cette coupure ontologique entre l’homme et l’animal. Et il faudra attendre Jacques Derrida, et sa déconstruction du propre de l’homme, pour qu’enfin la question soit posée : comment a-t-on pu à ce point légitimer la violence envers l’animal ? Précisément en le nommant « l’animal », plutôt que de parler des animaux, répond-il. Car « l’animal » n’existe pas, si ce n’est pour désigner l’ensemble des vivants pouvant être exploités, tués et consommés hors du champ de la morale et de la politique. Le meurtre de « l’animal » n’est pas reconnu comme tel. Alors qu’il y a bel et bien « crime contre les animaux, contre des animaux ».

Comme Derrida, Elisabeth de Fontenay l’affirme : « Il n’y a aucun fondement philosophique, métaphysique, juridique, au droit de tuer les animaux pour les manger. C’est un assassinat en bonne et due forme, puisque c’est un meurtre fait de sang-froid avec préméditation. » Elle-même, pourtant, n’est pas végétarienne. « Je n’en suis pas fière, mais comment faire autrement ? Je ne mange pas de la viande tous les jours, mais j’adore les lasagnes ! J’adore la sauce tomate à la bolognaise ! Les goûts de chacun, c’est compliqué. C’est idiosyncrasique, c’est l’histoire de l’enfance… » Elisabeth de Fontenay a le courage de cette contradiction majeure, qu’elle analyse à l’aune de notre histoire. « Manger de la viande, c’est un héritage du néolithique ! Vous vous rendez compte ? Du néolithique ! Et toutes les cultures, toutes, sont carnivores ! » Même en Inde, où le végétarisme hindouiste compte nombre d’exceptions.

Changer une habitude plurimillénaire, source de protéines animales et d’un plaisir gustatif singulier ? S’interdire l’accès à un aliment qui, de tout temps, fut considéré comme un mode de distinction sociale ? Pas si facile. Cela coûte du temps, de l’argent, cela oblige dans nos sociétés modernes à se priver d’innombrables produits fabriqués. Pour une famille nombreuse à revenus modestes, cela frise vite le sacerdoce. « Je peux très bien comprendre que certains trouvent trop compliqué d’être végétarien, et que ces mêmes personnes affirment être contre le fait d’élever les animaux pour les tuer », estime la philosophe Florence Burgat, devenue végétarienne « après avoir été hypercarnivore ». « Cela ne me semble pas incohérent. Beaucoup tentent de réduire leur consommation de viande, ou de la rendre plus éthique. L’important est de tendre vers quelque chose. »

Auteur de plusieurs ouvrages sur la question animale, elle consacrera son prochain ouvrage à « l’option carnivore de l’humanité ». Car une question la fascine. « Nous sommes une espèce omnivore, ce qui signifie que nous avons le choix de notre alimentation, rappelle-t-elle. Pourquoi alors l’humanité, au moment où elle arrive à un niveau de développement suffisant pour s’émanciper de l’alimentation carnée – vers la fin du XIXe siècle, quand les connaissances scientifiques et techniques libèrent les bêtes d’un certain nombre de tâches, et que surviennent les premières lois de protection des animaux –, pourquoi fait-elle au contraire le choix de l’instituer ? De l’inscrire dans les techniques, dans les pratiques ? » Un droit désormais devenu, dans la plupart des pays dont le développement le permet, celui de manger de la viande tous les jours.

Depuis quand ? Symboliquement depuis 1865, date à laquelle furent inaugurés les abattoirs de Chicago. En 1870, les Union Stock Yards (littéralement, les « parcs à bestiaux de l’Union ») traitaient déjà 2 millions d’animaux par an. En 1890, le chiffre était passé à 14 millions, dont la mort et le dépeçage fournissaient du travail à 25 000 personnes – Ford, dans ses Mémoires, affirme s’être inspiré de ces abattoirs pour créer sa chaîne de montage à Detroit. C’est ainsi, aux Etats-Unis, que démarre véritablement la démocratisation de la nourriture carnée. Et la production de masse d’une viande issue de ce que l’historien américain Charles Patterson, dans son ouvrage Un éternel Treblinka (Calmann-Lévy, 2008), qualifie de génocide animal. Un génocide qu’il n’hésite pas à comparer à celui du peuple juif dans les camps de concentration nazis.

C’est aussi ce que fait le philosophe Patrice Rouget, auteur d’un récent essai sur La Violence de l’humanisme. « Cette passerelle tendue d’entre deux horreurs est installée aujourd’hui, écrit-il. Des noms dignes de respect, non suspects de mauvaise foi ou de parti pris idéologique, l’ont bâtie pièce à pièce pour que nous osions la franchir. Singer, Lévi-Strauss, Derrida, Adorno, Horkheimer, des victimes revenues des camps de la mort y ont apporté leur contribution. » Ce qui fait de l’extermination perpétrée par les nazis un événement irréductible à tout autre événement de l’Histoire, et ce qui rapproche ce crime de masse de l’enfer de l’abattoir, c’est le processus industriel qui est à l’œuvre. Un processus qui, à la différence des autres génocides, rend le meurtre « identiquement interminable, au moins dans son principe ».

Qu’ils soient végétariens ou « carnistes », tous les philosophes s’accordent donc sur ce point : la production et la mise à mort des bêtes à la chaîne sont une abomination, indigne d’une civilisation évoluée. « Le problème éthique majeur aujourd’hui, ce n’est pas celui de la consommation de viande, affirme Dominique Lestel, philosophe et éthologue à l’Ecole normale supérieure de Paris. C’est l’ignominie de l’élevage industriel. Il y a une dégradation non seulement de l’animal, mais aussi de l’humain à travers ces pratiques. » Auteur d’une provocante Apologie du carnivore, il estime cependant que les végétariens « éthiques » – ceux qui refusent de manger de la viande au nom de la souffrance des bêtes et de leur droit à la vie –, se trompent de cible en s’obstinant à combattre « le méchant carnivore ».
Le concept de la « viande heureuse »

« Par rapport à l’enjeu qu’est la fermeture des élevages industriels, ces végétariens éthiques seraient infiniment plus efficaces s’ils s’alliaient avec ce que j’appelle les carnivores éthiques : des carnivores qui refusent de manger de la viande industrielle, ou qui considèrent que cela ne se fait pas à n’importe quel prix, ni de n’importe quelle façon, précise-t-il. La moindre des choses que l’on puisse faire pour un animal que l’on tue, c’est de le cuisiner convenablement… C’est-à-dire avoir un rapport avec cet animal mort qui n’est pas celui que l’on a face à une barquette de supermarché. » Dominique Lestel, et il n’est pas le seul, opte pour le concept de la « viande heureuse » – une viande provenant d’animaux bien élevés, bien tués, que nous pourrions ainsi consommer en toute bonne conscience. Un compromis auquel Florence Burgat s’oppose totalement.

« Quelle que soit la manière dont on s’y prend, la violence qui consiste à tuer les animaux pour les manger demeure, observe-t-elle. Elle renvoie à la question de fond : qui sont les animaux ? Est-ce que le fait de vivre leur importe ? Pourquoi tuer un homme serait grave, et pourquoi tuer un animal ne le serait pas ? Je n’arrive pas à comprendre ce qui motive cet argument, et je le comprends d’autant moins que les animaux d’élevage, y compris en élevage bio, sont tués très jeunes. Qu’est-ce que cela signifie d’offrir à des bêtes de bonnes conditions de vie dans laquelle elles peuvent s’épanouir, puis de les tuer en pleine jeunesse ? » Vinciane Despret, philosophe à l’université de Liège (Belgique), n’explique pas cette contradiction manifeste. Mais elle rappelle que « l’acte de manger est un acte qui requiert de la pensée », et que la mise en œuvre de cette pensée a été précisément supprimée par notre alimentation moderne. Ce qui a permis que soit instaurée, « sans plus de révolte, la folie furieuse que constitue l’élevage industriel ».

« Au fur et à mesure des années, ce qui constituait un animal domestique vivant a progressivement disparu de tout état de visibilité », souligne-t-elle. La plupart des gens ne mangent plus que sa chair – laquelle, une fois dans l’assiette, évoque de moins en moins la bête dont elle vient. Le comble est atteint avec le hamburger : à Chicago, une étude a mon­tré que 50 % des enfants des classes moyennes ne faisaient pas le lien avec un animal. « La conséquence de cette logique, qui est en connivence avec l’élevage industriel, c’est que l’acte de manger est devenu totalement irresponsable : c’est un acte qui ne pense pas », conclut Vinciane Despret.

Penser plus, donc, pour enrayer cette tuerie et ces souffrances de masse ? Et manger moins de viande, bien sûr. Mais encore ? Fermer les élevages industriels ? A moins de se payer de mots, il n’y a guère d’autre solution. Mais il s’agirait d’une solution ultraradicale. Supprimer la production intensive et favoriser l’élevage artisanal, même en augmentant les surfaces dévolues aux bêtes, cela reviendrait à disposer d’une quantité de viande infinitésimale à l’échelle des 7 milliards de personnes qui peuplent la planète. A en faire à nouveau un mets de luxe, rare et accessible seulement à une petite partie de la population… L’inverse de la poule au pot du bon roi Henri IV, en quelque sorte. Pas très satisfaisant pour qui espère réduire les inégalités.
La planète ne pourra pas supporter longtemps les humains et leurs élevages

Reste une évidence, non plus philosophique mais écologique : au train où s’épuisent nos ressources naturelles, la planète ne pourra pas supporter longtemps les humains et leurs élevages. En 2001, alors que l’épidémie d’encéphalopathie spongiforme bovine (EBS) battait son plein, Claude Lévi-Strauss publiait un texte magnifique, La Leçon de sagesse des vaches folles (revue Etudes rurales, 2001). Citant les experts, il y rappelait que « si l’humanité devenait intégralement végétarienne, les surfaces aujourd’hui cultivées pourraient nourrir une population doublée ». Les agronomes se chargeraient d’accroître la teneur en protéines des végétaux, les chimistes de produire en quantité industrielle des protéines de synthèse, les biologistes de fabriquer de la viande in vitro – elle existe déjà en laboratoire.

Mais alors, plus de bêtes ? C’est ce que redoute Jocelyne Porcher, ancienne éleveuse devenue sociologue à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), qui vient de coordonner un Livre blanc pour une mort digne des animaux. Un avenir sans élevage est un avenir sans animaux, du moins sans ces animaux avec lesquels nous avons une relation de travail, prévient-elle. Ce qui ne convainc guère la philosophe Anne Frémaux, auteur de La Nécessité d’une écologie radicale (Sang de la Terre, 2011). « C’est là un argument qui s’appuie sur la préférence abstraite pour l’existence plutôt que la non-existence, et qui ne prend pas en compte la vie réellement et concrètement vécue par l’individu », estime-t-elle, en suggérant de réensauvager les animaux domestiques et d’agrandir l’espace dévolu aux espèces naturelles.

Florence Burgat, elle, n’en démord pas : « Tant que l’homme mangera les animaux, rien ne pourra changer dans sa conduite envers les autres hommes. On ne peut pas éduquer à la non-violence envers son prochain quand des espèces très proches de nous restent tuables. »

Hanoucca, Noël et le solstice d’hiver

La fête de Noël ne provient nullement de Jésus, bien entendu. C’est une fête populaire datant des débuts de l’humanité, lorsque celle-ci célébrait la fin de l’obscurité conquérant la planète et le retour triomphal du soleil synonyme de vie, dans le cadre du solstice d’hiver.

Cette fête fut au coeur d’un culte à l’époque de Rome, dans la religion appelée le mithraïsme (voir l’article La victoire sur le taureau qui présente cette religion). Le catholicisme devenant hégémonique a simplement repris cette fête, y plaçant la naissance de Jésus, lui-même symbole de « vie » (de la même manière les tombes sont tournées dans ce cadre vers l’est, là où le soleil se lève).

Voici un article traitant de cette question, qui tente de démêler le rapport avec la fête juive de Hanoucca, qui est naturellement d’une nature tout à fait similaire, même si l’article (de l’association juive Adath Shalom d’esprit semi-libéral pourrait-on dire) tente de l’admettre tout en le niant afin de sauver le caractère « divin » de la religion, etc.

Ce qui est intéressant notamment, c’est que l’origine de la fête est attribuée… à Adam lui-même. Mais pourquoi Adam aurait-il vénéré la Nature s’il savait que tout avait été fait par Dieu? En réalité, c’est bien la preuve qu’il n’y a pas eu d’Adam, et que les êtres humains découvrant le monde ont pris conscience de la Nature…

Les fêtes de Noël et Hanoucca célèbrent chacune à leur manière la lumière. Les juifs allument la Hanouccia (candélabre à neuf branches) chaque soir durant huit jours. Les chrétiens, après les quatre semaines de l’Avent où sont également allumées des bougies, accrochent des lampes qui illuminent les sapins et ils consomment des «bûches», de Noël à Nouvel an, soit durant huit jours également.

Cette concordance est-elle pur hasard? Non. Certes, pour les juifs, il s’agit de référer à l’événement du rallumage de la Menora (candélabre du Temple, à sept branches) retenu comme célébration de la dédicace (c’est le sens du mot «Hanoucca») du Temple de Jérusalem en – 164, après avoir été repris aux Séleucides qui l’avaient souillé par un culte idolâtre.

Tandis que pour les chrétiens, c’est la naissance lumineuse du Christ qui est au cœur de la célébration. Aucun rapport,en apparence. Néanmoins, par delà la signification propre à chacune des religions, une même symbolique associée à la victoire sur les ténèbres relie les deux traditions (…).

«Rav Hanan fils de Rabba enseigne: Les Calendes, ce sont les huit jours après le solstice d’hiver; les Saturnales, les huit jours qui le précèdent. On s’en souvient par (l’interprétation du) le verset: ‘‘Tu m’as formé/éprouvé (tsartani) en un arrière (ahor) et un devant (va-kédem)…’’ (Psaumes 139, 5).

Les Sages enseignent: Adam, le premier homme, voyant que la longueur du jour allait en déclinant (de jour en jour) se dit: ‘‘Malheur à moi, sans doute est-ce parce que j’ai failli (de par la faute originelle) que le monde s’obscurcit et qu’il régresse vers le chaos primordial; telle est la mort qui m’a été assignée par les Cieux.’’

Il se mit à jeûner et à implorer (Dieu) durant huit jours. Lorsqu’il s’aperçut qu’à partir du solstice d’hiver, les jours commençaient à rallonger, il se dit: ‘‘Tel est (en fait) l’ordre de la nature!’’ et il célébra (la découverte) durant huit jours.

L’année suivante, il fixa ces deux périodes de huit jours comme jours de célébration. Il le fit pour la gloire divine mais eux (les païens, ultérieurement les Romains) le firent dans un but idolâtre» (Avoda zara 8a).

Selon cet enseignement, il y aurait eu antérieurement à la célébration de la dédicace du Temple une fête saisonnière du renouveau de la lumière instaurée par Adam, autrement dit, une pratique universelle remontant à la «nuit des temps»!

Le Talmud décrit notamment les festivités romaines de fin d’année, du moins telles qu’elles furent fixées dans le calendrier à une certaine époque, les Saturnales du 17 au 24 décembre (huit jours), suivies des Calendes du 25 décembre au 1 janvier (huit jours), appelées ainsi car débouchant sur la nouvelle année.

C’est cette fête de lumière dont le point charnière et l’apothéose se situait la nuit du 24 au 25 décembre qui est à l’origine de la célébration de Noël et Nouvel an.

En effet, dans l’ancienne religion iranienne, Mithra était le dieu de la lumière, le symbole de la chasteté et de la pureté combattant les forces maléfiques. Dès le IIe siècle, le culte de Mithra se répandit dans l’Empire romain, surtout au sein de l’armée. Le solstice d’hiver célébré le 25 décembre (mais qui tombe en réalité le 21 décembre) était la fête la plus importante de l’an mithraïen, célébrant la renaissance de Mithra.

Finalement, l’empereur Aurélien (270-275) le proclama fête du «Deus Sol Invinctus» (dieu soleil invaincu) et le Mithraïsme devint religion d’État. Plus tard, en 321, le dimanche, «Dies solis» (jour sous l’influence du soleil), fut adopté comme jour de repos dans tout l’empire romain, suite à un décret promulgué par l’empereur Constantin qui voulait tout à la fois contenter chrétiens et païens.

Et au début du IVe siècle toujours, pour enrayer le culte païen des Saturnales et promouvoir le christianisme à l’encontre du paganisme, l’Église romaine fit avancer, sous le magistère du pape Sylvestre I, du 6 janvier au 25 décembre la commémoration de la naissance du Christ. Le Christ devint ainsi le nouveau «Dieu invaincu» en lieu et place de Mithra ou du dieu Soleil.

Article fanatisme de Voltaire

Le fanatisme religieux n’a rien de nouveau, et il n’est propre à aucune religion: toutes les religions, quelles qu’elles soient, croient en l’au-delà. Et par conséquent, la réalité compte moins que l’au-delà. La vie sur terre est dépréciée de par l’existence d’une vie « meilleure » après la mort…

Fanatisme
Article du Dictionnaire philosophique portatif de Voltaire

Le fanatisme est à la superstition ce que le transport est à la fièvre, ce que la rage est à la colère.

Celui qui a des extases, des visions, qui prend des songes pour des réalités, et ses imaginations pour des prophéties, est un fanatique novice qui donne de grandes espérances; il pourra bientôt tuer pour l’amour de Dieu.

Barthélemy Diaz fut un fanatique profès. Il avait à Nuremberg un frère, Jean Diaz, qui n’était encore qu’enthousiaste luthérien, vivement convaincu que le pape est l’antéchrist, ayant le signe de la bête. Barthélemy, encore plus vivement persuadé que le pape est Dieu en terre, part de Rome pour aller convertir ou tuer son frère : il l’assassine; voilà du parfait : et nous avons ailleurs rendu justice à ce Diaz.

Polyeucte, qui va au temple, dans un jour de solennité, renverser et casser les statues et les ornements, est un fanatique moins horrible que Diaz, mais non moins sot. Les assassins du duc François de Guise, de Guillaume prince d’Orange, du roi Henri III, du roi Henri IV, et de tant d’autres, étaient des énergumènes malades de la même rage que Diaz.

Le plus grand exemple de fanatisme est celui des bourgeois de Paris qui coururent assassiner, égorger, jeter par les fenêtres, mettre en pièces, la nuit de la Saint-Barthélemy, leurs concitoyens qui n’allaient point à la messe. Guyon, Patouillet, Chaudon, Nonotte, l’ex-jésuite Paulian, ne sont que des fanatiques du coin de la rue, des misérables à qui on ne prend pas garde : mais un jour de Saint-Barthélemy ils feraient de grandes choses.

Il y a des fanatiques de sang-froid : ce sont les juges qui condamnent à la mort ceux qui n’ont d’autre crime que de ne pas penser comme eux; et ces juges-là sont d’autant plus coupables, d’autant plus dignes de l’exécration du genre humain, que, n’étant pas dans un accès de fureur comme les Clément, les Chastel, les Ravaillac, les Damiens, il semble qu’ils pourraient écouter la raison.

Il n’est d’autre remède à cette maladie épidémique que l’esprit philosophique, qui, répandu de proche en proche, adoucit enfin les moeurs des hommes, et qui prévient les accès du mal; car dés que ce mal fait des progrès, il faut fuir et attendre que l’air soit purifié.

Les lois et la religion ne suffisent, pas contre la peste des âmes; la religion, loin d’être pour elles un aliment salutaire, se tourne en poison dans les cerveaux infectés. Ces misérables ont sans cesse présent à l’esprit l’exemple d’Aod qui assassine le roi Eglon; de Judith qui coupe la tête d’Holopherne en couchant avec lui; de Samuel qui hache en morceaux le roi Agag; du prêtre Joad qui assassine sa reine à la porte aux chevaux, etc., etc., etc.

Ils ne voient pas que ces exemples, qui sont respectables dans l’antiquité, sont abominables dans le temps présent : ils puisent leurs fureurs dans la religion même qui les condamne.

Les lois sont encore très impuissantes contre ces accès de rage : c’est comme si vous lisiez un arrêt du conseil à un frénétique. Ces gens-là sont persuadés que l’esprit saint qui les pénètre est au-dessus des lois, que leur enthousiasme est la seule loi qu’ils doivent entendre.

Que répondre à un homme qui vous dit qu’il aime mieux obéir à Dieu qu’aux hommes, et qui en conséquence est sûr de mériter le ciel en vous égorgeant ?

Lorsqu’une fois le fanatisme a gangrené un cerveau, la maladie est presque incurable. J’ai vu des convulsionnaires qui, en parlant des miracles de saint Pâris, s’échauffaient par degrés parmi eux : leurs yeux s’enflammaient, tout leur corps tremblait, la fureur défigurait leur visage, et ils auraient tué quiconque les eût contredits.

Oui, je les ai vus ces convulsionnaires, je les ai vus tendre leurs membres et écumer. Ils criaient : Il faut du sang. Ils sont parvenus à faire assassiner leur roi par un laquais, et ils ont fini par ne crier que contre les philosophes.

Ce sont presque toujours les fripons qui conduisent les fanatiques, et qui mettent le poignard entre leurs mains; ils ressemblent à ce Vieux de la montagne qui faisait, dit-on, goûter les joies du paradis à des imbéciles, et qui leur promettait une éternité de ces plaisirs dont il leur avait donné un avant-goût, à condition qu’ils iraient assassiner tous ceux qu’il leur nommerait.

Il n’y a eu qu’une seule religion dans le monde qui n’ait pas été souillée par le fanatisme, c’est celle des lettrés de la Chine. Les sectes des philosophes étaient non seulement exemptes de cette peste, mais elles en étaient le remède; car l’effet de la philosophie est de rendre l’âme tranquille, et le fanatisme est incompatible avec la tranquillité.

Si notre sainte religion a été si souvent corrompue par cette fureur infernale, c’est à la folie des hommes qu’il faut s’en prendre.

« Dieu, cet asile de l’ignorance »

« Les hommes supposent communément que toutes les choses de la nature agissent, comme eux-mêmes, en vue d’une fin.

Si, par exemple, une pierre est tombée d’un toit sur la tête de quelqu’un et l’a tué, ils démontreront de la manière suivante que la pierre est tombée pour tuer cet homme.

Si elle n’est pas tombée à cette fin par la volonté de Dieu, comment tant de circonstances (et en effet il y en a souvent un grand concours) ont-elles pu se trouver par chance réunies ? Peut-être direz-vous cela est arrivé parce que le vent soufflait et que l’homme passait par là.

Mais, insisteront-ils, pourquoi le vent soufflait-il à ce moment ? pourquoi l’homme passait-il par là à ce même instant ?

Si vous répondez alors : le vent s’est levé parce que la mer, le jour avant, par un temps encore calme, avait commencé à s’agiter ; l’homme avait été invité par un ami ; ils insisteront de nouveau, car ils n’en finissent pas de poser des questions : pourquoi la mer était-elle agitée ? pourquoi l’homme a-t-il été invité pour tel moment ? et ils continueront ainsi de vous interroger sans relâche sur les causes des événements, jusqu’à de que vous vous soyez réfugié dans la volonté de Dieu, cet asile de l’ignorance.

De même, quand ils voient la structure du corps humain, ils sont frappés d’un étonnement imbécile et, de ce qu’ils ignorent les causes d’un si bel arrangement, concluent qu’il n’est point formé mécaniquement, mais par un art divin ou surnaturel, et en telle façon qu’aucune partie ne nuise à l’autre.

Et ainsi arrive-t-il que quiconque cherche les vraies causes des prodiges et s’applique à connaître en savant les choses de la nature, au lieu de s’en émerveiller comme un sot, est souvent tenu pour hérétique et impie et proclamé tel par ceux que le vulgaire adore comme des interprètes de la Nature et des Dieux.

Ils savent bien que détruire l’ignorance, c’est détruire l’étonnement imbécile, c’est-à-dire leur unique moyen de raisonner et de sauvegarder leur autorité. » (Spinoza, L’éthique)

Le rapport aux chiens en Iran

Voici un extrait d’un article de RFI, intitulé Iran : l’homme et l’animal punis au nom de la pureté. Toutes les religions sont anthropocentristes, donc ce n’est pas vraiment l’Islam qui est vraiment intéressant ici.

Ce qui marque vraiment ici, c’est comment le mode de vie urbain balaie l’ancien rapport qu’il y avait avec les animaux. Les valeurs propres à une société se modifient, car les conditions de vie ont changé.

C’est évidemment un aspect à prendre en considération si on veut en arriver à la libération animale. Chaque pays a son évolution, et même certaines régions ont leur particularité, comme avec les combats organisés de coqs dans le Nord, ou la corrida dans le sud.

Il y a cependant également un autre aspect qui compte beaucoup. Les obscurantistes ont dans leur viseur ceux qui ont ouvertement modifié leur rapport aux animaux. C’est très important.

Car en France, on a beaucoup de gens timorés se plaignant d’être ostracisé en raison de leur végétalisme ou de leur végétarisme. Ces gens n’ont rien compris, car ce n’est pas eux la question, mais les animaux.

Ainsi, une personne défendant les pigeons sera tout autant dénoncée, voire plus, par les éléments les plus arriérés de la société. Pourquoi? Parce qu’ils remettent en cause le rapport aux animaux.

Voilà le coeur du « problème ». Il n’y a nullement une « végéphobie »: il y a en réalité une guerre à la Nature. Dans la mesure où le végétalisme, voire le végétarisme, apparaissent comme s’y opposant, ils présentent une menace.

Mais s’il se réduisent à un choix « individuel », à un simple régime alimentaire (ce qu’est le végétarisme par définition), alors cela devient de l’anecdote.

Trente-deux députés de l’Assemblée islamique ont demandé dans une proposition de loi que soient désormais punis tous ceux qui gardent chez eux des chiens ou les promènent en public.

Qu’en est-il de cette punition ? Rien de moins que 74 coups de fouets ou une amende allant de 300 à 3 000 euros assortie de la confiscation de l’animal, qui serait par la suite abandonné dans la nature.

Si dans leur proposition, les députés ont pris soin de ne réserver la flagellation qu’aux possesseurs de chiens, c’est pour ne pas reconnaître à l’animal en question un quelconque statut autre qu’un objet inapte à répondre de ses actes.

Cependant, les législateurs iraniens maîtrisent suffisamment le b.a.-ba du droit pour éviter de tels égarements.

Ils savent que si l’on peut sacrifier ou tuer un animal pour se venger ou le manger, on ne peut néanmoins pas lui imposer par exemple… la lapidation pour adultère, selon les lois en vigueur, ou la mutilation pour le vol de la nourriture, supplices cependant appliqués aux Iraniens qu’aucun mot ne peut qualifier et qu’aucun humain ne saurait tolérer de voir infliger à un animal.

Mais pourquoi le fait d’avoir un chien mérite-t-il aux yeux des législateurs iraniens de tels traitements ?

A cela la réponse des députés iraniens est sans ambages : faisant partie des animaux impurs d’après les préceptes islamiques, le chien ne peut pas coexister, non pas avec les hommes, mais parmi les musulmans qui incarnent selon la charia la communauté des purs par excellence, à la différence pratiquement de toutes les autres communautés ou de tous croyants considérés comme impurs et réduits en définitive au rang de non-humains.

C’est le cas de ceux qui, à l’instar des bahaïs ou des convertis ou encore des athées, n’ont aucun droit et dont les biens et le corps peuvent bien être confisqués et traités selon le simple désir et le libre arbitre des autorités.

Mais, une telle proposition ne fait que révéler l’inquiétude des dirigeants iraniens quant à l’évolution des mœurs d’une société urbaine, c’est-à-dire plus de 70% de la population iranienne, qui fait comprendre quotidiennement par ses manières d’être et de vivre-ensemble, y compris dans son rapport avec l’animal, qu’elle s’est bien écartée depuis belles lurettes des préceptes imaginés ou infligés par les autorités et que cet écart serait la possibilité même d’une ouverture qui dessinerait tôt ou tard la forme d’une nouvelle société.

Cette proposition de loi a provoqué la colère des amoureux des chiens qui ont réagi sur les réseaux sociaux en postant des photos avec leurs toutous préférés.

Jean-Marie Pelt ou les animaux prétextes à l’esprit chrétien

Pour continuer autour de Grothendieck et de tout cet microcosme plus ou moins « réac », voici un exemple très représentatif avec une interview donnée par Jean-Marie Pelt à La dépêche, à l’occasion d’un article sur les « animaux de compagnie ».

Jean-Marie Pelt est une figure connue des médias, qui le présentent comme un écologiste engagé; il a écrit de très nombreux ouvrages, soit autour des plantes (sa spécialité scientifique) qu’autour de « l’écologie » en version non biocentriste. Comme Jacques Ellul ou encore Jean Bastaire, c’est d’ailleurs également et logiquement un fervent chrétien, car si on ne reconnaît pas la Nature, alors il ne reste que Dieu.

Pour cette raison, dans son interview il faut vraiment voir comment le christianisme suinte de ses réponses. Il est très important de repérer cela,  car c’est précisément l’esprit de Notre-Dame-des-Landes, du principe « la terre elle ne ment pas », etc.

Jean-Marie Pelt parle ainsi d’amour en général dans une sorte d’esprit mystique, où les animaux sont prétextes à saluer un esprit communautaire. Il célèbre une vision utilitariste des « animaux de compagnie », appelle « consommer plus de poissons,  il faut se tourner également plus vers la volaille ou le lapin », etc.

Bref, on est comme chez Grothendieck dans une célébration de la communauté idéalisée autour de l’exploitation animale « mesurée », « humaine », etc.

«L’animal apporte une paisible compagnie»

Botaniste-étologue, professeur de biologie, écrivain, et président de l’Institut Européen d’Ecologie, Jean-Marie Pelt est surtout un observateur attentif des grandes mutations de nos sociétés.

En pharmacien et spécialiste des espèces vivantes, il puise dans les leçons que nous donne la nature en permanence des règles pour mieux vivre, mieux se nourrir et mieux protéger les ressources essentielles de la planète. Une manière de faire le lien entre la nature et le monde moderne avec philosophie.

Comment expliquez-vous l’engouement des Français pour les animaux de compagnie ?

Je pense que c’est partiellement lié au fait que la modernité technologique n’améliore pas forcément la qualité des relations humaines qui sont souvent aujourd’hui très dégradées. On communique énormément, mais on communique peu avec l’esprit et le cœur. L’animal de compagnie apporte une paisible compagnie, il est toujours présent pour l’être vivant, il est proche du quotidien.

On évoque plus de 63 millions d’animaux de compagnie en France, est-ce un chiffre que l’on peut mettre en lien avec l’augmentation de la solitude ?

Oui, c’est certain, beaucoup de gens sont seuls et dans ce cas, l’animal constitue une présence vivante. On peut reporter sur lui de l’affection.

N’y a-t-il pas un paradoxe entre la liste des espèces menacées qui s’allonge et ce chiffre de 63 millions ?

Non, je crois que ce n’est pas une contradiction. Les animaux de compagnie sont, c’est sur, très nombreux mais ils sont en général tout à fait bien soignés. Ce sont des animaux, eux, qui sont très protégés.

Retrouve-t-on le concept d’animal de compagnie dans l’histoire ?

Non, on ne l’a pas toujours eu dans l’histoire. Je pense à la Bible, il y a peu d’animaux de compagnie. En revanche, il y a une grande peur des grosses bêtes sauvages comme les rhinocéros ou les crocodiles. Les Hébreux considéraient qu’ils étaient épouvantablement méchants. Il n’y avait pas, à l’époque, d’animaux de compagnie. Le seul, c’est le chien de Tobie, mais c’est tout. Jésus dit qu’il ne faut pas donner le pain des hommes aux petits chiens. Je ne sais pas s’il aimait les petits chiens, mais il en a parlé.

C’est plus un concept du monde moderne ?

Il me semble bien que oui. Mais j’attire beaucoup l’attention sur le fait que les relations humaines dans le monde moderne sont maintenant très «technologisées», et l’animal de compagnie ne l’est pas.

L’animal de compagnie c’est une nature apprivoisée, très proche de nous, avec laquelle on peut échanger. Je me suis d’ailleurs réjoui qu’à l’Assemblée nationale, on ait défini très récemment les animaux comme des êtres sensibles et non plus comme des meubles. Cela dit bien que notre proximité à leur égard s’est beaucoup améliorée, ils sont mieux traités qu’ils ne l’étaient autrefois.

Il y a quelques années vous aviez écrit un livre sur la solidarité des animaux, on a encore à apprendre d’eux ?

Oui, surtout quand on a un animal de compagnie. On a à apprendre quels sont ses modes de comportement, pour répondre positivement à ses sollicitations. Les animaux nous apprennent beaucoup de choses. Chaque espèce a ses comportements-types, instinctuels. Chaque animal a son caractère, tout ça en fait des êtres qui sont finalement très proches de nous.

Et puis on a peut-être aussi à apprendre certains comportements de solidarité comme ceux observés dans une meute, puisqu’on parle énormément du loup. Le loup «alpha» règle sa marche sur la capacité des plus petits à suivre la meute. Il y a des solidarités très fortes dans une meute de loups.

Dans votre livre «Le monde a-t-il un sens», vous parlez d’associativité plutôt que de compétitivité, ça fait penser à la vie en troupeaux des animaux sauvages. On peut en tirer des lignes de conduite pour les humains ?

Oui, par exemple dans un monde qui est dominé par la compétition et l’agressivité, celui dans lequel nous vivons, on ne met pas en scène, dans les films animaliers les solidarités qu’il y a entre les animaux, dans un troupeau. On montre plutôt le méchant lion qui mange la vieille gazelle. On ne montre pas toutes ces relations «amicales», pour reprendre un terme qui était celui du fondateur de l’écologie, Ernst Haeckel en 1866.

En fait, il y a beaucoup de relations entre les animaux, qui sont pour une immense majorité d’entre eux des êtres vivants qui vivent en association. Il y a bien des animaux solitaires comme les tigres en particulier, mais ce sont des cas très rares. L’animal vit en compagnie de ses frères.

Est que vous avez ou avez eu des animaux ?

Oui, j’avais une petite chienne, un Griffon, qui est morte il y a un an dont je suis très privée. Et pas plus tard qu’hier soir nous avons évoqué la succession de la petite Sarah. Mais la petite Sarah était si parfaite à tous égards que nous nous demandons si nous en trouverons une qui sera aussi gentille qu’elle.

Plus globalement, vous êtres très attentif aux ressources de la planète, on est dans le grand débat viande — légumes ?

Les Chinois sont passés, en l’espace d’une génération, de 20 grammes de viande par jour à 50 grammes. C’est considérable pour une population d’1 milliard 300 millions de personnes, ça fait monter en flèche la consommation mondiale de viande. Pour nous, les Français, nous avons un peu baissé, nous tournons à environ 100 kg par an, on était un peu plus haut, il y a une tendance à la baisse ou à la légère stabilisation.

Ceci dit on mange trop de viande, et en particulier trop de viande rouge et on a délaissé, ce qui est assez incroyable, les légumes secs qui contiennent beaucoup de protéines : les fayots et lentilles qu’on mangeait dans les lycées et les casernes apportaient des lots de protéines. cette consommation s’est quasiment effondrée. Donc on a été dans la mauvaise direction. Il faut consommer plus de poissons, il faut se tourner également plus vers la volaille ou le lapin. Nous ne sommes pas sur la bonne longueur d’ondes, nous ne faisons pas ce qu’il faudrait faire.

« De la douceur, de la sérénité et la déconcertante maîtrise »

Pour continuer de parler de l’hypocrisie des religions monothéistes par rapport aux animaux – quelles que soient ces religions, toutes se valant – voici un nouvel exemple.

C’est un cas typique de mauvaise foi où la « prière » est censée avoir un effet « relaxant » sur un animal à qui on tranche la gorge. Il s’agir de vidéos faites par un éleveur américain, que nous ne mettons bien entendu pas en lien.

2 octobre 2014 | Mots-clés : abattage rituel > Aïd al-Adha > bien-être animal > Sam Kouka | 8 commentaires
Miséricorde de l’abattage islamique

La vidéo que vous allez voir est extraordinaire. Dès les premières secondes, le principal protagoniste le dit lui-même : c’est une vidéo « amazing », surprenante.

Vous ne devriez pas vous en remettre. Ou à tout le moins, ce que vous allez voir devrait quelque peu vous retourner. Rien de trash. Pas de sang, pas de souffrance, rien de tout cela. Bien au contraire.

De la douceur, de la sérénité et la déconcertante maîtrise par le verbe d’un éleveur d’animaux de ferme. Mais pas par n’importe quel verbe. Le verbe qui s’adresse à Dieu, qui évoque Dieu et qui, par Sa Grâce, pénètre la réalité pour l’emplir.

Le verbe qui permet à celui qui L’invoque d’appréhender de façon tangible la pleine remise en Dieu. Le mot et la chose, le langage et le réel, l’invocation et la vie.

Dans la vidéo suivante, vous verrez un homme, musulman, porter une chèvre, un mouton, un bélier. Avec douceur. Il s’en empare, les couche tout en invoquant Allah amenant la bête vers un état de quiétude déconcertant.

L’animal n’a pas peur, l’animal n’est pas stressé. Cet homme rappelle l’obligation canonique du musulman de respecter l’animal jusque dans ses derniers instants.

Les hadiths – faits et propos rapportés du Prophète (paix et bénédiction sur lui) – intimant aux musulmans de prendre le plus grand soin des bêtes, tout au long de leur vie comme au moment de la mise à mort, sont nombreux. Si, du reste, le musulman dit « bismi-Llah » (au nom d’Allah) quand il met à mort l’animal, c’est parce que prendre la vie d’une bête est un acte dérogatoire. Celui qui abat ne doit pas l’oublier.

Cette vidéo vous retourne. Elle retourne et elle rappelle la nécessité de repenser tout le halal, qui n’est ni une marchandise, ni une technique de mise à mort, mais une éthique. Accaparé par l’industrie agro-alimentaire, le halal a à certains égards perdu son âme.

Espérons que cette vidéo sera vue par le plus grand nombre et qu’elle réussira suffisamment à toucher – et bouleverser – cette infime minorité qui agira alors en conséquence et cherchera à rendre à l’animal ses droits, celui d’une vie agréable et d’une mort sereine.

[article publié initialement [sur al-Kanz] le 3 juin 2011, rediffusé le 2 octobre 2014, à la veille de l’aïd al-adha]

Le Halal n’est pas une « marchandise » ? C’est évidemment totalement romantique comme vision des choses. En réalité, c’est bien sûr une composante de l’économie de l’exploitation animale.

Mais afin de nier celle-ci, il est prétendu que le « véritable » halal relève d’un autre « esprit »… Et, dans le prolongement de cette idéalisation, il y a cette conclusion affirmée par toutes les religions d’ailleurs :

Espérons que cette vidéo sera vue par le plus grand nombre et qu’elle réussira suffisamment à toucher – et bouleverser – cette infime minorité qui agira alors en conséquence et cherchera à rendre à l’animal ses droits, celui d’une vie agréable et d’une mort sereine.

Pour comprendre le sens de ce faux véganisme ici mis en avant, il faut savoir que selon la religion islamique, à la fin des temps la majorité musulmane va « trahir » le vrai Islam, seule une minorité le défendra.

Cet appel au « bien-être » animal participe donc à une campagne de religiosité, sur le dos des animaux ; il s’agit de galvaniser les gens, en prenant comme prétexte la condition animale afin de renforcer la ferveur religieuse.

C’est un exemple de plus de démagogie sur le dos des animaux et de la Nature… Aucune religion ne peut prétendre être « juste » et ne pas avoir un large dispositif démagogique de ce côté…

« Souccot, un juste rapport à la nature »

Étant donné que le rapport à la Nature est la grande question du 21ème siècle, on peut constater que les religions s’adaptent, se transforment selon les besoins de sa démagogie.

La religion juive se veut ainsi une religion très intellectualisée, et dont le coeur est la loi et la morale. On connaît le slogan de l’ALF « Si ce n’est pas maintenant, quand ? Si ce n’est pas toi, qui ? » : c’est en fait repris d’un aphorisme d’un rabbin du premier siècle avant notre ère (« Si je ne suis pas pour moi, qui le sera? Et si je ne suis que pour moi, que suis-je ? Et si pas maintenant, quand ? »).

Cette dimension moraliste pouvait avoir un sens il y a très longtemps, mais ce n’est plus le cas bien entendu et avec la question de la Nature, cela se voit de plus en plus. Ainsi la fameuse fête de Kippour, le « grand pardon », voit renaître une tradition disparue de plusieurs générations : celle du bouc-émissaire.

Ainsi, la cérémonie de Kapparot ayant disparu depuis bien longtemps dans la communauté juive revient : il faut faire tourner un poulet au-dessus de sa tête afin qu’il récupère les péchés, puis on lui coupe la tête. On est très loin de la dimension moraliste qui peut faire l’intérêt de cette fête historiquement…

Cependant, on doit bien voir qu’il s’agit ici d’un rapport à la Nature totalement déformé, et pas seulement d’obscurantisme médiéval. La consigne orthodoxe dit ainsi :

« Il est de la plus grande importance de traiter les poulets avec humanité et de ne pas – à D.ieu ne plaise – leur causer une quelconque douleur ou inconfort. La loi juive interdit formellement de causer une quelconque douleur inutile aux créatures de D.ieu. La répugnance qu’inspire un acte aussi cruel se doit d’être redoublée en ce jour, à la veille du jour où nous demandons à D.ieu une bienveillance et une miséricorde que nous ne méritons peut-être pas. Le Code de Loi Juive suggère même de placer les entrailles et le foie des poulets abattus dans un endroit où les oiseaux peuvent venir s’en nourrir. »

Dans la même logique, il y a la fête de Tou Bichevat, le « Nouvel An des Arbres », où il est dit notamment que « l’homme est un arbre des champs » (Deutéronome 20, 19), ou encore la « fête des cabanes », Souccot.
Voici un article d’Actualité Juive présentant cette fête dont c’est la période, et qui révèle que la religion tente de s’approprier la question du rapport positif à la Nature :

Souccot, un juste rapport à la nature

Souccot, parmi d’autres noms, porte celui de «  fête de l’engrangement ». « Quand vous aurez rentré la récolte de la terre, vous fêterez la fête du Seigneur…» (Lév 23, 39)

Souccot, comme Pessah, comme Chavouot, célèbre un événement agricole : l’engrangement des récoltes. Observons tout d’abord que cette célébration s’inscrit dans un temps où  la fécondité créatrice de la nature est particulièrement visible, et qui est habituellement dévolu à la fête des vendanges, une fête marquée dans les sociétés antiques par le culte de Dionysos ou Bacchus, les divinités du vin et de l’ivresse.

Or les deux rites qui caractérisent Souccot sont d’une part la soucca où l’on réside durant huit jours, d’autre part le loulav, cet assemblage de quatre plantes – myrthe, saule, feuilles de palmier et cédrat – que l’on réunit et que l’on agite dans les six directions de l’espace. Raisin ou vigne sont absents de cet ensemble, alors qu’ils constituent la récolte principale de l’automne.

Des garde-fous

La Torah nous met ainsi en garde contre toutes  les ivresses, pourtant universellement glorifiées, qui aliènent l’homme en le privant de sa lucidité  et de sa liberté. En d’autres termes, elle nous invite à prendre des distances à l’égard de la nature : le juste rapport que nous devons entretenir avec elle n’est ni un rapport de soumission, ni un rapport de domination conforté par l’orgueil de la possession et du pouvoir au moment où la terre donne ses fruits : car  «tu pourrais dire dans ton cœur : c’est ma propre force, c’est le pouvoir de mon bras qui m’a valu cette richesse » (Deut 8, 17) . La soucca et le loulav sont des garde-fous pour nous préserver de ces deux errements.

Ainsi ce que la religion dit ici, dans ce cas de figure, c’est d’un côté qu’il ne faut pas l’orgueil : cela pourrait amener à rejeter l’anthropocentrisme. Mais de l’autre côté il ne faut pas se soumettre à la Nature… mais uniquement à Dieu, c’est-à-dire en fait à l’Homme puisque Dieu n’est qu’une création de l’Homme. On retombe alors dans l’anthropocentrisme, mais la religion feint de prétendre le contraire.

Condillac contre Descartes et sa conception des animaux « automates »

Le culte de l’individu-roi qui « choisit » a atteint des proportions toujours plus grotesques en France historiquement, le mépris pour la Nature a prédominé en France depuis 1789, sans commune mesure par rapport aux autres pays.

Il suffit de penser à la situation en Allemagne ou en Angleterre, ou même encore en Italie, pour ne prendre que nos voisins! Pourtant les auteurs humanistes et ceux des Lumières ont mis en avant la Nature comme seule réalité. Quel est donc le virage qui a été raté?

L’ennemi, c’est bien sûr Descartes et sa célébration de la « pensée », de l’âme, de la séparation du corps et de l’esprit, etc.

Voici une critique effectuée par Condillac (1714-1780), l’un des très grands auteurs des Lumières, un « abbé » qui n’aura célébré qu’une messe pour choisir le camp de l’athéisme, de la reconnaissance de la Nature!

Chapitre premier. Que les bêtes ne sont pas de purs automates, et pourquoi on est porté à imaginer des sistêmes qui n’ont point de fondement.

Le sentiment de « Descartes » sur les bêtes commence à être si vieux, qu’on peut présumer qu’il ne lui reste guère de partisans : car les opinions philosophiques suivent le sort des choses de mode ; la nouveauté leur donne la vogue, le temps les plonge dans l’oubli ; on diroit que leur ancienneté est la mesure du degré de crédibilité qu’on leur donne. (…)

C’étoit peu pour « Descartes » d’avoir tenté d’expliquer la formation et la conservation de l’univers par les seules lois du mouvement, il falloit encore borner au pur mécanisme jusqu’à des êtres animés. (…)

Mais enfin il ne s’est trompé, que parce qu’il s’est trop pressé de faire des sistêmes ; et j’ai cru pouvoir saisir cette ocasion, pour faire voir combien s’abusent tous ces esprits qui se piquent plus de généraliser que d’observer.

Ce qu’il y a de plus favorable pour les principes qu’ils adoptent, c’est l’impossibilité où l’on est quelquefois d’en démontrer à la rigueur la fausseté. Ce sont des lois auxquelles il semble que Dieu auroit pu donner la préférence ; et s’il l’a pu, il l’a dû, conclut bientôt le philosophe qui mesure la sagesse divine à la sienne.

Avec ces raisonnemens vagues, on prouve tout ce qu’on veut, et par conséquent on ne prouve rien. Je veux que Dieu ait pu réduire les bêtes au pur mécanisme : mais l’a-t-il fait ? Observons et jugeons ; c’est à quoi nous devons nous borner.

Nous voyons des corps dont le cours est constant et uniforme ; ils ne choisissent point leur route, ils obéissent à une impulsion étrangere ; le sentiment leur seroit inutile, ils n’en donnent d’ailleurs aucun signe ; ils sont donc soumis aux seules lois du mouvement.

D’autres corps restent attachés à l’endroit où ils sont nés ; ils n’ont rien à rechercher, rien à fuir. La chaleur de la terre suffit pour transmettre dans toutes les parties la seve qui les nourit ; ils n’ont point d’organes pour juger de ce qui leur est propre ; ils ne choisissent point, ils végetent.

Mais les bêtes veillent elles-mêmes à leur conservation ; elles se meuvent à leur gré, elles saisissent ce qui leur est propre, rejettent, évitent ce qui leur est contraire ; les mêmes sens qui reglent nos actions, paroissent régler les leurs. Sur quel fondement pouroit-on suposer que leurs yeux ne voient pas, que leurs oreilles n’entendent pas, qu’elles ne sentent pas, en un mot ?

A la rigueur, ce n’est pas là une démonstration. Quand il s’agit de sentiment, il n’y a d’évidemment démontré pour nous, que celui dont chacun a conscience. Mais parce que le sentiment des autres hommes ne m’est qu’indiqué, sera-ce une raison pour le révoquer en douce ? Me suffira-t-il de dire que Dieu peut former des automates, qui feroient, par un mouvement machinal, ce que je fais moi-même avec réflexion ?

Le mépris seroit la seule réponse à de pareils doutes. C’est extravaguer, que de chercher l’évidence par-tout ; c’est rêver, que d’élever des sistêmes sur des fondemens purement gratuits ; saisir le milieu entre ces deux extrémités, c’est philosopher.

Il y a donc autre chose dans les bêtes que du mouvement. Ce ne sont pas de purs automates, elles sentent.

Chapitre II. Que si les bêtes sentent, elles sentent comme nous.

Si les idées que M. de B. a eues sur la « nature » des animaux, et qu’il a répandues dans son histoire naturelle, formoient un tout dont les parties fussent bien liées, il seroit aisé d’en donner un extrait court et précis ; mais il adopte sur toute cette matiere des principes si diférens, que quoique je n’aie point envie de le trouver en contradiction avec lui-même, il m’est impossible de découvrir un point fixe, auquel je puisse raporter toutes ses réflexions.

J’avoue que je me vois d’abord arrêté : car je ne puis comprendre ce qu’il entend par la faculté de sentir qu’il acorde aux bêtes, lui qui prétend, comme Descartes, expliquer mécaniquement toutes leurs actions.

Ce n’est pas qu’il n’ait tenté de faire connoitre sa pensée. Après avoir remarqué que ce « mot » sentir « renferme un si grand nombre d’idées, qu’on ne doit pas le prononcer avant que d’en avoir fait l’analise », il ajoute : « si par « sentir » nous entendons seulement faire une action de mouvement, à l’ocasion d’un choc ou d’une résistance, nous trouverons que la plante apellée sensitive est capable de cette espece de sentiment, comme les animaux. Si, au contraire, on veut que sentir signifie apercevoir et comparer des perceptions, nous ne sommes pas sûrs que les animaux aient cette espece de sentiment » : in-4°. t.2. p.7. ; in-12. t.3. p.8 et 9. il la leur refusera même bientôt.

Cette analise n’offre pas ce grand nombre d’idées qu’elle sembloit promettre ; cependant elle donne au mot « sentir » une signification, qu’il ne me paroit point avoir. « Sensation » et « action de mouvement à l’ocasion d’un choc ou d’une résistance », sont deux idées qu’on n’a jamais confondues ; et si on ne les distingue pas, la matiere la plus brute sera sensible : ce que M. de B. est bien éloigné de penser.

« Sentir » signifie proprement ce que nous éprouvons, lorsque nos organes sont remués par l’action des objets ; et cette impression est antérieure à l’action de comparer. Si dans ce moment j’étois borné à une sensation, je ne comparerois pas, et cependant je sentirois. Ce sentiment ne sauroit être analisé : il se connoît uniquement par la conscience de ce qui se passe en nous. Par conséquent ou ces propositions, « les bêtes sentent et l’homme sent », doivent s’entendre de la même maniere, ou « sentir », lorsqu’il est dit des bêtes, est un mot auquel on n’attache point d’idée.

Mais M. de B. croit que les bêtes n’ont pas des sensations semblables aux nôtres, parce que selon lui, ce sont des êtres purement matériels.

Il leur refuse encore le sentiment pris pour l’action d’apercevoir et de comparer. Quand donc il supose qu’elles sentent, veut-il seulement dire qu’elles se meuvent à l’ocasion d’un choc ou d’une résistance ? l’analise du mot « sentir », sembleroit le faire croire.

Dans le sistême de « Descartes » on leur acorderoit cette espece de sentiment, et on croirait ne leur acorder que la faculté d’être mues. Cependant il faut bien que M. de B. ne confonde pas se « mouvoir » avec « sentir ». Il reconnoit que les sensations des bêtes sont agréables ou désagréables. Or, avoir du plaisir et de la douleur, est sans doute autre chose que se mouvoir à l’ocasion d’un choc.

Avec quelque attention que j’aie lu les ouvrages de cet écrivain, sa pensée m’a échapé. Je vois qu’il distingue des sensations corporelles et des sensations spirituelles ; qu’il acorde les unes et les autres à l’homme, et qu’il borne les bêtes aux premieres. Mais en vain je réfléchis sur ce que j’éprouve en moi-même, je ne puis faire avec lui cette diférence.

Je ne sens pas d’un côté mon corps, et de l’autre mon ame ; je sens mon ame dans mon corps ; toutes mes sensations ne me paraissent que les modifications d’une même substance ; et je ne comprends pas ce qu’on pouroit entendre par des « sensations corporelles ».

D’ailleurs, quand on admettroit ces deux especes de sensations, il me semble que celles du corps ne modifieroient jamais l’ame et que celles de l’ame ne modifieroient jamais le corps.

Il y auroit donc dans chaque homme deux « moi », deux personnes, qui, n’ayant rien de commun dans la maniere de sentir, ne sauraient avoir aucune sorte de commerce ensemble, et dont chacune ignoreroit absolument ce qui se passeroit dans l’autre.

L’unité de personne supose nécessairement l’unité de l’être sentant ; elle supose une seule substance simple, modifiée diféremment à l’occasion des impressions qui se font dans les parties du corps. Un seul moi formé de deux principes sentans, l’un simple, l’autre étendu, est une contradiction manifeste ; ce ne seroit qu’une seule personne dans la suposition, c’en seroit deux dans le vrai.

Cependant M. de B. croit que l’ »homme intérieur est double, qu’il » « est composé de deux principes diférens par leur nature, et contraires par leur action », l’un spirituel, l’autre matériel ; qu’ »il est aisé », « en rentrant en soi-même », « de reconnoître l’existence » de l’un et de l’autre, et que c’est de leurs combats que naissent toutes nos contradictions. In-4°, t. 4, p. 69, 71 ; in-12, t. 7, p. 98, 100.

Mais on aura bien de la peine à comprendre que ces deux principes puissent jamais se combattre, si, comme il le « prétend » lui-même, in-4°, t. 4, p. 33, 34 ; in-12, t » 7, p. 46, celui qui est matériel « est infiniment subordonné à l’autre », si « la substance spirituelle le commande », si « elle en détruit », « ou en fait naître l’action », si « le sens matériel, qui fait tout dans l’animal, ne fait dans l’homme que ce que le sens supérieur n’empêche pas », s’il « n’est que le moyen ou la cause secondaire de toutes les actions ».

Heureusement pour son hipothese, M. de B. dit, quelques pages après, in-4°, p. 73, 74 ; in-12, p. 104, 105, que «  »dans le tems de l’enfance le principe matériel domine seul, et agit presque continuellement »…. « que dans la jeunesse il prend un empire absolu, et commande impérieusement à toutes nos facultés »…. « qu’il domine avec plus d’avantage que jamais ». » Ce n’est donc plus un moyen, une cause secondaire ; ce n’est plus un principe infiniment subordonné, qui ne fait que ce qu’un principe supérieur lui permet ; et « l’homme n’a tant de peine à se concilier avec lui-même, que parce qu’il est composé de deux principes oposés. »

Ne seroit-il pas plus naturel d’expliquer nos contradictions, en disant que, suivant l’âge et les circonstances, nous contractons plusieurs habitudes, plusieurs passions qui se combattent souvent, et dont quelques-unes sont condamnées par notre raison, qui se forme trop tard pour les vaincre toujours sans effort ? Voila du moins ce que je vois quand je « rentre en moi-même ».

Article sur la nature dans l’Encylopédie

Voici l’article « nature » de la fameuse Encyclopédie de Diderot et d’Alembert.

NATURE

S. f. (Philos.) est un terme dont on fait différens usages. Il y a dans Aristote un chapitre entier sur les différens sens que les Grecs donnoient au mot ; nature ; & parmi les Latins, ses différens sens sont en si grand nombre, qu’un auteur en compte jusqu’à 14 ou 15. M. Boyle, dans un traité exprès qu’il a fait sur les sens vulgairement attribués au mot nature, en compte huit principaux.

Nature signifie quelquefois le système du monde, la machine de l’univers, ou l’assemblage de toutes les choses créées. Voyez SYSTEME.

C’est dans ce sens que nous disons l’auteur de la nature, que nous appellons le soleil l’oeil de la nature, à cause qu’il éclaire l’univers, & le pere de la nature, parce qu’il rend la terre fertile en l’échauffant : de même nous disons du phénix ou de la chimere, qu’il n’y en a point dans la nature.

M. Boyle veut qu’au lieu d’employer le mot de nature en ce sens, on se serve, pour éviter l’ambiguité ou l’abus qu’on peut faire de ce terme, du mot de monde ou d’univers.

Nature s’applique dans un sens moins étendu à chacune des différentes choses créées ou non créées, spirituelles & corporelles. Voyez ETRE.

C’est dans ce sens que nous disons la nature humaine, entendant par-là généralement tous les hommes qui ont une ame spirituelle & raisonnable. Nous disons aussi nature des anges, nature divine. C’est dans ce même sens que les Théologiens disent natura naturans, & natura naturata ; ils appellent Dieu natura naturans, comme ayant donné l’être & la nature à toutes choses, pour le distinguer des créatures, qu’ils appellent natura naturata, parce qu’elles ont reçu leur nature des mains d’un autre.

Nature, dans un sens encore plus limité, se dit de l’essence d’une chose, ou de ce que les philosophes de l’école appellent sa quiddité, c’est-à-dire l’attribut qui fait qu’une chose est telle ou telle. Voyez ESSENCE.

C’est dans ce sens que les Cartésiens disent que la nature de l’ame est de penser, & que la nature de la matiere consiste dans l’étendue. Voyez AME, MATIERE, ETENDUE. M. Boyle veut qu’on se serve du mot essence au lieu de nature. Voyez ESSENCE.

Nature est plus particulierement en usage pour signifier l’ordre & le cours naturel des choses, la suite des causes secondes, ou les lois du mouvement que Dieu a établies. Voyez CAUSES & MOUVEMENT.

C’est dans ce sens qu’on dit que les Physiciens étudient la nature.

Saint Thomas définit la nature une sorte d’art divin communiqué aux êtres créés, pour les porter à la fin à laquelle ils sont destinés. La nature prise dans ce sens n’est autre chose que l’enchaînement des causes & des effets, ou l’ordre que Dieu a établi dans toutes les parties du monde créé.

C’est aussi dans ce sens qu’on dit que les miracles sont au-dessus du pouvoir de la nature ; que l’art force ou surpasse la nature par le moyen des machines, lorsqu’il produit par ce moyen des effets qui surpassent ceux que nous voyons dans le cours ordinaire des choses. Voyez ART, MIRACLE.

Nature se dit aussi de la réunion des puissances ou facultés d’un corps, sur-tout d’un corps vivant.

C’est dans ce sens que les Medecins disent que la nature est forte, foible ou usée, ou que dans certaines maladies la nature abandonnée à elle-même en opere la guérison.

Nature se prend encore en un sens moins étendu, pour signifier l’action de la providence, le principe de toutes choses, c’est-à-dire cette puissance ou être spirituel qui agit & opere sur tous les corps pour leur donner certaines propriétés ou y produire certains effets. Voyez PROVIDENCE.

La nature prise dans ce sens, qui est celui que M. Boyle adopte par préférence, n’est autre chose que Dieu même, agissant suivant certaines lois qu’il a établies. Voyez DIEU.

Ce qui paroît s’accorder assez avec l’opinion où étoient plusieurs anciens, que la nature étoit le dieu de l’univers, le qui présidoit à tout & gouvernoit tout, quoique d’autres regardassent cet être prétendu comme imaginaire, n’entendant autre chose par le mot de nature que les qualités ou vertus que Dieu a données à ses créatures, & que les Poëtes & les Orateurs personnifient.

Le P. Malebranche prétend que tout ce qu’on dit dans les écoles sur la nature, est capable de nous conduire à l’idolâtrie, attendu que par ces mots les anciens payens entendoient quelque chose qui sans être Dieu agissoit continuellement dans l’univers. Ainsi l’idole nature devoit être selon eux un principe actuel qui étoit en concurrence avec Dieu, la cause seconde & immédiate de tous les changemens qui arrivent à la matiere. Ce qui paroît rentrer dans le sentiment de ceux qui admettoient l’anima mundi, regardant la nature comme un substitut de la divinité, une cause collatérale, une espece d’être moyen entre Dieu & les créatures.

Aristote définit la nature, principium & causa motus & ejus in quo est primo per se & non per accidens ; définition si obscure, que malgré toutes les gloses de ses commentateurs, aucun d’eux n’a pu parvenir à la rendre intelligible.

Ce principe, que les Péripatéticiens appelloient nature, agissoit, selon eux, nécessairement, & étoit par conséquent destitué de connoissance ou de liberté. Voyez FATALITE.

Les Stoïciens concevoient aussi la nature comme un certain esprit ou vertu répandue dans l’univers, qui donnoit à chaque chose son mouvement ; desorte que tout étoit forcé par l’ordre invariable d’une nature aveugle & par une nécessité inévitable.

Quand on parle de l’action de la nature, on n’entend plus autre chose que l’action des corps les uns sur les autres, conforme aux lois du mouvement établies par le Créateur.

C’est en cela que consiste tout le sens de ce mot, qui n’est qu’une façon abrégée d’exprimer l’action des corps, & qu’on exprimeroit peut-être mieux par le mot de méchanisme des corps.

Il y en a, selon l’observation de M. Boyle, qui n’entendent par le mot de nature que la loi que chaque chose a reçue du Créateur, & suivant laquelle elle agit dans toutes les occasions ; mais ce sens attaché au mot nature, est impropre & figuré.

Le même auteur propose une définition du mot de nature plus juste & plus exacte, selon lui, que toutes les autres, & en vertu de laquelle on peut entendre facilement tous les axiomes & expressions qui ont rapport à ce mot. Pour cela il distingue entre nature particuliere & nature générale.

Il définit la nature générale l’assemblage des corps qui constituent l’état présent du monde, considéré comme un principe par la vertu duquel ils agissent & reçoivent l’action selon les lois du mouvement établies par l’auteur de toutes choses.

La nature particuliere d’un être subordonné ou individuel, n’est que la nature générale appliquée à quelque portion distincte de l’univers : c’est un assemblage des propriétés méchaniques (comme grandeur, figure, ordre, situation & mouvement local) convenables & suffisantes pour constituer l’espece & la dénomination d’une chose ou d’un corps particulier, le concours de tous les êtres étant consideré comme le principe du mouvement, du repos, &c.

Dialogue du chapon et de la poularde

Voici un texte qui intéressera beaucoup de gens et qui a une dimension fascinante. Écrit par Voltaire, ce tout petit conte reflète la remise en cause de l’anthropocentrisme, et notamment de sa forme religieuse, qui est née avec les Lumières,

Le combat contre les religions a alors été porté par les athées d’un côté (avec Diderot par exemple), les déistes de l’autre.

Voltaire appartenait à ces derniers. S’il ne parvenait pas comme les athées à saisir la Nature comme « grand tout », il a pu aborder cette question sous l’angle de l’empirisme, c’est-à-dire la connaissance issue de l’expérience. Et il a regardé les animaux de manière réaliste…

Pour cette raison, le « Dialogue du chapon et de la poularde », écrit en 1763, est une oeuvre qui mérite d’être connue… Ce petit conte a une approche qui va dans le bon sens, on devine qu’il faut en prolonger la logique…

Précisons ici ce que sont un chapon et une poularde, avec une définition de wikipédia (qui fait frémir d’horreur):

Un chapon est un coq de l’espèce Gallus gallus domesticus qui a été castré afin d’atteindre une plus grande tendreté et une plus grande masse. Ses pattes sont bleues, sa peau fine et nacrée.

Les testicules des volailles étant à l’intérieur du corps, il faut deux incisions pour enfoncer les doigts et arriver à les arracher avec des pinces à castrer (technique du chaponnage).

Une poularde est une jeune femelle de l’espèce Gallus gallus domesticus, c’est-à-dire une poule domestique qui n’a pas encore pondu. Elle est destinée à l’engraissement. Elle a la chair blanche et tendre au goût très fin.

Voici le conte de Voltaire.

LE CHAPON.

Eh, mon Dieu! ma poule, te voilà bien triste, qu’as-tu?

LA POULARDE.

Mon cher ami, demande-moi plutôt ce que je n’ai plus. Une maudite servante m’a prise sur ses genoux, m’a plongé une longue aiguille dans le cul, a saisi ma matrice, l’a roulée autour de l’aiguille, l’a arrachée et l’a donnée à manger à son chat. Me voilà incapable de recevoir les faveurs du chantre du jour, et de pondre.

LE CHAPON.

Hélas! ma bonne, j’ai perdu plus que vous; ils m’ont fait une opération doublement cruelle: ni vous ni moi n’aurons plus de consolation dans ce monde; ils vous ont fait poularde, et moi chapon.

La seule idée qui adoucit mon état déplorable, c’est que j’entendis ces jours passés, près de mon poulailler, raisonner deux abbés italiens à qui on avait fait le même outrage afin qu’ils pussent chanter devant le pape avec une voix plus claire. Ils disaient que les hommes avaient commencé par circoncire leurs semblables, et qu’ils finissaient par les châtrer: ils maudissaient la destinée et le genre humain.

LA POULARDE.

Quoi! c’est donc pour que nous ayons une voix plus claire qu’on nous a privés de la plus belle partie de nous-mêmes?

LE CHAPON.

Hélas! ma pauvre poularde, C’est pour nous engraisser, et pour nous rendre la chair plus délicate.

LA POULARDE.

Eh bien! quand nous serons plus gras, le seront-ils davantage?

LE CHAPON.

Oui, car ils prétendent nous manger.

LA POULARDE.

Nous manger! ah, les monstres!

LE CHAPON.

C’est leur coutume; ils nous mettent en prison pendant quelques jours, nous font avaler une pâtée dont ils ont le secret, nous crèvent les yeux pour que nous n’ayons point de distraction; enfin, le jour de la fête étant venu, ils nous arrachent les plumes, nous coupent la gorge, et nous font rôtir.

On nous apporte devant eux dans une large pièce d’argent; chacun dit de nous ce qu’il pense; on fait notre oraison funèbre: l’un dit que nous sentons la noisette; l’autre vante notre chair succulente; on loue nos cuisses, nos bras, notre croupion; et voilà notre histoire dans ce bas monde finie pour jamais.

LA POULARDE.

Quels abominables coquins! je suis prête à m’évanouir. Quoi! on m’arrachera les yeux! on me coupera le cou! je serai rôtie et mangée! Ces scélérats n’ont donc point de remords?

LE CHAPON.

Non, m’amie; les deux abbés dont je vous ai parlé disaient que les hommes n’ont jamais de remords des choses qu’ils sont dans l’usage de faire.

LA POULARDE.

La détestable engeance! Je parie qu’en nous dévorant ils se mettent encore à rire et à faire des contes plaisants, comme si de rien n’était.

LE CHAPON.

Vous l’avez deviné; mais sachez pour votre consolation (si c’en est une) que ces animaux, qui sont bipèdes comme nous, et qui sont fort au-dessous de nous, puisqu’ils n’ont point de plumes, en ont usé ainsi fort souvent avec leurs semblables.

J’ai entendu dire à mes deux abbés que tous les empereurs chrétiens et grecs ne manquaient jamais de crever les deux yeux à leurs cousins et à leurs frères; que même, dans le pays où nous sommes, il y avait eu un nommé Débonnaire qui fit arracher les yeux à son neveu Bernard.

Mais pour ce qui est de rôtir des hommes, rien n’a été plus commun parmi cette espèce. Mes deux abbés disaient qu’on en avait rôti plus de vingt mille pour de certaines opinions qu’il serait difficile à un chapon d’expliquer, et qui ne m’importent guère.

LA POULARDE.

C’était apparemment pour les manger qu’on les rôtissait.

LE CHAPON.

Je n’oserais pas l’assurer; mais je me souviens bien d’avoir entendu clairement qu’il y a bien des pays, et entre autres celui des Juifs, où les hommes se sont quelquefois mangés les uns les autres.

LA POULARDE.

Passe pour cela. Il est juste qu’une espèce si perverse se dévore elle-même, et que la terre soit purgée de cette race. Mais moi qui suis paisible, moi qui n’ai jamais fait de mal, moi qui ai même nourri ces monstres en leur donnant mes oeufs, être châtrée, aveuglée, décollée, et rôtie! Nous traite-t-on ainsi dans le reste du monde?

LE CHAPON.

Les deux abbés disent que non. Ils assurent que dans un pays nommé l’Inde, beaucoup plus grand, plus beau, plus fertile que le nôtre, les hommes ont une loi sainte qui depuis des milliers de siècles leur défend de nous manger; que même un nommé Pythagore, ayant voyagé chez ces peuples justes, avait rapporté en Europe cette loi humaine, qui fut suivie par tous ses disciples.

Ces bons abbés lisaient Porphyre le Pythagoricien, qui a écrit un beau livre contre les broches.

O le grand homme! le divin homme que ce Porphyre!

Avec quelle sagesse, quelle force, quel respect tendre pour la Divinité il prouve que nous sommes les alliés et les parents des hommes; que Dieu nous donna les mêmes organes, les mêmes sentiments, la même mémoire, le même germe inconnu d’entendement qui se développe dans nous jusqu’au point déterminé par les lois éternelles, et que ni les hommes ni nous ne passons jamais!

En effet, ma chère poularde, ne serait-ce pas un outrage à la Divinité de dire que nous avons des sens pour ne point sentir, une cervelle pour ne point penser? Cette imagination digne, à ce qu’ils disaient, d’un fou nommé Descartes, ne serait-elle pas le comble du ridicule et la vaine excuse de la barbarie?

Aussi les plus grands philosophes de l’antiquité ne nous mettaient jamais à la broche. Ils s’occupaient à tâcher d’apprendre notre langage, et de découvrir nos propriétés si supérieures à celles de l’espèce humaine.

Nous étions en sûreté avec eux comme dans l’âge d’or. Les sages ne tuent point les animaux, dit Porphyre; il n’y a que les barbares et les prêtres qui les tuent et les mangent. Il fit cet admirable livre pour convertir un de ses disciples qui s’était fait chrétien par gourmandise.

LA POULARDE.

Eh bien! dressa-t-on des autels à ce grand homme qui enseignait la vertu au genre humain, et qui sauvait la vie au genre animal?

LE CHAPON.

Non, il fut en horreur aux chrétiens qui nous mangent, et qui détestent encore aujourd’hui sa mémoire; ils disent qu’il était impie, et que ses vertus étaient fausses, attendu qu’il était païen.

LA POULARDE.

Que la gourmandise a d’affreux préjugés! J’entendais l’autre jour, dans cette espèce de grange qui est près de notre poulailler, un homme qui parlait seul devant d’autres hommes qui ne parlaient point; Il s’écriait que « Dieu avait fait un pacte avec nous et avec ces autres animaux appelés hommes; que Dieu leur avait défendu de se nourrir de notre sang et de notre chair ».

Comment peuvent-ils ajouter à cette défense positive la permission de dévorer nos membres bouillis ou rôtis? Il est impossible, quand ils nous ont coupé le cou, qu’il ne reste beaucoup de sang dans nos veines; ce sang se mêle nécessairement à notre chair; ils désobéissent donc visiblement à Dieu en nous mangeant.

De plus, n’est-ce pas un sacrilège de tuer et de dévorer des gens avec qui Dieu a fait un pacte? Ce serait un étrange traité que celui dont la seule clause serait de nous livrer à la mort. Ou notre créateur n’a point fait de pacte avec nous, ou c’est un crime de nous tuer et de nous faire cuire il n’y a pas de milieu.

LE CHAPON.

Ce n’est pas la seule contradiction qui règne chez ces monstres, nos éternels ennemis. Il y a longtemps qu’on leur reproche qu’ils ne sont d’accord en rien. Ils ne font des lois que pour les violer; et, ce qu’il y a de pis, c’est qu’ils les violent en conscience. Ils ont inventé cent subterfuges, cent sophismes pour justifier leurs transgressions.

Ils ne se servent de la pensée que pour autoriser leurs injustices, et n’emploient les paroles que pour déguiser leurs pensées.

Figure-toi que, dans le petit pays où nous vivons, il est défendu de nous manger deux jours de la semaine: ils trouvent bien moyen d’éluder la loi; d’ailleurs cette loi, qui te paraît favorable, est très barbare; elle ordonne que ces jours-là on mangera les habitants des eaux ils vont chercher des victimes au fond des mers et des rivières.

Ils dévorent des créatures dont une seule coûte souvent plus de la valeur de cent chapons: ils appellent cela jeûner, se mortifier. Enfin je ne crois pas qu’il soit possible d’imaginer une espèce plus ridicule à la fois et plus abominable, plus extravagante et plus sanguinaire.

LA POULARDE.

Eh, mon Dieu! ne vois-je pas venir ce vilain marmiton de cuisine avec son grand couteau?

LE CHAPON.

C’en est fait, m’amie, notre dernière heure est venue; recommandons notre âme à Dieu.

LA POULARDE.

Que ne puis-je donner au scélérat qui me mangera une indigestion qui le fasse crever! Mais les petits se vengent des puissants par de vains souhaits, et les puissants s’en moquent.

LE CHAPON.

Aïe! on me prend par le cou. Pardonnons à nos ennemis.

LA POULARDE.

Je ne puis; on me serre, on m’emporte. Adieu, mon cher chapon.

LE CHAPON.

Adieu, pour toute l’éternité, ma chère poularde.

Cartes postales et « oeufs de Pâques »

Revenons un peu sur les oeufs de Pâques et ce qu’ils véhiculent historiquement, en regardant un peu dans le passé. Aujourd’hui, en effet, on est un peu confus avec les mélanges commerciaux et religieux.

Se confronter aux cartes postales d’il y a à peu près cent ans est donc très utile. Bien entendu, l’esthétique peut être considéré comme assez particulière, et pour certaines personnes ces cartes relèvent du « kitsch », voire de l’atroce.

On peut cependant facilement voir que le rapport à Nature se lit de manière pratiquement ouverte…

Prenons deux cartes parfaitement représentatives de cela. Voici tout d’abord une carte qui reprend ouvertement l’option religieuse. On a un enfant tiré par des animaux, dans une logique typique de l’exploitation animale.

Et c’est lié à la religion: l’œuf est rouge, en allusion au sang du Christ (avec comme expliqué l’œuf symbole de la résurrection, car il passe d’être « mort » à vivant). Les animaux sont bien entendu des agneaux, pauvre animal sacrificiel du monothéisme.

Voici une carte dont la dynamique est tout à fait contraire. Au lieu des agneaux, on retrouve le fameux lièvre, symbole de fertilité. Il y en a plusieurs, et que font-ils? Ils attaquent, avec les oeufs symboles de la vie, « Jack Frost » (Jack le Gel), symbole de l’hiver dans les pays de culture anglo-saxonne. Il est même écrit « compliments de la saison », allusion au Printemps qui triomphe!

Regardons deux autres cartes, fort étranges, et pour cause: elles témoignent de l’irruption de la révolution industrielle dans la question des oeufs de Pâques. Ici, les animaux sont directement montrés comme au service des humains, voire comme étant reliés à la production.

Cela a donc l’air absurde, comme dessin, mais le fond qui se révèle témoigne de la modernisation économique, avec malheureusement donc l’intégration des animaux dans la production de masse…

Dans un autre registre, un des principaux leitmotivs est l’harmonie. C’est la Nature qui parle et qui, de manière hallucinée, « offre » les oeufs. La recherche du lien avec la Nature est évident.

Il va de soi que les enfants sont omniprésents dans cette question de l’harmonie. Ces cartes témoignent du sentiment de « fusion » avec les animaux.

La dernière carte présente une fusion assez étrange et dénaturée. En fait, les « oeufs de Pâques » reflètent un rapport très perturbé, on est entre le jeu et l’exploitation.

Concluons donc sur les deux tendances générales: il y a ainsi l’exploitation, avec l’arrière-plan religieux…

Et il y a à l’inverse la quête d’un rapport non dénaturé à la vie. Sur la carte postale suivante, l’église est à l’arrière-plan, présente mais dans un décor bucolique, avec une femme représentant la Nature, marchant sur les oeufs symbole de la vie, tenant des lapins symbole de pacifisme…

Avec également une sorte de disque, allusion au Ciel, mais en mode mystique. Mais au-delà de l’hallucination de type religieuse, il y a une vraie salutation de la vie. Retrouver ce sens du Printemps, sans la religion, fait partie du combat pour la Nature!

Les « œufs de Pâques » et le culte du Printemps

C’était hier le dimanche de « Pâques », où suivant la religion catholique, on offre des œufs. Cette tradition n’a pas forcément l’air d’être grand chose, et on pense surtout à l’arrière-plan religieux. En fait, c’est très compliqué et il y a beaucoup de choses qui rentrent en jeu.

Sur le papier, en effet, Pâques est une fête juive célébrant la prétendue sortie du désert du peuple hébreu, telle que c’est raconté dans la Bible. Par la suite, les chrétiens célèbrent au même moment la prétendue résurrection de Jésus-Christ, censée avoir eu lieu au moment de cette fête juive.

Pâques serait donc une fête liée à rien d’autre que des événements « historiques » racontés dans des ouvrages religieux…

En pratique pourtant, il s’avère que la période de l’année concernée était célébrée bien avant ces religions, par différents peuples. Et que l’idée de « sortie », de « résurrection », est précisément l’idéologie tournant autour du Printemps, saison du renouveau.

Ainsi, les œufs de Pâques sont censés symboliser la « résurrection » du Christ, car de « froid » ils deviennent « chaud » avec la naissance du poussin. Et justement, dans l’antiquité, dans l’empire romain et en Égypte, on offrait déjà des œufs suivant le même principe.

En France, ce sont les « cloches » qui sont censés aller à Rome et revenir en apportant ces œufs. Cela n’a rien de rationnel, pas plus que le lièvre qui les amène dans les pays germaniques. Sauf que dans ces pays, il y avait justement le symbole du lièvre comme symbole de la fertilité, du Printemps qui revient, avec les « joutes » des lièvres, reflet de la sexualité qui revient, de la vie reprenant ses droits…

Il faut également penser à Perséphone, fille de Déméter. Cette dernière est la « Terre-mère » et n’accepte pas que sa fille soit mariée à Hadès, roi des enfers. Zeus hésite et finalement coupe la poire en deux : Perséphone sera six mois sous terre avec Hadès, et aidera par contre sa mère pour les six autres : elle réapparaît alors pour le Printemps.

Si l’on regarde donc les choses ainsi, on voit ainsi que les œufs de Pâques et la « résurrection du Christ » sont là pour remplacer la célébration naturelle du Printemps. Au lieu de célébrer la Nature, on célèbre « Dieu »… Les religions ont récupéré des fêtes préexistantes, les remodelant à leur sauce.

Ce n’est pas le seul aspect culturel qui compte ici. Les œufs sont en effet et bien sûr issus de l’exploitation animale. Même dans le cas des œufs en chocolat, voire en sucre, la forme est là pour rappeler que les poules « donnent » les œufs aux humains…

Lors de la « chasse aux oeufs », cela va même plus loin, puisque c’est un animal qui apporte les œufs aux enfants. Suivant les pays, c’est un lièvre (comme dans les pays germaniques), mais cela peut être un coucou, une poule, un renard…

Ou encore le bilby, en l’occurrence en Australie où les lapins sont honnis par la population au nom de la défense de l’environnement (alors que c’est l’humanité qui les a amenés là-bas).

Il y a évidemment deux aspects : d’un côté, chercher des œufs colorés dans la forêt, c’est retrouver un lien avec la Nature. Symboliquement, il y a aussi la mise en valeur d’un animal, comme étant proche, sympathique. De l’autre, le rapport à l’exploitation animale est flagrant.

Pour compliquer encore la chose, il y a bien sûr le folklore des œufs décorés. On est là dans l’appropriation humaine de ce qui appartient aux animaux, et en même temps dans la culture, le folklore, l’art.

Et que dire lorsque ces œufs sont mis… pour décorer les arbres ? C’est le cas dans certains pays de l’Est, comme en Tchéquie. On voit bien que là il y a la tentative humaine d’établir un rapport à la Nature.

L’humanité ne réfléchit pas à son rapport à la Nature, et en même temps elle le fait… Mais selon des modalités pas forcément aisées à reconnaître, à suivre, à comprendre!