Luc Ferry conseille l’agriculture face aux inéluctables « mouvements hostiles »

Luc Ferry est « le » grand penseur français anti-animaux et anti-écologie. Dans Le Figaro, auquel il a accordé une interview, il dit une chose essentielle : il avertit les éleveurs qu’ils doivent prendre eux-mêmes en main la question animale, sans quoi… la société va finalement leur être hostile.

C’est intéressant, car déjà il montre que contrairement à ce qui a été fait tout récemment encore par certains (mais en général surtout par l’association L214), il ne faut certainement pas aider les éleveurs à comprendre le véganisme, à se « moderniser ».

Ensuite, il souligne le fait inéluctable (et lui-même le reconnaît en tant que tel) que va surgir une vague en faveur de la libération animale.

Au-delà des animaux domestiques, quid des animaux d’élevage, de leur alimentation et des conditions d’abattages (gavage d’oie, abattage rituel, élevage en batterie…)?

Qu’on le veuille ou non, le problème ne cessera de monter en puissance, car, pour des raisons de fond que je ne peux pas développer ici, la sensibilité à la souffrance animale ne cessera de s’accroitre dans les pays démocratiques.

J’ai eu l’occasion d’en parler à plusieurs reprises avec Xavier Beulin, le patron de la FNSEA, un homme que j’estime et respecte et qui comprend très bien les choses. Si vous comparez la France à des pays comme la Chine, le traitement des animaux d’élevage en France est remarquablement humain.

Allez sur les sites internet et vous verrez comment on écorche y vifs chiens et chats par millions sans le moindre scrupule. Il y a sur le net des vidéos qui tournent sur ces sujets et qui soulèvent le cœur: on y voit des chats qu’on ébouillante pour mieux arracher leur peau vivants, des chiens qu’on écorche vif et qui continuent à vivre et à saigner pendant des heures.

Donc, notre agriculture à bien des arguments à faire valoir par rapport à d’autres traditions.

Reste que son intérêt est de se saisir elle-même du problème pour faire des progrès, car faute d’en faire, je le dis avec la certitude de ne pas me tromper, elle sera rattrapée un jour ou l’autre par des mouvements hostiles de l’opinion publique. Du reste, un paysan qui respecte ses bêtes et qui se respecte lui-même, ne s’amuse pas à les faire souffrir.

Cela est tout à fait juste : il a raison de dire avec « certitude » que l’opinion publique va se lever de manière hostile contre l’exploitation animale.

Et il a raison de dire, également, que le meilleur moyen de l’exploitation animale en France pour se maintenir, c’est de se prétendre plus « humaine », plus « proche des animaux », plus « correcte », etc. En cela, elle est aidée de manière évidente par le « réformisme » en faveur du « bien-être » animal.

Mais tout cela ne tiendra pas ; le système de l’exploitation animale est partie pour inévitablement s’effondrer dans les prochaines décennies, et cela à l’échelle planétaire. L’humanité ne peut pas tenir « contre » Gaïa.

Et justement, il y a lieu de s’intéresser à une autre question à laquelle a répondu Luc Ferry.

Passons sur ses insultes perpétuelles visant à nier qu’il y ait une philosophie de la libération animale : lorsque Luc Ferry traite les amis et amies des animaux de « zoophiles », il ne fait que rappeler qu’il est un vil propagandiste cherchant à faire passer ses ennemis idéologiques pour des gens fondamentalement idiots, voire pervers.

Non, ce qui compte, c’est sa vision de la Nature. Luc Ferry nie la Nature, il nie la symbiose et l’entraide animale qui est pourtant un fait évident, et d’ailleurs l’importance des bactéries dans la vie complexe organisée en est une preuve évidente…

Et de manière subtile, il prétend que la pensée de Descartes sur les animaux est « aberrante », alors qu’elle est en réalité tout à fait logique et correspond absolument à l’anthropocentrisme, à sa conception « métaphysique » d’un Dieu ayant donné le « libre-arbitre » aux humains, et aux humains seulement…

Dans les traditions philosophiques, quel est le rang de l’animal entre l’être et la chose?

C’est toute la question, et elle est cruciale, d’une profondeur philosophique abyssale. Les animaux ne sont ni des choses, comme le prétendait Descartes de façon aberrante, ni non plus des humains, quoi qu’en disent les militants fondamentalistes qui discréditent leur propre cause par leurs délires «zoophiles».

La preuve? Les animaux n’ont pas de morale, d’éthique et ils n’enterrent pas non plus leurs morts, ce qui dénonte aussi une absence d’interrogation métaphysique. On a déjà vu des humains dépenser des trésors d’énergie pour sauver une baleine, on n’a jamais vu, sauf dans les contes de fées, une baleine en faire autant pour eux.

Ce sont en revanche, comme nous, des êtres sensibles, susceptibles d’éprouver du plaisir et de la peine et même, pour les mammifères supérieures, de développer une intelligence et une affectivité considérables.

C’est cela qu’il faut prendre en compte et respecter, sans pour autant les «humaniser».

Le problème, c’est que le cartésianisme a marqué profondément la tradition française avec sa fameuse théorie des «animaux machines». Descartes pensait sérieusmeent que les animaux n’étaient que des automates, des machines ultra sophistiquées, sans doute, mais quand même des machines sans affect. Par exemple, il déclare tranquillement que les hurlements que pousse un animal pendant une vivisection n’ont pas plus de signification que le «timbre d’une pendule».

C’est évidemment absurde, et aucun scientifique aujourd’hui ne défend plus cette thèse. Déjà Maupertuis objectait à Descartes que si les animaux étaient vraiment des automates, personne ne s’amuserait à être sadique avec eux. On n’a jamais vu personne, disait il, torturer une horloge alors qu’on a souvent vu des enfants ou même des adultes prendre plaisir à torturer une bête…

Luc Ferry tente de sauver les meubles de l’anthropocentrisme, de la religion, il tente de sauver le tout en faisant des animaux… ce qu’ils sont en fait pour le bouddhisme et l’hindouisme. Dans ces religions en fait, les animaux sont des âmes qui en raison de leur mauvais « karma », se sont réincarnés en animaux, être inférieurs.

L’idée de Jules Ferry, c’est de cesser de nier ouvertement les animaux comme dans les religions chrétiennes, musulmane et juive jusque-là, pour leur accorder une reconnaissance… mais comme « êtres inférieurs ». Voilà pourquoi Jules Ferry peut dire :

La protection des animaux ne mène-t-elle pas à l’anthropomorphisme?

C’est précisément un écueil à éviter et malheureusement, les militants de la cause animale tombent souvent dans le piège. L’animal est un intermédiaire entre la chose et l’homme, il n’est ni l’un ni l’autre, et qui confond les deux tombe dans un véritable délire qui nuit de toute façon à la cause animale. J’aime bien la formule de Michelet, comme j’aime le poème de Hugo sur le crapaud: tous deux parlaient joliment de nos «frères inférieurs», ou de nos «frères d’en bas». Je trouve que c’est bien vu et que cela suffit à tout faire pour éviter les souffrances inutiles aux animaux.

C’est très bien vu, et la modification de la loi en cours (nous en reparlerons lorsqu’elle sera votée, dans la semaine) a exactement le même sens.

« Pourquoi les animaux ne parlent pas »

L’un des arguments les plus mis en avant pour dévaloriser les animaux (non humains) est leur réduction à des sortes de machines réagissant simplement avec des pulsions. C’est ce qu’explique ici Descartes, dans une Lettre à Newcastle.

Les animaux ne réagiraient que de manière mécanique, ils ne disposeraient pas du libre-arbitre et la preuve de cela serait leur absence de langage. Descartes en veut pour preuve que, si ce n’était pas le cas, ils tenteraient de s’adresser à nous, d’une manière ou d’une autre. Et s’ils le font, alors Descartes réduit cela à des « pulsions », des automatismes.

Il y a alors deux solutions: soit accorder aux animaux le statut d’individu, ce que veut l’idéologie des « droits des animaux ». L’individu se voit reconnu des « droits » relevant de la constitution formée par les humains. C’est ce qu’on appelle le droit « positif ». L’objectif est alors une sorte de 1789 pour les animaux.

Soit au contraire réfuter que l’être humain dispose du libre-arbitre, ce qui est alors la position de l’athéisme. Cela revient à considérer que tous les êtres vivants ont des droits en tant que tel, parce que la Nature cherche à développer la vie, elle évolue et cherche à devenir plus complexe, plus développée, plus épanouie, etc. C’est ce qu’on appelle le droit « naturel ». Les individus sont alors compris comme un élément du tout.

La question du langage montre que c’est l’athéisme qui a raison. C’est la Nature qui existe sur notre planète, c’est elle qui se transforme, il n’y a pas eu de « Dieu » pour parler et ainsi créer comme le prétend la genèse avec la formule « Dieu dit: Que la lumière soit! Et la lumière fut ».

Montaigne a ainsi raison quand il se moque de la prétention humaine:

« La présomption est notre maladie naturelle et originelle. La plus calamiteuse et frêle de toutes les créatures, c’est l’homme, et quant et quant la plus orgueilleuse.

Elle se sent et se voit logée ici, parmi la bourbe et le fient du monde, attachée et clouée à la pire, plus morte et croupie partie de l’univers, au dernier étage du logis et le plus éloigné de la voûte céleste, avec les animaux de la pire condition des trois ; et se va plantant par imagination au-dessus du cercle de la lune et ramenant le ciel sous ses pieds.

C’est par la vanité de cette même imagination qu’il s’égale à Dieu, qu’il s’attribue les conditions divines, qu’il se trie soi-même et sépare de la presse des autres créatures, taille les parts aux animaux ses confrères et compagnons, et leur distribue telle portion de facultés et de forces que bon lui semble. Comment connaît-il, par l’effort de son intelligence, les branles internes et secrets des animaux ? Par quelle comparaison d’eux à nous conclut-il la bêtise qu’il leur attribue ? »

Voici donc ce que dit inversement Descartes:

Enfin, il n’y a aucune de nos actions extérieures, qui puissent assurer ceux qui les examinent, que notre corps n’est pas seulement une machine qui se remue de soi-même, mais qu’il y a aussi en lui une âme qui a des pensées, exceptées les paroles, ou autres signes, faits à propos de ce qui se présente, sans se rapporter à aucune passion.

Je dis les paroles ou autres signes, parce que les muets se servent de signes en même façon que nous de la voix ; et que ces signes soient à propos, pour exclure le parler des perroquets sans exclure celui des fous, qui ne laisse pas d’être à propos des sujets qui se présentent, bien qu’il ne suive pas la raison ;

et j’ajoute que ces paroles ou signes ne se doivent rapporter à aucune passion, pour exclure non seulement les cris de joie ou de tristesse, et semblables, mais aussi tout ce qui peut être enseigné par artifice aux animaux ; car si on apprend à une pie à dire bonjour à sa maîtresse, lorsqu’elle la voit arriver, ce ne peut être qu’en faisant que la prolation de cette parole devienne le mouvement de quelqu’une de ses passions ;

à savoir, ce sera un mouvement de l’espérance qu’elle a de manger, si l’on a toujours accoutumé de lui donner quelque friandise, lorsqu’elle l’a dit ; et ainsi toutes les choses qu’on fait faire aux chiens, chevaux et aux singes ne sont que des mouvements de leur crainte, de leur espérance, ou de leur joie, en sorte qu’ils les peuvent faire sans pensée.

Or, il est, ce me semble, fort remarquable que la parole étant ainsi définie, ne convient qu’à l’homme seul.

Car bien que Montaigne et Charron aient dit qu’il y a plus de différence d’homme à homme, que d’homme à bête, il ne s’est toutefois jamais trouvé aucune bête si parfaite qu’elle ait usé de quelque signe, pour faire entendre à d’autres animaux quelque chose qui n’eût point de rapport à ses passions, et il n’y a point d’homme si imparfait qu’il n’en use ; en sorte que ceux qui sont sourds et muets, inventent des signes particuliers, par lesquels ils expriment leurs pensées.

Ce qui me semble un très fort argument, pour prouver que ce qui fait que les bêtes ne parlent point comme nous, est qu’elles n’ont pas de pensées, et non point que les organes leur manquent.

Et on ne peut pas dire qu’elles parlent entre elles, mais que nous ne les entendons pas ; car, comme les chiens et quelques autres animaux nous expriment leurs passions, ils nous exprimeraient aussi bien leurs pensées, s’ils en avaient.

Marc Blondel, « athée » mais appréciant la mystique de la corrida

Il y a quelques jours, les médias annonçaient la mort de Marc Blondel. Ce dernier avait été le dirigeant de l’un des principaux syndicats, de 1989 à 2004. Parmi les remarques diverses qui l’ont qualifié dans les médias dans sa nécrologie, deux aspects nous intéressent particulièrement. Le Figaro raconte ainsi que cet « anti-communiste primaire » était un farouche militant de la libre-pensée (il a d’ailleurs été président de la Fédération nationale de la libre pensée) et qu’il était un adepte de la corrida.

C’est très intéressant et très révélateur. En effet, pour être véritablement athée, il faut faire comme l’ont fait les penseurs des Lumières au 18me siècle, les libertins (les « affranchis » de la religion) du 17ème siècle, la plupart des humanistes du 16ème siècle: il faut reconnaître la Nature.

Or, certains ne le font pas, et ils tentent de combler le « manque de Dieu » par autre chose, par des expériences qui seraient transcendantes. C’est pourquoi Marc Blondel appréciait la corrida.

Voici pour illustrer cela des extraits d’une interview où Marc Blondel explique cela. Il est fascinant de voir comment quelqu’un refusant Dieu officiellement peut faire l’apologie de la corrida comme mystique, comme expérience transcendante de la mort. Il parle même du mithraïsme, religion de l’époque romaine (nous présentons cette religion ici: La victoire sur le taureau, symbole patriarcal de la défaite de la déesse-mère).

Pour les gens désireux d’approfondir cette approche « mystique », nous présentons cela dans l’article « Simon Casas, un faux humanisme de faux prophète« .

1– Pour vous, la corrida fait-elle partie de notre culture et de nos traditions ?

Bien que n’étant pas natif du Sud de la France, je considère, en effet, que la corrida s’inscrit dans la culture d’une partie du territoire national, culture partagée par la péninsule Ibérique. Elle fait partie intégrante des sacrifices, quasi rituels, qui ont inspiré le bassin méditerranéen, entre le culte de Mithra et le taurobole dont il reste des traces dans le Sud-Ouest.

Mon inclinaison personnelle, bien que d’origine Artésienne, doit venir de la présence espagnole qui a perduré dans le Nord de la France.

2– Mais certains affirment qu’il est scandaleux de mettre un animal à mort dans une arène…

La thèse du spectacle de la mort qui est régulièrement avancée par les anti-corrida ne tient guère devant la violence journalière réelle ou virtuelle que l’on rencontre dans la rue, au cinéma ou à la télévision. Pour ce qui concerne plus particulièrement les animaux il suffit de visiter un abattoir voire de s’en approcher pour mesurer l’hypocrisie de l’affirmation. Il ne reste guère de dignité dans la mort industrielle. Au demeurant, il faut savoir que le taureau de combat, le “toro bravo” est élevé à cette fin, la race n’existerait plus sans corrida.

3– Selon vous, d’où est née l’incompréhension entre les amateurs et les opposants à la corrida ?

Les valeurs ne sont pas partagées. Ainsi, sans faire de prosélytisme, je sacrifie à la corrida pour y trouver la bravoure et une certaine noblesse dans le comportement et ce pour l’ensemble des acteurs, y compris le taureau.

Je passe par des moments exaltants puis des déceptions. Mais, la mort est présente, il ne s’agit pas de Morbidité mais d’un risque que l’homme assume pour être égal voir le maître de la force pure, du Dieu taureau en quelque sorte.

Cela frôle le paganisme. Dans ces conditions, participe au rituel qui veut, comme chacun sait, l’initiation, quelle qu’elle soit, provoque réactions et oppositions.

On ne frôle pas le paganisme, on est au contraire en plein dedans! Marc Blondel est obligé de le reconnaître par la suite. Après avoir revendiqué l’activité sociale des clubs taurins (dans la logique syndicaliste réformiste):

Par contre et nous veillons (les clubs taurins) à la chose, une sélection se fait par l’argent. Nous exigeons qu’un certain nombre de places à des tarifs modestes permettent la participation de tous.

Marc Blondel passe alors à la revendication de la corrida, et de la chasse, comme expérience « transcendante ». On a ainsi la corrida comme réflexion sur la vie et la mort, comme la chasse par ailleurs! C’est le principe de « théologie négative », de transcendance religieuse sans Dieu. Ce genre de délire est obligatoire si on ne reconnaît pas la Nature.

6- N’existe-t-il pas aussi un problème qui est celui de notre société face à la mort ?

Bien entendu, in fine c’est l’éternel débat de la vie et de la mort.

Cependant, elle s’effectue, si on le désire, sans le recours d’un être supérieur.

Nous savons qu’il n’y a pas de réponse à cette interrogation ? Tout comme on ne va pas au cirque pour voir le funambule tomber, on ne va pas en corrida pour voir tuer l’officiant. (…)

8– Etes-vous chasseur, et dans la négative pourquoi ?

Je ne suis pas chasseur, pour différentes raisons. Né quelques années avant l’occupation allemande, il était impossible aux familles du Pas-de-Calais de détenir des armes, même de chasse.

Au demeurant, les loisirs dans les corons étaient plus collectifs et moins onéreux. Seuls quelques fermiers eussent pu chasser. Toutefois je dois à la vérité de dire que j’ai, accidentellement, braconné ou plutôt accompagné un excellent braconnier qui était très respectueux et amoureux des animaux. Il faisait preuve de patience et je ne suis pas sûr que lorsqu’il arrivait à ses fins, il en soit très satisfait.

C’est la chasse et la connaissance de la chasse qui le passionnaient.

Comme on le voit, tout cela forme une démarche très construite. Pour se débarrasser de la corrida, il faut triompher de cette idéologie: ce n’est pas une mince affaire!

« l’immense océan de matière du grand Tout »

« D’après Diderot, l’homme, un être purement matériel, fait partie intégrante de l’immense océan de matière du grand Tout qui est en constante évolution.

La notion de « Tout » désigne à la fois l’univers et les êtres, ainsi que l’homme dont les molécules, les fibres et les organes, liés les uns aux autres, composent avec d’autres espèces le seul individu, le grand Tout.

L’organisme humain constitue également un réseau sensible de rapports, susceptible de recevoir plusieurs impressions à la fois.

Ses sensations s’arrangent dans des faisceaux, car l’assemblage en
faisceaux des brins du corps construisent les organes et puis l’organisme selon la conception de l’époque.

Les impressions produisent les sensations qui sont transmises à l’origine du réseau, c’est-à-dire au cerveau. L’homme réagit : il compare les sensations, il acquiert par succession la faculté de la mémoire, la conscience et la réflexion, il raisonne, il juge et exprime ses idées en forme de signes, de gestes et de sons.

Diderot présente ces idées et ces processus à l’aide des images sensibles (…).

Les capacités et les qualités de l’homme conçu comme être matériel sont bien évidemment influencées par sa physiologie. Diderot explique tout à travers la matière et le corps. C’est la raison pour laquelle sa philosophie est nommée « physiologiste ».

Dans notre thèse nous étudions les images à l’aide desquelles Diderot illustre le fonctionnement de l’organisme humain. Le processus de la perception et de la réflexion est représenté par les images de l’horloge ambulante, du clavecin sensible et de la serinette.

Dans la Lettre sur les sourds et muets, la distinction cartésienne entre l’âme et le corps n’est pas encore oblitérée par Diderot.

Dans Le Rêve de d’Alembert, il développe sa critique du modèle mécanique de l’horloge proposé par Descartes, et explique ce qu’est l’être sentant en choisissant comme modèles du vivant le clavecin et la serinette.

Les perceptions sont produites quand les cordes de l’horloge
ambulante ou du clavecin – qui correspondent aux fibres nerveuses du corps – sont tirées ou pincées, autrement dit, quand certaines pressions produisent un effet sur l’organisme humain.

Les perceptions donnent naissance à des idées qui sont représentées par des sons. La petite figure attentive de l’horloge ambulante – le musicien qui écoute si son instrument est bien
accordé – ressemble à s’y méprendre à l’âme pensante cartésienne.

Comme si la petite figure qui orne l’horloge ne faisait pas partie intégrante de la boîte. Pourtant, le clavecin sensible,
doué de la faculté de réfléchir, fait allusion à un organisme humain qui est en même temps le musicien et l’instrument, qui a la conscience du son qu’il rend et la mémoire qui lie ces sons.

À l’aide de l’image de la serinette, Diderot met beaucoup plus l’accent sur l’aspect matériel de l’organisme humain. Les êtres vivants, y compris l’homme tout entier, sont réductibles à la matière et à la principale propriété de celle-ci, à savoir la sensibilité.

À la différence de l’animal, l’homme, grâce aux capacités intellectuelles de son cerveau, est un être organiquement plus complexe et doué de la faculté de réfléchir. »

(Dóra Székesi, La représentation de l’homme dans la philosophie de nature de Diderot)

Véganisme pour la Nature ou par misanthopie?

Il y a deux manières de voir le véganisme : on peut y voir la possibilité d’une vie humaine qui se tourne de nouveau vers la Nature… Ou bien on peut y voir un prétexte à la misanthropie et à une sorte de mélancolie.

La distinction est nécessaire, parce que la démarche n’a rien à voir et inévitablement, dans les années qui viennent, une scission profonde se produira, et heureusement, et tant qu’à faire le plus tôt sera le mieux.
En effet, dans le premier cas, on aime les animaux (et la Nature en général), tandis que dans le second cas, les animaux sont considérés comme des victimes à défendre, sans pour autant qu’on ne s’y intéresse.

Voici, pour illustrer cette seconde option, une réponse, faite lors d’une interview, par le porte-parole de la fondation Brigitte Bardot, Christophe Marie.

On ne peut nullement lui reprocher d’être en contradiction avec lui-même, pour autant nous trouvons sa position littéralement aberrante.

« Actuellement j’ai une chienne, adoptée alors qu’elle avait 9 ans, et j’ai la chance de pouvoir l’emmener chaque jour à la Fondation.

Cela dit, le combat que je mène n’est pas animé par une passion des animaux, c’est plutôt une réaction face à une injustice, l’animal n’est pas en mesure de s’opposer alors cela rend son exploitation d’autant plus insupportable.

C’est vrai que ça peut être difficile à comprendre, par exemple à mes débuts à la Fondation je me suis endetté pour pouvoir mener une action en Polynésie contre un programme de « nage avec les dauphins », dans un hôtel de Moorea. A l’époque, il y avait de nombreuses captures de dauphins qui se soldaient par la mort des animaux.

Lorsque je me suis rendu sur place, l’un de mes contacts à Tahiti voulait absolument me montrer des dauphins au large alors que cela ne m’intéressait pas du tout, pour lui c’était incompréhensible alors que pour moi c’était parfaitement logique.

Je ne mène pas ce combat par passion des dauphins mais parce que leur capture, leur captivité, tout cela me bouleverse. Je me fiche de les voir, je ne veux pas les toucher mais simplement les savoir libres, là-bas quelque part au large, avec leur groupe, loin des hommes et de leur prédation. »

Ce type d’attitude est extrêmement répandu, même s’il est difficile de savoir si c’est majoritaire chez les végans.

On peut bien sûr penser que c’est le cas pour les gens lors des happenings où été utilisés des « cadavres » d’animaux ; de fait, en terme de lisibilité et d’exposition médiatique, ces postures ont un grand succès.

D’ailleurs, dans la population, c’est assez souvent qu’on voit la personne aimant les animaux comme une jeune femme ne souriant pas et habillé en noir, ou bien comme un homme un peu âgé et misanthrope, ou bien encore comme « la vieille folle aux chats » ou aux pigeons, etc.

S’il y a incontestablement une dignité énorme dans le fait de lutter pour les animaux, ne pas se reconnaître dans leur réalité naturelle est une erreur grossière et il y a le risque que la cause animale ne devienne qu’un prétexte pour un « trip » nihiliste, pessimiste, etc.

On ne peut pas séparer la raison des cinq sens et d’ailleurs en pratique personne ne le fait, à part pour le coup, une petite frange de végans ultra-individualistes, anti-adoptions, etc.

Le philosophe Spinoza est ici très utile pour deux exemples, paradoxalement contradictoire. En effet, à ses yeux Dieu c’est la Nature, c’est-à-dire que c’est un véritable athée.

Mais le paradoxe est qu’il n’a pas assumé l’ouverture aux animaux, à l’encontre de la tradition athée justement (avec Epicure, Lucrèce, etc.).

La raison est qu’il veut se fonder sur la raison et qu’il pense constater :

« que les mélancoliques vantent de leur mieux la vie grossière des champs, qu’ils méprisent les hommes et prennent les bêtes en admiration. »

Pour lui, les mélancoliques sont des gens insupportables qui veulent se mettre à l’écart de la raison et donc trouvent un moyen de se mettre à l’écart, en jouant sur la « sensiblerie » pour éviter les responsabilités.

Si Spinoza a raison ici, on est libre de le penser, la chanson « Meat is murder » et tout le discours centré sur les abattoirs, la mort, la souffrance, etc. est en fait un prétexte pour des gens « mélancoliques », petit-bourgeois pourrait-on dire, qui trouvent une planque afin de donner libre-cours à leur nihilisme, leur pessimisme, etc.

Si bien entendu une telle affirmation serait unilatérale, impossible de ne pas voir que cette définition en termes de « mélancolie » pessimiste correspond à une partie significative de gens dans la cause animale, d’où la porosité culturelle avec l’extrême-droite et la misanthropie.

Ce qu’il est intéressant de voir alors, c’est que Spinoza se contredit cependant, car toute sa philosophie se fonde sur le principe selon lequel la vie cherche à se préserver et se développer. Il n’y aucune raison de ne pas voir que les animaux, ou les végétaux d’ailleurs, cherchent la même chose que nous : le bonheur.

Spinoza est ainsi obligé de bricoler une conception comme quoi chaque catégorie d’être vivant est un bloc « à part », séparé des autres. Voici ce qu’il dit, se contredisant et l’assumant :

« Ils font voir clairement que la loi qui défend de tuer les animaux est fondée bien plus sur une vaine superstition et une pitié de femme que sur la saine raison ; la raison nous enseigne, en effet, que la nécessité de chercher ce qui nous est utile nous lie aux autres hommes, mais nullement aux animaux ou aux choses d’une autre nature que la nôtre. Le droit qu’elles ont contre nous, nous l’avons contre elles.

Ajoutez à cela que le droit de chacun se mesurant par sa vertu ou par sa puissance, le droit des hommes sur les animaux est bien supérieur à celui des animaux sur les hommes.

Ce n’est pas que je refuse le sentiment aux bêtes.

Ce que je dis, c’est qu’il n’y a pas là de raison pour ne pas chercher ce qui nous est utile, et par conséquent pour ne pas en user avec les animaux comme il convient à nos intérêts, leur nature n’étant pas conforme à la nôtre, et leurs passions étant radicalement différentes de nos passions. »

Il suffit de considérer que la Nature évolue et qu’elle n’existe pas en bloc et on résout le problème de Spinoza : on peut et on doit (et d’ailleurs on le fait) se reconnaître dans la vie en général.

La raison dont disposent les humains ne doit pas leur servir qu’à eux – ce qui n’a pas de sens sur la planète en tant que système du vivant – mais à l’ensemble de la planète Terre.

L’intérêt de cette démarche, qui permet de dépasser l’anthropocentrisme, est de conserver la raison, et donc de ne pas sombrer dans la mélancolie comme style, le pessimisme comme vision du monde – ce qui est absolument nécessaire si l’on ne veut pas que son engagement pour les animaux ne se transforme en son contraire : utiliser les animaux comme objet de son propre ressentiment, de son propre nihilisme, de sa propre mélancolie misanthrope.

Deux Pigeons s’aimaient d’amour tendre…

« Soyez-vous l’un à l’autre un monde toujours beau »: voilà le conseil de Jean de La Fontaine, dans cette fable des deux pigeons, qui est peut-être la plus valorisée de ses oeuvres.

On y retrouve un regard avisé sur les pigeons et leur vie de couple, et on y trouve un bon conseil, consistant à supprimer tout égocentrisme et à profiter de la relation authentique qu’on a.

Faut-il classer cette fable dans la catégorie vie animale, straight edge, athéisme? En fait, il y a là la bonne philosophie, celle qui valorise les sens et non pas Dieu, qui valorise le couple et non pas les vains délires, qui porte un regard vrai sur la vie animale des pigeons…

Deux Pigeons s’aimaient d’amour tendre.
L’un d’eux s’ennuyant au logis
Fut assez fou pour entreprendre
Un voyage en lointain pays.
L’autre lui dit : Qu’allez-vous faire ?
Voulez-vous quitter votre frère ?
L’absence est le plus grand des maux :
Non pas pour vous, cruel. Au moins, que les travaux,
Les dangers, les soins du voyage,
Changent un peu votre courage.
Encor si la saison s’avançait davantage !
Attendez les zéphyrs. Qui vous presse ? Un corbeau
Tout à l’heure annonçait malheur à quelque oiseau.
Je ne songerai plus que rencontre funeste,
Que Faucons, que réseaux. Hélas, dirai-je, il pleut :
Mon frère a-t-il tout ce qu’il veut,
Bon soupé, bon gîte, et le reste ?
Ce discours ébranla le coeur
De notre imprudent voyageur ;
Mais le désir de voir et l’humeur inquiète
L’emportèrent enfin. Il dit : Ne pleurez point :
Trois jours au plus rendront mon âme satisfaite ;
Je reviendrai dans peu conter de point en point
Mes aventures à mon frère.
Je le désennuierai : quiconque ne voit guère
N’a guère à dire aussi. Mon voyage dépeint
Vous sera d’un plaisir extrême.
Je dirai : J’étais là ; telle chose m’avint ;
Vous y croirez être vous-même.
A ces mots en pleurant ils se dirent adieu.
Le voyageur s’éloigne ; et voilà qu’un nuage
L’oblige de chercher retraite en quelque lieu.
Un seul arbre s’offrit, tel encor que l’orage
Maltraita le Pigeon en dépit du feuillage.
L’air devenu serein, il part tout morfondu,
Sèche du mieux qu’il peut son corps chargé de pluie,
Dans un champ à l’écart voit du blé répandu,
Voit un pigeon auprès ; cela lui donne envie :
Il y vole, il est pris : ce blé couvrait d’un las,
Les menteurs et traîtres appas.
Le las était usé ! si bien que de son aile,
De ses pieds, de son bec, l’oiseau le rompt enfin.
Quelque plume y périt ; et le pis du destin
Fut qu’un certain Vautour à la serre cruelle
Vit notre malheureux, qui, traînant la ficelle
Et les morceaux du las qui l’avait attrapé,
Semblait un forçat échappé.
Le vautour s’en allait le lier, quand des nues
Fond à son tour un Aigle aux ailes étendues.
Le Pigeon profita du conflit des voleurs,
S’envola, s’abattit auprès d’une masure,
Crut, pour ce coup, que ses malheurs
Finiraient par cette aventure ;
Mais un fripon d’enfant, cet âge est sans pitié,
Prit sa fronde et, du coup, tua plus d’à moitié
La volatile malheureuse,
Qui, maudissant sa curiosité,
Traînant l’aile et tirant le pié,
Demi-morte et demi-boiteuse,
Droit au logis s’en retourna.
Que bien, que mal, elle arriva
Sans autre aventure fâcheuse.
Voilà nos gens rejoints ; et je laisse à juger
De combien de plaisirs ils payèrent leurs peines.
Amants, heureux amants, voulez-vous voyager ?
Que ce soit aux rives prochaines ;
Soyez-vous l’un à l’autre un monde toujours beau,
Toujours divers, toujours nouveau ;
Tenez-vous lieu de tout, comptez pour rien le reste ;
J’ai quelquefois aimé ! je n’aurais pas alors
Contre le Louvre et ses trésors,
Contre le firmament et sa voûte céleste,
Changé les bois, changé les lieux
Honorés par les pas, éclairés par les yeux
De l’aimable et jeune Bergère
Pour qui, sous le fils de Cythère,
Je servis, engagé par mes premiers serments.
Hélas ! quand reviendront de semblables moments ?
Faut-il que tant d’objets si doux et si charmants
Me laissent vivre au gré de mon âme inquiète ?
Ah ! si mon coeur osait encor se renflammer !
Ne sentirai-je plus de charme qui m’arrête ?
Ai-je passé le temps d’aimer ?

« Il ne peut rien y avoir en dehors du cercle qui embrasse tous les êtres »

Petit retour sur le baron d’Holbach (voir Le baron d’Holbach et la Nature), défenseur de l’athéisme au 18ème siècle et auteur du Système de la nature, avec un article à ce sujet tiré d’une Histoire du matérialisme, et critique de son importance à notre époque, par l’historien Friedrich-Albert Lange, publiée en 1877.

Dès la préface, on voit que le véritable but de l’auteur est de travailler au bonheur de l’humanité.

« L’homme n’est malheureux que parce qu’il méconnaît la nature.

Son esprit est tellement infecté de préjugés, qu’on le croirait pour toujours condamné à l’erreur : le bandeau de l’opinion, dont on le couvre dès l’enfance, lui est si fortement attaché, que c’est avec la plus grande difficulté qu’on peut le lui ôter.

Il voulut, pour son malheur, franchir les bornes de sa sphère ; il tenta de s’élancer au delà du monde visible, et sans cesse des chutes cruelles et réitérées l’ont inutilement averti de la folie de son entreprise.

L’homme dédaigna l’étude de la nature pour courir après des fantômes, qui, semblables à ces feux trompeurs que le voyageur rencontre pendant la nuit, l’effrayèrent, l’éblouirent, et lui firent quitter la route simple du vrai, sans laquelle il ne peut parvenir au bonheur.

Il est temps de puiser dans la nature des remèdes contre les maux que l’enthousiasme nous a faits. — La vérité est une ; elle ne peut jamais nuire. — C’est à l’erreur que sont dues les chaînes accablantes que les tyrans et les prêtres forgent partout aux nations.

C’est à l’erreur qu’est dû l’esclavage, où, presque en tout pays, sont tombés les peuples ; c’est à l’erreur que sont dues ces terreurs religieuses qui font partout sécher les hommes dans la crainte, ou s’égorger pour des chimères.

C’est à l’erreur que sont dues ces haines invétérées, ces persécutions barbares, ces massacres continuels, ces tragédies révoltantes dont, sous prétexte des intérêts du ciel, la terre est tant de fois devenue le théâtre.

Tâchons donc d’écarter les nuages qui empêchent l’homme de marcher d’un pas sûr dans le sentier de la vie, inspirons lui du courage et du respect pour sa raison !

S’il lui faut des chimères, qu’il permette au moins à d’autres de se peindre les leurs différemment des siennes ; qu’il se persuade enfin qu’il est très-important aux habitants de ce monde d’être justes, bienfaisants et pacifiques. » (…)

[L’historien résume la pensée du Système de la nature:] La nature est le grand tout, dont l’homme fait partie, et sous les influences duquel il se trouve.

Les êtres, que l’on place au delà de la nature [c’est-à-dire les dieux ou Dieu], sont, en tout temps, des produits de l’imagination, dont nous ne pouvons pas plus nous figurer l’essence que le séjour et la manière d’agir.

Il n’y a rien et il ne peut rien y avoir en dehors du cercle qui embrasse tous les êtres.

L’homme est un être physique ; et son existence physique, un certain mode d’action dérivant de son organisation spéciale.

Tout ce que l’esprit humain a imaginé pour l’amélioration de notre condition n’est qu’une conséquence de la réciprocité d’action qui existe entre les penchants placés en lui et la nature qui l’environne.

L’animal aussi marche de besoins et de formes simples vers des besoins et des formes de plus en plus compliqués ; il en est de même de la plante.

La théorie du genre comme relativisme anti-naturel

Le débat sur la théorie du genre n’en finit pas (nous en avons parlé par exemple dans La « théorie du genre » à l’école primaire ou encore Le débat aux USA sur le queer et la transsexualité).

Revenons ici brièvement dessus, car derrière cela il y a la question de la Nature, et de l’athéisme. Quand on est athée, on ne place pas Dieu au centre de tout, mais pas plus l’être humain qui serait une sorte de « surhomme » s’arrachant à la réalité.

Il n’existe pas 10 000 manières de voir les choses.

Soit on considère en effet qu’avec la technique, les humains sont rentrés en conflit avec la Nature et que cela doit cesser. Le primitivisme dit qu’il faut retourner en arrière, aux débuts de l’humanité avant l’agriculture, tandis que d’autres (comme nous à LTD) pensons que l’humanité doit se remettre en rapport positif avec la planète, de manière soumise (la planète doit redevenir bleue et verte) en gardant ses acquis.

Soit on rejette la Nature comme un obstacle. C’est ce que dit la religion qui veut atteindre « Dieu », et c’est justement le cas de la théorie dite du genre, qui veut atteindre une sorte de « liberté » absolue de l’individu, considéré comme une sorte de mini-Dieu individuel.

Voici pour illustrer justement cela ce que dit la pétition « Les études de genre, la recherche et l’éducation : la bonne rencontre. » Ce n’est pas une petite pétition, elle est signée par un nombre impressionnant d’universitaires.

C’est en fait un véritable manifeste en défense des études sur le « genre ». Voici une citation qui résume le relativisme de cette conception du monde.

« NON, la prétendue « théorie du genre » n’existe pas, mais, oui, les études de genre existent. Le genre est simplement un concept pour penser des réalités objectives.

On n’est pas homme ou femme de la même manière au Moyen-Âge et aujourd’hui.

On n’est pas homme ou femme de la même manière en Afrique, en Asie, dans le monde arabe, en Suède, en France ou en Italie.

On n’est pas homme ou femme de la même manière selon qu’on est cadre ou ouvrier. Le genre est un outil que les scientifiques utilisent pour penser et analyser ces différences. »

Ces phrases sont du relativisme pur et simple. Il est facile de voir que dans le rapport aux animaux ou bien à la Nature, il n’y a pas de différence (à part de degrés de destruction) entre un Suédois et un Malien, entre quelqu’un du 20e siècle et quelqu’un du 12e siècle, ou même du 3e siècle !

Physiquement, les humains sont également les mêmes. Leur biologie est la même, ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas constater des changements environnementaux (comme la pollution et ses maladies).

Il y a bien des différences culturelles, des différences d’approches, mais en aucun cas il ne s’agit de différences insurmontables. Le rapport à la Nature est fondamentalement le même, parce que l’anthropocentrisme est le même.

Le « genre » est ainsi un concept permettant non pas tant de critiquer le sexisme ou les stéréotypes (ce qui est bien), mais de rejeter la dimension naturelle des êtres humains. Ce qui ferait d’un humain un humain, ce n’est pas sa nature d’être vivant appartenant à un ensemble – la planète comme système, ce qu’on peut appeler Gaïa – mais son « choix », sa « volonté ».

Cela revient à parler d’âme, inévitablement, et en cela la théorie du genre est un sous-produit des religions monothéistes. C’est tout à fait traditionnel comme démarche.

D’ailleurs, la pétition est une révolution intellectuelle de par sa franchise, car jusqu’à présent, la théorie du genre se voulait alternative, rebelle, combative, pratiquement révolutionnaire. Toutefois là quand on voit la gigantesque liste de « chercheurs » sur le genre, on voit bien que tout est totalement institutionnel…

Et ce qui est institutionnel, par définition, n’est pas du tout révolutionnaire… Dans la pétition on lit ainsi :

« Les études de genre recouvrent un champ scientifique soutenu par le Ministère de la recherche et de l’enseignement supérieur et le CNRS, et elles ont des utilités nombreuses dans l’éducation et la lutte contre les discriminations : ces études et ces travaux existent à l’université depuis longtemps.

Nombreuses sont les académies à organiser des journées de formation sur ces thèmes ; nombreuses sont les universités à offrir des cours intégrant le genre : en sociologie, en sciences de l’éducation, en anthropologie, en biologie, en sciences économiques, en philosophie, en histoire, en littérature, etc. Des séances de sensibilisation aux questions d’égalité entre les sexes font partie du parcours de formation des enseignants du primaire et du secondaire. »

Tout est dit ! Des formations totalement anthropocentristes, rejetant par définition la Nature, soutiennent la théorie du genre. On est là en fait dans une dynamique purement intellectuelle, peut-être même le summum de la tentative intellectuelle de se « libérer » de la Nature.

La « théorie du genre » à l’école primaire

La question du genre qui fait débat dans les écoles primaires montre encore une fois une chose assez flagrante… Nous vivons une époque pathétique, où les gens rationnels sont coincés entre l’ultralibéralisme « moderne » d’un côté et l’obscurantisme religieux et nationaliste de l’autre.

D’un côté, il y a les partisans fanatiques du capitalisme, qui voient tout avec les yeux de l’individu, supprimant toute notion de société, de culture, et évidemment de Nature. Ultra-libéruxl, ils disent même qu’on doit « choisir » son sexe, devenu un « genre ».

De l’autre, il y a les nostalgiques d’un passé idéalisé et de type religieux, ou encore nationaliste, qui prônent l’obscurantisme au nom du refus de l’ultralibéralisme.

Tous ces gens ont en commun de refuser le principe même de progrès et de cracher sur l’humanisme et les Lumières, de rejeter l’athéisme et la Nature. On n’est pas près de pousser l’humanisme jusqu’au bout, jusqu’au véganisme, avec tous ces gens…

Et comment s’étonner que les uns nourrissent les arguments des autres ? Il est tellement facile pour l’extrême-droite de critiquer la théorie du genre !

Voici un premier extraits de l’appel, justement, qui a lancé le mouvement de refus de l’école par les parents.

« L’heure est grave…

Le ministre de l’Education Nationale, Vincent Peillon, sur les traces de son prédécesseur Luc Châtel, veut généraliser et officialiser l’enseignement de la « théorie du genre » dans les écoles publiques et privées sous contrat à partir de la rentrée 2014.

Vincent Peillon nie totalement l’existence de ce prétendu projet pédagogique. Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes et porte-parole du gouvernement, prétend elle aussi que la « théorie du genre » n’existe pas.

En réalité, cette théorie contre-nature, sous des formes diverses, intègrera définitivement les programmes officiels de l’Education Nationale à partir de la rentrée 2014 avec la complicité de plusieurs syndicats enseignants.

Des centaines d’écoliers sont déjà victimes de ces programmes à titre expérimental.

Sous couvert de « lutter pour l’égalité et contre les discriminations homophobes », l’Education Nationale considère que ces questions sont des priorités. C’est pourquoi désormais enseignants et militants LGBT (Lesbiennes, Gays, Bisexuels, Transsexuels) abordent en classe l’homosexualité, la bisexualité et la transsexualité.

La pudeur et l’intégrité de nos enfants sont profondément attaquées par « la théorie du genre ».

Cette théorie prétend que nous ne naissons pas homme ou femme mais que nous le devenons à cause des pressions sociales. A leurs yeux, c’est la société qui « construirait » le genre masculin ou le genre féminin, la nature n’y serait pour rien.

Cette théorie dissocie ainsi notre corps sexué de notre identité de genre. Un homme qui se sent femme est du « genre féminin » peu importe son sexe…

Une femme qui se perçoit homme est du « genre masculin » indépendamment de son corps. Pour les tenants de la « théorie du genre », on peut être par exemple de sexe masculin et de genre féminin ! Ce ne serait au fond qu’une question de choix personnel ! »

Ce qui est dit là est vrai. Il est tout à fait exact que la théorie du genre existe de manière très développée, que les gens du Parti Socialiste nient qu’elle existe, et que cette pilule ultra-libérale où chaque personne devient sa propre « petite entreprise » est censée passer en douce.

Et là où en plus de la Nature, il y a un thème straight edge très important, c’est avec la question de la pudeur et de l’intégrité. Ce sont des termes très bien choisis.

Lorsque des vegans queer ont produit leur vidéo porno (en se moquant au passage de LTD), ils ne montrent aucune radicalité à part dans la crucifixion de leur propre dignité, de leur propre pudeur. En 1967 croire que le porno est libérateur peut à la limite relever du débat, en 2014 c’est ridicule d’ultra-libéralisme…

Voici par contre un second extrait de l’appel. On y voit que la défense des valeurs d’intégrité et de pudeur n’est qu’un paravent pour l’obscurantisme, pour le retour au moyen-âge.

Les collégiens et les lycéens eux-mêmes sont encouragés à douter de leur identité sexuelle sous prétexte qu’ils doivent être libres d’user de leur corps (…). L’Education Nationale entend mettre les parents devant le fait accompli.

Nous, Pères et Mères, sommes ainsi déclarés incompétents pour éduquer nos propres enfants. L’Etat veut s’en charger à notre place. Allons-nous accepter que l’école nous dépossède de ce qui nous appartient en premier lieu, à savoir l’éducation ? Nous devons protéger nos enfants. Coûte que coûte (…).

A partir de janvier 2014, retirons nos enfants de l’école un jour par mois : choisissez ce jour en concertation avec le comité local dont vous dépendez sans prévenir les enseignants. Vous justifierez l’absence de votre enfant le lendemain par le motif suivant : journée de retrait de l’école pour l’interdiction de la théorie du genre dans tous les établissements scolaires.

Nous, Pères et Mères, sommes les garants de l’innocence de nos enfants. Leur pudeur et leur intégrité sont leurs biens les plus précieux.

Nous, Pères et Mères, sommes les protecteurs de nos enfants. Nous en sommes les seuls responsables.

Nous, Pères et Mères, sommes les authentiques éducateurs de nos enfants, seuls légitimes à décider pour eux en attendant leur maturité.

Nous, Pères et Mères, aimons nos enfants et nous nous sacrifions chaque jour pour eux.
Nous, Pères et Mères, organisons une Journée de Retrait de l’Ecole (J.R.E.) une fois par mois pour sauver nos enfants.

Tout cela revient à nier la société et la culture, tout autant que la Nature, pour prôner comme valeur suprême la « famille », et plus exactement les « parents. » Ce qui revient en pratique à revenir au moyen-âge, voire à la tribu, bref à l’époque patriarcale la plus bornée, la plus violente.

La critique de la théorie du genre masque ici une apologie de la soumission des femmes au patriarcat.

Il n’est donc guère étonnant que cet appel ait eu du succès dans les structures familiales les plus arriérées, les plus patriarcales : celles liées à l’immigration turque ou maghrébine, ou encore gitanes.

Les journaux témoignent des réactions de type obscurantiste et arriéré, comme

« Est-ce que des associations gay et lesbiennes vont venir à l’école parler de sexualité? Allez-vous montrer des films porno? Est-il vrai que des juifs vont venir à l’école pour savoir si nos enfants sont des garçons ou des filles? C’est quoi la théorie de genre? »

Il n’est guère difficile de comprendre que ce sont dans ces mêmes couches sociales qu’on trouve la fascination pour la « radicalité » de Dieudonné…

Donc au final, on est coincé entre les ultra- « modernes » pour qui l’individu est au-dessus de la Nature, et les ultras-réactionnaires pour qui la Nature n’est qu’une création de Dieu et obéit aux lois patriarcales… On est coincé entre les moyen-âgeux et ultra-libéraux…

C’est glauque ! Et c’est une raison de plus d’affirmer la possibilité et la nécessité du progrès, des améliorations de la vie humaine dans la compréhension de son intégration dans la Nature en général, avec un pacifisme complet, une citoyenneté mondiale, un partage complet, le culte de la vie, de notre si belle planète…

Le baron d’Holbach et la Nature

Le baron d’Holbach, mort juste avant l’avènement de la révolution française, est un penseur incontournable de la philosophie des Lumières, même s’il n’est pas aussi connu que Roussau, Voltaire ou Diderot.

Ses dîners étaient très connus et y venaient de nombreuses figures intellectuelles ; lui-même représentait le courant le plus athée des Lumières.

Son Système de la nature est ainsi condamné par le gouvernement qui le défère au parlement, ce dernier condamnant le livre, le 18 août 1770, à être brûlé. D’autres ouvrages de Holbach subiront le même sort.

Le crime de Holbach ? Il était impardonnable pour les religeiux : il disait qu’il n’y a pas de Dieu et que l’être humain est naturel…

Voici des extraits du premier chapitre du Système de la nature, intitulé De la nature.

« Les hommes se tromperont toujours quand ils abandonneront l’expérience pour des systèmes enfantés par l’imagination.

L’homme est l’ouvrage de la nature, il existe dans la nature, il est soumis à ses lois, il ne peut s’en affranchir, il ne peut même par la pensée en sortir ; c’est en vain que son esprit veut s’élancer au delà des bornes du monde visible, il est toujours forcé d’y rentrer.

Pour un être formé par la nature et circonscrit par elle, il n’existe rien au-delà du grand tout dont il fait partie, et dont il éprouve les influences ; les êtres que l’on suppose au dessus de la nature ou distingués d’elle-même seront toujours des chimères, dont il ne nous sera jamais possible de nous former des idées véritables, non plus que du lieu qu’elles occupent et de leur façon d’agir.

Il n’est et il ne peut rien y avoir hors de l’enceinte qui renferme tous les êtres.

Que l’homme cesse donc de chercher hors du monde qu’il habite des êtres qui lui procurent un bonheur que la nature lui refuse : qu’il étudie cette nature, qu’il apprenne ses lois, qu’il contemple son énergie et la façon immuable dont elle agit ; qu’il applique ses découvertes à sa propre félicité, et qu’il se soumette en silence à des lois auxquelles rien ne peut le soustraire ; qu’il consente à ignorer les causes entourées pour lui d’un voile impénétrable ; qu’il subisse sans murmurer les arrêts d’une force universelle qui ne peut revenir sur ses pas, ou qui jamais ne peut s’écarter des règles que son essence lui impose.

On a visiblement abusé de la distinction que l’on a faite si souvent de l’homme physique et de l’homme moral. L’homme est un être purement physique ; l’homme moral n’est que cet être physique considéré sous un certain point de vue, c’est-à-dire, relativement à quelques-unes de ses façons d’agir, dues à son organisation particulière.

Mais cette organisation n’est-elle pas l’ouvrage de la nature ? Les mouvements ou façons d’agir dont elle est susceptible ne sont-ils pas physiques ?

Ses actions visibles ainsi que les mouvements invisibles excités dans son intérieur, qui viennent de sa volonté ou de sa pensée, sont également des effets naturels, des suites nécessaires de son mécanisme propre, et des impulsions qu’il reçoit des êtres dont il est entouré.

Tout ce que l’esprit humain a successivement inventé pour changer ou perfectionner sa façon d’être et pour la rendre plus heureuse, ne fut jamais qu’une conséquence nécessaire de l’essence propre de l’homme et de celle des êtres qui agissent sur lui.

Toutes nos institutions, nos réflexions, nos connaissances n’ont pour objet que de nous procurer un bonheur vers lequel notre propre nature nous force de tendre sans cesse.

Tout ce que nous faisons ou pensons, tout ce que nous sommes et ce que nous serons n’est jamais qu’une suite de ce que la nature universelle nous a faits.

Toutes nos idées, nos volontés, nos actions sont des effets nécessaires de l’essence et des qualités que cette nature a mises en nous, et des circonstances par lesquelles elle nous oblige de passer et d’être modifiés. »

Enfin, à la fin du chapitre, le baron d’Holbach fait une petite précision qui est assez intéressante, par rapport aux gens prétendant que le fait que nous parlions de Gaïa serait « religieux. » En réalité, c’est le contraire de la religion que de parler de la Nature, mais encore faut-il la reconnaître…

« N B. Après avoir fixé le sens que l’on doit attacher au mot nature, je crois devoir avertir le lecteur, une fois pour toutes, que lorsque dans le cours de cet ouvrage, je dis que la nature produit un effet, je ne prétends point personnifier cette nature, qui est un être abstrait ; mais j’entends que l’effet dont je parle est le résultat nécessaire des propriétés de quelqu’un des êtres qui composent le grand ensemble que nous voyons.

Ainsi quand je dis la nature veut que l’homme travaille à son bonheur, c’est pour éviter les circonlocutions et les redites, et j’entends par-là qu’il est de l’essence d’un être qui sent, qui pense, qui veut, qui agit, de travailler à son bonheur.

Enfin j’appelle naturel ce qui est conforme à l’essence des choses ou aux lois que la nature prescrit à tous les êtres qu’elle renferme, dans les ordres différents que ces êtres occupent, et dans les différentes circonstances par lesquelles ils sont obligés de passer.

Ainsi la santé est naturelle à l’homme dans un certain état ; la maladie est un état naturel pour lui dans d’autres circonstances, la mort est un état naturel du corps privé de quelques-unes des choses nécessaires au maintien, à l’existence de l’animal etc.

Par essence, j’entends ce qui constitue un être ce qu’il est, la somme de ses propriétés ou des qualités d’après lesquelles il existe et agit comme il fait.

Quand on dit qu’il est de l’essence de la pierre de tomber, c’est comme si l’on disait que sa chute est un effet nécessaire de son poids, de sa densité, de la liaison de ses parties, des éléments dont elle est composée. En un mot l’essence d’un être est sa nature individuelle et particulière. »

« Mais essayer de prouver l’existence de la nature, ce serait par trop ridicule »

Il n’est pas de philosophe qui n’ait parlé de la Nature, à part bien entendu ceux qui ont choisi la voie de la spiritualité. Même un philosophe comme Aristote, qui parle de la « métaphysique » (ce qui est au-delà de la physique), relie directement cela à la question de la Nature.

Comment le monde existe-t-il ? C’est la grande question, et si l’on ne résume pas tout à Dieu, alors il faut forcément se demander ce qu’est la Nature. Comment existe-t-elle? C’est la base de la science.

Voici le point de vue d’Aristote dans la Physique. Ce n’est pas vraiment lisible bien sûr, mais il y a un intérêt: bien voir qu’il n’est pas de philosophe scientifique qui n’ait pas reconnu la réalité naturelle, la réalité de la Nature. « Mais essayer de prouver l’existence de la nature, ce serait par trop ridicule »…

§ 1. Parmi les êtres que nous voyons, les uns existent par le seul fait de la nature ; et les autres sont produits par des causes différentes.

§ 2. Ainsi, c’est la nature qui fait les animaux et les parties dont ils sont composés ;c’est elle qui fait les plantes et les corps simples, tels que la terre, le feu, l’air et l’eau ; car nous disons de tous ces êtres et de tous ceux du même genre qu’ils existent naturellement.

§ 3. Tous les êtres que nous venons de nommer présentent évidemment, par rapport aux êtres qui ne sont pas des produits de la nature, une grande différence ; les êtres naturels portent tous en eux-mêmes un principe de mouvement ou de repos ; soit que pour les uns ce mouvement se produise dans l’espace ; soit que pour d’autres ce soit un mouvement de développement et de destruction ; soit que pour d’autres encore, ce soit un mouvement de simple modification dans les qualités.

Au contraire, un lit, un vêtement, ou tel autre objet analogue n’ont en eux-mêmes, en tant qu’on les rapporte à chaque catégorie de mouvement, et en tant qu’ils sont les produits de l’art, aucune tendance spéciale à changer. Ils n’ont cette tendance qu’en tant qu’ils sont indirectement et accidentellement ou de pierre ou de terre, ou un composé de ces deux éléments.

§ 4. La nature doit donc être considérée comme un principe et une cause de mouvement et de repos, pour l’être où ce principe est primitivement et en soi, et non pas par simple accident.

§ 5. Voici ce que j’entends quand je dis que ce n’est pas par simple accident. Ainsi, il peut très bien se faire que quelqu’un qui est médecin se rende à lui-même la santé; cependant ce n’est pas en tant qu’il est guéri qu’il possède la science de la médecine ; et c’est un pur accident que le même individu soit tout ensemble et médecin et guéri. Aussi est-il possible que ces deux choses soient parfois séparées l’une de l’autre.

§ 6. Il en est de même pour tous les êtres que l’art peut faire. Il n’est pas un seul d’entre eux qui ait en soi le principe qui le fait ce qu’il est. Mais, pour les uns, ce principe est dans d’autres êtres, et il est extérieur, par exemple, une maison, et tout ce que pratique la main de l’homme. Pour les autres, ils ont bien en eux ce principe ; mais ils ne l’ont pas par leur essence, et ce sent tous ceux qui ne deviennent qu’accidentellement les causes de leur propre mouvement.

§ 7. La nature est donc ce que nous venons de dire.

§ 8. Les êtres sont naturels et ont une nature, quand ils ont le principe qui vient d’être défini ; et ils sont tous de la substance : car la nature est toujours un sujet, et elle est toujours dans un sujet.

§ 9. Tous ces êtres existent selon la nature, ainsi que toutes les qualités qui leur sont essentielles ; comme, par exemple, la qualité inhérente au feu de monter toujours en haut ; car cette qualité n’est pas précisément une nature, et n’a pas de nature à elle ; seulement elle est dans la nature et selon la nature du feu.

§ 10. Ainsi, nous avons expliqué ce que c’est que la nature d’une chose, et ce qu’on entend par être de nature et selon la nature.

§ 11. Mais essayer de prouver l’existence de la nature, ce serait par trop ridicule ; car il saute aux yeux qu’il y a une foule d’êtres du genre de ceux que nous venons de décrire.

Or, prétendre démontrer des choses d’une complète évidence au troyen de choses obscures, c’est le fait d’un esprit qui est incapable de discerner ce qui est ou n’est pas notoire de soi.

C’est là, du reste une erreur très concevable, et il n’est pas malaisé de s’en rendre compte. Que quelqu’un qui serait aveugle de naissance s’avise de parler des couleurs, il pourra bien sans doute prononcer les mots ; mais nécessairement il n’aura pas la moindre idée des choses que ces mots représentent.

§ 12. De même, il y a des gens qui s’imaginent que la nature et l’essence des choses que nous voyons dans la nature, consiste dans l’élément qui est primitivement dans chacune de ces choses, sans avoir par soi-même aucune forme précise. Ainsi, pour ces gens-là, la nature d’un lit, c’est le bois dont il est fait ; la nature d’une statue, c’est l’airain qui la compose.

§ 13. La preuve de ceci, au dire d’Antiphon, c’est que si on enfouissait un lit dans la terre, et que la pourriture eût assez de force pour en faire encore sortir un rejeton, ce n’est pas un lit qui serait reproduit mais du bois, parce que, disait-il, l’un n’est qu’accidentel, à savoir une certaine disposition matérielle qui est conforme aux règles de l’art, tandis que l’autre est la substance vraie qui demeure, tout en étant continuellement modifiée par les changements.

Et Antiphon ajoutait que, chacune des choses que nous voyons soutenant avec une autre chose un rapport tout à fait identique, par exemple, le rapport que l’airain et l’or soutiennent à l’égard de l’eau, ou bien les os et les bois à l’égard de la terre, et de même pour tout autre objet, on peut dire que c’est là la nature et la substance de ces choses.

§ 14. Voilà comment certains philosophes ont cru que la nature des choses, c’est la terre, d’autres que c’est le feu, d’autres que c’est l’air, d’autres que ce sont quelques-uns de ces éléments, et d’autres enfin que ce sont tous les éléments réunis, Car l’élément dont chacun de ces philosophes admettait la réalité, soit qu’il n’en prît qu’un seul, soit qu’il en prît plusieurs, devenait entre leurs mains, principe unique ou principes multiples, la substance tout entière des êtres ; et tout le reste alors n’était plus que les affections, les qualités et les dispositions de cette substance (…).

§ 20. A un autre point de vue, un homme vient d’un homme ; mais un lit ne vient pas d’un lit. Aussi, les philosophes dont on vient de parler disent-ils que la nature du lit n’est pas sa configuration, mais le bois dont il est formé, attendu que s’il venait à germer encore, il en proviendrait non pas un lit, mais du bois. Si donc la configuration du lit est de l’art précisément, la forme est la nature des êtres, puisque l’homme naît de l’homme.

§ 21. Quant à la nature qu’on entend au sens de génération, on devrait dire d’elle bien plutôt que c’est un acheminement vers la nature ; car il n’en est pas ici comme de la médication que fait un médecin, laquelle est non pas un acheminement à la médecine, mais à la santé, puisque la guérison que le médecin opère doit nécessairement venir de la médecine et ne tend pas à la médecine.

Or, la nature n’est pas dans ce rapport avec la nature. L’être que la nature produit va de quelque chose à quelque chose, ou se développe naturellement pour aller à quelque chose. A quoi va-t-il par ce mouvement naturel ? Ce n’est pas apparemment à ce dont il vient ; mais c’est à ce qu’il doit être. Donc la nature, c’est la forme.

« Mais fondée sur toutes les lois de la nature »

Il y a une chose que n’ont pas compris les détracteurs du concept de Nature. Dans leur élan nihiliste, ils ne voient pas que supprimer le concept de Nature, c’est supprimer l’idée même d’une science.

En effet, s’il y a des lois scientifiques, c’est parce qu’il y a une Nature et non pas des choses vraies ici, fausses là-bas. L’électricité, c’est l’électricité, à Paris comme à Tokyo. Une étoile, c’est une étoile, dans notre système solaire avec le soleil ou bien plus loin !

Supprimer le concept de « Nature », c’est supprimer la science, supprimer les définitions, supprimer toutes les études effectuées par l’humanité de la réalité où nous vivons. C’est supprimer l’universalisme, pour célébrer le particularisme qui serait unique en son genre.

A titre d’illustration de la science, voici un extrait des Éléments de la philosophie de Newton, écrit par Voltaire, en 1738. Cet extrait n’a rien de passionnant en soi, loin de là, à part pour l’histoire des sciences.

Mais il montre que les scientifiques n’ont pu être scientifiques qu’en se fondant sur le fait que l’univers obéit à des lois, qu’il est cohérent. Si on en était resté à la vision primitive ou païenne, tout aurait semblé comme désordonné, incohérent, soumis à des arbitraires divins ou magiques, etc.

Or, la Nature a des lois, elle forme un tout cohérent. C’est la base de la conception scientifique…

« Vous voyez que tous les phénomènes de la nature, les expériences et la géométrie concourent de tous côtés pour établir l’attraction. Vous voyez que ce principe agit d’un bout de notre monde planétaire à l’autre, sur Saturne et sur le moindre atome de Saturne, sur le soleil et sur le plus mince rayon du soleil.

Ce pouvoir si actif et si universel ne semble-t-il pas dominer dans toute la nature ? N’est -il pas la cause unique de beaucoup d’effets ? Ne se mêle-t-il pas à tous les autres ressorts avec lesquels la nature opère ?

Il est, par exemple, bien vraisemblable qu’il fait seul la continuité et l’adhésion des corps : car l’attraction agit en proportion directe de la masse ; elle agit sur chaque corpuscule de la matière ; elle fait donc graviter chaque corpuscule en ce sens, comme Saturne gravite vers Jupiter (…).

Les actions des acides sur les alcalis pourraient bien être des chimères philosophiques, aussi bien que les tourbillons. On n’a jamais pu définir ce que c’est qu’un acide et un alcali ; quand on a bien assigné les propriétés de l’un, on trouve à la première expérience que ces propriétés appartiennent aussi à l’autre ; ainsi tout ce qu’on sait jusqu’à présent, c’est qu’il y a des corps qui fermentent avec d’autres corps, et rien de plus.

Mais si on songe qu’il y a une force réelle dans la nature, qui opère la gravitation de tous les corps les uns vers les autres, on pourra croire que cette force est la cause de toutes les dissolutions des corps et de leurs plus grandes effervescences.

Examinons ici la plus simple des dissolutions, celle du sel dans l’eau.

Jetez dans le milieu d’un bassin plein d’eau un morceau de sel, l’eau qui est aux bords sera longtemps sans être salée ; elle ne peut le devenir que par le mouvement.

Elle ne peut être en mouvement que par les forces centrales ; les parties d’eau les plus voisines de la masse du sel doivent graviter vers ce corps de sel ; plus elles gravitent, plus elles le divisent, et cela en raison composée du carré de leur vitesse et de leur masse ; les parties divisées par cet effort nécessaire sont mises en mouvement ; leur mouvement les porte dans toute l’étendue du bassin : cette explication est non-seulement simple, mais fondée sur toutes les lois de la nature.

Concluons, en prenant ici la substance de tout ce que nous avons dit dans cet ouvrage :

1° Qu’il y a un pouvoir actif qui imprime à tous les corps une tendance les uns vers les autres ;

2° Que, par rapport aux globes célestes, ce pouvoir agit en raison renversée des carrés des distances au centre du mouvement, et en raison directe des masses ; et on appelle ce pouvoir l’attraction par rapport au centre, et gravitation par rapport aux corps qui gravitent vers ce centre ;

3° Que ce même pouvoir fait descendre ces mobiles sur notre terre, dans les progressions que nous avons vues ;

4° Qu’un pareil pouvoir est la cause de l’adhésion, de sa continuité et de la dureté, mais dans une proportion toute différente de celle dans laquelle les globes célestes s’attirent ;

5° Qu’un pareil pouvoir agit entre la lumière et les corps, comme nous l’avons vu, sans qu’on sache en quelle proportion.

À l’égard de la cause de ce pouvoir, si inutilement recherchée et par Newton et par tous ceux qui l’ont suivi, que peut-on faire de mieux que de traduire ici ce que Newton dit à la dernière page de ses Principes ?

Voici comme il s’explique en physicien aussi sublime qu’il est géomètre profond.

« J’ai jusqu’ici montré la force de la gravitation par les phénomènes célestes et par ceux de la mer ; mais je n’en ai nulle part assigné la cause.

Cette force vient d’un pouvoir qui pénètre au centre du soleil et des planètes sans rien perdre de son activité, et qui agit, non pas selon la quantité des superficies des particules de matière, comme font les causes mécaniques, mais selon la quantité de matière solide ; et son action s’étend à des distances immenses, diminuant toujours exactement selon le carré des distances, etc. »

C’est dire bien nettement, bien expressément, que l’attraction est un principe qui n’est point mécanique.

Et quelques lignes après, il dit : « Je ne fais point d’hypothèses, hypotheses non fingo. Car ce qui ne se déduit point des phénomènes est une hypothèse ; et les hypothèses, soit métaphysiques, soit physiques, soit des suppositions de qualités occultes, soit des suppositions de mécanique, n’ont point lieu dans la philosophie expérimentale. »

Je ne dis pas que ce principe de la gravitation soit le seul ressort de la physique ; il y a probablement bien d’autres secrets que nous n’avons point arrachés à la nature, et qui conspirent avec la gravitation à entretenir l’ordre de l’univers. »

Face aux religions : l’athéisme comme défense de la Nature !

« Et un slip c’est naturel ????? » nous demande une personne d’extrême-gauche pro-religieuse suite à notre article Un « iftar antifasciste » ?!

Or, la réponse est évidente : oui, le slip a une fonction par rapport à la nature, il a une fonction hygiénique. Le slip ou le bidet ne sont pas des « idées » tombant du ciel, ce sont des choses utiles par rapport à notre réalité naturelle.

Et le voile ? Eh bien le voile, c’est comme la nourriture halal ou casher, comme l’abstinence sexuelle, cela n’a de réalité « naturelle » que si l’on croit que c’est Dieu qui a fait le monde.

La personne qui nous demande si « le slip est naturel » ne s’attend certainement pas à une telle réponse (ni à une réponse tout court) : c’est forcément une personne anarchiste allant à l’université et rejetant la nature, avec une fascination pour le queer, une interprétation sociologique à la Michel Foucault de l’Islam en version « transgression » révolutionaire de la république laïque. C’est du post-moderne dans la même veine que Lady Gaga qui fait l’apologie de la Burka. Une véritable plaie en train d’ailleurs assassiner de l’intérieur le mouvement anarchiste, mais on a ce qu’on mérite.

Or, le fait est que les religions revendiquent toutes la nature. Ainsi, pour nous, le voile, lui, ne sert strictement à rien, c’est tout sauf pratique, cela dérange son propre corps, c’est désagréable.

On pourra arguer, fort justement que c’est une question d’interprétation de ce qu’est la nature. La religion a la sienne, nous avons la nôtre. Dans le Coran, il est par exemple dit:

« Nous avions proposé aux cieux, à la terre et aux montagnes la responsabilité (de porter les charges de faire le bien et d’éviter le mal). Ils ont refusé de la porter et en ont eu peur, alors que l’homme s’en est chargé; car il est très injuste [envers lui-même] et très ignorant. »

Nous ne sommes pas d’accord avec cette vision du monde, typique des religions où la nature en général aurait un élément totalement différent : l’humanité, qui de par sa « dignité » pourrait faire ce qu’elle veut, comme elle veut, etc.

Notons cependant une chose importante. La même personne d’extrême-gauche qui soutient les religions – chose pitoyable si elle en est – nous dit aussi :

il faudrait ptet comprendre que comme la science, la religion est un outil parmi d’autres et non la règle pour vivre avec un peu d’espoir.

c’est un modèle (défectueux mais ce n’est pas le seul) pour tenter de comprendre le monde.

La réponse est non. D’ailleurs, les musulmans ne le disent pas, et c’est insulter leur croyance que de dire les choses ainsi.

Pour une personne qui croit en une religion, il ne s’agit pas d’un « outil », mais de la vérité révélée, de l’explication totale du monde.

Et des explications totales du monde, il n’y en a pas 36 : soit on croit que Dieu a créé le monde, soit on pense que le monde est le fruit du hasard, soit on considère que la Nature est la seule réalité.

Dans les religions, la science passe après la vérité révélée, parfois elles peuvent se « combiner » mais dans tous les cas, force revient à la révélation, la science passe après dans l’explication.

Nous, nous sommes athées, et donc pas d’accord. Les religions n’expliquent rien, elles sont une imposture. Nous pensons qu’il n’y a pas de Dieu, que seule la réalité existe et que c’est la Nature.

La planète a besoin d’une humanité rationnelle et sensible, rejetant les ordres religieux, et vivant en paix avec les animaux.

Le monde n’est pas non plus le fruit du hasard, la Nature est une réalité, qui pousse à la vie, à la compassion, à l’entraide.

Pour aller de l’avant conformément à cet état d’esprit, il faut éradiquer les religions, et reconnaître la Nature !

Imagine there’s no heaven
It’s easy if you try
No hell below us
Above us only sky
Imagine all the people
Living for today…
Imagine qu’il n’y ait pas de paradis
C’est facile si tu essaies
En-dessous de nous, pas d’enfer
Au-dessus, seulement le ciel
Imagine tous les gens
Vivant pour aujourd’hui…
Imagine there’s no countries
It isn’t hard to do
Nothing to kill or die for
And no religion too
Imagine all the people
Living life in peace…
Imagine qu’il n’y ait plus de pays
Ce n’est pas difficile à faire
Rien pour lequel tuer ou mourir
Et aucune religion non plus
Imagine tous les gens
Vivant la vie dans la paix…
You may say I’m a dreamer
But I’m not the only one
I hope someday you’ll join us
And the world will be as one
Tu pourrais dire que je suis un rêveur
Mais je ne suis pas le seul
J’espère que tu nous rejoindras qu’un jour
Et le monde sera comme un
Imagine no possessions
I wonder if you can
No need for greed or hunger
A brotherhood of man
Imagine all the people
Sharing all the world…
Imagine aucune possession
Je me demande si tu le peux
Pas besoin d’avidité ou de famine
Une fraternité de l’Homme
Imagine tous les gens
Partageant le monde entier…
You may say I’m a dreamer
But I’m not the only one
I hope someday you’ll join us
And the world will live as one
Tu pourrais dire que je suis un rêveur
Mais je ne suis pas le seul
J’espère qu’un jour tu nous rejoindras
Et que le monde entier vivra comme un

« Il est né en France ; mais il s’est fait naturaliser sauvage »

Dans l’extrait de Diderot que nous publions ici, l’auteur n’a pas choisi encore s’il était déiste ou athée. Mais dans tous les cas, c’est la Nature qui prime, car la religion est une illusion.

Et entre les deux, il n’y a rien, bien entendu… Il n’y a pas d’autres choix que d’être « au nombre des heureux disciples de la Nature »!

L’extrait est tiré de l’Introduction aux grands principes ou Réception d’un philosophe.

UN SAGE, LE PROSÉLYTE, LE PARRAIN.

le sage.

Que nous présentez-vous ?

le parrain.

Un enfant qui veut devenir un homme.

le sage.

Que demande-t-il ?

le parrain.

La sagesse.

le sage.

Quel âge a-t-il ?

le parrain.

Vingt-deux ans.

le sage.

Est-il marié ?

le parrain.

Non. Il ne se mariera même pas ; mais il veut marier les prêtres et les moines.

le sage.

De quelle nation est-il ?

le parrain.

Il est né en France ; mais il s’est fait naturaliser sauvage.

le sage.

De quelle religion ?

le parrain.

Ses parents l’avaient fait catholique ; il s’est fait ensuite protestant : maintenant il désire devenir philosophe.

le sage.

Voilà de très-bonnes dispositions. Il faut actuellement examiner ses principes. Jeune homme, que croyez-vous ?

le prosélyte.

Rien que ce qui peut se démontrer.

(…)

le sage.

Croyez-vous au témoignage de Dieu ?

le prosélyte.

Non, dès qu’il me vient par les hommes.

le sage.

Croyez-vous en Dieu ?

le prosélyte.

C’est selon : si l’on entend par là la nature, la vie universelle, le mouvement général, j’y crois ; si l’on entend même une suprême intelligence, qui ayant tout disposé, laisse agir les causes secondes, soit encore ; mais je ne vais pas plus loin.

le sage.

Croyez-vous à la révélation ?

le prosélyte.

Je la crois le ressort employé par les prêtres, pour dominer sur les peuples.

le sage.

Croyez-vous aux histoires qui la rapportent ?

le prosélyte.

Non ; parce que tous les hommes sont trompés, ou trompeurs.

le sage.

Croyez-vous aux témoignages dont on l’appuie ?

le prosélyte.

Non, parce que je ne les examine point.

le sage.

Croyez-vous que la Divinité exige quelque chose des hommes ?

le prosélyte.

Non ; sinon qu’ils suivent leur instinct.

le sage.

Croyez-vous qu’elle demande un culte ?

le prosélyte.

Non, puisqu’il ne peut lui être utile.

le sage.

Que croyez-vous de l’âme ?

le prosélyte.

Qu’elle peut bien n’être que le résultat de nos sensations.

le sage.

De son immortalité ?

le prosélyte.

Que c’est une hypothèse.

le sage.

Que croyez-vous de l’origine du mal ?

le prosélyte.

Je crois que c’est la civilisation et les lois qui l’ont fait naître, l’homme étant bon par lui-même.

le sage.

Quels sont, à votre avis, les devoirs de l’homme ?

le prosélyte.

Il ne doit rien, étant né libre et indépendant.

le sage.

Que croyez-vous de juste ou d’injuste ?

le prosélyte.

Que ce sont pures affaires de convention.

le sage.

Des peines et des récompenses éternelles ?

le prosélyte.

Que ce sont des inventions politiques, pour contenir la multitude.

le sage.

Bon ; voilà un jeune homme fort éclairé. Rien n’empêche qu’il ne soit agrégé, s’il répond aux questions que prescrit la formule. Croyez-vous que la foi n’est qu’une crédulité superstitieuse, faite pour les ignorants et les imbéciles ?

le prosélyte.

Je le crois, car cela est démontré.

le sage.

Croyez-vous que la charité bien ordonnée est de faire son bien, à quelque prix que ce puisse être ?

le prosélyte.

Je le crois, car cela est démontré.

(…)

le sage.

Promettez-vous de reconnaître la raison pour souverain arbitre de ce qu’a pu ou dû faire l’Être suprême ?

le prosélyte.

Je le promets.

le sage.

Promettez-vous de reconnaître l’infaillibilité des sens ?

le prosélyte.

Je le promets.

le sage.

Promettez-vous de suivre fidèlement la voix de la nature et des passions ?

le prosélyte.

Je le promets.

le sage.

Voilà ce qui s’appelle un homme. Maintenant, pour vous rendre totalement la liberté, je vous débaptise au nom des auteurs d’Émile, de l’Esprit et du Dictionnaire philosophique. Vous voilà à présent un vrai philosophe, et au nombre des heureux disciples de la Nature.

Par le pouvoir qu’elle vous donne, ainsi qu’à nous, allez, arrachez, détruisez, renversez, foulez aux pieds les mœurs et la religion ; révoltez les peuples contre les souverains ; affranchissez les mortels du joug des lois divines et humaines : vous confirmerez votre doctrine par des miracles ; et voici ceux que vous ferez : vous aveuglerez ceux qui voient ; vous rendrez sourds ceux qui entendent, et vous ferez boiter ceux qui marchent droit. Vous produirez des serpents sous des fleurs, et tout ce que vous toucherez se convertira en poison.

« Prétendrez-vous, avec Descartes, que c’est une pure machine imitative? »

Notre grand ennemi en France, c’est Descartes, sa démarche, sa méthode. Diderot est justement quelqu’un qui rejette sa manière de voir les animaux, les êtres vivants; si les animaux sont des robots, alors nous aussi! Il n’y a pas de différence de fond entre les êtres vivants, c’est une simple évidence.

Voici comment Diderot nous présente la chose dans l’Entretien entre d’Alembert et Diderot.

« À votre avis, qu’est-ce autre chose qu’un pinson, un rossignol, un musicien, un homme ?

Et quelle autre différence trouvez-vous entre le serin et la serinette ?

Voyez-vous cet œuf ? c’est avec cela qu’on renverse toutes les écoles de théologie et tous les temples de la terre. Qu’est-

ce que cet œuf ? une masse insensible avant que le germe y soit introduit ; et après que le germe y

est introduit, qu’est-ce encore ? une masse insensible, car ce germe n’est lui-même qu’un fluide

inerte et grossier.

Comment cette masse passera-t-elle à une autre organisation, à la sensibilité, à la vie ? par la chaleur.

Qui produira la chaleur ? le mouvement.

Quels seront les effets successifs du mouvement ? Au lieu de me répondre, asseyez-vous, et suivons-les de l’œil de moment en moment.

D’abord c’est un point qui oscille, un filet qui s’étend et qui se colore ; de la chair qui se forme ; un bec, des bouts d’ailes, des yeux, des pattes qui paraissent ; une matière jaunâtre qui se dévide et produit des intestins ; c’est un animal.

Cet animal se meut, s’agite, crie ; j’entends ses cris à travers la coque ; il se couvre de duvet ; il voit. La pesanteur de sa tête, qui oscille, porte sans cesse son bec contre la paroi intérieure de sa prison ; la voilà brisée ; il en sort, il marche, il vole, il s’irrite, il fuit, il approche, il se plaint, il souffre, il aime, il désire, il jouit ; il a toutes vos affections ; toutes vos actions, il les fait.

Prétendrez-vous, avec Descartes, que c’est une pure machine imitative ?

Mais les petits enfants se moqueront de vous, et les philosophes vous répliqueront que si c’est là une machine, vous en êtes une autre.

Si vous avouez qu’entre l’animal et vous il n’y a de différence que dans l’organisation, vous montrerez du sens et de la raison, vous serez de bonne foi… »

Les religieux sont des « naturalistes hérétiques et schismatiques »

Puisqu’il vaut mieux avoir raison avec Diderot que tort avec les gens ne comprenant pas ce qu’est la Nature, voici des extraits très parlants de De la suffisance de la religion naturelle, de Denis Diderot .

Les religions, dans ce qu’elles peuvent avoir de bien, ne consistent alors qu’en une tentative – qui est un échec – de formuler les principes de la Nature.

Quand Diderot dit que les religieux, comme les païens, sont des « naturalistes hérétiques et schismatiques », il a tout à fait raison.

Les personnes ayant comme religion le judaïsme ou l’Islam, mais c’est vrai du catholicisme ou des païens (folklos ou fachos!), considèrent toutes vivre « en conformité » avec la réalité naturelle (d’où le casher, le halal, le refus de l’homosexualité, les rites, etc.).

 IX.

Cicéron, dit l’auteur des Pensées philosophiques, ayant à prouver que les Romains étaient les peuples les plus belliqueux de la terre, tire adroitement cet aveu de la bouche de leurs rivaux.

Gaulois, à qui le cédez-vous en courage, si vous le cédez à quelqu’un ? aux Romains. Parthes, après vous, quels sont les hommes les plus courageux ? les Romains. Africains, qui redouteriez-vous, si vous aviez à redouter quelqu’un ? les Romains.

Interrogeons à son exemple le reste des religionnaires, dit l’auteur des Pensées. Chinois, quelle religion serait la meilleure si ce n’était la vôtre ? la religion naturelle. Musulmans, quel culte embrasseriez-vous, si vous abjuriez Mahomet ? le naturalisme. Chrétiens, quelle est la vraie religion si ce n’est la chrétienne ? la religion des Juifs.

Et vous Juifs, quelle est la vraie religion si le judaïsme est faux ? le naturalisme. Or ceux, continuent Cicéron et l’auteur des Pensées, à qui l’on accorde la seconde place d’un consentement unanime et qui ne cèdent la première à personne, méritent incontestablement celle-ci.

X.

Cette religion est la plus sensée au jugement des êtres raisonnables, qui les traite le plus en êtres raisonnables, puisqu’elle ne leur propose rien à croire qui soit au-dessus de leur raison et qui n’y soit conforme.

XI.

Cette religion doit être embrassée préférablement à toute autre, qui offre le plus de caractères divins ; or la religion naturelle est de toutes les religions celle qui offre le plus de caractères divins ; car il n’y a aucun caractère divin dans les autres cultes qui ne se reconnaisse dans la religion naturelle, et elle en a que les autres religions n’ont pas, l’immutabilité et l’universalité.

XII.

Qu’est-ce qu’une grâce suffisante et universelle ? Celle qui est accordée à tous les hommes, avec laquelle ils peuvent toujours remplir leurs devoirs et les remplissent quelquefois.

Que sera-ce qu’une religion suffisante, sinon la religion naturelle, cette religion donnée à tous les hommes, et avec laquelle ils peuvent toujours remplir leurs devoirs et les ont remplis quelquefois ?

D’où il s’ensuit que non seulement la religion naturelle n’est pas insuffisante, mais qu’à proprement parler c’est la seule religion qui le soit ; et qu’il serait infiniment plus absurde de nier la nécessité d’une religion suffisante et universelle, que celle d’une grâce universelle et suffisante. Or, on ne peut nier la nécessité d’une grâce universelle et suffisante sans se précipiter dans des difficultés insurmontables, ni par conséquent celle d’une religion suffisante et universelle. Or la religion naturelle est la seule qui ait ce caractère.

XXIV.

Il faut rejeter un système qui répand des doutes sur la bienveillance universelle, et l’égalité constante de Dieu. Or le système qui traite la religion naturelle d’insuffisante, jette des doutes sur la bienveillance universelle et l’égalité constante de Dieu.

Je ne vois plus qu’un être rempli d’affections bornées, et versatile dans ses desseins, restreignant ses bienfaits à un petit nombre de créatures, et improuvant dans un temps ce qu’il a commandé dans un autre : car si les hommes ne peuvent être sauvés sans la religion chrétienne, Dieu devient envers ceux à qui il la refuse un père aussi dur qu’une mère qui aurait privé ou qui priverait de son lait une partie de ses enfants.

Si, au contraire, la religion naturelle suffit, tout rentre dans l’ordre, et je suis forcé de concevoir les idées les plus sublimes de la bienveillance et de l’égalité de Dieu.

XXV.

Ne pourrait-on pas dire que toutes les religions du monde ne sont que des sectes de la religion naturelle, et que les juifs, les chrétiens, les musulmans, les païens mêmes ne sont que des naturalistes hérétiques et schismatiques ?

« et Dieu ou la nature ne fait rien de mal »

Voir que certaines personnes accusent LTD d’être « religieux » parce qu’il est parlé de Gaïa ne peut faire que sourire quand on connaît l’histoire des idées. En effet, soit on croit en Dieu, soit on reconnaît la Nature, entre les deux il n’y a strictement rien…

La reconnaissance de la Nature est le véritable athéisme, et inversement le véritable athéisme est la reconnaissance de la Nature…

Voici quelques exemples très pertinents de Denis Diderot, tirés de son « Addition aux Pensées philosophiques ou Objections diverses contre les écrits de différents théologiens. »

III.

Lorsque Dieu de qui nous tenons la raison en exige le sacrifice, c’est un faiseur de tours de gibecière [sorte de sac dans lequel les escamoteurs, les joueurs de gobelets mettent leurs instruments, et qu’ils attachent devant eux quand ils font leurs tours] qui escamote ce qu’il a donné.

V.

Si la raison est un don du ciel, et que l’on en puisse dire autant de la foi, le ciel nous a fait deux présents incompatibles et contradictoires.

VI.

Pour lever cette difficulté, il faut dire que la foi est un principe chimérique, et qui n’existe point dans la nature.

VIII.

Égaré dans une forêt immense pendant la nuit, je n’ai qu’une petite lumière pour me conduire. Survient un inconnu qui me dit : Mon ami, souffle ta bougie pour mieux trouver ton chemin. Cet inconnu est un théologien.

X.

Le mérite et le démérite ne peuvent s’appliquer à l’usage de la raison, parce que toute la bonne volonté du monde ne peut servir à un aveugle pour discerner des couleurs. Je suis forcé d’apercevoir l’évidence où elle est, et le défaut d’évidence où l’évidence n’est pas, à moins que je ne sois un imbécile ; or l’imbécillité est un malheur et non pas un vice.

XI.

L’auteur de la nature, qui ne me récompensera pas pour avoir été un homme d’esprit, ne me damnera pas pour avoir été un sot.

XII.

Et il ne te damnera pas même pour avoir été un méchant. Quoi donc ! N’as-tu pas déjà été assez malheureux d’avoir été méchant ?

XIII.

Toute action vertueuse est accompagnée de satisfaction intérieure ; toute action criminelle, de remords ; or l’esprit avoue, sans honte et sans remords, sa répugnance pour telles et telles propositions ; il n’y a donc ni vertu ni crime, soit à les croire, soit à les rejeter.

XVI.

Le Dieu des chrétiens est un père qui fait grand cas de ses pommes, et fort peu de ses enfants.

XVII.

Ôtez la crainte de l’enfer à un chrétien, et vous lui ôterez sa croyance.

XVIII.

Une religion vraie, intéressant tous les hommes dans tous les temps et dans tous les lieux, a dû être éternelle, universelle et évidente ; aucune n’a ces trois caractères. Toutes sont donc trois fois démontrées fausses.

XX.

Les faits dont on appuie les religions sont anciens et merveilleux, c’est-à-dire les plus suspects qu’il est possible, pour prouver la chose la plus incroyable.

XXI.

Prouver l’évangile par un miracle, c’est prouver une absurdité par une chose contre nature.

XXXVII.

In dolore paries (Genèse). Tu engendreras dans la douleur, dit Dieu à la femme prévaricatrice. Et que lui ont fait les femelles des animaux, qui engendrent aussi dans la douleur ?

XLI.

Dire que l’homme est un composé de force et de faiblesse, de lumière et d’aveuglement, de petitesse et de grandeur, ce n’est pas lui faire son procès, c’est le définir.

XLII.

L’homme est comme Dieu ou la nature l’a fait ; et Dieu ou la nature ne fait rien de mal.

Francione et la vision des « animaux de compagnie » dans une nature « statique »

Les conceptions religieuses ne sont pas forcément là où on pense ; à moins de s’y connaître en théologie afin inversement d’y échapper, difficile de ne pas tomber dedans…

Voici un exemple avec l’argumentaire de Gary Francione sur les « animaux de compagnie. » Francione est pour leur « abolition » ; voici ce qu’il dit :

Les animaux domestiqués dépendent de nous pour tout ce qui est important dans leurs vies : quand et si ils vont manger ou boire, quand et où ils vont dormir ou se soulager, s’ils obtiendront de l’affection ou s’ils feront de l’exercice, etc. Bien qu’on puisse dire la même chose concernant les enfants humains, la majorité d’entre eux deviennent, une fois adultes, des êtres indépendants et autonomes.

Les animaux domestiques ne font pas réellement partie de notre monde, ni du monde des non-humains. Ils sont pour toujours dans un enfer de vulnérabilité, dépendant de nous en toute chose et en danger dans un environnement qu’ils ne comprennent pas vraiment. Nous les avons élevés afin qu’ils soient conciliants et serviles, qu’ils soient dotés de caractéristiques qui sont réellement dangereuses pour eux mais plaisantes pour nous.

Nous pouvons les rendre heureux dans un sens, mais cette relation ne peut jamais être « naturelle » ou « normale ». Ils ne font pas partie de notre monde et y sont coincés, indépendamment de la façon dont nous les traitons.

Nous ne pouvons justifier un tel système, quand bien même il serait très différent de la situation actuelle. Ma compagne et moi vivons avec cinq chiens sauvés, dont certains souffraient de problèmes de santé lorsque nous les avons adoptés.

Nous les aimons beaucoup et nous efforçons de leur procurer les meilleurs soins et traitements. (Et avant que quelqu’un pose la question, nous sommes végans tous les sept !) Vous ne trouveriez probablement pas sur cette planète deux autres personnes aimant plus que nous vivre avec les chiens.

Et nous encourageons toute personne à adopter ou accueillir autant d’animaux (de n’importe quelle espèce) qu’elle le peut de façon responsable.

Mais s’il n’y avait plus que deux chiens dans l’univers et qu’il ne tenait qu’à nous de décider s’ils pourraient se reproduire afin que nous puissions continuer à vivre avec des chiens, et même si nous pouvions garantir que tous ces chiens auraient un foyer aussi aimant que le nôtre, nous n’hésiterions pas une seconde à mettre fin au système de possession d’« animaux de compagnie ».

Les dernières lignes sont, en fait, éminemment religieuses. Expliquons cela simplement.

Dans la religion chrétienne, ou juive ou musulmane, Dieu a créé le monde. Le problème évidemment, comme nous le savons en athées, c’est que la Bible (pas plus que le Coran) ne parle des dinosaures.

Le « truc » est que la religion a considéré que les animaux avaient été créés pas Dieu, et qu’ils se reproduisaient, restant tels quels.

Ou pour dire les choses de manière plus simple et plus connue : la religion a « oublié » l’évolution.

Il n’y a pas eu d’Adam, pas plus que d’Eve ; les humains sont le fruit d’un long cheminement. Mais pas seulement les humains : c’est le cas de tous les animaux. Et c’est encore le cas aujourd’hui.

Quel rapport avec Francione ? Eh bien Francione a la même approche que la religion. Il dit ainsi :

« Les animaux domestiques ne font pas réellement partie de notre monde, ni du monde des non-humains. Ils sont pour toujours dans un enfer de vulnérabilité, dépendant de nous en toute chose et en danger dans un environnement qu’ils ne comprennent pas vraiment. »

« Nous pouvons les rendre heureux dans un sens, mais cette relation ne peut jamais être « naturelle » ou « normale ». Ils ne font pas partie de notre monde et y sont coincés »

Or, cela veut dire que pour Francione les chiens, tout comme les chats ou les cochons d’Inde, ne seraient plus « naturels. »

Les humains ne le seraient plus non plus d’ailleurs. Et donc les animaux (non humains) doivent être « repoussés » dans la Nature.

Mais c’est une vision catholique, et même catholique extrême. Pour les catholiques (comme pour les autres religieux), les humains ont un statut spécial, les animaux relevant de la simple « nature. »

Mais pour les athées, les humains appartiennent à la Nature, comme tous les êtres vivants. Et en plus, la Nature est en mouvement, il y a évolution.

Un athéisme conséquent ne dirait pas : les chiens ne sont plus conformes à ce qu’ils étaient à la « création » du monde, donc ils doivent disparaître !

Un athéisme conséquent dirait : les chiens accompagnent les humains depuis qu’ils sont organisés en société, et donc il faut abolir le rapport d’oppression qu’ils vivent, mais non pas les abolir eux puisqu’ils vivent en « symbiose » avec les humains.

C’est pareil pour les chats, qui sont devenus des « partenaires » des humains. Ou encore des cochons d’Inde, des chinchillas…

En fait, il est trop tard pour les « repousser » et il est religieux de nier leur existence. Francione est ultra-religieux quand il dit qu’il veut supprimer l’existence des vaches, car elles ne seraient pas « conformes » à leur statut lors d’une hypothétique création.

Va-t-on supprimer les platanes de France parce qu’il s’agit d’un hybride entre le platane d’Occident (Amérique du Nord) et le platane d’Orient (ouest de l’Asie, sud est de l’Europe) ?

Non, bien entendu : c’est trop tard, on ne peut pas aller en arrière dans l’histoire, et de toutes manières la vie c’est le mouvement, l’évolution.

Nous reviendrons sur cette question des « animaux de compagnie » et de leurs droits, mais disons déjà simplement qu’ils ont droit à l’existence, que l’humanité a établi un rapport avec eux qui ne donne pas le droit de les supprimer.

Les cochons d’Inde ont été domestiqués, ils sont exploités, mais pour en terminer avec cela, il ne faut pas les « supprimer », mais leur donner les moyens de profiter d’une vie la plus épanouie possible, en les assumant. Toute autre position est de l’abandon, du déni. A l’humanité d’assumer!

Les humains font partie de la Nature, tous les êtres vivants en font partie ; les rapports évoluent, et imaginer que tout doit être statique, comme à la création, relève du religieux.

« C’est ainsi que tous les animaux eussent alors obéi à l’homme d’eux-mêmes »

Il y a peu nous avions parlé de la position de (Saint) Thomas d’Aquin sur la mise à mort des animaux, parfaitement légale et valable aux yeux du catholicisme (« Est-ce un péché de mettre à mort les animaux et même les plantes? »).

La question suivante se pose alors: si les humains étaient « innocents », le rapport aux animaux changerait-il? C’est une question très importante pour le véganisme en France, malgré les apparences peut-être. En effet, d’où vient l’argument « l’homme est mauvais (par nature) » qui revient si souvent dans le mouvement pour les animaux, si ce n’est du catholicisme?

Et, à côté de cela, les religions proposent la venue d’un Paradis final où tout irait bien, rejetant la transformation de la société actuelle. Mais dans la définition même du catholicisme, les animaux servent d’outils, Dieu les aurait créer afin d’aider les humains, etc. Pour le catholicisme, même les humains « innocents » domineraient « naturellement » les animaux.

Voici comment Thomas d’Aquin, un « père de l’Eglise » (donc un avis officiel), présente cette question:

Article 1 — L’homme dans l’état d’innocence aurait-il dominé sur les animaux ?
Objections :

1. S. Augustin dit que c’est par le ministère des anges que les animaux furent amenés à Adam pour qu’il leur assignât des noms. Mais ce ministère des anges n’eût pas été nécessaire si par lui-même l’homme avait dominé sur les animaux. Donc l’homme dans l’état d’innocence n’avait pas de pouvoir sur les autres animaux.

2. Il n’est pas bon de réunir sous une même domination des êtres en discorde. Mais il y a beaucoup d’animaux qui par nature sont en discorde, tels la brebis et le loup. C’est donc que tous les animaux n’étaient pas englobés sous le pouvoir de l’homme.

3. D’après S. Jérôme , Dieu donna la domination sur les animaux à l’homme qui n’en avait pas besoin avant le péché, parce qu’il savait d’avance qu’après la chute l’homme devrait se faire aider par le renfort des animaux. Donc à tout le moins l’homme n’avait pas avant le péché à user de sa domination sur les animaux.

4. L’acte propre de celui qui domine c’est, semble-t-il, de commander. Mais il n’est pas juste d’adresser un commandement à un être sans raison. Donc l’homme n’avait pas de domination sur les animaux non raisonnables.

En sens contraire, la Genèse (1, 26) dit au sujet de l’homme :  » Qu’il domine sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et les bêtes de la terre.  »

Réponse :

Comme on l’a dit plus haut, la désobéissance envers l’homme de ce qui doit lui être soumis, est une suite et un châtiment de sa propre désobéissance envers Dieu. Et c’est pourquoi dans l’état d’innocence, avant la désobéissance dont on vient de parler, rien ne lui résistait, de ce qui par nature devait lui être soumis.

Or tous les animaux sont par nature soumis à l’homme. C’est là une chose qu’on peut établir à partir de trois données. La première est l’ordre même de la nature.

De même que, dans la genèse des choses, on saisit un certain ordre selon lequel on passe de l’imparfait au parfait, car la matière est pour la forme et la forme plus imparfaite pour celle qui est plus parfaite, de même en est-il aussi de l’usage qui est fait des choses de la nature, car les êtres plus imparfaits sont mis à la disposition des plus parfaits ; les plantes se servent de la terre pour leur nourriture, les animaux des plantes, et les hommes des plantes et des animaux.

Ainsi est-ce par nature que l’homme domine sur les animaux. Et c’est pourquoi Aristote dit que  » la chasse faite aux animaux sauvages est juste et naturelle « , car par elle l’homme revendique ce qui lui appartient par nature.

La deuxième donnée est l’ordre de la providence divine, laquelle gouverne toujours les inférieurs par les supérieurs. Aussi, comme l’homme est au-dessus des autres animaux, puisqu’il a été fait à l’image de Dieu, est-il très convenable que les autres animaux soient soumis à sa conduite.

La troisième donnée consiste dans les propriétés respectives de l’homme et des autres animaux.

Chez les autres animaux, en effet, on trouve au niveau de leur pouvoir naturel d’estimation une certaine participation de la prudence concernant quelques actes particuliers ; tandis que chez l’homme on trouve une prudence universelle, qui fournit le plan de tout ce qu’il y a à faire. Or tout ce qui existe par participation est soumis à ce qui est par essence et de façon universelle.

Et ainsi il est clair que la sujétion des autres animaux envers l’homme est naturelle.

Solutions :

1. Il y a beaucoup de choses qu’une puissance supérieure peut obtenir de ses sujets, et qui restent impossibles à la puissance inférieure. Or l’ange, par nature, est supérieur à l’homme. Aussi y a-t-il tel effet qui pouvait être produit chez les animaux par la vertu des anges et qui ne pouvait être réalisé par le pouvoir de l’homme : ainsi, que tous les animaux fussent rassemblés en un instant.

2. Certains disent que les animaux qui maintenant sont féroces et tuent d’autres animaux auraient été, dans cet état, pacifiques, non seulement avec l’homme, mais aussi avec les autres animaux. Mais cela est tout à fait déraisonnable. En effet, la nature des animaux n’a pas été changée par le péché de l’homme au point que ceux qui maintenant, par nature, mangent la chair d’autres animaux, comme les lions ou les faucons, eussent alors été herbivores.

D’ailleurs, la Glose tirée de Bède ne dit pas à propos de la Genèse (1, 30) que les fruits et l’herbe aient été donnés en nourriture à tous les animaux et oiseaux, mais à certains d’entre eux. Par conséquent l’hostilité eût été naturelle entre certains animaux.

Pour autant, ils n’auraient pas été soustraits à la domination de l’homme, pas plus qu’ils ne le sont maintenant à la domination de Dieu, par la providence de qui tout cela est disposé. L’homme eût été l’exécuteur de cette providence, comme cela se voit encore maintenant pour les animaux domestiques ; en effet, les hommes fournissent des poules aux faucons domestiques pour leur nourriture.

3. Les hommes dans l’état d’innocence n’avaient pas besoin des animaux pour leurs nécessités corporelles, ni pour se couvrir parce qu’ils étaient nus et n’en éprouvaient pas de honte, étant à l’abri de tout mouvement de convoitise désordonnée ; ni pour s’alimenter, car ils se nourrissaient des arbres du Paradis ; ni pour se déplacer, car ils avaient un corps vigoureux.

Ils avaient pourtant besoin des animaux afin de prendre une connaissance expérimentale de leurs natures. Cela est signifié par le fait que Dieu amena à l’homme les animaux, pour qu’il leur assignât des noms, lesquels désignent leurs natures.

4. Tous les animaux ont, dans leur pouvoir naturel d’estimation, une certaine participation de la prudence et de la raison. C’est en vertu de cela que les grues suivent leur guide et que les abeilles obéissent à leur reine.

Et c’est ainsi que tous les animaux eussent alors obéi à l’homme d’eux-mêmes, à la façon dont le font maintenant certains animaux domestiques.

Les 4 écoles sunnites et les animaux

Voici un document vraiment très intéressant, et à notre sens très parlant. Les religions ont toutes la prétention d’être universelles, de représenter « l’ordre naturel. »

L’Islam notamment revendique très fortement cet esprit de conformité : si le christianisme considère que la nature est insuffisante et que Dieu est au-dessus et qu’il faut le rejoindre (d’où le refus de la sexualité), l’Islam considère que la nature est en elle-même divine, conforme (le judaïsme se situant, grosso modo, entre les deux).

C’est pour cela qu’il y a toute une scène végane, dans son option « révolutionnaire », qui a historiquement eu beaucoup de sympathie pour une interprétation mystique de l’Islam (le mouvement hardline, Walter Bond à un moment, etc.).

Il y a d’ailleurs historiquement eu des tendances musulmanes dans le chiisme, l’un des grands courants de l’Islam, allant vers le végétalisme lors d’une crise messianique où le paradis s’instaurerait au retour du dernier représentant de Dieu sur la planète (le christianisme a connu des expressions similaires avec les cathares, les mouvements messianiques paysans à la fin du moyen-âge).

Mais au sens strict, si l’on obéit aux règles établies, aucune religion n’assume le véganisme, et pour cause, par définition c’est une expression moderne fondée sur une possibilité pacifique, féministe, égalitaire.

C’est ainsi un argument parlant que de voir le tableau suivant. Il s’agit d’un document, très bien fait, établi par les sites musulmans al-kanz, Paris Halal et Studio Bdouin. On peut y voir présentée la conception du halal dans les quatre courants sunnites.

Il n’est pas difficile de voir qu’il y a des distinctions entre les animaux qui sont faites, des distinctions que nous, qui aimons Gaïa dans son ensemble, ne faisons aucunement. C’est là qu’on a un argument contre les religions, toutes les religions : elles ne sont pas universelles, leur compassion est biaisée, elles n’ont pas un projet de société en paix avec tous et toutes.

Bien entendu, il pourra y avoir un tour de passe-passe des religieux selon quoi lors du retour du messie, tout changera. C’est une manière de récupérer des gens entrevoyant le projet vegan, mais n’en saisissant pas tous les aspects, et « attendant que cela se passe. »

Mais en quoi certains animaux ne seraient-ils pas innocents dès aujourd’hui ? Pourquoi distinguer un animal d’un autre dans sa dignité ? C’est là une contradiction à laquelle la religion n’a aucune explication, à part la « volonté divine » et autres balivernes. Car Gaïa est Gaïa et tout choix arbitraire est forcément erroné, mesquin, humain jusqu’à présent !

Bénédiction des animaux et des éleveurs sur la Place Saint-Pierre

Voici un très intéressant article, encore une fois sur le catholicisme. Il est tiré du Point, et c’est aux dernières lignes qu’il faut bien entendu porter toute son attention, de par ce que cela révèle.

Bénédiction des animaux et des éleveurs sur la Place Saint-Pierre

Veaux, vaches, cochons: l’espace d’une matinée et le temps d’une bénédiction, les animaux de la ferme ont fait leur apparition jeudi sur la place Saint-Pierre au Vatican, comme chaque année à l’occasion de la Saint-Antoine, patron des éleveurs et protecteur des animaux.

Sous une pluie glaciale, lors d’une brève cérémonie auprès de la Colonnade du Bernin, les animaux, créatures de Dieu, ont reçu la bénédiction annuelle du cardinal Angelo Comastri, vicaire général du pape pour la Cité du Vatican.

Le prélat italien a ensuite parcouru la petite foire en saluant chaque éleveur et en remettant un petit souvenir du Vatican.

Auparavant un majestueux défilé de cavaliers avait remonté la via della Conciliazione: cavaliers de la police, des carabiniers et de la Garde des finances, agents à cheval de l’Office national des forêts, personnages en habit Renaissance à cheval ou en calèche.

Un check-up gratuit de santé avait été proposé par des vétérinaires aux rares Romains venus visiter « la ferme sous le ciel », comme était baptisée cette manifestation, et qui avaient apporté leurs chats et leurs chiens.

« Nous avons toujours eu des chiens. Et nous voulions les faire baptiser. C’est quelque chose, disons que l’esprit est beau! », a déclaré à l’AFP une Romaine de 50 ans.

« Il faut toujours considérer les êtres humains en premier, mais les animaux arrivent juste après », a témoigné un homme, ajoutant: « je ne sais pas quel sens religieux il faut trouver. Mais je sais que Jésus Christ a parlé aussi très souvent des animaux. Donc il doit y avoir, il y a un sens religieux à tout cela!

L’Association des éleveurs italiens (AIA) organisait cette exposition pour la sixième fois sur la grande place du plus petit Etat du monde. Une messe a été dite pour les éleveurs dans la basilique Saint-Pierre par le cardinal Comastri.

On comprend avec les dernières lignes que tout cela est une opération de communication tant des éleveurs que de l’Eglise catholique. En effet, à quoi cela sert de « bénir » si c’est pour massacrer après ?

Il est ainsi très hautement significatif que Saint-Antoine soit à la fois le saint patron des éleveurs et protecteur des animaux ! Et on remarque que l’amour de la Nature se voit dévié en célébration de Jésus-Christ et en mysticisme religieux.

Tout cela est très hypocrite, et cela n’a rien d’étonnant, puisque la question des animaux et de la Nature prend désormais tellement d’importance que nombreuses sont les tentatives faites pour tenter d’intégrer de manière fausse les valeurs exigées par la morale et une vie non dénaturée.

Le jeu des curés et des prêtres est ici véritablement pervers, car à chaque fois ils entretiennent le doute dans l’esprit des gens, alors que le catéchisme de l’Église catholique est on ne peut plus clair sur le statut des animaux.

Mais ce dont on peut être certain, c’est qu’inévitablement ces manipulations intellectuelles et culturelles exploseront à la figure de ceux qui trompent les gens, car la vague en faveur de la Nature ne peut pas échouer.

La vie dans des villes bétonnées et une réalité totalement dénaturée sont inacceptables, pas seulement parce que les gens ne veulent pas, même si en fait on leur impose et ils n’ont pas le choix, et ils sont corrompus par la société de consommation qui propose des pseudos améliorations, mais également et surtout parce que les gens ne peuvent pas.

Ou plus exactement, ils ne peuvent plus : la vie dénaturée aboutit à l’ultra-violence, l’individualisme, la barbarie. Il ne s’agit pas de faire ici du « rousseauisme », de toutes manières Rousseau pensait qu’on ne pouvait plus retourner en arrière. Il s’agit simplement de voir les choses en face : l’être humain appartient à la Nature, tout éloignement n’aboutit qu’à la folie !

Les messes avec animaux de l’église Sainte-Rita

Nous parlions hier du rapport de la religion aux animaux, de la démagogie qui existe, et récemment également de la question des « bénédictions » faites aux animaux, une absurdité pour le dogme catholique, mais un phénomène existant en raison de l’opportunisme religieux.

C’est cette contradiction qui a fait que l’église catholique parisienne Sainte-Rita n’était pas si connue, alors que son responsable avait un jour décidé de faire rentrer pour la messe une dame avec son chien au lieu de laisser celui-ci dehors.

Voici comment est présentée la chose par une croyante :

« Eliane considère que les animaux sont des créatures de Dieu et qu’ils ont une âme.

Fervente croyante de l’église catholique, elle a donc trouvé tout naturel d’emmener Loel, son petit caniche blanc, à la messe.

Mais bien sûr, cela fit à plusieurs reprises scandale. Les gens partaient ou chassaient la pauvre Eliane en criant au sacrilège !

Lassée, Eliane ne fréquenta plus les lieux saints, jusqu’au jour où elle rencontra le prélat de l’église catholique Gallicane Sainte Rita, qui, lui, accueille, avec bienveillance ces petits êtres à l’âme simpliste mais si pure.

Eliane, redevenue fidèle paroissienne de Sainte Rita, en a convaincu bien d’autres de venir régulièrement avec leur chien suivre l’office du dimanche dans une ambiance de prière et de chants. Contrairement à ce que l’on peut penser, il n’y a ni aboiement, ni jappement, ni la moindre déjection pendant l’office. Ces petites créatures sont tout compte fait bien sages.

Près de 400 personnes plus le cheptel, soit mille créatures de Dieu présentes à la messe des animaux.

Chaque année (premier dimanche de Novembre) à l’église Sainte Rita, à l’occasion de la solennité de Saint François d’Assise (1182-1226), une messe est célébrée spécialement pour les animaux. Durant ce moment unique, il y a affluence rue François Bonvin dans le XVème.

De nombreuses personnes assistent étonnés, devant l’église, au défilé de dromadaires, zèbres, lamas et même tortues, poissons, lapins, chats et chiens tous réunis pour la bénédiction. Il y a bien quelques réticences dans un certain clergé, mais finalement, l’initiative du père Philippe est bien vécue ! Il y a donc certainement un paradis pour tous … »

On est ici dans une hypocrisie, tant de l’Église par rapport à ses propres enseignements religieux, que de la part des gens, qui ne forment bien entendu pas une église végane… si tant est que cela peut exister.

L’église doit en tout cas être détruite. Située à Paris, c’est un bâtiment assez moche du 19ème siècle, construit dans le style néo-gothique, sans aucune valeur sur le plan de l’architecture, elle n’a aucune chance d’être protégée de la démolition.

Or, c’est une église qui appartient à l’église catholique suisse, qui a d’ailleurs décidé de la vendre, en raison des trop grands frais qu’elle occasionne (et encaissant 3,3 millions d’euros en passant). A la place, il doit y avoir la construction de 19 logements.

Une pétition pour la sauvegarde de l’église a été faite, et il est intéressant justement de voir comment les animaux sont directement utilisés pour valoriser la religion :

À l’attention de Commission du Vieux Paris

Il n’y a guère d’espoir pour la patronne des causes désespérées. L’église Sainte-Rita devrait bientôt disparaître. A sa place, des logements sociaux verront le jour. Elle a été vendue à un promoteur, faute de moyens pour l’entretenir.

L’église Sainte-Rita de rite gallican bien connue pour sa bénédiction annuelle d’animaux devrait être démolie. Faute de moyens pour l’entretenir, l’association cultuelle suisse, l’Église apostilique de Suisse, propriétaire des murs l’a vendue. Elle laissera place à une trentaine de logements sociaux.

L’Église gallicane de Paris souhaitait racheter l’édifice mais il lui aurait fallu récolter plus de 3 millions d’euros. Et le miracle ne s’est pas produit, pas de généreux donateurs en vue… Pourtant l’activité cultuelle de Sainte-Rita est notable: 3 messes dominicales, un messe quotidienne et près de 250 mariages ou baptêmes par an.

L’église de style néogothique a été jugée sans intérêt architectural et patrimonial par la Commission du Vieux Paris chargée de donner son avis sur le patrimoine et l’urbanisme de la capitale lors des demandes de permis de démolition.

Donc la seule façon de remercier Sainte Rita et de cliquer sur la mention j’aime pour croire jusqu’au bout qu’ils ne démoliront pas cette église si sacrée.

Comme on voit très bien, les animaux sont utilisés idéologiquement, comme preuve de bienveillance, et le père Philippe n’hésite pas à se vanter qu’il y ait eu des zèbres, tout en expliquant qu’il aurait aimé avoir eu à bénir un kangourou !

C’est une vaste escroquerie, alors que chaque jour sur la planète, c’est un véritable écocide qui se joue. Cette église prône le fait de bénir son animal, ce qui amène à perdre de vue l’essentiel: que la vie n’a pas été donnée par Dieu, mais qu’elle existe en tant que telle, qu’elle forme un tout cohérent : la Nature, qu’il s’agit de défendre face aux attaques toujours plus destructrices!

L’encyclique « Humani generis »

Hier nous parlions  de l’Eglise catholique par rapport au véganisme, voici un petit élément de plus. Humani generis est une encyclique du pape Pie XII, c’est-à-dire un document officiel de l’Eglise catholique, écrit en latin et rappelant les « grands principes » et donnant des directives.

Datant de 1950, elle nous intéresse particulièrement puisque la « nature humaine » y est définie. Les religions accordent toutes un statut particulier aux humains, ce qui est logique puisqu’en fait les religions ne sont que le miroir des humains pour se voir eux-mêmes, à un certain moment de l’histoire.

Or, pour le succès de la libération animale, il faut se débarrasser de l’anthropocentrisme, ce qui n’est possible que si on assume Gaïa. Ce qui n’a rien de religieux, mais est au contraire dans la droite ligne de la science, de la compréhension de la Nature en mouvement, de l’évolution…

La religion catholique refusant cela refuse logiquement l’évolution : l’être humain serait « pur » et aurait toujours existé sous la même forme. S’il évolue, et que tout évolue, comment justifier sa « supériorité » ?

Voici donc un extrait de l’encyclique, avec les aspects les plus importants. On notera au passage que dans l’encyclique, il est expliqué que :

« les théologiens et les philosophes catholiques, auxquels incombe la lourde charge de défendre la vérité divine et humaine et de l’inculquer à toutes les âmes, n’ont pas le droit d’ignorer ni de négliger les systèmes qui s’écartent plus ou moins de la droite voie. Bien plus, il leur faut les connaître à fond »

Il ne faut pas croire que la question animale n’est pas étudiée au Vatican, qui dispose même d’un observatoire de haut niveau et d’un préposé – José Gabriel Funes – à christianiser les extra-terrestres si on en rencontre, en leur apportant le message du Christ (ce qui est surtout une manière offensive d’éviter une remise en cause de la religion si la vie est découverte ailleurs que sur Terre).

L’anthropocentrisme a cela de particulier qu’il est dominant, mais aussi diffus et mutant. Il sait s’adapter, comme on le voit très bien avec l’idéologie des magasins bios (hypocrisie de la viande biologique) ou encore le « welfarisme » qui entend « améliorer » les conditions de l’exploitation animale.

« Quiconque observe attentivement ceux qui sont hors du bercail du Christ découvre sans peine les principales voies sur lesquelles se sont engagés un grand nombre de savants.

En effet, c’est bien eux qui prétendent que le système dit de l’évolution s’applique à l’origine de toutes les choses; or, les preuves de ce système ne sont pas irréfutables même dans le champ limité des sciences naturelles.

Ils l’admettent pourtant sans prudence aucune, sans discernement et on les entend qui professent, avec complaisance et non sans audace, le postulat moniste et panthéiste d’un unique tout fatalement soumis à l’évolution continue.

Or, très précisément, c’est de ce postulat que se servent les partisans du communisme pour faire triompher et propager leur matérialisme dialectique dans le but d’arracher des âmes toute idée de Dieu.

La fiction de cette fameuse évolution, faisant rejeter tout ce qui est absolu, constant et immuable, a ouvert la voie à une philosophie nouvelle aberrante, qui, dépassant l’idéalisme, l’immanentisme et le pragmatisme, s’est nommé existentialisme, parce que, négligeant les essences immuables des choses, elle n’a souci que de l’existence de chacun (…).

Car Dieu a donné à son Eglise, en même temps que les sources sacrées, un magistère vivant pour éclairer et pour dégager ce qui n’est contenu qu’obscurément et comme implicitement dans le dépôt de la foi. Et ce dépôt, ce n’est ni à chaque fidèle, ni même aux théologiens que le Christ l’a confié pour en assurer l’interprétation authentique, mais au seul magistère de l’Eglise (…).

On sait combien l’Eglise estime la raison humaine dans le pouvoir qu’elle a de démontrer avec certitude l’existence d’un Dieu personnel, de prouver victorieusement par les signes divins les fondements de la foi chrétienne elle-même, d’exprimer exactement la loi que le Créateur a inscrite dans l’âme humaine et enfin de parvenir à une certaine intelligence des mystères, qui nous est très fructueuse.

La raison cependant ne pourra remplir tout son office avec aisance et en pleine sécurité que si elle reçoit une formation qui lui est due : c’est-à-dire quand elle est imprégnée de cette philosophie saine qui est pour nous un vrai patrimoine transmis par les siècles du passé chrétien et qui jouit encore d’une autorité d’un ordre supérieur, puisque le magistère de l’Eglise a soumis à la balance de la révélation divine, pour les apprécier, ses principes et ses thèses essentielles qu’avaient peu à peu mis en lumière et définis des hommes de génie (…).

Tout ce que l’esprit humain, adonne à la recherche sincère, peut découvrir de vrai ne peut absolument pas s’opposer à une vérité déjà acquise; Dieu, Souveraine Vérité a créé l’intelligence humaine et la dirige, il faut le dire, non point pour qu’elle puisse opposer chaque jour des nouveautés à ce qui est solidement acquis, mais pour que, ayant rejeté les erreurs qui se seraient insinuées en elle, elle élève progressivement le vrai sur le vrai selon l’ordre et la complexion même que nous discernons dans la nature des choses d’où nous tirons la vérité (…).

C’est pourquoi le magistère de l’Eglise n’interdit pas que la doctrine de l’  » évolution « , dans la mesure où elle recherche l’origine du corps humain à partir d’une matière déjà existante et vivante – car la foi catholique nous ordonne de maintenir la création immédiate des âmes par Dieu – soit l’objet, dans l’état actuel des sciences et de la théologie d’enquêtes et de débats entre les savants de l’un et de l’autre partis : il faut pourtant que les raisons de chaque opinion, celle des partisans comme celle des adversaires, soient pesées et jugées avec le sérieux, la modération et la retenue qui s’imposent; à cette condition que tous soient prêts à se soumettre au jugement de l’Eglise à qui le mandat a été confié par le Christ d’interpréter avec autorité les Saintes Ecritures et de protéger les dogmes de la foi.

Cette liberté de discussion, certains cependant la violent trop témérairement : ne se comportent-ils pas comme si l’origine du corps humain à partir d’une matière déjà existante et vivante était à cette heure absolument certaine et pleinement démontrée par les indices jusqu’ici découverts et par ce que le raisonnement en a déduit; et comme si rien dans les sources de la révélation divine n’imposait sur ce point la plus grande prudence et la plus grande modération. »

C’est évidemment particulièrement rébarbatif. Mais il y a deux idées essentielles : celle comme quoi les humains auraient la capacité de « comprendre » un prétendu message de Dieu, ce qui leur confère un statut particulier.

Et l’idée essentielle à toute religion comme quoi tout est statique, comme quoi la Nature est purement passive, comme quoi finalement… Gaïa n’existe pas.

L’Eglise catholique et le véganisme

Toutes les religions partent du principe de l’exploitation animale ; même le jaïnisme, la religion la plus favorable aux animaux et de grande valeur, ou encore les fabuleux Bishnoïs, se servent du lait.

En France, en raison du climat délétère et populiste qui prédomine, on entend très souvent parler de l’Islam par rapport aux animaux, c’est l’obsession de Brigitte Bardot par exemple.

Cependant, le catholicisme s’appuie sur les mêmes fondements que l’Islam ou les autres religions. Voici ce que dit l’actuel catéchisme de l’Eglise catholique, qui est explicite dans son affirmation de l’exploitation animale :

Le respect de l’intégrité de la création

2415 Le septième commandement demande le respect de l’intégrité de la création. Les animaux, comme les plantes et les êtres inanimés, sont naturellement destinés au bien commun de l’humanité passée, présente et future (cf. Gn 1, 28-31).

L’usage des ressources minérales, végétales et animales de l’univers, ne peut être détaché du respect des exigences morales. La domination accordée par le Créateur à l’homme sur les êtres inanimés et les autres vivants n’est pas absolue ; elle est mesurée par le souci de la qualité de la vie du prochain, y compris des générations à venir ; elle exige un respect religieux de l’intégrité de la création (cf. CA 37-38).

2416 Les animaux sont des créatures de Dieu. Celui-ci les entoure de sa sollicitude providentielle (cf. Mt 6, 26). Par leur simple existence, ils le bénissent et lui rendent gloire (cf. Dn 3, 57-58). Aussi les hommes leur doivent-ils bienveillance. On se rappellera avec quelle délicatesse les saints, comme S. François d’Assise ou S. Philippe Neri, traitaient les animaux.

2417 Dieu a confiés les animaux à la gérance de celui qu’Il a créé à son image (cf. Gn 2, 19-20 ; 9, 1-4). Il est donc légitime de se servir des animaux pour la nourriture et la confection des vêtements.

On peut les domestiquer pour qu’ils assistent l’homme dans ses travaux et dans ses loisirs. Les expérimentations médicales et scientifiques sur les animaux sont des pratiques moralement acceptables, pourvu qu’elles restent dans des limites raisonnables et contribuent a soigner ou sauver des vies humaines.

2418 Il est contraire à la dignité humaine de faire souffrir inutilement les animaux et de gaspiller leurs vies. Il est également indigne de dépenser pour eux des sommes qui devraient en priorité soulager la misère des hommes. On peut aimer les animaux ; on ne saurait détourner vers eux l’affection due aux seules personnes.

« Loisir », utilisation pour le travail, meurtre, expérimentations médicales : tous les différents aspects de l’exploitation sont assumés sans aucun problème.

Ce qui n’empêche pas l’hypocrisie – une tradition religieuse – d’exister le cas échéant. Sur le site de la radio Alpes – 1, on découvre ainsi comment un religieux prend les animaux en otage afin de diffuser sa religion.

Cela se passait donc il y a quelques jours :

Alpes de Haute-Provence – Saint-François d’Assise est surtout reconnu car il est le fondateur de l’ordre des Franciscains (XIIIe siècle) mais ce saint catholique, fêté le 4 octobre, est également le saint-patron des animaux. Depuis 2006, le curé de Barcelonnette, le Père François, bénit en plein air les animaux de compagnie ou de travail dans le plus vieux village de la vallée de l’Ubaye à Faucon-de-Barcelonnette, près de la commune de Jausiers.

« L’idée est venue d’un responsable de la SPA, qui m’a demandé ce que l’on pourrait faire dans un cadre religieux », explique le Père François. Une trentaine de personnes était réunie dimanche dernier, devant le couvent Saint-Jean de Matha.

« Nous avons invité les gens à venir se rassembler afin de bénir les animaux comme, cette année, les chiens de recherche de la gendarmerie du PGHM mais également les chiens guides d’aveugles », explique au micro d’Alpes 1, le Père François, de l’ordre des Franciscains. « Je crois qu’il existe une vérité profonde dans l’attachement de François d’Assise aux animaux. Il louait le Seigneur pour la création », précise-t-il.

« L’idée nous a plu, tout simplement. C’est une façon de faire parler et cette bénédiction religieuse apporte un certains symbole », réagit, le sourire aux lèvres, Jacques Leuci, président fondateur de l’association des Chiens-Guides d’Aveugles du Midi, basée à Aix-en-Provence. Jadis, le curé de campagne ou de montagne était sollicité afin de bénir les fermes et les troupeaux à l’occasion de la transhumance.

« Cette tradition s’est en effet perdue. Je ne me souviens pas avoir était invité une seule fois… Alors grâce à mon Saint-Patron, cette bénédiction rassemble les gens qui ne sont pas forcement des Chrétiens pratiquants », précise le Père François, prêtre depuis 35 ans.

Ce ne sont pas ici les animaux qui sont « bénis »… C’est l’exploitation animale qui est bénie !

Épicure, Lettre à Ménécée

Pour rebondir sur question de Nature, dont nous parlions il y a quelques jours (En finir avec l’idée de Nature?!), voici la fameuse « Lettre à Ménécée », d’Epicure.

Epicure est connu pour être le premier grand penseur à saluer la vie, à lui reconnaître une valeur en soi, à affirmer que le bonheur est possible, qu’il consiste justement en la vie. Et que ce bonheur est naturel, car nous sommes vivants, et donc notre bonheur dépend de ce que nous sommes comme formes de vie…

L’appel d’Epicure à une vie simple, loin des troubles, est tout à fait actuel.

Épicure

Lettre à Ménécée

Épicure à Ménécée, salut.

Même jeune, on ne doit pas hésiter à philosopher. Ni, même au seuil de la vieillesse, se fatiguer de l’exercice philosophique. Il n’est jamais trop tôt, qui que l’on soit, ni trop tard pour l’assainissement de l’âme.

Tel, qui dit que l’heure de philosopher n’est pas venue ou qu’elle est déjà passée, ressemble à qui dirait que pour le bonheur, l’heure n’est pas venue ou qu’elle n’est plus. Sont donc appelés à philosopher le jeune comme le vieux. Le second pour que, vieillissant, il reste jeune en biens par esprit de gratitude à l’égard du passé. Le premier pour que jeune, il soit aussi un ancien par son sang-froid à l’égard de l’avenir.

En définitive, on doit donc se préoccuper de ce qui crée le bonheur, s’il est vrai qu’avec lui nous possédons tout, et que sans lui nous faisons tout pour l’obtenir. Ces conceptions, dont je t’ai constamment entretenu, garde-les en tête. Ne les perds pas de vue quand tu agis, en connaissant clairement qu’elles sont les principes de base du bien vivre.

D’abord, tenant le dieu pour un vivant immortel et bienheureux, selon la notion du dieu communément pressentie, ne lui attribue rien d’étranger à son immortalité ni rien d’incompatible avec sa béatitude.

Crédite-le, en revanche, de tout ce qui est susceptible de lui conserver, avec l’immortalité, cette béatitude. Car les dieux existent : évidente est la connaissance que nous avons d’eux. Mais tels que la foule les imagine communément, ils n’existent pas : les gens ne prennent pas garde à la cohérence de ce qu’ils imaginent.

N’est pas impie qui refuse des dieux populaires, mais qui, sur les dieux, projette les superstitions populaires. Les explications des gens à propos des dieux ne sont pas des notions établies à travers nos sens, mais des suppositions sans fondement. A cause de quoi les dieux nous envoient les plus grands malheurs, et faveurs : n’ayant affaire en permanence qu’à leurs propres vertus, ils font bonne figure à qui leur ressemble, et ne se sentent aucunement concernés par tout ce qui n’est pas comme eux.

Familiarise-toi avec l’idée que la mort n’est rien pour nous, puisque tout bien et tout mal résident dans la sensation, et que la mort est l’éradication de nos sensations. Dès lors, la juste prise de conscience que la mort ne nous est rien autorise à jouir du caractère mortel de la vie : non pas en lui conférant une durée infinie, mais en l’amputant du désir d’immortalité.

Il s’ensuit qu’il n’y a rien d’effrayant dans le fait de vivre, pour qui est radicalement conscient qu’il n’existe rien d’effrayant non plus dans le fait de ne pas vivre. Stupide est donc celui qui dit avoir peur de la mort non parce qu’il souffrira en mourant, mais parce qu’il souffre à l’idée qu’elle approche.

Ce dont l’existence ne gêne point, c’est vraiment pour rien qu’on souffre de l’attendre ! Le plus effrayant des maux, la mort ne nous est rien, disais-je : quand nous sommes, la mort n’est pas là, et quand la mort est là, c’est nous qui ne sommes pas !

Elle ne concerne donc ni les vivants ni les trépassés, étant donné que pour les uns, elle n’est point, et que les autres ne sont plus. Beaucoup de gens pourtant fuient la mort, soit en tant que plus grands des malheurs, soit en tant que point final des choses de la vie.

Le philosophe, lui, ne craint pas le fait de n’être pas en vie : vivre ne lui convulse pas l’estomac, sans qu’il estime être mauvais de ne pas vivre. De même qu’il ne choisit jamais la nourriture la plus plantureuse, mais la plus goûteuse, ainsi n’est-ce point le temps le plus long, mais le plus fruité qu’il butine ? Celui qui incite d’un côté le jeune à bien vivre, de l’autre le vieillard à bien mourir est un niais, non tant parce que la vie a de l’agrément, mais surtout parce que bien vivre et bien mourir constituent un seul et même exercice.. Plus stupide encore celui qui dit beau de n’être pas né, ou

Sitôt né, de franchir les portes de l’Hadès.

S’il est persuadé de ce qu’il dit, que ne quitte-t-il la vie sur-le-champ ? Il en a l’immédiate possibilité, pour peu qu’il le veuille vraiment. S’il veut seulement jouer les provocateurs, sa désinvolture en la matière est déplacée.

Souvenons-nous d’ailleurs que l’avenir, ni ne nous appartient, ni ne nous échappe absolument, afin de ne pas tout à fait l’attendre comme devant exister, et de n’en point désespérer comme devant certainement ne pas exister.

Il est également à considérer que certains d’entre les désirs sont naturels, d’autres vains, et si certains des désirs naturels sont contraignants, d’autres ne sont… que naturels. Parmi les désirs contraignants, certains sont nécessaires au bonheur, d’autres à la tranquillité durable du corps, d’autres à la vie même.

Or, une réflexion irréprochable à ce propos sait rapporter tout choix et rejet à la santé du corps et à la sérénité de l’âme, puisque tel est le but de la vie bienheureuse. C’est sous son influence que nous faisons toute chose, dans la perspective d’éviter la souffrance et l’angoisse.

Quand une bonne fois cette influence a établi sur nous son empire, toute tempête de l’âme se dissipe, le vivant n’ayant plus à courir comme après l’objet d’un manque, ni à rechercher cet autre par quoi le bien, de l’âme et du corps serait comblé. C’est alors que nous avons besoin de plaisir : quand le plaisir nous torture par sa non-présence. Autrement, nous ne sommes plus sous la dépendance du plaisir.

Voilà pourquoi nous disons que le plaisir est le principe et le but de la vie bienheureuse. C’est lui que nous avons reconnu comme bien premier, né avec la vie. C’est de lui que nous recevons le signal de tout choix et rejet.

C’est à lui que nous aboutissons comme règle, en jugeant tout bien d’après son impact sur notre sensibilité. Justement parce qu’il est le bien premier et né avec notre nature, nous ne bondissons pas sur n’importe quel plaisir : il existe beaucoup de plaisirs auxquels nous ne nous arrêtons pas, lorsqu’ils impliquent pour nous une avalanche de difficultés.

Nous considérons bien des douleurs comme préférables à des plaisirs, dès lors qu’un plaisir pour nous plus grand doit suivre des souffrances longtemps endurées. Ainsi tout plaisir, par nature, a le bien pour intime parent, sans pour autant devoir être cueilli. Symétriquement, toute espèce de douleur est un mal, sans que toutes les douleurs soient à fuir obligatoirement.

C’est à travers la confrontation et l’analyse des avantages et désavantages qu’il convient de se décider à ce propos. Provisoirement, nous réagissons au bien selon les cas comme à un mal, ou inversement au mal comme à un bien.

Ainsi, nous considérons l’autosuffisance comme un grand bien : non pour satisfaire à une obsession gratuite de frugalité, mais pour que le minimum, au cas où la profusion ferait défaut, nous satisfasse.

Car nous sommes intimement convaincus qu’on trouve d’autant plus d’agréments à l’abondance qu’on y est moins attaché, et que si tout ce qui est naturel est plutôt facile à se procurer, ne l’est pas tout ce qui est vain.

Les nourritures savoureusement simples vous régalent aussi bien qu’un ordinaire fastueux, sitôt éradiquée toute la douleur du manque : galette d’orge et eau dispensent un plaisir extrême, dès lors qu’en manque on les porte à sa bouche. L’accoutumance à des régimes simples et sans faste est un facteur de santé, pousse l’être humain au dynamisme dans les activités nécessaires à la vie, nous rend plus aptes à apprécier, à l’occasion, les repas luxueux et, face au sort, nous immunise contre l’inquiétude.

Quand nous parlons du plaisir comme d’un but essentiel, nous ne parlons pas des plaisirs du noceur irrécupérable ou de celui qui a la jouissance pour résidence permanente — comme se l’imaginent certaines personnes peu au courant et réticentes, ou victimes d’une fausse interprétation — mais d’en arriver au stade oµ l’on ne souffre pas du corps et ou l’on n’est pas perturbé de l’âme.

Car ni les beuveries, ni les festins continuels, ni les jeunes garçons ou les femmes dont on jouit, ni la délectation des poissons et de tout ce que peut porter une table fastueuse ne sont à la source de la vie heureuse : c’est ce qui fait la différence avec le raisonnement sobre, lucide, recherchant minutieusement les motifs sur lesquels fonder tout choix et tout rejet, et chassant les croyances à la faveur desquelles la plus grande confusion s’empare de l’âme.

Au principe de tout cela, comme plus grand bien : la prudence. Or donc, la prudence, d’où sont issues toutes les autres vertus, se révèle en définitive plus précieuse que la philosophie : elle nous enseigne qu’on en saurait vivre agréablement sans prudence, sans honnêteté et sans justice, ni avec ces trois vertus vivre sans plaisir. Les vertus en effet participent de la même nature que vivre avec plaisir, et vivre avec plaisir en est indissociable.

D’après toi, quel homme surpasse en force celui qui sur les dieux nourrit des convictions conformes à leurs lois ? Qui face à la mort est désormais sans crainte ?

Qui a percé à jour le but de la nature, en discernant à la fois comme il est aisé d’obtenir et d’atteindre le « summum » des biens, et comme celui des maux est bref en durée ou en intensité ; s’amusant de ce que certains mettent en scène comme la maîtresse de tous les événements — les uns advenant certes par nécessité, mais d’autres par hasard, d’autres encore par notre initiative —, parce qu’il voit bien que la nécessité n’a de comptes à rendre à personne, que le hasard est versatile, mais que ce qui vient par notre initiative est sans maître, et que c’est chose naturelle si le blâme et son contraire la suivent de près (en ce sens, mieux vaudrait consentir à souscrire au mythe concernant les dieux, que de s’asservir aux lois du destin des physiciens naturalistes : la première option laisse entrevoir un espoir, par des prières, de fléchir les dieux en les honorant, tandis que l’autre affiche une nécessité inflexible).

Qui témoigne, disais-je, de plus de force que l’homme qui ne prend le hasard ni pour un dieu, comme le fait la masse des gens (un dieu ne fait rien de désordonné), ni pour une cause fluctuante (il ne présume pas que le bien ou le mal, artisans de la vie bienheureuse, sont distribués aux hommes par le hasard, mais pense que, pourtant, c’est le hasard qui nourrit les principes de grands biens ou de grands maux) ; l’homme convaincu qu’il est meilleur d’être dépourvu de chance particulière tout en raisonnant bien que d’être chanceux en déraisonnant, l’idéal étant évidemment, en ce qui concerne nos actions, que ce qu’on a jugé « bien » soit entériné par le hasard.

A ces questions, et à toutes celles qui s’y rattachent, réfléchis jour et nuit pour toi-même et pour qui est semblable à toi, et veillant ou rêvant jamais rien ne viendra te troubler gravement : ainsi vivras-tu comme un dieu parmi les humains. Car il n’a rien de commun avec un vivant mortel, l’homme vivant parmi des biens immortels.