Les jardins anglais : fausse irrégularité, vraie domestication

Les jardins anglais sont un style particulier de jardin, qui prend en fait même à contre-pied le principe du jardin à la française, en apparence du moins.

Ici, pas de figures géométriques : les chemins sont sinueux, à travers une végétation laissée libre, tout au moins à ce qu’on peut « imaginer » en se promenant. Ce qui compte ici c’est l’esprit reposé du peintre, qui admire un paysage pittoresque. On peut penser aux poèmes de Verlaine, ou à la peinture impressionniste, avec une dimension moins triste et plus pittoresque.

Pittoresque, et donc romantique et surtout… fictif. Le jardin à l’anglaise est extrêmement organisé. Il donne l’illusion de laisser libres les personnes se promenant, mais celles-ci débouchent immanquablement sur différents points de vue, que l’on doit qualifier de « romantique. »

Le jardin à l’anglaise est en effet né comme objet de raffinement, dans une Angleterre ayant brisée la monarchie absolue et où les classes possédantes, au 18ème siècle, témoignent de leur esprit d’indépendance avec de tels jardins.

Si les jardins à la française sont l’expression d’un pouvoir central organisant géométriquement des grands espaces symboles de pouvoir, le jardin à l’anglaise est né dans une aristocratie égayant ses petits domaines.

Les jardins anglais et à la française ne s’opposent donc pas : ils sont simplement des « décors » destinés à des élites différentes.

L’abondance de la diversité et les nombreuses couleurs des jardins anglais ne célèbrent donc pas la nature, mais le promeneur, riche propriétaire.

Au début du 18ème siècle en effet, ces jardins naissent sous la forme d’un prolongement d’un autre jardin, débouchant finalement sur la campagne (normalement, avec un lac), à travers des paysages censés évoquer l’antiquité (avec des temples, etc.).

Puis Lancelot Brown, connu sous le nom de Capability Brown, développe ces jardins dans ce qui sera le jardin anglais, symbole national d’une Angleterre où les aristocrates se lancent dans le capitalisme naissant.

Son surnom « Capability » vient de son côté commercial, puisqu’il assurait à ses riches clients que leur domaine avait de bonnes « capacités » à être transformé. Il a organisé 170 jardins dans les domaines des familles les plus riches, dans un esprit de confort tel que les riches l’exigeaient.

La composition des jardins devient alors sobre et sensuelle, régulière par certains aspects et « sauvage » par d’autres. Cet aspect pittoresque, et par là romantique, aura un grand succès en Europe, et notamment en France.

Le second Empire, qui consiste en le règne de Napoléon III, fera logiquement des jardins anglais le style officiel.

Car c’est ici un mélange de romantisme aristocrate et de naturalisme bourgeois : au plaisir tranquille et imaginaire d’une nature belle « dans le passé » s’associe la mentalité industrielle qui font que les parcs comportent des fermes-écoles, ainsi que des fermes destinées aux enfants des villes pour qu’ils assimilent l’esprit de domination de la nature.

Quant à l’Angleterre, elle connaît un second bouleversement de son type de jardin, qui adopte des manières bourgeoises : espaces fragmentés plein de couleurs et « virtuosité » de différentes espèces se conjuguent pour une atmosphère « plaisante. » Aux grottes viendront s’ajouter des pagodes, symbole d’exotisme colonial.

Voici comment un inspecteur des Ponts et Chaussées et directeur de travaux à Paris, expert en jardins, présente cela en 1867, dans une analyse des promenades parisiennes, dont il a été un des principaux penseurs : c’est en effet Jean-Charles-Adolphe Alphand qui a aménagé les jardins des Champs-Élysées, le parc Monceau, le parc Montsouris, le bois de Boulogne, le bois de Vincennes, le parc des Buttes-Chaumont, etc.

Pour comprendre cette longue et intéressante citation, il faut connaître le mot « agreste » utilisé au début du texte. On appelle « agreste » les plantes qui ne sont pas taillées, ou bien recevant le même genre de traitement que les plantes des champs.

Alphand appelle ainsi « agrestes » les jardins anglais, et son point de vue est vraiment très utile, puisqu’il n’oppose pas jardins anglais et à la française, mais comprend (sans comprendre) que leur fonction sociale n’est pas la même à la base…

« Les jardins agrestes ont été créés dans le Nord, parce que c’est là leur véritable patrie, le climat qui leur convient réellement.

L’Angleterre n’a jamais été attachée comme la France et l’Italie, au style classique, à l’architecture symétrique ; elle repousse encore à présent les formules systématiques auxquelles nos artistes se sont assujettis.

Faut-il en attribuer la cause à sa situation insulaire, qui l’isole des autres nations ; ou bien à cette facilité pour les voyages qui permet à ses artistes de visiter des peuples ayant des arts très différents ? Nous pensons qu’il faut surtout tenir compte de son climat.

Dans cette atmosphère brumeuse, où le passage est doucement estompé, les plans se détachent par masses successives, qui fuient en prenant des tons bleuâtres.

Le soleil tantôt projette des ombres qui détachent vigoureusement les objets sur des fonds brillants, et tantôt enlève les premiers plans en lumière, sur des fonds noyés dans une vapeur grise.

On ne peut imaginer rien de plus poétique que ces paysages au ton doux, et que le mouvement des vapeurs semble animer.

C’est un décor sans cesse modifié par des effets inattendus, et qui ne peut se reproduire dans les contrées du Midi, baignées d’une lumière égale. Aussi les dispositions régulières, dont l’effet est imposant en Italie, perdent beaucoup de leur valeur sous le ciel nuageux du Nord.

En Angleterre, mais surtout en Écosse, les paysages sont admirables, moins à cause de la richesse de la végétation que par les contrastes que produit le jeu de la lumière.

Les habitants ont dû chercher à tirer parti de ces phénomènes naturels. Ils ont donc composé des jardins où la nature conservait le premier rôle. Les poètes, les peintres, les paysagistes, subissant les mêmes impressions, se sont trouvés d’accord sur le but à atteindre et sur les moyens d’y arriver.

Un pâturage où sont jetés ça et là des bouquets de grands arbres, à travers lesquels fuit l’horizon zébré de lignes claires et d’ombres bleues ; une rivière, ou quelque pièce d’eau, réfléchissant le ciel et les saules qui croissent sur ses bords : voilà les éléments primitifs du jardin anglais, ou plutôt du jardin agreste des pays du Nord (…).

Indépendamment des rapports de style entre l’habitation et le jardin les tracés réguliers sont heureusement employés au milieu de paysages offrant de puissants reliefs, des profils très mouvementés et des horizons étendus.

Enfin ces jardins s’agencent souvent mieux dans les périmètres réguliers des propriétés situées dans les villes. Ils s’harmonisent plus aisément avec la correction des lignes architecturales qui les entourent et qui dominent toujours dans l’ensemble.

Mais l’emploi de ce style exige, pour produire un bon effet, des surfaces beaucoup plus étendues qu’il n’est nécessaire dans le style pittoresque.

Aussi le jardin agreste se prête mieux à des compositions d’une étendue restreinte ; ses lignes sont plus souples, d’une distribution plus facile ; l’élasticité de son tracé se prête, avec la même facilité, aux dispositions les plus réduites, comme aux conceptions les plus larges ; il se raccorde bien avec les perspectives naturelles, et se fond mieux avec la nature environnante.

Cependant, lorsqu’il faut encadrer des œuvres de grand style, des palais, et non plus de simples habitations bourgeoises, le jardin agreste ne donne pas assez de relief à l’architecture ; il ne prépare pas à l’impression recherchée par l’artiste ; il s’ajuste moins bien avec les lignes générales ; son allure un peu familière n’a pas le ton qui convient auprès des fières ordonnances de l’art classique.

Tout à fait convenable dans les parties un peu éloignées de l’édifice, il doit, aux abords de celui-ci, céder la place au tracé régulier, dont la décoration accompagne mieux les lignes de l’architecture symétrique. »

Cet extrait est véritablement très parlant, et révèle bien comment les jardins anglais et à la française, loin de s’opposer, visaient à agrémenter des domaines différents, des élites différentes.

Yvonne, symbole de la libération animale

En Allemagne en ce moment, c’est Yvonne qui est au centre de l’attention de beaucoup de gens. Yvonne est une vache âgée de six ans, qui plutôt que de prendre le chemin de l’abattoir, s’est enfuit dans l’autre direction, et hop! a taillé dans les bois à 16 kilomètres de là, au nord de la Bavière.

Elle n’a alors pas été retrouvée, et ce depuis deux mois. Elle est devenue un véritable symbole, et une mobilisation a lieu pour sauver Yvonne!

 

Mais la situation est très dangereuse pour Yvonne. Car le propriétaire du terrain de 25 hectares n’a rien contre Yvonne, ni même l’agriculteur du coin, dont Yvonne a mangé la pâturage. Mais il y a la police… Elle a rencontré une voiture de police, et la police l’a alors déclaré… dangereuse!

Résultat: deux assassins parcourent la forêt, afin de la trouver et de l’abattre. Toutefois, la vitesse pour les voitures a été limitée à 30 km/h et les chasseurs en question n’ont le droit de tirer qu’en cas de danger de collision.

Ils sont également munis d’un fusil avec un anesthésiant: la pression populaire est telle en Allemagne que même les responsables de l’État au niveau local ont dû affirmer que le but était de la capturer vivante. Ce qui n’est pas une garantie qu’ils tiendront parole.

La situation est dangereuse pour Yvonne, il s’agit donc de la sauver, sauf que ce n’est pas facile.

Une autre vache, dénommée Waltraud, ainsi que le veau Waldi, venant tous deux d’une ferme-refuge pour animaux sauvés, a été placé dans un pré pour l’attirer, en jouant notamment sur son aspect maternel ainsi que son amitié: Waltraud a vécu avec Yvonne.

Si Yvonne est trouvée, elle ira d’ailleurs dans le même refuge.

Mais Yvonne leur a rendu visite, la nuit, en plein brouillard!

Jusqu’à présent, elle a réussi à toujours éviter les gens partis à sa recherche, qui sont une centaine! Mais Yvonne a résisté à la piqûre pour l’endormir, et est repartie.

En tout cas, Waltraud et Waldi sont observéEs 24 heures sur 24 par un groupe de 2-3 personnes, et un filet a été installé pour empêcher Yvonne de se retrouver sur une importante route.

Une tente avec du foin et de l’eau a également été mise en place, en plus d’un « piège » avec de la nourriture pour la capturer.

Avec l’espoir de pouvoir récupérer Yvonne sans que sa santé soit mise en danger. Elle est en tout cas un très beau symbole de révolte naturelle et de la valeur de libération animale!

« Un oiseau s’envole »

Voici un poème de Paul Eluard, un artiste tourné vers la paix et la nature!

Un oiseau s’envole,
Il rejette les nues comme un voile inutile,
Il n’a jamais craint la lumière,
Enfermé dans son vol
Il n’a jamais eu d’ombre.

Coquilles des moissons brisées par le soleil.
Toutes les feuilles dans les bois disent oui,
Elles ne savent dire que oui,
Toute question, toute réponse
Et la rosée coule au fond de ce oui.

Un homme aux yeux légers décrit le ciel d’amour.
Il en rassemble les merveilles
Comme des feuilles dans un bois,
Comme des oiseaux dans leurs ailes
Et des hommes dans le sommeil.

8ème journée de l’animal à Fontenay sous Bois

Ce dimanche 17 avril en banlieue parisienne a lieu la Fontenay sous Bois. Voici une présentation critique par les Red Lions 94:

Ce week end aura lieu à Fontenay sous Bois, la 8ème journée de l’animal. Ce salon sera l’occasion pour de nombreuses associations œuvrant pour les animaux de présenter leurs activités au public. On pourra y croiser par exemple la FLAC anti-corrida, des associations de la SPA, Fourrures-tortures, l’association Liberté du chat, ou bien nos amiEs du collectif Contre L’Exploitation Des Animaux, etc.

Des expositions sur différents thèmes sont prévues, ainsi que des animations (poterie, maquillage, sculpture sur ballon, etc.) et des démonstrations d’éducation canine.

Cette journée sera aussi on l’espère, le moment venue pour quelques chiens et quelques chats de trouver une famille puisqu’un stand d’adoptions présentera des animaux (pour les personnes intéressées, il faut prévoir un justificatif de domicile et ses papiers d’identité, ainsi qu’une participation financière). Il est évident que nous encourageons toutes les personnes qui le peuvent à adopter des animaux qui ont été abandonnés et qui aujourd’hui attendent tant bien que mal dans des refuges ou dans des familles d’accueil temporaires.

En milieu d’après midi (16h), l’école de cirque de Italo et Josiane MEDINI proposera un spectacle avec comme thème «aimer le cirque sans animaux», ce qui est une très bonne idée !

L’existence des cirques avec animaux illustre totalement les contradictions que vivent les personnes vivant en ville. D’un coté il y a la volonté de côtoyer les animaux, c’est le sens du succès des cirques, des zoos, des aquariums, mais d’un autre coté ces animaux sont totalement soumis et torturés tandis que que le mode de vie produit par le milieu urbain est hostile à la Terre et à ses habitants.

Cette journée à justement pour but de rassembler des « associations de protection de la nature et des animaux » dans le but de « présenter au public leurs actions en matière d’écologie urbaine »… Dans cette optique, des grands thèmes sont mis en avant comme :

– La gestion de l’animal libre en ville : chats, pigeons, oiseaux, biodiversité

– La prise en compte de la mode des NAC, Nouveaux Animaux de Compagnie

– L’opposition aux jeux utilisant les animaux : corridas, chasse, delphinariums

– Le contrôle des industries et commerces de produits issus des animaux : viandes, fourrures

– La préservation de la faune sauvage :

. dans le milieu rural avec la présence des loups et des ours

. dans les océans avec les cétacés, les poissons, etc

. en ville avec les abeilles, les renards, etc

– Les choix de vie : les chrétiens et les animaux, le végétarisme

– Les aspects juridiques et politiques de l’animal

Tout ceci est certainement intéressant mais reste malgré tout assez limité puisque c’est finalement organisé par une mairie, c’est à dire une institution.

Dans les grandes métropoles suffocantes dans lesquelles nous devons vivre la biodiversité n’existe pas, la nature à été dévasté et le sort réservé à nos amis les animaux y est souvent des plus terrible. Que cela soit ceux qui doivent (sur)vivre dans des cages, ceux qui sont abandonnés ou bien ceux qui sont amenés dans des abattoirs pour y être assassinés. On pense aussi à de nombreuses espèces animales qui vivent en ville et qui doivent faire face à l’hostilité constante comme les pigeons ou les rats. Ils ne sont pas des « problème » à « gérer », il faut bien voir que ces animaux sont prisonniers et aliénés dans les villes capitalistes de la même manière que les être humains.

Les « industries et commerces » qui sont responsables de la barbarie envers nos amis les animaux ne doivent pas seulement être contrôlés, il faut en finir avec leur logique mortifère !

A notre époque, il n’y a plus de place pour les illusions ! Les villes capitalistes ne sont pas à aménager ou gérer mais à démolir ! Plus personne ne souhaite vivre dans les banlieues bétonnées complétement coupées de la nature et hostiles à la vie. Le Peuple veut et doit pouvoir vivre en harmonie avec la nature et les autres animaux sur une planète débarrassée de la pollutions et de l’exploitation causées par les vieilles industries capitalistes !

Malgré ses limites, cette initiative va dans le bon sens et peux participer à l’émergence d’une nouvelle culture positive tournée vers les animaux et la planète,  et donne à des associations qui prônent le mode de vie Vegan comme le CLEDA l’occasion de présenter leur activité !

La journée de l’animal aura lieu à la Salle Jacques-Brel de Fontenay-sous-Bois
de 11h à 18H

l’entrée est gratuite

Accès par le RER A – Val de Fontenay ou Fontenay sous Bois
puis bus 124 ou navette arrêt Hôtel de ville.

« Triomphe, immortelle nature ! » (Lamartine)

Si LTD change de bannière à chaque saison, c’est pour souligner que toute notre existence d’êtres humains est lié au mouvement de la nature. On ne vit pas tout à fait de la même manière à chaque saison, et ce n’est pas pour rien. On peut nier cette réalité tant qu’on voudra, les faits parlent d’eux-mêmes: les saisons jouent sur nous.

Voici à titre d’exemple un poème de Lamartine au sujet de l’automne, où l’on peut lire justement que « Le deuil de la nature / Convient à la douleur et plaît à mes regards ! »

L’automne

Salut ! bois couronnés d’un reste de verdure !
Feuillages jaunissants sur les gazons épars !
Salut, derniers beaux jours ! Le deuil de la nature
Convient à la douleur et plaît à mes regards !

Je suis d’un pas rêveur le sentier solitaire,
J’aime à revoir encor, pour la dernière fois,
Ce soleil pâlissant, dont la faible lumière
Perce à peine à mes pieds l’obscurité des bois !

Oui, dans ces jours d’automne où la nature expire,
A ses regards voilés, je trouve plus d’attraits,
C’est l’adieu d’un ami, c’est le dernier sourire
Des lèvres que la mort va fermer pour jamais !

Ainsi, prêt à quitter l’horizon de la vie,
Pleurant de mes longs jours l’espoir évanoui,
Je me retourne encore, et d’un regard d’envie
Je contemple ses biens dont je n’ai pas joui !

Terre, soleil, vallons, belle et douce nature,
Je vous dois une larme aux bords de mon tombeau ;
L’air est si parfumé ! la lumière est si pure !
Aux regards d’un mourant le soleil est si beau !

Je voudrais maintenant vider jusqu’à la lie
Ce calice mêlé de nectar et de fiel !
Au fond de cette coupe où je buvais la vie,
Peut-être restait-il une goutte de miel ?

Peut-être l’avenir me gardait-il encore
Un retour de bonheur dont l’espoir est perdu ?
Peut-être dans la foule, une âme que j’ignore
Aurait compris mon âme, et m’aurait répondu ? …

La fleur tombe en livrant ses parfums au zéphire ;
A la vie, au soleil, ce sont là ses adieux ;
Moi, je meurs; et mon âme, au moment qu’elle expire,
S’exhale comme un son triste et mélodieux.

Chanter la nature est une constante de l’humanité depuis le début de son existence; les premières religions ne sont qu’une vision mystique et hallucinée de la nature.

Mais avec la course à l’accumulation, la nature s’efface dans les coeurs et les esprits. En voici un exemple culturellement significatif, toujours avec un poème de Lamartine. L’expression « Ô temps ! suspends ton vol » est relativement connue, mais son origine est totalement inconnue.

Et pourtant, il y a un grand intérêt de connaître cette chanson d’amour autour d’un lac, l’amour et la nature se confondant…

Le lac

Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages,
Dans la nuit éternelle emportés sans retour,
Ne pourrons-nous jamais sur l’océan des âges
Jeter l’ancre un seul jour ?

Ô lac ! l’année à peine a fini sa carrière,
Et près des flots chéris qu’elle devait revoir,
Regarde ! je viens seul m’asseoir sur cette pierre
Où tu la vis s’asseoir !

Tu mugissais ainsi sous ces roches profondes,
Ainsi tu te brisais sur leurs flancs déchirés,
Ainsi le vent jetait l’écume de tes ondes
Sur ses pieds adorés.

Un soir, t’en souvient-il ? nous voguions en silence ;
On n’entendait au loin, sur l’onde et sous les cieux,
Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence
Tes flots harmonieux.

Tout à coup des accents inconnus à la terre
Du rivage charmé frappèrent les échos ;
Le flot fut attentif, et la voix qui m’est chère
Laissa tomber ces mots :

” Ô temps ! suspends ton vol, et vous, heures propices !
Suspendez votre cours :
Laissez-nous savourer les rapides délices
Des plus beaux de nos jours !

” Assez de malheureux ici-bas vous implorent,
Coulez, coulez pour eux ;
Prenez avec leurs jours les soins qui les dévorent ;
Oubliez les heureux.

” Mais je demande en vain quelques moments encore,
Le temps m’échappe et fuit ;
Je dis à cette nuit : Sois plus lente ; et l’aurore
Va dissiper la nuit.

” Aimons donc, aimons donc ! de l’heure fugitive,
Hâtons-nous, jouissons !
L’homme n’a point de port, le temps n’a point de rive ;
Il coule, et nous passons ! ”

Temps jaloux, se peut-il que ces moments d’ivresse,
Où l’amour à longs flots nous verse le bonheur,
S’envolent loin de nous de la même vitesse
Que les jours de malheur ?

Eh quoi ! n’en pourrons-nous fixer au moins la trace ?
Quoi ! passés pour jamais ! quoi ! tout entiers perdus !
Ce temps qui les donna, ce temps qui les efface,
Ne nous les rendra plus !

Éternité, néant, passé, sombres abîmes,
Que faites-vous des jours que vous engloutissez ?
Parlez : nous rendrez-vous ces extases sublimes
Que vous nous ravissez ?

Ô lac ! rochers muets ! grottes ! forêt obscure !
Vous, que le temps épargne ou qu’il peut rajeunir,
Gardez de cette nuit, gardez, belle nature,
Au moins le souvenir !

Qu’il soit dans ton repos, qu’il soit dans tes orages,
Beau lac, et dans l’aspect de tes riants coteaux,
Et dans ces noirs sapins, et dans ces rocs sauvages
Qui pendent sur tes eaux.

Qu’il soit dans le zéphyr qui frémit et qui passe,
Dans les bruits de tes bords par tes bords répétés,
Dans l’astre au front d’argent qui blanchit ta surface
De ses molles clartés.

Que le vent qui gémit, le roseau qui soupire,
Que les parfums légers de ton air embaumé,
Que tout ce qu’on entend, l’on voit ou l’on respire,
Tout dise : Ils ont aimé !

Lamartine considérait que « On n’a pas deux cœurs, l’un pour l’homme, l’autre pour l’animal… On a du cœur ou on n’en a pas ». Sa vision des choses est ainsi très intéressante.

Son romantisme n’est pas qu’un désir de retourner au moyen-âge: tout comme chez Nerval, il y a la volonté de comprendre la nature. Rimbaud considérera d’ailleurs que Lamartine a été au moins en partie un précurseur du « poète voyant » qu’il appelait de ses voeux, même si la forme est très conservatrice et bloquée.

En voici un exemple très parlant avec le poème « Eternité de la nature, brièveté de l’homme » qui met les choses à sa place, de manière volontaire (« Triomphe, immortelle nature ! »):

Eternité de la nature, brièveté de l’homme

Roulez dans vos sentiers de flamme,
Astres, rois de l’immensité !
Insultez, écrasez mon âme
Par votre presque éternité !
Et vous, comètes vagabondes,
Du divin océan des mondes
Débordement prodigieux,
Sortez des limites tracées,
Et révélez d’autres pensées
De celui qui pensa les cieux !

Triomphe, immortelle nature !
A qui la main pleine de jours
Prête des forces sans mesure,
Des temps qui renaissent toujours !
La mort retrempe ta puissance,
Donne, ravis, rends l’existence
A tout ce qui la puise en toi ;
Insecte éclos de ton sourire,
Je nais, je regarde et j’expire,
Marche et ne pense plus à moi !

Vieil océan, dans tes rivages
Flotte comme un ciel écumant,
Plus orageux que les nuages,
Plus lumineux qu’un firmament !
Pendant que les empires naissent,
Grandissent, tombent, disparaissent
Avec leurs générations,
Dresse tes bouillonnantes crêtes,
Bats ta rive! et dis aux tempêtes :
Où sont les nids des nations ?

Toi qui n’es pas lasse d’éclore
Depuis la naissance des jours.
Lève-toi, rayonnante aurore,
Couche-toi, lève-toi toujours!
Réfléchissez ses feux sublimes,
Neiges éclatantes des cimes,
Où le jour descend comme un roi !
Brillez, brillez pour me confondre,
Vous qu’un rayon du jour peut fondre,
Vous subsisterez plus que moi !

Et toi qui t’abaisse et t’élève
Comme la poudre des chemins,
Comme les vagues sûr la grève,
Race innombrable des humains,
Survis au temps qui me consume,
Engloutis-moi dans ton écume,
Je sens moi-même mon néant,
Dans ton sein qu’est-ce qu’une vie ?
Ce qu’est une goutte de pluie
Dans les bassins de l’océan !

Vous mourez pour renaître encore,
Vous fourmillez dans vos sillons !
Un souffle du soir à l’aurore
Renouvelle vos tourbillons!
Une existence évanouie
Ne fait pas baisser d’une vie
Le flot de l’être toujours plein;
Il ne vous manque quand j’expire
Pas plus qu’à l’homme qui respire
Ne manque un souffle de son sein !

Vous allez balayer ma cendre ;
L’homme ou l’insecte en renaîtra !
Mon nom brûlant de se répandre
Dans le nom commun se perdra ;
Il fut! voilà tout! bientôt même
L’oubli couvre ce mot suprême,
Un siècle ou deux l’auront vaincu !
Mais vous ne pouvez, à nature !
Effacer une créature ;
Je meurs! qu’importe ? j’ai vécu !

Dieu m’a vu ! le regard de vie
S’est abaissé sur mon néant,
Votre existence rajeunie
A des siècles, j’eus mon instant !
Mais dans la minute qui passe
L’infini de temps et d’espace
Dans mon regard s’est répété !
Et j’ai vu dans ce point de l’être
La même image m’apparaître
Que vous dans votre immensité !

Distances incommensurables,
Abîmes des monts et des cieux,
Vos mystères inépuisables
Se sont révélés à mes yeux !
J’ai roulé dans mes voeux sublimes
Plus de vagues que tes abîmes
N’en roulent, à mer en courroux !
Et vous, soleils aux yeux de flamme,
Le regard brûlant de mon âme
S’est élevé plus haut que vous !

De l’être universel, unique,
La splendeur dans mon ombre a lui,
Et j’ai bourdonné mon cantique
De joie et d’amour devant lui !
Et sa rayonnante pensée
Dans la mienne s’est retracée,
Et sa parole m’a connu !
Et j’ai monté devant sa face,
Et la nature m’a dit : Passe :
Ton sort est sublime, il t’a vu!

Vivez donc vos jours sans mesure !
Terre et ciel! céleste flambeau !
Montagnes, mers, et toi, nature,
Souris longtemps sur mon tombeau !
Effacé du livre de vie,
Que le néant même m’oublie!
J’admire et ne suis point jaloux !
Ma pensée a vécu d’avance
Et meurt avec une espérance
Plus impérissable que vous !

C’est une évidence qu’il y a là quelque chose d’intéressant, et que refuser ce genre de démarche car elle serait naïve ne rime à rien. En 2010, il y a beau jeu de se moquer de la naïveté et de la candeur de personnes aiment la nature et les animaux. Mais la vérité est que cela est incontournable, que sans cela il n’y a pas de civilisation.

Comprendre l’importance des saisons dans sa vie personnelle peut ainsi être déjà un bon début pour refuser une vie totalement dénaturée, et qui n’est donc pas une vie. Après, au milieu du béton, quelle place y a-t-il pour les saisons?

Dans le flux des transports et du travail, dans les heures perdues à courir pour l’emploi ou à déprimer par rapport à cela, comment avoir une attention captée par les saisons?

Il y a une solution, une seule: comprendre notre planète comme étant un lieu de vie, de vie en mouvement; c’est le sens du terme « Gaïa » que nous employons.

La vie doit l’emporter! Finissons donc justement sur un dernier poème de Lamartine, dédié cette fois au printemps:

Le papillon

Naître avec le printemps, mourir avec les roses,
Sur l’aile du zéphyr nager dans un ciel pur,
Balancé sur le sein des fleurs à peine écloses,
S’enivrer de parfums, de lumière et d’azur,
Secouant, jeune encor, la poudre de ses ailes,
S’envoler comme un souffle aux voûtes éternelles,
Voilà du papillon le destin enchanté!
Il ressemble au désir, qui jamais ne se pose,
Et sans se satisfaire, effleurant toute chose,
Retourne enfin au ciel chercher la volupté!