« L’écologie est-elle une science ou une religion ? » – la mise en avant de Heidegger

Le document ci-dessous, tiré du Nouvel Observateur, est extrêmement intéressant. Nous parlions en effet il y a quelques jours de « Gaïa » et de la « Terre-mère », en expliquant ce que nous voulions dire par là.

Or, si cette utilisation est rejetée par les partisans de Descartes, y compris au sein de la mouvance en faveur des animaux, la question n’en est pas moins considérée comme une question brûlante par les chercheurs universitaires.

Ceux-ci ne sont pas « idiots » et ont très bien compris qu’à l’avenir il y a un « danger » évident que les prochaines générations saisissent la libération de la Terre et refusent un monde dénaturé, au milieu du béton et avec une industrie agro-alimentaire ayant transformé le moindre animal en esclave.

Tentant ainsi de rejeter la démarche contre une vie dénaturée, ils mettent en avant Heidegger. C’est cela que fait la « philosophe » dans le document suivant.

Le principe est facile à expliquer, et tout le monde l’a vu en classe de terminale, en cours de philosophie (à condition d’avoir été jusque-là) :

  • l’être humain utilise des outils, des instruments ;
  • il transforme le monde, mais sur une base mathématique, logique, de manière « méthodique »
  • par conséquent, l’être humain « rationalise » le monde, tout ce qui existe peut être la cible des outils, des instruments, d’une vision « méthodique »
  • ce qui fait que le monde est « rationalisé », il n’a plus de valeur en soi
  • les machines triomphent sur l’activité humaine : c’est le règne de la technique.

En apparence, cela pourrait ressembler à de l’écologie : en raison d’un mode de vie d’hommes en costumes-cravates et de femmes en tailleurs, la nature est anéantie au service de la consommation.

En réalité, c’est une critique ultra-réactionnaire : Heidegger a soutenu les nazis qu’il considérait comme ramenant justement de la « magie » dans le monde, Ellul est quant à lui un religieux (voir notre article Ellul et la critique chrétienne conservatrice et romantique de la technique).

Et c’est la position de toute la mouvance de la « décroissance », qui se prétend en rupture avec le « monde moderne », tout en ayant bien entendu strictement rien à faire des animaux, ce qui montre l’ampleur de leur « rupture » ! Ces gens veulent en fait surtout retourner dans le passé (voir notre article: Des décroissants toujours plus fachos).

Le texte suivant, quand il parle de « être-au-monde », utilise directement la perspective de Heidegger, de remise en cause de la « technique » comme source du mal.

L’écologie est-elle une science ou une religion ?

LE PLUS. Y a-t-il du sacré dans la nature ? A l’occasion d’un colloque organisé sur ce thème fin avril, en partenariat avec « Le Nouvel Observateur », la professeur de philosophie Bérengère Hurand discutera cette question. Elle livre dès à présent des éléments de réflexion.

> Par Bérengère Hurand professeur de philosophie

L’idée est largement répandue : l’écologie serait, aujourd’hui, la nouvelle religion. Ce culte de la Terre Mère prendrait des formes diverses : le catastrophisme issu de l’allemand Hans Jonas, repris par Jean-Pierre Dupuy ; l’écosophie holiste du norvégien Arne Naess, l’hypothèse Gaïa de l’américain James Lovelock.

Et bien des fantaisies spirituelles alternatives, fascinées par le modèle exotique des religions lointaines ou archaïques, comme par l’idée d’une communion avec l’origine – qui se retrouve dans le fantasme rousseauiste de ce que les rationalistes appellent « l’illusion du retour à l’état de nature ». Il faudrait manger « préhistorique », réactiver nos sens et s’initier au fengshui.

Spiritualité ou réflexion rationnelle ?

La pensée écologique marquerait ainsi la résurgence d’une religion régressive et obscurantiste, appuyée sur la culpabilité et la crainte, et construisant des récits apocalyptiques sur la base de données scientifiques incertaines.

Lancée par l’Appel d’Heidelberg de 1992, l’idée a été reprise par certains scientifiques (comme Claude Allègre) ou essayistes (Pascal Brückner) qui se sont donnés pour tâche de dénoncer l’imposture de l’écologie en pointant la religiosité, l’irrationalité de cette conception du monde : non, objectent écosceptiques et écocritiques, la nature n’est pas sacrée, et c’est aller à l’encontre de l’humanisme occidental que d’attaquer le progrès, la technologie et la science, au nom de la nature et de sa sauvegarde.

L’accusation peut paraître excessive, et même absurde : l’écologie n’est-elle pas d’abord une science ? En montrant la nécessité d’un recentrement écosystémique de l’action humaine et d’un rééquilibrage de ses impacts, l’écologie semble faire davantage preuve d’une réflexion rationnelle (basée sur le calcul et la modélisation) que d’un débordement émotionnel lié à une spiritualité…

Et pourtant : il y a certainement là un penchant de l’écologie qui mériterait d’être analysé. D’un point de vue éthique, la volonté de dépasser l’idée d’une nature-objet à valeur instrumentale passe par le respect de la valeur intrinsèque des espèces et des écosystèmes, sujets de droit autant que de morale.

Et si, comme l’affirme J. Baird Callicott, cette valorisation est anthropogénique (décrétée par l’homme), elle est due à une vision symbolique de nos rapports avec la nature, qu’aucune science ne peut produire. L’écologie invite à ré-habiter la Terre, renouer avec le non-humain : spiritualiser notre être-au-monde, réaffirmer une appartenance avec le milieu de vie, contre le froid dualisme nature/culture qui a fait la preuve de son inadéquation.

Une attitude dont les religions monothéistes elles-mêmes se sont toujours tenues proches, malgré leur anthropocentrisme revendiqué : la Création n’est-elle pas marquée de la sacralité de son origine ? Et sa beauté, qui nous est si facilement accessible, ne dévoile-t-elle pas quelque chose du lien profond qui nous unit à elle ?

En rouvrant la question philosophique de la nature, c’est toute l’ambivalence de nos relations avec elle que nous risquons de voir resurgir. Un impensé occulté par des siècles de technique et d’industrie commence à réapparaître : ne laissons pas passer cette chance.

« Y a-t-il du sacré dans la nature ? », un colloque organisé les 27 et 28 avril par l’Université Paris I – PhiCo Philosophies contemporaines, en partenariat avec le Nouvel Observateur et la Mairie de Paris. Programmes et informations pratiques ici.

Ellul et la critique chrétienne conservatrice et romantique de la technique

Voici un article sur Jacques Ellul, article également présent dans nos archives culturelles. Au sens strict, Jacques Ellul n’a aucun rapport avec l’écologie radicale ni le véganisme, il n’a aucun lien avec la libération animale ni la libération de la Terre.

Mais, pour diverses raisons, ce théologien est présenté comme une figure de l’écologie politique!

Une chose absolument intolérable, qu’il fallait donc critiquer, au prix du terrible ennui qu’a été d’affronter cet austère religieux expert en droit, qui fait l’apologie du passé notamment le Moyen Âge et son culte de la tradition, dans une sorte de grand élan romantique…

Pour voir à quoi ressemble le personnage et son univers (jusqu’à l’insupportable musique), il y a également une longue interview vidéo en ligne ici.

C’est dommage de consacrer du temps à cela, mais il faut bien se confronter à cela alors que l’écologie devient une sorte de mode, une sorte de fourre-tout prétexte à tout et n’importe quoi, au détriment évidemment des animaux et de Gaïa.

Dans les années 1930, le fascisme s’est beaucoup développé sur le plan des idées, et en France il y a eu tout un courant plus ou moins chrétien qui a tenté de développer de la même manière des « idées nouvelles », une « troisième voie » entre capitalisme et communisme.

On a qualifié les théoriciens de ce courant les « non conformistes », Jacques Ellul (1912-1994) était de ceux-là. On retrouve donc chez Ellul des préoccupations philosophiques du même type (et ce sont celles du pétainisme): la question de la ruralité faisant face au développement des villes et des techniques, avec l’apologie de petits groupes autogérés liés à la terre.

Tout comme beaucoup de non conformistes, Ellul finira par participer à la résistance gaulliste. Si la page wikipédia en anglais qui lui est consacré le présente comme ayant été un de ses « leaders », une biographie plus sérieuse dit : « c’est dans le petit village de Martres (Gironde) qu’il participe à la Résistance où il se livre à l’agriculture pour nourrir sa famille. Il avouera avoir tiré autant de fierté d’avoir récolté sa première tonne de pommes de terre que d’avoir obtenu son agrégation de droit romain (1943). »

C’est alors au lendemain de la guerre que ce chrétien, qui va jusqu’à des prises de position de type théologique, publie « La technique ou l’enjeu du siècle. »

Ellul a alors passé sa vie à être enseignant à la faculté de Bordeaux et Sciences-Po Bordeaux, critiquant la technique et faisant l’apologie du christianisme, considéré comme authentiquement subversif.

Jacques Ellul est parfois présenté comme un théoricien de l’écologie, ce qu’il n’est absolument pas. Ellul est un théologien qui ne fait que mettre en avant les mêmes thèmes réactionnaires que l’extrême-droite des années 1930, il n’a rien voir ni de près ni de loin avec le véganisme, la libération animale, la libération de la Terre.

Les thèses d’Ellul sont l’équivalent français des thèses faites par Heidegger en Allemagne. La société est « technicienne et technicisée », la technique est partout et s’impose toujours plus rapidement, et les êtres humains ne peuvent plus vivre sans « prothèses techniques. »

Ces positions d’Ellul des années 1950-1960 existaient déjà dans l’extrême-droite des années 1930, et lui-même n’a absolument jamais fait partie du Parti Communiste (contrairement à ce que disent certaines biographies, qui se fondent sur des articles erronés publiés à sa mort). Ellul avait justement été membre, au coté de Bernard Charbonneau, d’un groupe proche de la revue Esprit et le groupe Ordre nouveau (c’est la mouvance « personnaliste » qui refuse « le désordre capitaliste et l’oppression communiste », considéré par l’historien Zeev Sternhell comme étant donc lié au fascisme).

Ellul met en avant la vieille rengaine ultra-réactionnaire: avant, c’était différent, c’était mieux, les humains étaient plus humains, la technique était sous contrôle, elle était quelque chose de « relativement stable, qui ne changeait pas beaucoup », la tradition prédominait, etc.

Sur le plan culturel, Ellul est donc totalement réactionnaire; dans le « Le bluff technologique » il explique que « chaque culture est rendue seulement obsolète. Elle subsiste en dessous de l’Universel technicien, sans avoir plus ni utilité ni sens. Vous pouvez continuer à parler français. Vous pouvez relire les poètes et les grands auteurs… Mais cela n’est plus qu’un aimable dilettantisme. »

La technique devient selon lui de plus en plus dominante, parce que plus elle se développe, plus elle se développe dans de nouveaux domaines; ce n’est plus l’humain qui utilise la technique, mais le contraire.

Ellul a donc critiqué très largement l’informatique, après avoir « espéré » qu’elle aide l’humanité à se libérer. Car Ellul croit en l’humanité… comme un chrétien: « c’est la mission prophétique du chrétien d’essayer de penser avant que l’événement ne soit devenu fatalité. Il y a des moments où l’histoire est souple, c’est alors qu’il faut s’insérer à l’intérieur pour faire jouer les rouages. »

La vérité est donc… ailleurs: « Ceux qui n’acceptent pas le Transcendant comme réalité dernière au-delà de notre connaissance et de notre expérience, doivent admettre qu’il n’y a aucun autre avenir que la fin technicienne, dans tous les sens de ce terme, et la fin de l’humain, dans le seul sens de l’élimination. »

On notera également que ce « spiritualisme » datant des années 1930 est également violemment pro « occidental. » Ellul explique que « La technique est essentiellement orientale: c’est dans le Proche-Orient principalement que la technique se développe. Et elle ne comporte presque pas de fondements scientifiques. »

Dans « La subversion du christianisme », il considère que tout ce que le christianisme a fait de mal (croisade, colonialisme, etc.) provient en fait… de l’Islam. Quant à l’inquisition et le procès de Galilée, on s’en ferait une fausse idée…

Ellul considère évidemment que tout le monde doit devenir chrétien, et même que c’est révolutionnaire: « Nous devons mainenir cette claire certitude que la Bible nous apporte une Parole antipouvoir, anti-étatique et antipolitique. »

Quel est le rapport avec la libération de la planète, et bien entendu la libération animale? Absolument aucun! Les thèses d’Ellul sont de vieilles thèses nauséabondes des années 1930 remis au goût du jour, afin de promouvoir le pessimisme et de nier la possibilité de changer le monde.

Car il s’agit justement, aujourd’hui, d’utiliser les techniques non pas pour détruire, mais pour produire, sur les fondements d’une éthique en accord avec Gaïa.

Ellul est un réactionnaire, un romantique voulant retourner dans un passé totalement idéalisé, aux valeurs forcément traditionnelles, religieuses et rurales, le tout formant une sorte de douce anarchie.

Son écologie, c’est la même que Pétain, cela n’a rien à voir avec une écologie radicale: Ellul ne parle jamais ni des animaux, ni de Gaïa.

Il nie le progrès ayant permis l’avènement de l’éthique vegan et d’une humanité pouvant enfin avoir les moyens non plus seulement de survivre, mais de vivre, en harmonie avec Gaïa et tous ses habitants, sans exploitation ni oppression!